208 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRÉS. [13 juin 1790. J pas que vous preniez le parti qui vous sera peut-être proposé, comme il l’a été dans plusieurs écrits, d’augmenter la masse de ce papier-monnaie. Sa création a été une mesure nécessaire, et le succès l’a couronnée; mais en l’adoptant, vous avez senti qu’il fallait en déterminer l’étendue d’après les besoins de la circulation, et qu’une quantité trop grande de ce numéraire fictif la surchargerait : vous le maintiendrez donc dans les bornes que vous lui avez d’abord prescrites, et vous l’éteindrez à mesure de ses rentrées, sauf à créer dans la suite, si l’utilité en était démontrée, un autre papier libre et sans intérêt, pour suppléer au numéraire métallique, et faciliter les opérations du commerce, en lui offrant un agent plus commode. Vous emploierez donc un autre moyen pour rembourser la partie exigible de la dette publique, et, dans cette partie, vous comprendrez sûrement les dîmes inféodées que vous avez abolies, les finances des offices de judicature et autres que vous allez supprimer, et les paiements arriérés que vous allez liquider. Vous trouverez sage d’opérer ces remboursements en effets dont la forme et le taux d’intérêt ne puissent pas prêter à l’agiotage; mais vous trouverez juste de leur attacher une qualité précieuse pour ceux qui les recevront, celle de pouvoir être convertis en propriétés foncières; vous remplirez à la fois votre double vœu, d’éteindre avantageusement pour la nation une partie considérable de sa dette, et de satisfaire une classe de créanciers qui, privés de leur état par laRévolution, trouveront, dans l'acquisition de propriétés territoriales, un nouveau genre d’occupations, que les hommes fatigués des fonctions publiques embrassent presque toujours avec plaisir, parce qu’elles ramènent à la nature, qui a toujours des charmes pour ceux qui se livrent à son étude et à ses travaux. Il est encore une autre classe de citoyens à qui vous présenterez sans doute ce moyen de consolation : ce sont les titulaires ecclésiastiques dont vous allez fixer le traitement. Plusieurs préféreront à la rente viagère que vous leur assignerez, un capital disponible; et, en déterminant ce capital d’après les calculs bien connus aujourd’hui des rentes viagères, vous ferez encore une bonne opération pour l’Etat, et vous ferez aimer la Révolution par ceux mêmes pourquielle se présentait sous un aspect affligeant. Vous bornerez vraisemblablement à ces dispositions votre opération actuelle, laissant à d’autres combinaisons la libération de la partie non exigible de la dette publique; vous ne pourriez pas admettre tous les effets qui la constituent à ce même concours, et, si vous faisiez un choix, il donnerait lieu peut-être à des spéculations de hausse et de baisse qui n’ont que trop déshonoré nos places de commerce; mais ces motifs de prudence ne s’opposeraient pas à une exception, pour quelques années seulement, en faveur des bordereaux de celles des rentes viagères qui seront reconnues pour les plus onéreuses à l’État; un calcul dont les éléments sont assurés détermineraitles sommes pour lesquelles ils seraient reçus, et le temps pendant lequel vous pourriez les admettre. Plusieurs des porteurs de ces bordereaux seront tentés de réaliser en fonds de terre, et chacun de ces remboursements que vous opérerez sera pour la nation un profit très véritable. Votre comité terminera ce rapport, déjà trop long. peut-être, en vous proposant d’autoriser les administrations ou directoires de départements à receyoir. directement, ainsi que lui, les soumissions des particuliers, et à se faire seconder par les administrations ou directoires de districts, et à entretenir une correspondance exacte et régulière avec votre comité, pendant la durée de votre session, et ensuite avec les commissaires qui leur seront substitués par les législatures, afin que la suite et les détails de cette grande et salutaire opération soient toujours sous les yeux des représentants de la nation. Votre comité a donc l’honneur de vous proposer le décret suivant ; Projet de décret sur la vente des domaines nationaux aux 'particuliers. L'Assemblée nationale, considérant que l’aliénation des domaines dans la propriété desquels la nation est rentrée, est le meilleur moyen d’éteindre une grande partie de la dette publique, d’animer l’agriculture et l’industrie, et de procurer l’accroissement de la masse générale des richesses par la division de ces biens nationaux en propriétés particulières toujours mieux administrées, et par les facilités qu’elle donne à beaucoup de citoyens de devenir propriétaires, a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er Tous les domaines nationaux dont la jouissance n’aura pas été réservée au roi ; ou la conservation ordonnée par l’Assemblée nationale, pourront être aliénés en vertu du