460 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 19 juin au soir, de décréter que la noblesse n’était plus héréditaire, m’a paru l’infraction la plus forte à la propriété et à l’article 19 de la capitulation de Cambrai (1). J’ai en conséquence remis au président une déclaration signée de moi, contenant que la noblesse du Cambrésis, sacrifiant tout intérêt pécuniaire, et se soumettant volontiers à la répartition la plus égale des impositions, se bornait à demander la conservation et le maintien des constitutions et privilèges de la province, stipulés et jurés par nos rois. J’avais demandé la parole pour établir qu’en Cambrésis les titres assis sur des terres sont ou des titres de coutume, ou des titres d’érection accordés par les rois d’Espagne ; qu’il y a aussi des titres personnels accordés aux familles sans être assis sur la glèbe, transmissibles des pères aux enfants par des diplômes émanés des souverains, registrés ou vérifiés dans les tribunaux ; je n’ai pu obtenir d’être écouté, on a refusé d’insérer ma réclamation dans le procès-verbal. Dans cette circonstance, je me suis dit que, s’il n'est pas toujours possible de faire tout le bien qu’on veut, il est au moins du devoir d’une âme honnête d’empêcher le mal de se propager; en conséquence, intimement convaincu qu’il n’est pas au pouvoir de l’Assemblée nationale d’annihiler la noblesse , dont les sentiments pour la monarchie sont encore plus indélébiles que ses titres; la noblesse, dont la plus ancienne comme la plus belle prérogative est de verser son sang pour la défense du roi et de la patrie ; la noblesse , qui de toutes les propriétés est l’héritage le plus précieux et le dépôt le plus sacré qu’on ait pu recevoir de ses aïeux, à la charge honorable de le transmettre immuablement à ses descendants ; la noblesse , que je regarde comme une avance faite par la patrie sur la parole des ancêtres, jusqu’à ce qu’on soit en état de faire honneur à ses garants, j’en dépose entre vos mains ma déclaration, et c’est sous votre sauvegarde et sous celle de la loyauté française que je déclare n’avoir pu prendre et n’avoir pas pris part au décret concernant l’abolition et la suppression de noblesse. Telle a été, Messieurs, ma conduite jusqu’à ce jour; fidèle à mon mandat, qui est pour moi l’unique loi, je ne me suis pas permis de l’interpréter, parce qu’il n’entrera jamais dans mes principes de penser que des mandataires puissent outrepasser la volonté de leurs commettants. Un gentilhomme ne connaît que l’honneur et son serment. J’ai écouté la voix de l’un, j’ai rempli autant qu’il était en moi ce que me prescrivait l’autre ; je continuerai à suivre la même conduite, et je vous renouvelle ici, Messieurs, l’assurance quejenebalancerai en aucune occasion à faire connaître votre vœu et à me conformer à vos instructions. Signé : Marquis d’Estourmel. IIe COMPTE RENDU Le 12 juillet 1791. Je n’ai pas perdu de vue, Messieurs, l’engagement que j’ai renouvelé, dans le premier compte que je vous ai rendu le 20 juin 1790, d’exposer dans toutes les occasions le vœu dont vous m’avez rendu le dépositaire. L’Assemblée ayant renvoyé au comité des finances une délibération des officiers municipaux de Cambrai, du 22 mai 1790, tendant à faire autoriser ladite ville à un emprunt de 200,000 livres, tant pour rembourser les anciens officiers municipaux et les achats de blé faits en 1789 sous l’autorisation du gouvernement, que pour être employé à procurer des ateliers de charité, J’ai exposé au comité qu’en 1783 (époque où j’étais dépulé des Etats du Cambrésis à la cour) le roi avait accordé la remise de l’aide extraor-(1) Article 19 de la capitulation de Cambrai. « Qu’aux ecclésiastiques, nobles, gentilshommes et bourgeois, seront gardés tous tels droits et privilèges dont ils ont joui, tant dans ladite ville que plat pays, et que possédant fiefs, ne seront charges de ban et arrière-ban, ne l’ayant été du passé. » II en sera usé de la même manière qu’il s’est pratiqué du temps de la domination du roi catholique. dinaire pour 16 ans, à dater de ladite année, pour la confection des canaux de navigation de la province, et la jonction de l’Escaut à la Somme (1). Le comité a proposé, et l’Assemblée a décrété, le 3 juillet 