Ô4 [Assemblée natiohàlè.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. MÔ&odtnëd. ASSEMBLÉE NATIONALE, PRÉSIDENCE DE M. DE LA ROCHEFOUCAULD-LIANCOURT. Séance du, lundi 16 août 1790, au soir (1). . La séance est ouverte à six heures et demie du soir. H» de La ttochefoucaold-Llancotirit occupe le fauteuil en l'absence de M. Dupont (de Nemours ), président. Le sieur J. F. Thébaut, chirurgien, présente à l’Assemblée nationale un écrit intitulé : Réflexions sur les moyens les plus simples pour le libre exercice de la chirurgie dans toute la France. L’Assemblée en ordonne le renvoi au comité de mendicité. M. ifouche. Lè décret Sût' la constitution du clergé est accepté depuis le 21 juillet, celui sur la fabrication d’armes pour les gardes nationales est aussi sanctionné depuis le 1er août ; cependant on n’en a point encore fait la publication. J’ai été plusieurs fois chez M. le garde des sceaux, pour le presser dé les faire imprimer et publier promptement. M. le garde des Sceaux a répondu que ce retard était occasionné par l’imprimerie royale, qui ne les avait point encore envoyés. Avant d’instruire l’Assemblée de cette négligence, j’ai jugé à propos d’écrire au directeur de l’imprimerie royale, qui m’a répondu tpi’il n’avait point vu le manuscrit de ces décrets pour les imprimer, et qu’il ne les connaissait pas. Je demande que l'Assemblée 'nationale charge son président décrire sur-le-champ à M. le garde des sceaux, pour qu’il fasse imprimer et expédier ces décrets sans délai. (On observe que l’Assemblée n’est point assez nombreuse pour prononcer un décret.) U. filin.- Lorsqu’il y aura deux cents membres réunis, je proposerai de mander M. le garde des sceaux à la barre. (On observe qu’il ne s’agit pas d’un décret, mais d’une simple autorisation, pour le président, d’écrire à M. le garde des sceaux.) (La proposition de M. Bouche est adoptée.) M. de Murlnais. Dans ma province, on s’empare des possessions et des monastères des religieuses, avant que vos décrets portent encore aucune dispositioU sur le traitement qui leur sera accordé. M. Hàrtinead. Le comité ecclésiastique a un projet de décret tout prêt sur cet objet. — On fait lecture d’un procès-verbal de la municipalité de Longwy, suc la conduite patriotique du régiment de Bouillon. Sept soldats piémontais ont en vain tenté de le soulever ; il a juré l’obéissance la plus exacte à ses officiers, et des fêtes, des danses, auxquelles ont pris part soldats, officiers, milice citoyenne et les canonniers d’Au-xonne, ont servi de consécration à ce serment. (On demande l’impression de ce procès-verbal, et de charger M. le président d’écrire à la municipalité de Longwy.) (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. L’Assemblée n’adopte qüe la dernière partie de cette motion. Un membre fait connaître qu’un citôyett, ci-devant privilégié, M. de Cheneçày-Coligny, sur le simple soupçon d’avoir empoisonné des fontaines, a été arrêté sans forme de procès, et Conduit en prison à une demi-lieue de i’etidroit où il habite. L’Assemblée ordonne le renvoi dê cëtté affaire au comité des rapports. M. le Président. L’ordre du jour est un rapport du comité de la marine sur les peines à infliger dans l’armée navale (1). M. de IVompère de CbAmpigny, rapporteur. Messieurs, le comité de la marme, chargé par vous de poser les bases constitutives de toutes les branches de ce département, à dû surtout fixer ses regards sur celles dont l’organisation lui a paru plus pressante. Uneescadre est armée, pour la première fois, avec l’autorisation du Corps législatif; des forces maritimes, devenues nationales, sont prêtes à se déployer, non plus comme jadis pour servir les vues ambitieuses ou intéressées d’un petit nombre de courtisans., mais pour l’intérêt de la nation même réintégrée dans tous ses droits ; pour sa véritable gloire, inséparable de la justice et de l’humanité ; pour prévenir ou abréger la guerre, le plus grand crime de nos gouvernements modernes, et qui, grâces aux principes de l’Assemblée nationale, ne pourra plus être pour nous qu’uu mal nécessaire. Le comité a pensé que lorsqu’il se formait un tel rassemblement d’hommes destinés à des fonctions extraordinaires, dont le cours ordinaire des choses ne présente pas même l’image, formant, pour ainsi dire, une société particulière, avec dès moeurs, des usages qui n’existent point dans la grande société; lorsque la sûreté de cette société éphémère pouvait être