708 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { ?? £ceXc "4 dant il en reste encore d’autres qu’il est important de connaître. Le 10e bataillon de la première réquisition de Paris, dit de la Halle aux blés, sans s’être livré à de pareils excès, a cependant, par sa con¬ duite dans la place de Cherbourg, éveillé la vigi¬ lance des autorités constituées. Le rapporteur propose le projet de décret suivant qui est adopté : « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport du comité de Salut public, dé¬ crète : Art. 1er. « Tous les citoyens composant le 11e bataillon de première réquisition, dit des Tuileries, demeu¬ reront dans la citadelle d’Arras, et ne pourront servir la République jusqu’à ce qu’ils aient dé¬ claré quels sont les chefs, auteurs et instigateurs de cette insubordination. Art. 2. « Les chefs, auteurs et instigateurs de ces actes d’insubordination, seront jugés par le tribunal militaire formé à Arras, et punis selon la rigueur des lois. « Les citoyens Hochet, Vielly, Victor et De-vesnes, détenus à Rennes, seront traduits sans délai à Arras. « En conséquence, les diverses pièces qui sont entre les mains du représentant du peuple dans le Calvados, seront envoyées à l’accusateur public du tribunal militaire établi dans cette ville. Art. 3. « Le bataillon de première réquisition dit de la Halle aux blés, et le 11e bataillon dit des Tuileries, seront incorporés sans délai dans les anciens bataillons de la République, confor¬ mément au décret rendu par la Convention (1). » Suit le texte du rapport de Barère, d'après le document imprimé (2). Rapport fait au nom du comité de Salut PUBLIC, DANS LA SÉANCE DU 29 FRIMAIRE an II de la République française, sur LA CONDUITE DU IIe BATAILLON DE LA PREMIÈRE RÉQUISITION DE PARIS, DIT DES Tuileries, et le 10e bataillon, dit de la Halle aux blés, par Barère. (Imprimé par ordre de la Convention nationale et envoyé aux armées et aux sections.) Citoyens, un de vos décrets a donné tout à coup à la République six cent mille défenseurs, dans cet âge heureux où la liberté est une pas¬ sion, le service militaire un plaisir, et l’amour de la patrie un saint enthousiasme. (1.) Procès-verbaux de la Convention, t. 27, p. 335. (2) Bibliothèque nationale : 32 pages in-8°. Le38, n° 612. Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l’Oise), t. 38, n° 26. La gloire les appelait dans les camps et dans les garnisons; ils y sont accourus emportant avec eux cette chaleur d’âme qui est quelque¬ fois incompatible avec la subordination mili¬ taire, et ces vices d’éducation urbaine qui s’op¬ posent à des sacrifices généreux. Cependant cette immense levée s’est faite en chantant l’hymne de la liberté, et le défaut d’armes n’a pas influé un instant sur les cou¬ rages. Un seul bataillon, au milieu de ces flots de jeunes soldats de la patrie, un seul bataillon a donné des inquiétudes à l’autorité publique. Un instant seulement, nous avons craint que la jeunesse française eût dégénéré, et que le drapeau tricolore dût porter un funeste deuil de ses propres défenseurs. Il était digne du caractère national, il était digne de la Convention de s’indigner d’une défection aussi affligeante, et de ne pas croire cependant au délit que l’opinion d’un repré¬ sentant du peuple imputait à une légion qui devait être d’autant plus républicaine, qu’elle était, par son âge et par son origine, éloignée des préjugés et des habitudes aristocratiques. Mais le mélange inévitable des conditions de l’ancien régime, la confusion nécessaire des diverses éducations reçues par les soldats de première réquisition, devaient produire quel¬ ques mouvements qui, sans être dangereux à la liberté, doivent exciter sa surveillance. Le onzième bataillon des Tuileries part de Paris avec une très petite quantité d’armes, ou plutôt sans armes; il devait les trouver à Cherbourg, où un ordre du ministre de la guerre l’envoyait. « Allez, leur avons-nous dit, vous défendrez mieux Cherbourg que Toulon ne l’a été. » Il passe à Saint-Lô, où le représentant du peuple et le général Sepher lui permettent de suivre sa route. Arrivé à Carentan, après une marche de 80 lieues, que je n’appellerai ni pénible ni fati¬ gante, parce que des républicains doivent être patients et recevoir l’éducation militaire; après une marche de 80 lieues, le bataillon voit tout à coup changer sa destination par des circons¬ tances imprévues. L’armée des brigands fugitifs de la Vendée s’approchant des côtes, répandait au loin la terreur. Le tocsin sonnait dans les campagnes, la générale battait dans les villes. Le général Dutot et les administrateurs du district de Carentan requièrent le bataillon des Tuileries de se rendre à Coutances. C’était là le poste d’honneur, puisque c’était celui du danger : c’était obéir aux ordres du ministre, puisque le ministre ne donne des ordres que pour veiller à la défense de la République : c’était surtout donner un exemple nécessaire d’obéissance et de subordination militaire, dont les jeunes soldats doivent être plus ambitieux que tous les autres. Le bataillon était réuni sur la place publique, et il délibérait s’il obéirait aux ordres du com¬ mandant. Ce doute donna des inquiétudes aux habitants : on prétend que quelques ci¬ toyens de Carentan dirent hautement qu’il fallait tirer le canon sur ce bataillon rebelle. Mais les circonstances étaient orageuses; les esprits étaient échauffés par le souvenir de la défection d’Avranches, les âmes exaltées par l’approche des brigands; la ville craignait d’avoir dans son sein des ennemis d’autanc plus dangereux qu’ils avaient les couleurs de la [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j ?» Wmaire an II 1 1 (19 décembre 1793 République, qu’ils refusaient de marcher contre ses implacables ennemis les rebelles de la Ven¬ dée. « Imaginez, dit le bataillon des Tuileries, dans ce désordre de pensées et d’actions, com¬ ment tous les procédés pouvaient et devaient être interprétés défavorablement. Les citoyens de Carentan prirent pour l’intention d’atta¬ quer la ville, le mouvement de quelques volon¬ taires qui ramassèrent des cartouches d’une caisse apportée par ordre du général, pour être distribuée au bataillon, et qui s’était brisée en tombant, à ce que disent les volontaires du onzième bataillon. » Ce qui paraît certain, c’est que le bataillon était en état d’insubordination manifeste ; ce qui paraît certain, c’est qu’ils ont dit qu’ils se mo¬ quaient de la loi; c’est que des propos