[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il janvier 1790.] ®77 trisés depuis longtemps; et ce n’est point avec des supplices qu’on réprimera l’effet de cette commotion; d’une insurrection mal apaisée en naîtront vingt autres, dont une seule peut ruiner à jamais les colons. Il n’est qu’un moyen pour les prévenir; c’est r.abolition de la traite; c’est au moins la résolution prise par cette assemblée de s’en occuper sans délai. La nouvelle d’un décret, même préparatoire, produira deux bons effets à la fois; elle calmera l’effervescence des noirs, elle forcera les planteurs, qui n’attendront bientôt plus de recrues africaines, à mieux traiter leurs noirs. Ainsi vous arrêterez, d’un seul mot, l’effusion du sang sur les côtes d’Afrique, les traitements barbares dans nos îles, et vous préparerez, par un autre ordre de choses, une prospérité durable pour nos colonies. Eh ! ne vous laissez point effrayer par la crainte d’exciter le ressentiment des" villes engagées dans la traite, et de les voir s’opposer à la révolution ; c’est les outrager que de leur prêter une pareille vengeance; c'est s’outrager que de la craindre. Malheur aux villes qui, pour se venger d’un juste décret, auraient recours à une opposition aussi criminelle! Elles ne seraient pas dignes d’être libres. Malheur aux législateurs qui écouteraient ces craintes! Ils seraient indignes de leur titre. Si donc vpus attachez le plus grand intérêt et à votre gloire et au respect pour les grands principes et à la conservation des colonies, hâtez-vous, non d’abolir la traite ; nous ne cherchons pas à précipiter cette décision, quoique nous soyons convaincus de sa justice etdeses avantages; mais bâtez-vous de prendre promptement en considération la demande de cette abolition; et, si les grands objets qui fixent maintenant vos regards, ne vous permettent pas de nous entendre et d’examiner tous les faits et les calculs que nous pouvons vous offrir, hâtez-vous au moins de déclarer vos principes sur cette question, de déclarer à l’univers que vous ne prétendez pas les écarter, lorsqu’il s’agit de l’intérêt d’une autre nation. L’honneur du nom français l’exige. Les peuples libres d’autrefois ont déshonoré la liberté en consacrant l’esclavage qui leur était profitable. Il est digne de la première assemblée libre de la France, de consacrer le principe de philanthropie qui ne fait du genre humain qu’une seule famille, de déclarer qu’elle a en horreur ce carnage annuel qui se fait sur les côtes d’Afrique, qu’elle est dans l’intention de l’abolir un jour, d’adoucir l’esclavage qui en est le résultat, d’en rechercher, d’en préparer, dès à présent, les moyens. Nous vous en conjurons, au nom des colonies mêmes, qu’une pareille déclaration peut seule tranquilliser, au nom de votre gloire, au nom de la justice, au nom de l’humanité, à laquelle un mois, un jour de délai coûte des flots de sang... Nous vous en conjurons enfin au nom du ciel, qui contemple sans doute avec joie la révolution que vous avez opérée, qui la bénira, qui la protégera bien plus fortement, en vous voyant employer votre pouvoir pour essuyer les larmes de ces infortunés contre lesquels la cupidité européenne conspire depuis si longtemps. Signé : Brissot de Warville, président. Le Page, secrétaire . M. le Maréchal, négociant à Rugles, député du bailliage d’Evreux, annonce par lettre qu’une maladie grave de son épouse est cause qu’il n’est pas encore de retour à l’Assemblée nationale. M. le Président annonce qu’il a reçu de M. le garde des sceaux une note par laquelle il annonce que le Roi a donné ses ordres : 1° Pour l’exécution du décret du 14 de ce mois, concernant l’exécution des marchés faits dans les ports; 2° Pour l’exécution du décret du 19, qui lui a été présen té hier pour la surséance d’une procédure criminelle qui s’instruit à