si facilement compromise par des délits que n’ont pas prévus les lois ordinaires: il fallait, pour cette société, des lois pénales particulières qui en garantissent l’existence, et donnassent les moyens de la conduire au but auquel elle est destinée. Ces lois existent, et le comité, pressé par le temps, aurait bien voulu pouvoir vous en proposer l’exécution provisoire; mais elles ont été créées sous Louis XIV* dans ce moment, où enivré de sa gloire, les hommes auxquels il dédaignait de se comparer, lui paraissaient d’une espèce inférieure à la sienne ; elles font partie d’un code, ouvrage d’un administrateur célèbre, qui peut renfermer des vues saines sur l’administration, mais qui n,e porte pas l’empreinte de cette philosophie douce, étrangère au siècle où il écrivait. Le gouvernement qui a succédé à Louis XIV, plus faible que le sien, n’était plus vertueux, ni plus éclairé* et les lois pénales de l’ordonnance de 1789 ont été copiées dans le code de 1765, le recueil le plus complet d’ordonnances ou de règlement sur. la mariné*. L’ouvrage du despotisme ne peut cobvenir à la liberté. Ce code de rigueur avait été tracé par l’orgueil et te mépris des hommes, La justice, l’humanité trembianteauraient dûseules en dicter toutes les dispositions. Tout a changé autour de nous; la révolution la plus étonnante par sa rapidité et son étendue a renversé, comme d’un souffle, toutes nos gothiques institutions. L’autorité la (1) Le Moniteur se borne à mentionner le rapport de M. de Champagny. [Assemblée nationale.! ARCHIVÉS PARtËMENfÂÎËÉS. [16 *ôAHf90.1 ÔK plus imposante, la confiance la plus étendue, peuvent à peine en soutenir quelques débris. Ce que nous appelions nos lois, n'est plus, ou va cesser d’être. Nos usages et nos mœurs vont changer; les hommes mêmes changent, et chaque jour accélère cette étonnante métamorphose. Geux qu’avilissait le despotisme ont déjà repris le sentiment de la dignité primitive de l’homme, et Téüergie de la liberté. Qu’ils apprennent à fléchir la tête sous le joug impérieux des lois qui sont leur ouvrage, et ils seront libres et fiers comme les créa la nature, justes, humains, amis de l’ordre et de la paix, tels que doit les former une société vraiment ordonnée pour le bonheur de l’espèce humaine. C’est avec cet esprit que le comité a examiné le code pénal de la marine; il l’a trouvé aussi incomplet que rigoureux : nulle gradation dans les peines ; une excessive sévérité ; la mort ou les aléres prononcées pour des délits que la faiblesse umaine peut faire excuser; et les crimes que la religion doit seule punir, exposant les malheureux ou les insensés qui s’en rendent coupables aux plus affreux châtiments. Telle était la trop rigoureuse sévérité de ces lois; elle contrariait tellement d’esprit d’un peuple qui avait conservé des mœurs douces sous un gouvernement oppresseur, qu’elles n’étaient nullement exécutées. L’ordre régnait cependant, et le service public se faisait sans obstacle; il est facile d’en expliquer la cause. Qu’il me soit permis, lorsque je vais parler de cette classe d’hommes, trop peu connue et toujours mal appréciée, les matelots français; qu’il soit permis, dis-je, à leur frère d’armes, au compagnon de leurs travaux, qui fut tant de fois leur admirateur, et toujours leur ami, de s’honorer lui-même en rendant uu éclatant hommage à leurs qualités si rares, à ce courage qui n’a pour principe ni le point d’honneur, ni le fanatisme de la gloire, ni aucun intérêt particulier, et qui est vraiment en eux un don de la nature, ou plutôt le fruit de leur éducation; à ce sang-froid qui, dans la position la plus critique, lorsqu’une corde, quin’estalors qu’un fil, les sépare seule delamort, les tient attachés à leur ouvrage avec une tranquillité imperturbable; à cette patience qui leurfait supporter tous les besoins et toutes les fatigues ; enfin, à cette docilité que n’arrête aucune fausse délicatesse, et qui les rend également empressés à faire tout ce qu’exige le service du vaisseau : ce sont ces qualités, c’était aussi le respect presque religieux que l’habitude leur imprimait pour une autorité quelquefois arbitraire, mais toujours exercée avec douceur et modération qui tenait lieu des lois qu’on n’exécutait point. Mais, dans les principes d’une Constitution libre, les bommes ne doivent plus obéir qu’aux lois ou aux hommes qui parlent en. leur nom ; les punitions comme les récompenses ne peuvent être arbitraires ; les