1790, que le montant de l’aide extraordinaire pour 1790 serait employé jusqu’à la concurrence de 68,900 livres à l’ouverture du canal le long de l’Escaut, entre Cambrai et Manières. L’Assemblée a décrété, le 28 octobre 1790, que le roi serait prié de faire négocier avec les princes d’Allemagne, possesseurs de biens dans les départements du Haut-et du Bas-Rhin, une détermination amiable des indemnités qui leur seront accordées pour raison des droits féodaux et seigneuriaux abolis par lesdits décrets : j’ai demandé le renvoi aux comités féodal et diplomatique des réclamations que pourraient former M. l’archevêque de Cambrai et les autres propriétaires de terres seigneuriales du Cambrésis, en vertu des capitulations et traités de paix. (1) Ce canal établit la communication directe d’Amsterdam avec Paris; il parcourt 7,020 toises sous terre entre Cambrai et Saint-Quentin. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes-] Ma réclamation, que l’Assemblée a rejetée par la question préalable (1), était fondée sur ce que le Gambrésis faisait partie du cercle de Bourgogne, et que l’archevêque de Cambrai est prince de l’Empire. La discussion sur le projet de décret concernant le revenu public provenant de la vente du tabac, était un des objets sur lesquels je devais apporter la vigilance la plus grande. Vous m’avez chargé, par l’article 28 de votre cahier, de demander, dans le cas où les barrières et les douanes seraient reportées aux extrêmes frontières du royaume, que la province de Gambrésis soit affranchie des droits de gabelle et autres qui pourraient la remplacer. Dès 1787, mon opinion sur la gabelle était connue; je l’avais manifestée à l’Assemblée des notables, ou j’avais été appelé comme député de la noblesse des Etats d’Artois à la cour; et j’avais remis, le 22 mai 1787, sur le bureau de S. À. S. M. le duc d’Orléaos, dont j’étais membre, une déclaration de mon avis, auquel adhérèrent M. le comte de Rochechouart, M. le baron de Ghocqueuse, maire d’Amiens, etM. Grignon de Bonvalet, maire d’Orléans (2). L’Assembl ée nationale ayant supprimé la gabelle, on cherchait à lui faire envisager la culture du tabac comme un privilège. Je crois avoir démontré, dans l’opinion que j’ai prononcée le 13 novembre 1790, qu’il était indispensable d’étendre à tous les citoyens de l’Empire une faculté dont la prohibition avait été prononcée par Louis XIV, antérieurement à la réunion du Gambrésis. Le décret qui a été rendu le 20 mars 1791, a étendu à tout le royaume une culture dont vous étiez à portée d’apprécier les avantages. L’article 23 de votre cahier porte : que l’administration et droits domaniaux n’exige pas moins l’ attention des Etats généraux , soit pour la rendre moins vicieuse , soit pour prendre tout autre parti â cet égard. Mais il n’était assurément pas dans vos principes qu’on pût revenir sur les dons faits par les rois, lorsqu’ils étaient revêtus des formes qui, à l'époque où ils étaient faits, constataient légalement la validité du don. Aussi n’ai-je pas balancé à soutenir, dans mon opinion sur le don et échange du Glermontois, à la séance du 12 mars 1791, que la donation faite par le roi Louis XIV au grand Gondé ne pouvait être attaquée. Vous m’avez chargé, par l’article 36 de votre cahier, de demander qu'il soit travaillé aux moyens (1) Procès-verbal de l’Assemblée nationale, n° 456. (2) Voici cette déclaration d’avis dont j’ai remis le même jour une copie à Monsieur. « Nous pensons que l’état de vexation sous lequel gémissent les provinces de grande gabelle, où la régie des greniers d’impôt a lieu, et les portions des provinces voisines de celles franches ou rédimées dans lesquelles la régie des dépôts est établie, état dont nous sommes témoins oculaires, est tellement révoltant, qu’il est de la plus grande importance de profiter de l’assurance que Sa Majesté veut bien donner à l’Assemblée des notables, qu’elle recevra et pèsera avec la plus grande attention les observations que V Assemblée lui présentera sur un objet aussi important pour le peuple; et, attendu que la délibération prise dans le bureau ne porte que sur les inconvénients du projet, sans que le bureau ait pu s’occuper des moyens d’alléger le poids de la gabelle, nous demandons que la présente déclaration soit inscrite à la suite de la délibération susdite. «■ Signé : le marquis d’Estournel, le comte de Rochechouart, le baron de Cbocqueuse, Crignon de Bonvalet ». 