présent décret et conformément à ses dispositions. Art. 2 . Toutes les personnes qui voudront acquérir des domaines nationaux, pourront s’adresser, soit au comité de l’Assemblée nationale chargé de leur aliénation, soit à l’administration ou au directoire du département, soit même à l’administration ou au directoire du district, dans lesquels ces biens sont situés, l’Assemblée nationale réservant au département toute surveillance et toute correspondance directe avec le comité. Art. 3. Les municipalités qui enverraient des soumissions pour 'quelques objets déjà demandés par des particuliers, n’auront point droit à être préférées. Le comité enregistrera toutes les demandes des municipalités suivant l’ordre de date de leurs délibérations authentiques, et celles des particuliers suivant la date de leur réception, et il en enverra des expéditions, certifiées par un deses secrétaires, à l’administration ou au directoire du département dans lequel ces objets sont situés. Art. 4. Les administrations de départements formeront un état de tous les domaines nationaux, situés dans leur territoire, et procéderont incessamment à leur estimation dans les formes prescrites par les articles 3, 4, 7 et 8 du titre premier du décret du 14 mai ci-dessus mentionné. Art. 5. Elles commenceront ces estimations par les lieux où sont situés les biens sur lesquels Je comité leur aura renvoyé des soumissions, soit de municipalités, soit de particuliers, ou sur lesquels elles en auraient reçu directement, et continueront ensuite à faire estimer ceux-mêmes de ces biens pour lesquels il n’aurait été fait aucune soumission. Art. 6. Elles auront soin, dans les estimations, de diviser les objets autant que leur nature le permettra, afin de faciliter, autant qu’il sera possible, les petites soumissions et l’accroissement du nombre des propriétaires. Art. 7. Les administrations ou directoires de départements chargeront des experts, ou gens à ce connaissant, des estimations pour lesquelles il sera nécessaire d’en employer, et elles corn- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1790.] mettront pour surveiller ce travail, les administrations ou directoires de districts. Art. 8. Les prix d’estimation seront déterminés d’après les dispositions des articles 3, 4,7 et 8, du titre Ier du décret du 14 mai, ci-dessus mentionné, et serviront de base aux soumissions et aux enchères. Art. 9. Les soumissions devront être au moins .égales au prix de l’estimation, et les enchères ne seront ouvertes que lorsqu’il y aura de telles soumissions ; mais alors elles le seront nécessairement, et l’on y procédera dans les délais, dans les formes et aux conditions prescrites par les articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8 et 9 du titre III du décret du 14 mai, et par l’instruction du 31 du même mois. Art. 10. Les acquéreurs des domaines nationaux seront tenus de se conformer, pour les baux actuels de ces biens, aux dispositions de l’article 9 du titre Ier du décret du 14 mai, et aux conditions de jouissances prescrites par l’instruction du 31 du même mois, au maintien desquelles les administrations de départements et de districts, ou leurs directoires, tiendront exactement la main. Art. 11. Les acquéreurs jouiront des franchises accordées par les articles 7 et 8 du titre Ier du décret du 14 mai, et aussi de celles accordées par l’article 11 du titre III; mais pour ces dernières, pendant l’espace de 12 années seulement, à compter du jour de la publication du présent décret. Art. 12. Les administrations de départements ou leurs directoires adresseront le 15 de chaque mois, au comité chargé de l’aliénation des domaines nationaux pendant la présente session de l’Assemblée nationale, et, par la suite, aux commissaires qui leur seront désignés par les législatures, un état des estimations qu’elles auront fait faire et un état des ventes qui auront été commencées ou consommées dans le mois précédent, pour le tout être rendu public par la voie de l’impression. Art. 13. Les acquéreurs feront leurs paiements aux termes convenus, soit dans la caisse de i’Extraordinaire, soit dans celles de département ou de district, qui seront chargées d’en compter au receveur de i’Ëxtraordinaire. Art. 14. Les paiements seront reçus en argent ou en assignats-monnaie, et dans les effets qui seront incessamment désignés par l’Assemblée nationale ; et ces divers papiers, à mesure de leur versement dans la caisse de ['Extraordinaire, seront brûlés dans les formes qui ont été ou qui. seront prescrites, et par devant les commissaires qui ont été ou qui seront désignés par l’Assemblée nationale, ou par les législatures qui la suivront. Art. 15. Les municipalités qui voudraient acquérir quelques parties de domaines nationaux pour des objets d’utilité publique, seront tenues de se pourvoir dans les formes prescrites par le décret