violents et injurieux furent adressés au commandant provisoire de la ville, aux chefs de brigade et aux administrateurs. Les envoyés du bataillon disent aujourd’hui, pour s’excuser, que des gestes violents, faits pour la défense du comman¬ dant, furent pris de loin pour des menaces; mais que le commandant lui-même a reconnu e.j avoué, depuis cette époque, dans la Société populaire de Carentan, que l’un des volontaires, qui est en état d’arrestation, lui dit, en lui présentant de l’eau-de-vie : Ne crains rien, tu es avee tes frères. Le second, lui pressant la main, jura qu’il se ferait massacrer pour sa défense. C’est par les ordres de ce commandant, dont la volonté fut forcée, que le bataillon sortit de Carentan et insista violemment pour se rendre à Cherbourg, sans écouter la réquisition des administrateurs et du général Dutot, en me¬ naçant même les habitant de Carentan, si le bataillon était obligé de se replier. C’est à Laplanche, représentant du peuple à Caen, que la plainte du général et de l’adminis¬ tration fut portée. C’était le moment où les brigands anglais rôdaient autour de Cherbourg, et où leurs amis, les brigands de la Vendée, cherchaient à s’emparer d’un de nos ports. L’inquiétude, inséparable de ces circonstances et des fonctions de représentant, dicta à La¬ planche la lettre suivante : « Coutances, le 27 brumaire, l’an II de la République, une et indivisible. Le représentant du peuple dans le département du Calvados, et près V armée des côtes de Cher¬ bourg, aux représentants du peuple compo¬ sant le comité de Salut public de la Conven¬ tion nationale. « Citoyens collègues, « J’appelle toute la sévérité de la Convention contre le 11e bataillon de la première réquisition de Paris, section des Tuileries; il vient, au détriment de la République, d’arborer l’éten¬ dard de la rébellion la plus scandaleuse. Non content d’avoir manifesté pendant toute la route les sentiments les plus inciviques et les plus royalistes, non content d’avoir chanté les airs : O Bichard ! O mon roi ! et d’avoir dissé¬ miné partout leurs opinions en faveur des bri¬ gands de la Vendée, ils ont osé, les perfides, désobéir ouvertement aux autorités supérieures tant civiles que militaires, qui leur ordonnaient de voler à la défense de la cause de la liberté; 709 ils ont violenté leurs chefs, ils ont menacé de mettre à feu et à sang la ville de Carentan; et voilà les dispositions avec lesquelles ces soldats indisciplinés et aristocrates se sont portés à Cherbourg! Jugez en quelles mains repose le salut d’un port aussi important. « Ils sont parfaitement secondés, dans leurs projets liberticides, par un autre bataillon de Paris, dit de la Halle aux Blés, qui depuis dix jours environ propage en cette ville les mêmes principes destructeurs. Est-il surprenant, ci toyens collègues, qu’avec des troupes sem¬ blables la République éprouve tant de revers? C’est pour prévenir les malheurs incalculables que leur réunion pourrait entraîner, que cette nuit, par un courrier extraordinaire, j’ai requis le commandant militaire de Cherbourg de faire évacuer sans délai cette ville par le 11e bataillon de Paris, dont il s’agit, et de l’y contraindre par les voies de rigueur, s’il est nécessaire. Je fais diriger sa marche, jusqu’à nouvel ordre, sur Saint-Lô, sous la surveillance de l’adjudant-général Baufort. « Je n’ai pas voulu prendre sur moi, citoyens collègues, de licencier à l’instant cette troupe rebelle, pace que j’espère que la Convention la punira d’une manière exemplaire et plus sévère; surtout que la justice nationale suive de près le crime, autrement nous serons toujours trahis par les nôtres. « Les procès-verbaux ci-joints sont la preuve de leurs forfaits. « Le représentant du peuple. « Signé : Laplanche. » A cette lettre étaient jointes les pièces que je vais lire : Copie de V ordre du citoyen Dutot, directeur de V artillerie, commandant en chef à Ca¬ rentan. Il est ordonné à l’onzième bataillon de Paris, première réquisition, de se rendre aujourd’hui 26 brumaire à Coutances, pour y prendre les ordres des représentants du peuple et des géné¬ raux. A Carentan, le 26 brumaire de l’an II de la République, une et indivisible. Liberté, Egalité. A Vire, ce 30 brumaire de l’an II de la République française. Copie de la lettre écrite par Segoing, comman¬ dait provisoire du 11e bataillon des Tuileries, à V adjudant général Baufort, à Saint-Lô. « Citoyen commandant, « Vous trouverez ci -joint une lettre que j’écris au citoyen Laplanche, ainsi que les dénoncia¬ tions qui m’ont été faites contre trois officiers du 11e bataillon de Paris, que je commande provisoirement. Ces officiers sont en dépôt dans le corps de garde de l’arsenal, et s’ap¬ pellent : Hochet, Wially et Victor. « J’ai fait mettre dans la maison d’arrêt 1- citoyen Devaisne, quartier-maître de ce bataie Ion. 710 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j décembreai793 Ils sont tous les quatre dénoncés comme ayant eu part à l’insurrection qui a eu lieu à Caren-tan, et l’ayant fomentée. Je vous préviens que, d’après la dénonciation qui m’a été faite au sortir de la commune de Ponthebert, j’ai fait sortir du rang ces citoyens prévaricateurs, et les ai fait marcher sous bonne et sûre garde à la tête du bataillon; je désire avoir rempli vos intentions en me conformant à la loi. « Salut et fraternté. « S igné : Segoing, vaguemestre général de V armée des Côtes de Cherbourg, com¬ mandant 'provisoire du 11e bataillon. » Pour copie conforme à V original. Signé : Laplanche. Lettre du commandant en chef de V artillerie et de V armée de Carentan, au général Sepher. « Carentan, le 26 brumaire, l’an II de la République, une et indivisible. « Le tocsin et la générale ont battu à trois heures du matin; toutes les commîmes sont accourues pour se joindre à votre armée; le seul bataillon de Paris, dit des Tuileries, a refusé de partir pour Coutances et de partager la chance de nos braves républicains. Il a manifesté une résistance dangereuse qui a été remarquée par les administrateurs du district, qui m’ont prévenu que cet exemple pouvait devenir dan¬ gereux pour les troupes des campagnes, qui devaient se lever en masse, et qui pourraient se prévaloir d’une mesure aussi coupable. « Vous jugez, citoyen général, par le procès-verbal rédigé tant par les corps civils que mili¬ taires ci-joints, que nous avons vainement employé le caractère le plus prononcé pour ramener les esprits égarés de ce bataillon, mais rien