568 [Assemblée nationale.] M. de Liancourt. Je cède mon tour de parole à M. de Mirabeau. M. de Mirabeau. C’est une molion d’ordre que j’ei à taire, car c’est un décret de l’instant même que je viens présenter. Mais je demande avant t< ut une permission à l’Assemblée; je demande de lui dire deux mots qui sont personnels à moi. Plusieurs membres : Oui! oui! M. de Mirabeau. J’ai reçu depuis une heure, dan« celte Assemblée, des billets de toutesparts : la moitié me somme de professer les principes que j’ai dès longtemps manifestés sur la théorie des émigrations, et l’autre moitié provoque une surveillance sur ce qu’on a beaucoup appelé la nécessité et l’empire des circonstances. Je den ande clans une occasion où il convient au serviteur du peuple, à un ami de la liberté, qui pour son repos n’a fait pue trop de bruit, où il lui convient, dis-je, de prendre couleur d une manière tiès nette et très prononcée, je demande de lire une page et demie ..... — Ce n’est pas long, Monsuur le Président; fort peu de discours faits dans cette Assemblée s>mt aussi courts — ..... une page et demie, ni plus ni moins, d’une lettre que j’ai cru devoir adies-er, il y a huit ans, au despote le plus absolu de l’Europe; el je en is qu’après cela les gens qui cherchent quelque princiies, quelque doctrine dans cette occasion, pourront y trouver des choses raisonnables. Tout au moins personne n’aura plus le droit de jeter du doute sur ma profession de foi à cet égard. Me permettez-vous, Monsieur le Président? Plusieurs voix : Oui i oui ! M. de Mirabeau. Voici ce que j’écrivis à Frédéric-Guillaume, aujourd’hui roi de Prusse, le jour de son avènement au trône: « On doit être heureux dans vos Etats, Sire; donnez la liberté de s'expatrier à quiconque n’est pas retenu d’une manière légale par des obligations i articulières ; donnez par uu édit formel cette liberté. C es' encore là une de ces lois d’éternelle équité que la force des choses appe le, qui vous fera un honneur infini et ne vous coûtera pas la payaiion la plus légère; car votre peuple ne pourrait aller chercher ailleurs un meilleur sort que c< lui qu’il dépend de vous de lui donner et s’il pouvait être mieux ailleurs, vos prohibitions de sortie ne l’arrêteraient pas. ( Applaudissements à droite et dans une partie de la gauche.) Lais-ez ces lois à ces puissances qui ont voulu faire de leurs Etats u e prison, comme si ce n’était pas le moyen d’en rendre le séjour od eux. Les lois les plus tyranniques sur lus émigrations n’ont jamais eu d’autre effet que depouss r le peuple à émigrer, contre le vœu de la nature, le plus impérieux de tous, peut-être, qui l’attache à son pays. « Le Lapon chérit le climat sauvage où il est né: comment l’habitant des provins s qu’éclaire un ciel (dus doux penserait-il à les quitb r si une administration tyrannique ne lui rendait pas inutiles ou odieux les bienfaits de la nature? Une loi d’al’fram hmsement, loin de disperser les hommes, b s retiendra dans ce qu’ils appelleront alors leur bonne patrie , et qu’ils piéféreront ax pays les plus fertiles; car l’homme endure tout de ta part de la Providen-e; il n’endure rien d’injuste de son semblable; et s’il se soumet, ce [28 février 1791.) n’est qu’avec un cœur révolté... (Applaudissements.) Il n’y a plus que dix lignes, Messieurs. M. Heurtault-Lamerville. Tant pis. M. de Mirabeau. « L’homme ne tient pas par des racines à la terre; ainsi il n’appartient pas au sol. L’homme n'est pas un champ, un pré, un bétail; ainsi il ne saurait êœe une propriété. L’homme a le sentiment intérieur de ces vérités saintes; ainsi l’on ne saurait lui persuader que ses chefs aient le droit de l’enchaîner à la glèbe. Tous les pouvoirs se réuniraient en vain pour lui inculquer cette infâme doctrine. Le temps n’est plus où les maîtres de la terre pouvaient parler au nom de Dieu, si même ce temps a jamais existé. Le langage < e la justice et de la raison est le seul qui pui-se avoir un succès durable aujourd’hui ; et les princes ne sauraient trop pen«er que l’Amérique anglaise ordonne à tons h s gouvernements d’être justes et sages, s’ils n’ont pas résolu de ne dommer bientôt que sur les déserts.» Et j’ajoute : ou de voir des révolutions. ( Vifs applaudissements.) Je demame maintenant à présenter mon projet de décret. J’ai l’honneur de proposer à l’Assemblée, non pas de passer à l’ordre du jour, non pas d’avoir l’air d’étouffer d ms le silence une réclamation qui, de part et d’autre, a eu quelque solennité et que la déclaration du comiié de Constitution suffirait pour rendre très mémorable, mais de porter un décret en ces termes : < L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité de Constitution ..... » ( Murmures prolongés.) 11 y a deux choses qui me paraissent incontestables : la première, c’est queM. Le Chapelier a parlé au nom du comité de Consiiiulmn; la seconde, c’est que si j’ai tort on peut le démontrer. Je reprends la lecture de mon projet de décret : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Constitution, considérant qu’aucune loi sur les émigranis ne lui paraît pouvoir se concilier avec les principes de la Constitution, n’a pas voulu entendre le projet de loi sur cet objet, et a passé à l’ordre du jour sans préjudice à l’exécution des décrets précédemment portés sur les personnes jouis-ant de pensions ou de traitements, et absentes du royaume en ce moment. » Un grand nombre de membres: Aux voix! aux voix ! Plusieurs membres: Non ! non ! ( Bruit prolongé.) M. Rewbell.Ce n’est pas sans un grand désavantage que j’entre en lice pour combattre le comité, renforcé par la lecture que le préopinant vient de faire. Les lois sur les émigrations étaient odieuses sous l’ancien régime. ( Rires et murmures.) Elles étaient odieuses parce qu’elles existaient pour tous les lieux, pour tous les temps, pour toute-les circonstances; elles ne s’exécutaient que contre une certaine classe d’hom-mes. Les émigrations n’étaient pas défendues en temps de guerre. On obtenait de la cour la permission d’émiurer; mais à quels hommes cette permission était-elle donnée? La loi ne s’exécutait que sur les opprimés. Si on en proposait actuellement de semblables, je m’y opposerais. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.