du 14 décembre 1789, pour obtenir l’autorisation nécessaire, et seront ensuite considérées comme acquéreurs particuliers. Art. 16. Les articles ci-annexés du décret du 14 mai et de l’instruction du 31 du même mois sur la vente de 400 raillions de domaines nationaux, avec le changement des seules expressions nécessaires pour les adapter aux dispositions ci-dessus, seront censées faire partie du présent décret. lr0 Série. T. XVI. 209 Articles du décret du 14 mai 1790, sur la vente de quatre cents millions des domaines nationaux. ( Les mots changés sont en caractère italique.) TITRE PREMIER. Art. 2. Les particuliers qui voudront acquérir directement des domaines nationaux pourront faire leurs offres au comité, qui les renverra aux administrations ou directoires de département, pour en constater la véritable valeur, et les mettre en vente conformément au règlement qui sera incessamment donné à cet effet. Art. 3. Le prix capital des objets portés dans les demandes sera fixé d’après le revenu net, effectif ou arbitré, mais à des deniers différents, selon l’espèce de biens actuellement en vente, qui, à cet effet, seront rangés en quatre classes. lre classe. Les biens ruraux consistant en terres labourables, prés, vignes, pâtis, marais salants, et les bois, bâtiments et autres objets attachés aux fermes et métairies, et qui servent à leur exploitation. 2e classe. Les rentes et prestations en nature de toute espèce, et les droits casuels auxquels sont sujets les biens grevés de ces rentes ou prestations. 3e classe. Les rentes et prestations en argent, et les droits casuels dont sont chargés les biens sur lesquels ces rentes ou prestations sont dues. La quatrième classe sera formée de toutes les autres espèces de biens, à l’exception des bois non compris dans la� première classe, sur lesquels il sera statué par une loi particulière. Art. 4. L’estimation du revenu des trois premières classes de biens sera fixée d’après les baux à ferme existants, passés ou reconnus par devant notaire, et certifiés véritables par le serment des fermiers devant le directoire du district; et à défaut de bail de cette nature, elle sera faite d’après un rapport d’experts sous l’inspection du même directoire, déduction faite de toutes les impositions dues h raison de la propriété. Les particuliers qui voudront acquérir seront obligés d’offrir, pour prix capital des trois pre*- mières classes, un certain nombre de fois le revenu net, d’après les proportions suivantes : Pour les biens de la première classe, vingt-deux fois le revenu net ; Pour ceux de la deuxième, vingt fois ; Pour ceux de la troisième, quinze fois. Le prix des biens de la quatrième classe sera fixé d’après une estimation. Art. 7. Les biens vendus seront francs de toutes rentes, redevances ou prestations foncières, comme aussi de tous droits de mutation, tels que quint et requint, lods et ventes, reliefs, et généralement de tous les droits seigneuriaux ou fonciers, soit fixes ou casuels, qui ont été déclarés rachetables par les décrets des 4 août 1789 et 15 mars 1790, la nation demeurant chargée du rachat desdits droits, suivant les règles prescrites, dans les cas déterminés par les décrets du 3 de ce mois : le rachat sera fait des premiers deniers provenant des reventes. Art. 8. Seront pareillement lesdits biens affranchis de toutes dettes, reutes constituées, et hypothèques, conformément aux décrets des 15 et 16 avril 1790. Dans le cas où il serait formé des oppositions, elles sont, dès à présent, déclarées nulies et 14 210 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [13 juin 1790.] comme non-avenues, sans qu’il soit besoin que les acquéreurs obtiennent de jugement. Art. 9. Les baux à ferme ou à loyer desdits biens qui ont été faits légitimement, et qui auront une date certaine et authentique, antérieure au 2 novembre 1789, seront exécutés selon leur forme et teneur, sans que les acquéreurs puissent expulser les fermiers, même sous l’offre des indemnités de droit et d’usage. TITRE III. Art. 1er. Le quinze de chaque mois, les administrations ou directoires de département feront afficher, dans tous les lieux accoutumés de leur territoire, et notamment dans ceux où les biens sont situés , et dans les villes ou bourgs chefs-lieux de district, l’état des biens qu’elles auront fait estimer dans le mois précédent, avec énonciation du prix de l’estimation de chaque objet, et elles feront 'déposer des exemplaires de ces états aux hôtels communs desdits lieux, pour que chacun puisse en prendre communication ou copie, sans frais. Art. 2. Aussitôt qu’il sera fait une offre au moins égale au prix ae l’estimation, pour totalité ou partie des biens situés dans un département, l’administration dii département, ou son directoire, sera tenu de l’annoncer par des affiches dans tous les lieux où l’état des biens aura été ou dû être envoyé, et