n’a été capable de lui imprimer la confiance de ses chefs, et de lui faire exécuter l’ordre de se rendre avec tous les bons citoyens de nos campagnes qui accourent de toutes parts. « Je vous prie, citoyen général, de vouloir bien déterminer la mesure du service que l’on peut espérer de ce bataillon. « Salut et fraternité. « Le commandant en chef de l'artillerie et de l'armée de Carentan. Signé : Dutot. » Pour copie conforme ; Signé : Laplanche. Copie de la lettre écrite au citoyen représentant Laplanche, par deux chefs . du 11e bataillon de Paris, dit des Tuileries. « Citoyen représentant, - « Irrévocabement attachés à la cause pu¬ blique, nous avons senti la nécessité de rappeler nos frères d’armes à leur devoir; nous leur avons représenté que l’insubordination était un pas vers la rébellion, que la loi était devant leurs yeux et qu’ils devaient y obéir. Une défense nécessaire à l’entrée de la presqu’île devait au moins leur faire connaître le danger de la patrie, et la conservation d’une classe d’hommes libres aussi précieuse à la République française. Us n’ont rien entendu, pas même les sommation8 du citoyen Dutot et celles de l’administration du district. Suivant ces faits, déjà consignés dans son procès-verbal, et d’après les conseils des citoyens Dutot et Clément, nous sommes venus prendre les ordres des citoyens représen¬ tants et du citoyen général, ne pouvant res+er dans l’inactivité, et notre présence étant peut-être nécessaire à Carentan par l’arrivée juste¬ ment prévue de quelques frères qui ont été égarés. « Salut et fraternité. « Signé ; Gibert, sergent et Grasset, chef de bataillon. » « J’attends vos ordres, citoyen représen¬ tant, pour vous remettre entre les mains le cachet du bataillon afin de ne plus tenir à rien auprès de ce corps rebelle. « Signé ; Grasset. » Copie de la lettre des corps administratifs de Carentan. « Du 26 brumaire, l’an II de la Répu¬ blique française, une et indivisible. « Le citoyen Clément, faisant provisoirement les fonctions de commandant de la place de l'a ville de Carentan, est arrivé dans la salle des séances de l’administration, et l’a invitée de se rendre en costume, conjointement avec le citoyen Dutot, chef de brigade d’artillerie, vers le 11e bataillon de la première réquisition de Paris, qui refuse de se rendre à Coutances d’après l’ordre qui lui en a été donné par le citoyen Dutot; ordre qui est exigé par les cir¬ constances. L’administration déférant à l’invitation qui lui est faite par le citoyen Dutot, a pris son cos¬ tume, > t s’est rendue avec ce dernier sur la place de la liberté. Le citoyen Dutot a invité d’abord les volontaires du bataillon, rassemblés sur cette place, à se rendre à Coutances; il leur a déclaré que leur devoir, le serment qu’ils ont prêté, les forcent à se soumettre à la loi. Ces in¬ vitations, répétées, tant par le citoyen Dutot, que par l’administration, étant infructueuses, on les a sommés, au nom de la loi, de se rendre à Coutances. Les citoyens Grasset, chef de ba¬ taillon; Devaisne, quartier-maître; Crasset le jeune, capitaine de la 8e compagnie; Beyon, caporal; Gibert et Chapelain, capitaines de la 6e compagnie ont inutilement cherché à parler au nom de la loi, et à rappeler les volontaires égarés à leur devoir, et à exécuter l’ordre qui leur est donné; tout a été inutile. Propos contre les chefs de brigade, commandant provisoire de la ville, commandant de bataillon et son admi¬ nistration, rien n’a été oublié. « Quelques-uns des volontaires ont chargé leurs fusils, les sabres ont été levés sur le com¬ mandant temporaire; la plupart ont déclaré qu’ils se foutaient de la loi et de l’ordre donné par le citoyen Dutot, et malgré l’invitation fai a; par ce dernier aux citoyens armés, aux républicains de suivre leur commandant qui faisait tous ses efforts pour faire exécuter l’ordre de se rendre à Coutances, ces volontaires sont parfis pour Cherbourg, en assurant que si on les faisait replier, ils massacreraient les habitants de Car ntan. Cette opinion parfaite¬ ment prononcée a porté le commandant de ce [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. J j} îéœmbr " 1-93 711 bataillon insurgé à donner sa démission au citoyen JDutot. Les volontaires ont forcé le citoyen Clément à les conduire hors le poste du Pont-Douve, éloigné de Carentan d’une demi -lieue. De retour à l’administration nous soussignés avons rédigé le présent, dont des expéditions seront envoyées au citoyen Lecarpentier, représon-tant du peuple, au comité de Salut public, à la Convention et au ministre, et une sera remise au citoyen Dutot. « A la minute ont signé les membres do l’administration. » Pour copie conforme : Signé : Laplanche. Cette lecture vous indigne, citoyens; enten¬ dez la réponse du bataillon. « La plupart de ces faits, disent les volon¬ taires, ont été exagérés ou dénaturés par les alarmes et la situation critique où se trouvait la ville de Carentan. La seule faute, ajoutent-ils, qui doive être reprochée au bataillon, est le refus d’obéir à l’ordre du général Dutot. Cette faute fut une erreur involontaire, occasionnée par l’ordre du ministre et par l’espèce d’auto¬ risation qu’il avait reçue la veille du représen¬ tant du peuple Laplanche, en partant de Saint - Lô, sans souliers, après quinze jours de marche, et après avoir passé deux nuits sur la paille. » En recevant les dépêches du représentant du peuple, le comité, qui partageait ses inquié¬ tudes à cause de la marche des brigands de la Vendée vers le département de la Manche, où quelques villes avaient déjà fait une défection honteuse, le comité crut devoir prendre l’ar¬ rêté suivant. Arrêté du 30 brumaire. Le comité de Salut publie arrête que ie mi¬ nistre de la guerre enverra sur-le-champ, par un courrier extraordinaire, des ordres pour que le 11e bataillon de Paris, de la section des Tuileries, et le 10e bataillon de la section de Paris, de la Halle aux Blés, maintenant à Cherbourg et à Saint-Lô, soient transférés, le premier à la citadelle d’Arras, le second à la citadelle de Doullens. « Il prendra toutes les mesures nécessaires pour contraindre ces deux bataillons à l’exé¬ cution du présent arrêté, et pour leur faire observer sur la route la plus sévère discipline ! La Société populaire de Paris, composée de républicains, même sous la monarchie, vint au comité témoigner son inquiétude sur les suites dangereuses de cotte rébellion. Elle vit que le zèle du comité n’avait pas besoin d’être ni excité ni