461 les plus propres pour rendre la considération due aux militaires. Dès le 18 août 1790, j’avais, dans mon opinion sur la formation des carabiniers, fait connaître mon vœu sur le moyen d’allier l’existence de ce valeureux corps avec le mode de recruter. Je n’ai pu voir dans le projet de décret concernant l’Hôtel des Invalides, qu’un moyen d’infirmer cette considération en supprimant, sous prétexte des abus qui s’y étaient introduits, un établissement qui, rappelé aux principes qui l’ont dirigé, suffirait seul pour immortaliser le prince qui en a conçu l’idée. L’opinion que je devais prononcer en la séance du 24 mars 1791, et que je vous ai adressée, avait pourobjeb non de détruire, mais de corriger. Le décret qui a été rendu, diffère à peu d’égard de celui que je proposais, et conserve au brave militaire qui a consacré sa jeunesse à la défense de la patrie, l’espoir d’un asile assuré dans sa vieillesse. Le décret rendu le 4 juin 1791, sur le rapport du comité d’agriculture et de commerce, a fait droit à la réclamation que j’avais formée le 10 mars 1790, d’après l’article 32 de votre cahier, et qui avait été renvoyée à ce comité, pour que les privilèges des bateliers de Gondé et des bé-landriers de Dunkerque fussent abrogés. J’ai vu, dans le décret du 28 mars 1791, une atteinte portée à l’hérédité du trône; j’ai voté contre ce décret, et déclaré mon avis, le 6 juin, en ces termes : « D’après mon opinion individuelle, d’après « celle de mes commettants, qui m’ont chargé « de demander qu’il soit posé pour maxines « fondamentales, que le gouvernement du « royaume est monarchique, que la couronne <« est héréditaire, et que les tilles sont exclues « du trône ; je déclare avoir voté contre le décret « rendu dans la séance du 28 mars 1791 ; ledis-« positif de ce décret me paraissant porter à la « fois atteinte et à l’hérédité du trône et à l’in-« violabilité de la personne sacrée qui l’occupe. « Fidèle à l’engagement dont j’ai renouvelé « l’assurance dans le compte que j’ai rendu à mes « commettants, le 20 juin 1790, de ne laisser « échapper aucune occasion de faire connaître « leur vœu, et de me conformer à leurs instruc-« tions, ayant, dès le 14 avril 1790, fait dans la « tribune de l’Assemblée, leur profession de foi et « la mienne, et déclaré que mon vœu est que la « religion catholique, apostolique et romaine soit « la seule dominante dans l’Empire français; « j’en forme un bien sincère, pour qu’une sage « révision des décrets y ramène l’ordre; pour que « si veuille la loi , si veuille le roi ; pour que si « veuille le roi , si veuille le bonheur du peuple. » Une portion des membre de l’Assemblée, ayant pensé devoir faire connaître son opinion par une déclaration sur les décrets qui suspendent l’exercice de l’autorité royale, et qui portent atteinte à l’inviolabilité de la personne du rqi, imprimée à Paris au bureau de l’Ami du roi , j’ai rendu la mienne publique, d’après votre vœu, le 8 juillet, en ces termes ; « Chargé par mes commettants de demander « qu’il soit posé comme maxime fondamentale « que le gouvernement du royaume est monar-« chique (art. II du cahier delà noblesse de Cam-« brai et du Gambrésis), regardant l’inviolabilité « du roi comme indentifiée avec ce principe fon-« dameutal ; convaincu que ce principe est le « seul qui doive et puisse guider l’Assemblée 462 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] t nationale, je ne cesserai d’en réclamer l’appli-« cation dans toutes les occasions. « J’avais été chargé, par l’article VI du même « cahier, de demander que dans toutes les déli-« bérations, les voix seraient comptées par ordre « et non par tête. Mes commettants, _ assemblés d’après � les « ordres du roi, du 30 juin 1789, ont décidé, le « 14 juillet suivant, que je ferais, le plus tôt « que luire se pourrait, vérifier mes pouvoirs « conformément au vœu national, pour que rien « ne retardât les vues salutaires du roi ; et que « j’opinerai par tête tant et si longtemps que les « 3 ordres seraient réunis, et que le bien et « la