lois doivent être suivies ou abrogées. Celles que nous considérions n’étaient pas de nature à nous faire balancer sur cette alternative. Quelque pénible qu’il soit pour des hommes sensibles de ne s’occuper que des erreurs de leurs semblables, et des peines qui sont faites non pour les punir, mais pour en prévenir le danger et le retour, et garantir la société de maux qu’elles peuvent attirer sur elle, nous nous y sommes livrés avec courage, persuadés que c’est aussi un bienfait de la société qu’un bon code pénal, et que les lois qui punissent ne sont pas moins respectables que celles qui récompensent. Tels sont les motifs qui nous ont fait entreprendre notre travail, tel est l’esprit qui nous a dirigés; il ne reste plus qu’à vous en offrir l’ordre et le plan. Le comité a d’abord porté son attention sur la forme des jugements. En adoptant le jury dans les causes criminelles, l’Assemblée nationale lui avait tracé la route qu’il devait suivre. Cette institution, véritable base de la liberté civile, qui honore même un peuple libre, pouvait surtout être mise en usage, là où les délits sont simples, les preuves toujours subsistantes, les témoins nombreux. Peut-être la composition du jury offrait-elle des difficultés à vaincre. Le comité ose espérer que celle qu’il vous présente est de nature à concilier l’intérêt de l’ordre public, auquel tient la sûreté de tous, avec la sûreté de l’accusé, dans quelque rang inférieur qu’il soit placé. Son respect pour la liberté individuelle l’a conduit à une institution dont il faut vous rendre un compte particulier. Là où fb jury seul prononce qüë l’accusé est coupable ou non coupable du crime qui lui est imputé, il semblerait que le ministère d’un seul juge, organe de la loi, et qui la fait parler sans l’interpréter, serait suffisant. Le comité y a vu des inconvénients. Ce juge ne pourrait être que le capitaine de vaisseau, ou bien il y aurait à son bord une autorité individuelle Supérieure à la sienne; ce qui est contraire à tous les principes de bonne discipline et d’Ofgauisation militaire. Ce capitaine à qui on laisse la nomination des hommes parmi lesquels l’accusé choisit ceux qui doivent composer le jury, pourrait, s’il le voulait, influer sur l’opinion de ces hommes bons et honnêtes, mais simples et modestes et n’osant compter sur leurs propres lumières, et il s’établirait alors une certaine connivence entre le juge et le jury; tel est l’inconvénient que le comité a voulu prévenir en établissant un juge collectif et nombreux qui ûe serait pas plus corrupteur que corruptible, et il a attribué les fonctions de prononcer la peine, lorsque le jury aurait déclaré l’accusé coupable, noû plus à un conseil de guerre, en abolissant des fonctions anciennes il faut aussi supprimer les mots qui les rappellent, mais à un Conseil de justice composé de l'état-major. 11 en a même éloigné le chef du vaisseau dont il a redouté la trop puissante influence ; mais pour ne point l'avilir par Une injurieuse exception aux yeux de ceux qu'il commande, il lui a attribue le plus beau des droits, uh droit, qui, fondant son empire sur la bienfaisance, le rend aussi solide que doux, celui de commuer, en une peine plus légère, la peine prononcée par le Conseil de guerre. Un tel droit, quelque beau qu’il soit, lui a paru pouvoir être le juste partage de cet homme, qui, représentant pour ainsi dire, la nation et son chef, doit en retracer la dignité et en rappeler la bienfaisance, qui, chargé de défendre de si grands intérêts, ne peut, pour le prompt succès des opérations qui lui sont confiées, avoir une autorité trop imposante, mais non arbitraire, et inspirër un respect trop sacré. Cette idée a dicté au comité plusieurs des dispositions qu’il à l'honneur de vous présenter. Il a établi là forme de procédure la plus simple ; ainsi l’exigent les lumières et les mœurs de ceux qui doivent l’exécuter, et la nature des délits qui se commettent sur les vaisseaux de guerre. Quelque confiance que lui inspire la procédure par jury, il n’a pas cru cependant qu’elle fût toujours exempte d’erreurs, et on ne peut admettre la possibilité de ces erreurs si cruelles de la justice, 96 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. de ces erreurs qui font le désespoir des âmes sensibles, parce que l’innocence et quelquefois la vertu en sont les victimes, et qu’elles sont toujours irréparables ; on ne peut, dis-je, admettre cette possibilité sans chercher