prévenu. L’arrêté que je viens de lire apaisi ses craintes sur les suites de cette insubordination. Mais quelques malveillants cherchèrent à grossir les accusations faites contre le bataillon et à exciter des mécontentements par la vio¬ lence des mesures à prendre contre lui. En écrivant au comité de Salut public, La¬ planche écrivit à la section des Tuileries les mêmes plaintes qu’ii avait déposées au comité de Samt public, et nos mesures secrètes furent aussi divulguées par les sous-ordres qui étaient chargés de l’exécution Ces faits trouvèrent au comité de Salut public des administrateurs nationaux et impassibles pour tous, excepté pour la défense commune. Mais si ces faits trouvèrent à la section des cœurs paternels, ils y trouvèrent aussi des patriotes ardents et des amis généreux de la liberté et des droits du peuple. La République romain s’immortalisa par le courageux dévou - ment d’un seul Brutus; la République française a vu cette vertu civique devenir tout à coup le patrimoine d’une section entière. Ce touchant et terrible souvenir n’est pas effacé de vos âmes, citoyens; vous avez vu, avec une admiration mêlée d’attendrissement, accourir à la barre, les pères, les mères, les parents nombreux de ces défenseurs insubordonnés : 800 citoyens ont plus craint pour la République que pour leurs familles et ils n’ont pas cru perdre leurs enfants en perdant des rebelles ou des traîtres. C’est à la postérité qu’il appartient de célébrer cette résolution héroïque, ce triomphe de l’amour de la patrie sur les sentiments les plus déli¬ cieux du cœur humain : c’est à nous de recueillir les prouves de ce que valent les vrais républi¬ cains. Il faut donc la relire cette pétition ins¬ pirée par l’horreur du royalisme et de la trahi¬ son : elle sera la leçon vivante des citoyens de la première réquisition, un monument de gloire pour la section des Tuileries, et un trophée élevé par les législateurs à l’amour de la patrie. « Représentants du peuple, « Nous sommes trahis... Une partie de cette nombreuse jeunesse qui fait l’espoir de la patrie, a méconnu sa voix... Des hommes qui naguère se disaient républicains, appelés à l’honneur de soutenir l’indépendance du peuple rrançais, se sont mis en rébellion. . . ils ont chanté publiquement l’abominable refrain, ô Richard! ô mon roi! ralliement ordinaire des iniâmos brigands de la Vendée. « Représentants du peuple, que du sein de cette Montagne sacrée sorte à l’instant le feu vengeur qui doit dévorer ces rebelles ! Que le plomb destiné aux Autrichiens, aux autres sa¬ tellites des tyrans coalisés contre nous, atteigne à l’instant les coupables ! que l’exemple terrible d’une punition si méritée effraie les perfides qui seraient tentés do les imiter ! « La section des Tuileries a la douleur de compter parmi ses enfants, s’il faut encore leur donner ce nom, des traîtres qui ont aban¬ donné la cause de la liberté... « Los pères, les mères viennent dans votre sein vous demander leur punition... vous déclarer qu’ils les renoncent. Les vrais sans-culottos sauront bien, par une adoption répu¬ blicaine, se dédommager amplement d’un tel sacrifice. Quant aux autres, la nation les jugera. « Qu’un prompt, qu’un éclatant jugement fasse donc disparaître de la terre de la liberté les monstres assez lâches pour avoir faussé le serment qu’ils avaient fait tant de fois, et jus-ques en votre présence, de vaincre ou de mou¬ rir libres. Nous l’avons aussi juré... Nous tiendrons, nous, ce serment solennel et sacré... S’il le faut, nous irons, oui nous irons nous-mêmes rempla¬ cer ces enfants coupables, et réparer ainsi ce grand attentat. Nous vous demandons qu’il nous soit permis d’être nous-mêmes les porteurs des ordres de la Convention nationale : que quatre commis¬ saires pris’dansTiotre sein, aillent les commu- 712 ICoDvention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ™ nïhr* î 793 niquer au représentant du peuple et être témoins du jugement et de l’exécution de ces âches. Signé : Maréchalle, président; Baudouin, Louis -François Grouvelle, Etienne Feuil¬ lant, secrétaires. SECTION DES CHAMPS-ÉLYSÉES. Citoyens représentants, Au seul mot de trahison, la section s’est levée en masse, et jure d’étouffer de ses mains les monstres qui ont pris naissance dans son sein. Il faut ici un exemple terrible qui contienne dans le devoir ceux qui seraient tentés d’imi¬ ter les traitres qui viennent de se rendre in¬ dignes du nom de républicains. L’indignation qui s’est emparée de nos âmes, ne laisse à la nation que le sentiment de la ven¬ geance; et les pères, loin de détourner le gaaive qui doit frapper leurs enfants coupables, sont autant de Brutus qui vous disent : Qu'on les mène à la mort ! La section des Champs-Elysées déclare quMle adopte (n tout les mesuras déjà présen¬ tées par la section des Tuileries. Signé : Lamaignère, ex-président. Vous avez envoyé cette pétition au comité de Salut public, pour faire un rapport. Le comité a attendu de nouveaux renseignements sur les délits graves imputés à ce bataillon, ainsi qu’à celui de la Halle aux Blés. Il faut se défie: quelque fois de l’enthousiasme [même qui se mêle à la vertu ; il faut aussi laisser refroidir la passion du bien public, surtout lorsqu’elle ac¬ cuse à la fois 800 citoyens, jeunes, ardents, ayant hérité de l’éducation du despotisme, sans avoir encore reçu l’éducation militaire. Laplanche n’a pas tardé à rectifier, à adoucir lui-même les chefs d’accusation que mille cir¬ constances du moment avaient dû aggraver. Voici sa dernière lettre, du 5 frimaire, et les pièces sur lesquelles les accusations les plus apparentes sont fondées. Au quartier général à Avranches, le 5 fri¬ maire, l’an II de la République une et indivisible. Le représentant du peuple dans le département du Calvados et près V armée des cotes de Cherbourg, aux représentants du peuple composant le comité de Salut public de la Convention nationale. Citoyens collègues, Occupé sans relâche du soin de rétablir la discipline dans l’armée, et d’y maintenir l’ordre, je me suis empressé de vous faire part de l’insurrection survenue dans le 11e bataillon des Tuileries, aussitôt qu’elle m’a été connue. Les quatre principaux fauteurs de ce désordre sont arrêtés; je viens d’en confier la garde au grand prévôt de l’armée, sous sa responsabilité : ils resteront en prison jusqu’à ce que vous ayez décidé s’is doivent être jugés par le tribunal révolutionnaire ou par la Commission militaire de l’armée. « Jef joins