tranquillité de l’Etat le demanderaient. Fidèle « à leurs instructions, je dois exposer à l’Àssem-« blée nationale leur vœu et le mien; et je ne « me départirai jamais du précepte d’Horace : « Æquam memento rebus in arduis servare men-« tem. » Telle est, Messieurs, ma conduite dans les circonstances critiques où je me trouve. Guidé par les instructions que vous m’avez tracées, je tâcherai de me maintenir exempt de toute impulsion autre que celle qu’elles doivent me donner. Votre cahier m’a toujours dirigé; je ne me suis jamais écarté des principes qu’il renferme ; j’en ai consigné la preuve dans mes opinions imprimées. Je déclare que, fidèle à ces principes, je continuerai à prendre part à toutes les délibérations; je m’opposerai, comme je l’ai déjà fait, à toutes celles qui seront contraires à votre vœu et à ma conscience ; je défendrai de tout mon pouvoir la monarchie, l’inviolabilité de la personne sacrée du roi, la religion et les intérêts de mes commettants. Justum et tenacem propositi virum , Nec civium ardor prava jubentium, Nec vultus instantis tyranni Mente quatit solida ..... Si fractus ülabatur orbis , Impavidum ferlent ruinas. Signé : Marquis d’Estourmel. IIIe COMPTE RENDU Le lor octobre 1791. Messieurs, L’Assemblée nationale a terminé hier ses séances. J’ai continué à y voter conformément à vos instructions. Une partie de l’Assemblée, dont j’ai le plus souvent soutenu l’opinion, parce qu’elle était plus analogue à vos principes et aux miens, ayant rendu publique une déclaration sur l’acceptation faite par le rui de l’acte de Constitution ; combattu par la douleur que j’éprouvais, de ce que la partie la plus nombreuse de l’Assemblée ne s’était nullement occupée de concerter et d’arrêter avec le roi les lois constitutionnelles, maxime fondamentale, qui fait l’essence de la monarchie française, et que vous m’aviez recommandé de maintenir. Retenu par le respect pour les motifs qui ont pu déterminer Sa Majesté à renoncer à ce droit de concours inhérent à sa couronne, imprescriptible et inaliénable comme elle; j’ai fait paraître le 17 septembre ma déclaration en ces termes : « Chargé par l’article 1er du cahier de la « noblesse de Cambrai et du Cambrésis, de de-« mander que les Etats généraux s'occupent « d'abord de concerter et d'arrêter avec Sa Ma-« jesté un corps de lois constitutionnelles , ins-« crit immuablement dans un registre national; « Me référant aux déclarations que j’ai consi-« gnées dans les comptes que j’ai rendus à mes « commettants les 20 juin 1790 et 12 juillet 1791, « intimement convaincu qu'aucune institution hu-« maine n'est parfaite; je forme les vœux les « plus ardents pour la cessation de l’anarchie et « de la discorde, et pour que le roi puisse dé-« ployer dans toutes les parties de l’Empire son « autorité pour le maintien des lois constitution-« nelles , qui ne peuvent qu’être soumises à « l'expérience : le temps est un grand maître.* Le décret rendu pour Avignon et le comtat Ve-naissin, le 14 septembre, m’ayant paru contraire au vœu que vous m’aviez chargé d’exprimer , et la discussion ayant été fermée, avant que je fusse en tour d’obtenir la parole, j’ai rendu publique la déclaration suivante : « Chargé par l’article huitième de mon cahier « de demander que le droit de propriété soit dé-if-claré inviolable , de façon que l'intérêt public ne « puisse même pas servir de prétexte pour y porter « atteinte; qu'en dédommageant de suite sur le « prix le plus haut: je déclare avoir voté contre « le décret rendu le 14 de ce mois, par lequel « l’Assemblée nationale a déclaré que les Etats « réunis d’Avignon et du comtat Venaissin font « partie de l’Empire français. « J’avais demandé la parole pour établir que « l’initiative sur le fait des négociations avec les « puissances étrangères appartenant au roi, on « devait se borner à prier Sa Majesté de renou-« veler avec le pape, souverain desdits Etats, les » négociations ouvertes il y a 20 ans, et dont le « résultat n’avait tenu qu’à la fixation de la va-« leur représentative des sommes payées par le « pape à la reine Jeanne, puisqu’il était déjà con-« venu qu’il avait donné au pape un revenu an-« nuel, affecté sur une mense abbatiale d’une des « plus riches abbayes de France. »