d’indiquer le lieu, le jour et l’heure auxquels les enchères seront reçues. Art. 3. Les adjudications seront faites dans le chef-lieu, et par devant le directoire du district de la situation des biens, à la diligence du procureur général syndic , ou d’un fondé de pouvoirs de V administration de département, et en présence de deux commissaires de la municipalité dans le territoire de laquelle les biens sont situés; lesquels commissaires signeront les procès-verbaux d’enchères et d’adjudication, avec les officiers du directoire et les parties intéressées, sans que l’absence desdits commissaires dûment avertis, de laquelle sera fait mention dans le procès-verbal, puisse arrêter l’adjudication. Art. 4. Les enchères seront reçues publiquement; il y aura quinze jours d’intervalle entre la première et la seconde publication ; et il sera procédé un mois après la seconde à l’adjudication définitive, au plus offrant et dernier enchérisseur, sans qu’il puisse y avoir ouverture, ni au tiercement, ni au doublement, ni au triplement. Les jours seront indiqués par des affiches où le montant de la dernière enchère sera mentionné. Art. 5. Pour appeler à la propriété un plus grand nombre de citoyens, en donnant plus de facilité aux acquéreurs, les payements seront divisés en plusieurs termes. La quotité du premier paiement sera réglée en raison de la nature des biens, plus ou moins susceptibles de dégradation. Dans la quinzaine de l’adjudication, les acquéreurs des bois, des moulins, et des usines paieront 30 0/0 du prix de l’acquisition, à la caisse de l’Extraordinaire ; Ceux des maisons, des étangs, des fonds morts et des emplacements vacants dans les villes, 20 0/0 ; Ceux des terres labourables, des prairies, des vignes et des bâtiments servant à leur exploitation, et des biens de la seconde et de la troisième classe, 12 0/0. Dans le cas où des biens de ces diverses natures seront réunis, il en sera fait ventilation pour déterminer la somme du premier payement. Le surplus sera divisé en douze annuités égales, payables en 12 ans, d’année en année, et dans lesquelles sera compris l’intêrêt du capital à 5 0/0, sans retenue. Pourront néanmoins les acquéreurs accélérer leur libération par des payements plus considérables et plus rapprochés, ou même se libérer entièrement, à quelque échéance que ce soit. Les acquéreurs n'entreront en possession réelle qu’après avoir effectué le premier payement. Art. 6. Les enchères seront en même temps ouvertes sur l’ensemble ou sur les parties de l’objet compris en une seule et même estimation ; et si, au moment de l’adjudication définitive, la somme des enchères partielles égale l’enchère faite sur la masse, les biens seront de préférence adjugés divisement. Art. 8. A défaut de payement du premier a compte ou d’une annuité échue, il sera fait, dans le mois, à la diligence du procureur général syndic, sommation au débiteur d’effectuer son payement, avec les intérêts du jour de l’échéance; si ce dernier n’v a pas satisfait deux mois après ladite sommation, il sera procédé, sans délai, à une adjudication nouvelle, à sa folle enchère, dans les formes prescrites par les articles 3 et 4. Art. 9. Le procureur général syndic de l’administration de département poursuivante se portera premier enchérisseur pour une somme égale au prix de l’estimation, ou pour la valeur de ce qui restera dû, si cette valeur est inférieure aux prix de l’estimation ; il sera prélevé sur le prix de la nouvelle adjudication le montant de ce qui se trouvera échu, avec les intérêts et les frais, et l’adjudicataire sera tenu d'acquitter, au lieu et place de l’acquéreur dépossédé, toutes les annuités à échoir. Art. 11. Il ne sera perçu, pendant le cours de douze années, pour aucune acquisition, adjudication, vente, subrogation, revente, cession et rétrocession de domaines nationaux, même pour les actes d’emprunts, obligations, quittances et autres frais relatifs auxdites translations de propriété, aucun autre droit que celui de contrôle, qui sera fixé à 15 sols. Articles de l’instruction décrétée le 31 mai 1790. TITRE III. Les adjudications définitives seront faites à la chaleur des enchères et à l’extinction des feux. On entend par feux, eu matière d’adjudication, de petites bougies qu’on allume pendant les enchères, et qui doivent durer chacune au moins un demi-quart d’heure. L’adjudication prononcée sur la dernière des enchères faites avant l’extinction d’un feu, sera seulement provisoire, et ne sera définitive que lorsqu’un dernier feu aura été allumé, et sera éteint sans que, pendant sa durée, il ait été fait aucune autre enchère. Les départements et districts sont spécialement chargés de veiller à ce que les acquéreurs, jusqu’à leur entier acquittement, jouissent en bons pères de famille, des bois , étangs ou usines qu’ils auraient acquis, et n’y causent aucune dégradation.