ici les copies des interrogatoires qu’on leur a fait subir; j’en conserve les origi¬ naux, qui serviront si la procédure s’instruit ici. « Le représentant du peuple, « Signé : Laplanche. Copie de la lettre que m'a écrite le citoyen Se-going, que j'ai nommé provisoirement comman¬ dant du 11e bataillon des Tuileries. LIBERTÉ, ÉGALITÉ « Citoyen représentant, « Vire, le 30 brumaire, l’an II de la Répu¬ blique. « Je remets au citoyen Beaufort, adjudant général, commandant à Vire, deux dénoncia¬ tions que je suis parvenu à tirer, à la commune de Pont-Hébert, de deux sergents et deux volontaires du bataillon dont vous m’avez confié le commandement provisoire, contre un capitaine et un sous-lieutenant de ce bataillon, qui sont reconnus pour avoir entretenu la sédition et la désobéissance qui se sont mani¬ festées à Carentan, lors de leur passage; je les ai fait sortir aussitôt du rang, et remis à la garde d’un sergent et de six fusiliers, et ils ont marché ainsi à la tête du bataillon jusques dans cette ville, où je les ai déposés en prison. « Il en avait été fait hier une contre le citoyen Victor, lieutenant de la 3e compagnie, à qui j’ai fait subir le même sort. « Le citoyen Beaufort se charge de vous les faire passer, et d’envoyer lesdits citoyens prévaricateurs, sous bonne et sûre garde, à Coutances, ainsi que le citoyen Devaisne, qui est au plus grand secret en prison. « Je reçois à l’instant les ordres pour conduire ce bataillon à Caen, où il sera caserné. Je vous demanderais pour lui des armes et des souliers; ils en manquent tous : ils promettent tous de vous obéir en vrais républicains, et se flattent que leur bonne conduite vous décidera à écrire en leur faveur à la Convention, et à l’engager à leur pardonner. « J’aurai l’honneur de vous instruire, citoyen représentant, de tout ce qui se passera dans ce bataillon. « On me dénonce actuellement et on me nomme le caporal qui a mis le pistolet sur le corps du commandant temporaire de Carentan. Je viens de faire faire la recherche, et il n’a pas paru de la journée à sa compagnie: c’est un ancien acteur du Vaudeville : sitôt que je l’aurai trouvé, je le ferai arrêter sur-le-champ, et conduire à Coutances. « Je n’aurai rien de plus à cœur que de mériter de plus en plus votre confiance, et de vous donner des preuves de mon zèle à main¬ tenir la République, une et indivisible. « Honneur, salut et fraternité. « Signé : Segotng, vaguemestre de l'armée des côtes de Cherbourg, commandant par inté¬ rim le 11e bataillon de Paris. Ce jourd’hui, premier jour de frimaire, troisième mois de la deuxième année de la Répu¬ blique française une et indivisible. Le citoyen Berfcin, volontaire de la 5e compa¬ gnie du 11e bataillon de Paris, est venu nous certifier que la dénonciation qui nous a été [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. g « a» ÿ 713 faite par le citoyen Lafenestre, volontaire du même bataillon et de la même compagnie contre le citoyen Victor, lieutenant de la 3e compagnie dudit bataillon, est exacte et conforme à la vérité. Ce qu’il nous a certifié et signé avec nous, commandant provisoire dudit bataillon. Signé : Bertin, Segoing. Pour copie conforme à V original, Signé : Laplanche. Le citoyen Victor ayant manifesté des prin¬ cipes contre-révolutionnaires, tendant à la dissolution de la République, en disant qu’il se foutait des autorités constituées et de la loi. Signé : Lafenestre, volontaire de la 5e com¬ pagnie de Chaillot. « Le citoyen Lafenestre, qui a signé la pré¬ sente dénonciation, est témoin de ce qu’il avance; je la lui ferai signer demain et vous la ferai passer. « Ce 30 brumaire, l’an II de la République une et indivisible. « Signé : Segoing. » Pour copie conforme à V original Signé : Laplanche. Résultat des découvertes faites par Segoing, contre les auteurs de l'insurrection du 11e ba¬ taillon des Tuileries. Cejourd’bui, trente brumaire, l’an deuxième de la République française, une et indivisible, en vertu de l’ordre à moi remis par le citoyen Laplanche, représentant du peuple dans le département du Calvados, pour me rendré à Cherbourg, à l’effet d’en retirer le onzième bataillon de la première réquisition de Paris, d’en prendre le commandement et le conduire jusqu’à Saint-Lô, venant de Carentan audit Saint -Lô, après avoir sommé les volontaires qui composent ce bataillon de me dénoncer les auteurs et les fauteurs de la désobéissance qui a eu lieu audit Carentan, et de l’insurrection qui s’est manifestée; étant . arrivé au-dessous de la commune de Pont-Hébert, j’ai fait faire halte; j’ai renouvelé ma sommation, sont sortis de leur rang les citoyens Brou, sergent de la sixième compagnie, et Baudouin, aussi sergent, qui ont déclaré à haute et intelligible voix que le citoyen Auchet, capitaine de la septième com¬ pagnie, a excité la discorde dans sa compagnie pour la faire aller à Cherbourg ; le citoyen Brou a ajouté qu’il a vu le citoyen Auchet passer dans les rangs pour y entretenir l’insurrection; ce que lesdits Brou et Baudouin certifient, et ont signé avec moi. Signé : Baudouin, Brou et Segoing. Au même instant sont aussi sortis de leur rang les citoyens Lafenestre et Mouton, volon¬ taires audit onzième bataillon, cinquième com¬ pagnie, qui ont dénoncé le citoyen Vially, sous-lieutenant de la huitième compagnie, pour l’avoir vu parcourir les rangs, y sonder l’opinion publique, et avoir insisté à répéter qu’il fallait aller à Cherbourg, et entretenu la fermentation ; ce que lesdits Lafenestre et Mouton ont signé avec moi. Signé : Mouton, Lafenestre et Segoing Pour copie conforme à l'original : Signé : Laplanche. Le quartier-maître du onzième bataillon de réquisition de Paris, Devaisne, est l’auteur de l’insurrection de son bataillon. Signé : Régnault Duclar. Pour copie conforme à l'original ; Signé : Laplanche. Nous, lieutenant de la gendarmerie nationale à la résidence de Saint-Lô, département de la Manche, avons, en conformité des ordres de l’adjudant général Beaufort, commandant en cette ville, en date de ce jour, à moi adressés, ordonné aux citoyens Lawailly, gendarme, Mezerai et Lafrance, gardes nationaux, et faisant les fonctions de gendarmes, accompagnés de deux hussards en garnison en cette ville, de retirer de la maison d’arrêt de ce lieu le quartier-maître du onzième bataillon de Paris; de retirer également les trois officiers de ce même bataillon, détenus au corps de garde de la porte de l’arsenal, et de les conduire sous bonne et sûre garde à