à en prévenir les suites funestes. De là le comité a conclu la nécessité de la révision du procès dans le cas où l’accusé a été déclaré, par le jury, coupable d’un «délit emportant peine de mort ou des galères. Dans les autres, la nécessité de la révision lui a paru moins pressante, et il a même jugé qu’elle pourrait affaiblir la discipline militaire qui, lorsqu’elle n’exige pas des peines sévères, commande toujours des punitions promptes. Mais, en établissant cette révision, il n’a pas oublié quel en avait été le motif, et quel devait en être le but, et il a pensé qu’elle ne devait avoir lieu qu’en faveur de l’accusé. C’est un bouclier pour l’innocence qui ne doit jamais devenir une arme même contre le crime. Qu’un coupable échappe au supplice qu’il a mérité, c’est un mal sans doute ; mais ce mal peut devenir un bien, si l’homme, ainsi rendu à la liberté ou à la vie, en fait un emploi utile. Mais que l’innocent tombe, frappé par ce bras vengeur qui n’est armé que contre les coupables, c’est toujours un mal, et un mal irréparable, c’est un crime plus grand que celui que l’on a voulu punir, c’est un délit de la société entière qui enchaîne, outrage et immole celui à qui elle a promis de protéger sa liberté, son honneur et sa vie; et cette erreur de la justice devient le tort des lois, ou plutôt des législateurs, lorsqu’ils n’ont pas dirigé leurs institutions de manière à en arrêter les suites funestes. — Tel est l’objet du titre premier. Le titre second ne renferme que des dispositions pénales. Le comité a distingué les peines afflictives et les peines de discipline. Celles-ci qui ne peuvent être encourues que par des délits très légers, mais très variés, et dont il eût été impossible de faire l’énumération, sont aussi extrêmement douces. Le comité a cru qu’on pouvait laisser au capitaine le droit de les infliger, suivant que l’exigerait l’intérêtdu service. Il a voulu que cette autorité qu’il lui léguait, rappelât celle du chef d’une nombreuse famille qui châtie par des corrections douces, je dirais presque paternelles, ceux de ses enfants qui se sont livrés à des erreurs, et cela pour prévenir de plus grandes erreurs et le danger dont elles menaceraient la famille commune. Contenue dans des limites précises, une telle autorité ne peut être nullement dangereuse. Les peines que le comité a appelées afflictives, ne peuvent être infligées que par le conseil de justice, d’après le jugement du jury: là, toute incertitude disparaît ; la peine est précisé comme le délit. Dans l’ordre des délits, le comité a cru devoir commencer par ceux relatifs à la subordination. Depuis longtemps une opinion, qui a été aussi celle de tous les peuples libres, les a fait regarder comme les plus graves, parce qu’ils peuvent être suivis des conséquences les plus dangereuses. La même raison range immédiatement après, tous les délits contre l’ordre ordinaire de service. Les erreurs, toujours si funestes des commandants de vaisseaux ou escadres forment la troisième classe ; enfin viennent les délits plus ordinaires dans le cours de la société, les vols, par exemple : ici, le comité a fait une distinction importante, celle des vols faits aux individus qui habitent le vaisseau, et les vols des effets du vaisseau même, c’est-à-dire de la nation. Geux-(16 août 1790.] ci lui ont paru plus graves, et parce qu’ils peuvent à la longue compromettre la sûreté commune, et parce qu’un préjugé, autorisé par un gouvernement qui se séparait sans cesse de sa nation, les faisait paraître peut-être moins criminels et plus tentants aux yeux d’un grand nombre d’individus. Une juste gradation des peines était la tâche la plus difficile du comité : il en a établi une grande variété pour les proportionner à la nature des délits; il a adopté celles que l’usage comme les lois avaient rendues les plus ordinaires, la cale et la bouline. Il aurait voulu pouvoir, à l’exemple d’uDe impératrice fameuse, qui a prétendu à tous les genres de gloire, même à celle de la philosophie la plus étrangère aux princes ; il aurait voulu, dis-je, abroger la peine de mort : mais en énonçant son vœu pour cette abolition que sollicite l’humanité, qu’approuve la jjistice, que peut-être la saine politique conseille, il a cru qu’un tel changement devait s'opérer d’abord dans la législation générale de l’Empire qui aurait dû précéder son ouvrage ; il n’a prononcé cette peine, qui devrait toujours être un sujet de deuil dans