Coutances, pour les remettre à l’état-major général, avec les deux paquets de papier à l’adresse du citoyen La¬ planche, représentant du peuple à Saint-Lô, le premier frimaire, l’an II de la République, une et indivisible. Signé ; Delaunay. Pour copie conforme à l'original, Signé : Laplanche. Ainsi le cœur oppressé du père, du citoyen du législateur, peut respirer. Sur huit cents accusés, quatre sont désignés à l’examen sévère de la justice nationale, et la République, mère d’enfants égaux, compte aussi moins d’enfants infidèles. L’arrêté du comité de Salut public est déjà exécuté. Partout le onzième bataillon a donné des preuves de repentir et de patriotisme : sur tous les lieux de son passage, même dans le lieu du délit, il a reçu des preuves de fraternité, et il a su les mériter. En voici quelques preuves : LIBERTÉ, ÉGALITÉ Arrêté du conseil de guerre. « Cherbourg, le 28 brumaire, l’an II de la Ré¬ publique française, une et indivisible. » Nous, commandant à Cherbourg, certifions que le onzième bataillon de la première réqui¬ sition de Paris, arrivé en cette ville le 26 de ce mois, et partant aujourd’hui pour Valognes, s’y est bien comporté, et qu’il ne nous a été porté aucune plainte contre lui. Le commandant de la place et président du conseil : Signé : Letellier. Pour le conseil de guerre, Signé : Préchue, secrétaire . 714 f Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j ® ‘,r!mair* an Nous, maire et officiers municipaux de la ville de Carentan, certifions que le onzième bataillon de Paris, arrivé hier en cette ville, y a reçu l’étape et le logement, qu’il s’y est parfaitement bien comporté, qu’il ne nous est rien parvenu de défavorable sur son compte, et qu’il a témoigné le plus vif repentir du passé. A la maison commune, le 30 brumaire, l’an II de la République, une et indivisible. Signé : Bonnet; Poidevin; Jourdan, maire; Lesage. Par les citoyens maire et officiers municipaux, Signé : H ouest. Vu par nous, administrateurs du directoire du district de Carentan, attestons que le bataillon a donné des marques du plus sincère repentir de la scène qui a eu lieu en cette ville, et qu’il a témoigné le désir d’effacer, par la conduite qu’il va tenir, les fautes qu’il a faites. En dernière séance publique et permanente, le 30 brumaire, l’an II de la République, une et indivisible. Signé ; Lecamp, Violette et Dumoins. Pour copie conforme à l'original, Signé : Laplanche. Le 11e bataillon est dans ce moment caserné dans la citadelle d’Arras. Il faut laisser rap¬ porter les détails de cette punition militaire par un des volontaires mêmes de ce bataillon; ses expressions sont plus touchantes que ce que l’orateur peut dire. Extrait de la lettre d'un volontaire. du onzième bataillon de Paris. « Arras, le 21 frimaire. « Nous sommes arrivés hier après-midi, sur les 4 heures; on ne nous permit pas longtemps de voir la ville, car aussitôt nous fûmes mis aux arrêts dans une caserne; personne ne sort; le pont-levis est baissé, et une garde est là pour nous garder. « Nous sommes couchés sur la paille et sans feu ; personne n’a murmuré : au contraire, lorsque l’ administrateur a parlé il fut écouté en silence; après qu’il eut fini, les cris de Vivent la Répu¬ blique et la Montagne! ont terminé cette scène. On nous a fait apporter du pain, et la nuit s’est passée très tranquillement. Il est vraisemblable que nous ne sortirons que lorsque la Convention aura prononcé. » Courage, jeunes républicains, vous êtes à l’école qui fait des citoyens fidèles et des soldats disciplinés : vous êtes à l’école de l’infortune. Bientôt la Convention vous rendra à la Répu¬ blique, quand vous vous en serez rendus dignes en éloignant vous-mêmes de votre sein les hommes inciviques, égoïstes, indisciplinés, ou étrangers par leurs principes, au milieu de la nation. Déjà quatre d’entre eux sont arrêtés : ils sont dans les prisons de Rennes. Il faut ordonner leur translation à Arras, où ils seront jugés, sous les yeux mêmes du bataillon, par le tri¬ bunal militaire formé dans cette ville Leur délit est basé sur des dénonciations dont les actes seront envoyés par les représentants du peuple à l’accusateur public à Arras, et ce spectacle de l’insubordination punie est nécessaire, Quant au bataillon, le comité a examiné les divers chefs d’accusation. Le premier, qui consiste à avoir chanté des paroles royalistes, celui qui devait frapper d’abord les regards des hommes fermes qui ont fait périr, le 21 janvier le tyran de la France, a été examiné sévèrement. Sans doute, si les paroles impies, O Richard! O mon roi! qui furent longtemps le signal des regrets des aristocrates oisifs et lâches qui cherchent à faire des contre-révolutions avec des ariettes et des émeutes dans les spectacles, avaient été proférées par des soldats de la Répu¬ blique; sans doute, si ce refrain sacrilège avait été chanté par des hommes armés par ia patrie et revêtus des couleurs de la liberté, il faudrait donner un grand exemple aux armées et une forte leçon aux réquisitions nouvelles, et à ces jeunes muscadins qui devraient s’estimer heu¬ reux de ce que la République veut bien s’occuper dans les camps de leur éducation civique et militaire, en les appelant à l’honneur d’avoir et de défendre une patrie. Mais cet air infâme, O Richard! O mon roi! n’a pas été entendu. Si le procureur général syndic de Caen a imputé ce défit à trois jeunes citoyens qu’il a crus être du onzième bataillon de Paris, et qu’il a rencontrés dans la rue, entrant dans un café, le soir même de l’arrivée de ce bataillon à Caen; le procureur général syndic a assisté le lendemain à la revue de ce bataillon ; il les a examinés individuellement; il n’en a reconnu aucun. Toute preuve s’évanouit quand on cherche le défit et ses prétendus auteurs. Si ce fait existe, le procureur général syndic a ou tort de n’avoir pas arrêté lui-même, ou fait arrêter sur-le-champ, dans la rue ou dans le café, les chanteurs contre-révolutionnaires. Ce fait ne peut donc être dans le nombre des chefs d’accusation. Ajoutons à ce fait essentiel la déclaration du onzième bataillon, déposée dans la Société populaire de Pont-Audemer, lors de son passage dans cette commune. « Déclare que jamais pareille chanson n’a été chantée dans le bataillon, où l’on n’entend au contraire que les hymnes sacrés de la liberté. « Déclare qu’aucun volontaire n’a connais¬ sance qu’un seul individu du bataillon ait jamais chanté cette chanson. « Déclare que si un pareil coupable existait, et s’il était connu, le bataillon n’attendrait pas qu’il fût livré aux tribunaux, mais qu’il en forait lui-même sur-le-champ justice, comme d’un monstre dont on ne saurait purger trop tôt le sol de la liberté. « Déclare enfin qu’il applaudit avec transport à la démarche vraiment républicaine des trois sections, so félicitant de tenir le jour dd parents qui, par leur exemple, viennent de prouver à l’univ6rs que la République est immortelle, et faire le désespoir des tyrans coalisés contre elle. « Tels sont nos sentiments, dont nos frères les sans-culottes de Pont-Audemer ont lu l’expression franche et animée sur tous les visage et dans tous les coeurs. Ensuite, pour réparer en quelque sorte l’injure faite au bataillon, il a chanté l’hymne de la liberté, aux cris mille fois répétés de Vive la République! » Quels sont donc les délits dont le onzième bataillon récèle les auteurs et les instigateurs? Le comité a vu dans sa conduite un grand fait d’insubordination militaire, des actes répétés et violents de désobéissance au commandant f Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, f J» SKbîAïê 715 de Carentan, des actes de mépris formel des lois, et la résistance à l’ exécution des ordres donnés par les autorités constituées. Mais ce délit est assez grave pour légitimer des recherches utiles et des rigueurs nécessaires. Ainsi tout le bataillon n’est pas coupable : plusieurs volontaires qui le composent sont les chefs, ou les auteurs, ou les instigateurs de cette insubordination, si funeste à la discipline militaire. Représentants du peuple, vous devez veiller surtout à ce que la discipline militaire se forme et se maintienne; vous le devez surtout dans un pays où la défense oblige à avoir douze armées sur pied sur les frontières et dans l’intérieur, où l’autorité publique doit régir sans cesse l’autorité militaire, et détruire tous les projets de puissance armée. Ils avaient pensé à l’étabhr, ce gouvernement de Mamelus, ce régime légionnaire; ils y avaient pensé, quelques soldats heureux, plus ambitieux que républicains, plus insensés que coupables, mais que vous devez ramener sans cesse à l’autorité nationale; vous le devez, et vous le pouvez avec le ferme gouvernail que la Convention tient enfin dans ses mains; les citoyens armés dans l’intérieur de la Répu¬ blique apprendront à imiter les soldats victo¬ rieux des frontières. Un empire fondé par les armes a besoin de se soutenir par les armes; mais une République indépendante et immense, fondée par la raison, se sert des armées comme des presses, et ses troupes so composent d’im¬ primeurs et de soldats fidèles : tout doit obéir à la voix de la République. Le comité a pensé qu’outre les quatre accusés déjà détenus, il pourrait encore exister d’autres coupables dans le onzième bataillon de Paris, et qu’il fallait, pour le rendre bien utile, le purger de tout ces éléments aristocratiques ou séditieux. La force publique n’est qu’un danger de plus en révolution, si elle n’est purement obéissante et fortement disciplinée. Us ne peuvent donc aspirer à l’honneur de servir la République, les jeunes citoyens du onzième bataillon, s’ils ne déclarent auparavant quels hommes parmi eux sont inciviques, sédi¬ tieux, turbulents ou ennemis de l’ordre public, et de la belle cause qu’ils sont appelés à défendre. Jeunes républicains, vous allez dire la vérité, vous allez dévoiler les coupables. Que les pas¬ sions particulières se taisent, que les délations individuelles n’usurpent pas la place de la dénonciation civique, et que aies ménagements industrieux ne trahissent pas de nouveau la patrie. Montrez vous-mêmes quels furent les vrais séditieux à Carentan ; montrez vous -mêmes où fut l’erreur, où fut le crime, où fut l'efferves¬ cence de l’âge ou le délit de l’incivisme; dites-nous quels organes, quels instruments eurent l’aristocratie et le royalisme déguisés en uni¬ forme national, au milieu des jeunes patriotes que la section des Tuileries a consacrés à la liberté. La Convention nationale est assurée de votre véracité, elle invoque votre propre témoignage, et vous répondrez à son attente. On rapporte dans la vie d’un maréchal connu par ses vices et par l’argent qu’il retirait do la victoire, on rapporte qu’à Mahon les soldats du despotisme s’enivraient, et faisaient manquer toutes les attaques. — Aucun de ceux qui don¬ nera dans l’excès du vin, n’aura l’honneur de monter à la tranchée, dit le général. Le soldat français fut sobre, et Mahon fut pris. La Convention nationale vous interroge au nom du salut de la patrie, et bientôt les traîtres» les lâches et les séditieux seront connus et punis. Le bataillon des Tuileries ne doit être composé que de répubücains; vous ne pouvez servir la patrie qu’en vous montrant dignes de ce titre. La justice des nations ne cherche pas à créer des coupables, elle ne fait que les punir ; elle appello les autres citoyens à l’honneur de la défendre. Dans d’autres temps le gouvernement d’un seul aurait abandonné cette cause à la justice bottée et prévôtalc, ou aux Commissions mili¬ taires aristocratiques de l’armée; mais un gouvernement démocratique est chargé de veiller sur les indices, sur les opinions, sur les préjugés, sur le courage même de ses défenseurs ; c’est à lui de placer à côté des maux les moyens de les guérir. J’ai à peine parlé de l’accusation dirigée contre le dixième bataillon, dit de la Halle aux Blés, parce que sa faute a été légère, qu’elle a été bientôt réparée; ils ont obéi, ils ont été absous d’avance par les réprésentants du peuple, et leur conduite n’a eu aucun de ces caractères de révolte et d’indiscipline qui appellent la punition nationale. Peut-être suffira-t-il ‘de lire sa lettre pour connaître en même temps sa faute et sa réparation : la voici. Les soldats du dixième bataillon de la réquisition de Paris, au comité de Salut 'public. « De la citadelle d’Amiens, le 27 frimaire, l’an II de la République une et impé¬ rissable. « Citoyens, « Partisans zélés de la liberté, depuis trois jours nous soupirons après elle, sans présumer par quel motif elle nous fut ravie. Jaloux d’exécuter les ordres du ministre, nous nous rendions au poste qu’il nous avait assigné : nous étions loin de penser qu’en entrant à Amiens nous serions arrêtés, désarmés, et confondus avec de vils esclaves. Nous laissons à des répu¬ blicains à juger quelle impression affreuse fit sur nous une pareille réception : nous obéîmes sans murmurer. « Nous ignorons