la société, que contre ceux dont le délit a évidemment hasardé la sûreté d’un grand nombre de citoyens, ou dont l’existence ne peut-être que dangereuse pour la société. D’après vos lois comme d’après vos principes, il n’a reconnu qu’une manière de donner la mort. La funeste variété, introduite par nos lois, était tantôt l’ouvrage d’un raffinement de barbarie affreux en lui-même, et encore plus parce qu’il était inutile, et tantôt le produit de la plus absurde chimère que l’orgueil humain ait jamais enfanté, lorsqu’il prétendait mettre des distinctions entre les hommes, dans ce moment même où le crime, encore plus que la nature, rappelle si impérieusement leur inaltérable égalité. S’il a fait quelques distinctions entre les grades, c’est d’après ce principe, que les délits militaires, tenant essentiellement aux rapports qui existent de grade à grade, ne peuvent être les mêmes pour ceux à qui la loi attribue des fonctions différentes et impose des devoirs qui ne sont pas les mêmes, et par conséquent ne peuvent être punis par les mêmes peines; principe qui lui a fourni cette conséquence, que l’homme que l’Etat honore de plus de confiance et d’autorité, est bien plus coupable envers lui lorsqu’il commet le même délit que celui qui n’a pas été traité avec la même faveur; aussi est-il puni avec plus de sévérité. Mais là où le délit est de nature à ne rappeler que la qualité d’homme ou de citoyen dans ceux, quel que soit leur grade, qui le commettent, la peine devient la même et l’officier coupable d’un vol est mis aux galères comme un matelot. Le comité a cherché à ne prononcer que rarement ce genre de supplice, qui presque toujours achève d’éteindre dans ceux qui le subissent les derniers sentiments d’honnêteté. La plus sévère de toutes ces dispositions, et qui n’est pas la moins nécessaire, est celle qui, en présence de l’ennemi ou dans un danger extrêmement pressant, annule la lenteur alors dangereuse de la procédure ordinaire, et autorise le capitaine, en prenant l’avis de ses officiers, à faire punir l’homme qui se rend coupable d’une lâcheté ou d’une désobéissance qui exposerait le salut du vaisseau, si elle n’était réprimée dans l’instant même. Il a trouvé cette exception qu’exige absolument le service de la mer, qu’ont [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 août 1790.] adoptée toutes les marines de l’Europe, dans vos propres institutions. C’est la loi martiale des vaisseaux, et certes la loi martiale est nécessaire là surtout où le danger est si pressant et menace l’existence de toute la communauté entière. J’abrège ce détail affligeant des erreurs de nos semblables et des rigueurs de la loi. Je m’arrêterai avec plus de complaisance sur des dispositions que votre humanité accueillera avec faveur. Le comité, qui sait que le premier droit de l’homme, dans le malheur, est à la compassion et au secours de ses semblables, a voulu rappeler cette grande vérité, qui est encore plus de sentiment que de principe, et il l’a fait en vous proposant de statuer que le capitaine d’un vaisseau, qui ne portera pas des secours à un ennemi dans la détresse, sera puni comme celui qui ne poursuivrait pas l’ennemi battu ou mis en fuite. N’est-ce pas en effet la plus belle des victoires que des secours donnés à l'ennemi dans le danger? Cet article s’étend à plus forte raison aux bâtiments neutres ou français, et peut avoir son application en temps de paix comme en temps de guerre. Ah! s’il est des circonstances où les hommes de toutes les nations doivent se regarder comme frères, se prêter des secours dont chacun peut avoir besoin à son tour, ne se rencontrent-elles pas surtout dans cet état pénible qui les rapproche par des fatigues et des dangers communs, et où ils ont tous le même ennemi à combattre, les éléments, et la nature qui trop souvent les punit d’avoir triomphé d’elle? Le même esprit a déterminé le comité à établir des peines contre ceux qui, abusant d’une victoire qui ne devrait inspirer que des sentiments de compassion, dépouillent ou maltraitant les ennemis vaincus ; hommes et malheureux, ils ont un double titre à tous les égards d’une tendre humanité. On doit observer que là, la loi ne fait que suivre les progrès des mœurs ; sur presque tout le reste, vos lois ont devancé nos mœurs et doivent les changer. En vous offrant une nouvelle loi pénale, le comité vous propose d’abroger toutes les dispositions pénales contenues dans les anciennes