quel est le motif d’un trai¬ tement aussi rigoureux; notre conscience ne nous reproche rien, et nous croyons notre conduite irréprochable. Si pourtant des erreurs étaient échappées à notre jeunesse, faites-nous-les connaître, et ne pensez pas que nos cœurs s’en soient jamais rendus coupables. « Une seule action a pu être interprétée à notre désavantage; il suffira de vous la mettre sous les yeux pour vous convaincre de notre innocence. « En passant à Bernay, le district de cette ville, effrayé des dangers dont les rebelles menaçaient les environs, crut devoir nous requérir; brûlant tous du même zèle pour le bien de la République, nous pensâmes que ses intérêts nous appelaient plus impérieusement à la destination fixée par le ministre de la guerre : en effet, le moindre retard dans notre marche pouvait entraver ses projets, en empêcher la réussite. Nous l’avons tous senti, ou du moins nous l’avons tous sincè¬ rement pensé. Bans parler de la loi, que des patriotes tièdes auraient pu invoquer, sans parler de notre manque absolu d’armes, d’expérience, nous fîmes part de nos raisons au maire de 716 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { &n » Bernay; mais nous le fîmes avec l’ardeur d’une jeunesse républicaine, vivement convaincue qu’en agissant ainsi, elle remplissait le devoir le plus sacré d’un cœur vraiment patriote, celuide bien servir sa patrie. Voilà l’action qu’on a peut-être calomnieusement interprétée, mais l’approbation du représentant Laplanche, la justice, notre innocence, nous rassurent. On a dû vous rendre compte de notre obéissance aux ordres de l’adjudant général Taillefert, et vous ne penserez pas que, subordonnés aujour¬ d’hui, nous ayons pu montrer de la résistance dans une autre occasion, si nous n’eussions pensé que le bien de notre patrie l’exigeait « Citoyens, voilà notre conduite; punissez-nous si elle est criminelle, mais aussi rendez-nous notre liberté si nous sommes innocents; rendez-nous nos armes, et qu’en les employant pour assurer le bonheur de notre patrie, nous puis¬ sions faire rougir nos calomniateurs : voilà la seule vengeance que nous voulons tirer. Vive la République ! périssent les tyrans ! » (Suivent les signatures.) Déjà le bataillon de la H aile aux B lés a expié sa faute. Il a été transféré de Cherbourg à la citadelle d’Amiens ; il a été désarmé en arrivant soumis, il attend les ordres de la Convention. C’est dans le décret que vous avez rendu pour incorporer la première réquisition dans les anciens corps militaires, que les deux batail¬ lons de Paris trouveront le terme de leur épreuve civique ; c’est là qu’ils trouveront l’exemple d’une discipline constante et d’un attachement pro¬ noncé aux lois et à la défense de la République : c’est au milieu de ces braves soldats que les jeunes républicains iront se retremper de liberté, et bientôt les sections des Tuileries, des Champs - Élysées et de la Halle aux Blés, hères d’avoir donné de bons défenseurs à la patrie, viendront applaudir à cette même barre les faits glorieux et les victoires auxquels auront participé des enfants qui n’eurent besoin qu’un instant de la fermeté de leurs pères et des regards des représentants du peuple. Voici le décret : « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport du comité de Salut public, décrète : Art. 1er. « Tous les citoyens composant le onzième bataillon de première réquisition, dit des Tui¬ leries, demeureront dans la citadelle d’Arras, et ne pourront servir la République jusqu’à ce qu’ils aient déclaré quels sont les chefs, auteurs et instigateurs de cette insubordination. Art. 2. « Les chefs, auteurs et instigateurs de ces actes d’insubordination, seront jugés par le tribunal militaire formé à Arras, et punis selon la rigueur des lois. « Les citoyens Auchet, Vially, Victor et Devaisnes, détenus à Rennes, seront traduits sans délai à Arras. « En conséquence, les diverses pièces qui sont entre les mains du représentant du peuple dans le Calvados, seront envoyées à l’accusateur public du tribunal militaire établi dans cette ville. Art. 3. « Le bataillon de première réquisition de la Halle aux Blés, et le onzième bataillon, dit des Tuileries, seront incorporés sans délai dans les anciens bataillons de la République, confor¬ mément au décret rendu par la Convention. » La séance est levée à 5 heures (1). Signé : Voulland, Président; Bourdon (de VOise), Richard, Roger-Ducos, Re-verchon, Chaudron - Roussau, Marie-Joseph Chenier, secrétaires. PIÈCES ET DOCUMENTS NON MENTION¬ NÉS AU PROCES-VERBAL MAIS QUI SE RAPPORTENT OU QUI PARAISSENT SE RAPPORTER A LA SÉANCE DU 29 FRI¬ MAIRE AN II (JEUDI 19 DÉCEMBRE 1793). I. Dons patriotiques (2). Compte rendu du Bulletin de la Convention (3). Les officiers municipaux de la commune de Versailles ont adressé à la Convention l’état des objets d’or et d’argent, provenant des trois paroisses supprimées de cette ville. Le citoyen Rufhoux a déposé sur l’autel de la patrie un paquet de galons d’or. Le citoyen Baudin a déposé sur l’autel de la patrie 6 pièces d’argent montant à II liv. 14 s. II. Adresse des corps constitués de Sablé (4). Compte rendu du Bulletin de la Convention (5). Les commissaires des corps constitués de Sablé félicitent la Convention sur ses travaux, et l’invitent à rester à son poste. Tous les habitants de cette commune ont solennelle¬ ment déclaré qu’ils ne connaissaient de reli¬ gion que celle de la patrie et de la raison; qu’ils ne voulaient de culte que celui de la bien¬ faisance et de l’humanité, et d’évangile que la Constitution républicaine. Ces députés rendent compte du courage de leurs concitoyens à l’approche des brigands fugitifs de la Vendée. Sans troupes, sans muni¬ tions, et n’ayant que de faibles moyens de résistance, ils eurent cependant le courage do s’opposer en masse au passage de cette horde ( 1 ) Procès-verbaux de la Convention, t. 27, p. 337. (2) Ces dons patriotiques ne sont pas mentionnés au procès-verbal de la séance du 29 frimaire an II; mais ils figurent par extrait dans le Bulletin de la Convention, de cette séance. (3) Bulletin de la Convention du 9e jour de la 3e dé¬ cade du 3e mois de l’an II (jeudi 19 décembre 1793). (4) L’adresse des corps cônstitués de Sablé n’est pas mentionnée au procès-verbal de la séance du 29 frimaire; mais on en trouve un extrait dans le Bulletin de la Convention de cette séance. (5) Bulletin de la Convention du 9e jour de la 3e dé¬ cade du 3e mois de l’an II (jeudi 19 décembre 1793).