ordonnances de la marine ; cependant il a trouvé dans celle des classes de 1784 un sujet d’exception. Le chapitre de la désertion y porte l’empreinte d’un sentiment d’humanité fait pour honorer son auteur. Le comité vous propose d’en ordonner l’exécution provisoire, à quelques modifications près qu’il a jugées indispensables. Le projet de décret, que vous propose le comité, est l’ouvrage de tous ses membres; il n’y a pas un article qui n’ait été minutieusement discuté, et qui n’ait passé à une grande majorité. Le projet en totalité a l’approbation de tous ceux qui y ont concouru. Il a cherché partout des lumières, et il a espéré en trouver dans le code maritime de cette nation voisine que la liberté avait conduite à l’empire des mers; sans doute il ne faut pas condamner légèrement des institutions qu’ont suivi de si grands succès; mais le comité a trouvé la disposition de ce code contraire à vos principes, et il ne s’en est pas servi. Le comité sent toute l’imperfection de son ouvrage, plusieurs années d’expérience et de méditation ne suffiraient peut-être pas pour le rendre ce qu’il doit être; et le comité, pressé par les circonstances, n’a pu lui donner à beaucoup près le temps qu’exige un tel ouvrage. C’est cette connaissance bien sentie de son imperfection, c’est l’espérance de pouvoir, d’après ses SÉRIE. T. XVIII. 97 propres réflexions et les observations de ceux qu’il intéresse, vous en proposer lui-même la réforme avant la fin de ses travaux, qui le déterminent à vous proposer de ne le décréter que provisoirement ; mais le temps presse et ne permet pas à l’Assemblée de retarder la décision qu’elle voudra prendre. L’escadre est armée; douze mille hommes forment une société particulière, et cette société est sans lois. En comparant celle que leur donnera l’Assemblée nationale avec ce code si rigoureux, auquel ils étaient naguère soumis, ces hommes renouvelleront comme marins, à l’Assemblée, les remerciements qu’ils lui doivent déjà comme citoyens. Puisse cette loi même, dans son état d’imperfection, devenir le germe d’une loi plus parfaitel Que les marins redoublent de zèle pour une patrie qui voit en eux ses enfants, et qu’ils ont si bien servie, lorsqu’elle ne les payait que de rigueur et d’ingratitude. A cette époque, sans doute prochaine, où la Révolution triomphant de tous les obstacles qu’elle a dû rencontrer, et réparant les maux momentanés, inséparables d’un si grand changement, aura consolidé le bonheur comme la liberté des Français, les peuples de l’Europe, jaloux de notre sort et de nos progrès, voudront aussi imiter notre exemple, et les marins feront connaître aux extrémités du monde la félicité de la nation française. Que le code qui les régira, celui qu’ils connaîtront le mieux, soit aussi le plus frappant exemple de tout ce qu’ils pourront dire de la douceur et de la sagesse de vos lois ! PROJET DE LOI PÉNALE, pour être exécutée provisoirement dans les armées navales , escadres , divisions, et sur les vaisseaux de guerre (1). L’Assemblée nationale, s’étant fait rendre compte, par son comité de la marine, des lois pénales suivies jusqu’à ce jour dans les escadres et sur les vaisseaux de guerre, et les ayant jugées incompatibles avec les principes d’une Constitution libre, décrète pour être exécutés provisoirement les articles suivants ; Titre 1er. — Des jugements. Art. 1er. Les peines à infliger pour les fautes et délits commis par les officiers, matelots et soldats qui servent dans l’armée navale, seront distinguées en peines de discipline ou simple’ correction, et peines afflictives. Art. 2. Le commandant du bâtiment, et même l’officier commandant le quart ou la garde, pourront prononcer les peines de discipline contre les délinquants, à la charge par l’officier de quart ou de garde, d’en rendre compte au capitaiue. Art. 3. Les peines afflictives ne pourront être prononcées que par un conseil de justice, et d’après le rapport d’un jury militaire, qui, sur les charges et informations , aura constaté le délit et déclaré l’accusé coupable ou non coupable. Art. 4. S’il y a rébellion ou sédition en présence de l’ennemi ou dans quelque danger pressant qui compromettrait imminemment la sûreté du vaisseau, le capitaine, après avoir pris l’avis de ses officiers, pourra faire punir les coupables suivant l’exigence des cas. (1) Le projet de loi pénale avait été imprimé séparément et distribué à l’Assemblée nationale en juillet 1790. ï