Strasbourg; 3° Pour l’exécution du décret du 20 de ce mois, concernant le faubourg Saint-Laurent-lès-Châ-lons; 4° Pour la traduction des décrets de l’Assemblée dans les différents idiômes usités dans le royaume. Ils le sont déjà en italien pour la Corse ; 5° Pour l’exécution du décret du 18 de ce mois, et dont l’objet est d’affranchir de la formalité du contrôle et des droits de papier timbré, les actes relatifs aux élections des municipalités et les délibérations qui seront prises pour la constitution des municipalités et autres corps administratifs, ainsi que pour toutes les opérations administratives et le décret accepté par le Roi va être envoyé dans tout le royaume ; 6° Pour l’exécution du décret du 12 de ce mois, et présenté hier à Sa Majesté, pour autoriser les commissions intermédiaires des pays d’Etat à rendre exécutoires les rôles d’impositions; et ce décret sanctionné par le Roi va être envoyé dans toutes les provinces qui étaient régies par des Etats particuliers; 7° Pour l’exécution du décret du 20 de ce mois, et qui a pour objet de déterminer l’état des villes, villages, paroisses et communautés qui ont été jusqu’aujourd’hui mi-parties entre différentes provinces ; et ce décret accepté par le Roi sera envoyé incessamment dans tout le royaume. Signé : Champion de Cicé, arch. de Bordeaux. M. le Président dit que M. le garde des sceaux lui a annoncé qu’on ne pourrait rien décider sur l’affaire de Marseille tant que le rapport n’aura pas été fait à l’Assemblée. L’Assemblée décide que le rapporteur sera entendu samedi. M. Mougins de Roquefort, membre du comité des rapports, rend compte à l’Assemblée des persécutions qu’a éprouvées, dans sa patrie, le sieur Tribert, commerçant en grains dans la province du Poitou et chargé par le gouvernement, dans le courant de l’année dernière, de faire des approvisionnements pour la ville de Paris. Les persécutions contre sa personne ont été telles que cet honnête citoyen, irréprochable dans sa conduite, a été obligé d’abandonner ses foyers, et il estem core dans le moment présent, hors de son pays. M. le rapporteur propose au nom du comité, et l’Assemblée rend le décret suivant : « L’Assemblé nationale, après avoir ouï le rapport d’un membre de son comité des rapports, « Déclare qu’elle approuve la conduite tenue par le sieur Tribert, négociant à Poitiers, à raison des achats de blé qu’il a faits par ordre du gouvernement, dans le mois de juillet dernier, pour l’approvisionnement de la ville de Paris; le met en conséquence sous la sauvegarde de la loi et du Roi; ordonne que les municipalités lui prêteront main-forte et protection pour le libre exercice de son commerce, tant qu’il se conformera aux décrets de l’Assemblée. » M. Régnault d’Rpercy, membre du comité "Ô18 [Assemblée .nationale.] ARCHIVES RAjRLEMEftTÀlRES [21 janvier 1790,] ides rapports, soumet à l’Assemblée un.projet de décret interprétatif de ceux déjà rendus pour empêcher l’exportation des grains et farines à l’étranger et pour favoriser leur. libre circulation dans l’intérieur du royaume. Ce projet de décret ajoute aux précautions déjà prises pour l’approvisionnement des frontières, celle d’obtenir et faire viser des acquits-à-caution dans les bureaux des fermes générales. Plusieurs députés proposent des amendements à ce projet de décret. M./Emmery le combat dans son ensemble et i attaque notamment i la disposition qui met dans îles mains de la ferme générale la police des acquits-à-caution, employés pour l'approvisionnement des frontières. Il observe que l’Assemblée doit préférablement se reposer de ce soin sur les municipalités qui vont être constitutionnellement .formées. 11 demande la question préalable. ■M. Goifpilleau soutient que toutes les dispositions de ce projet de décret ont été rejetées lors des premières lois faites sur la défense de J'ex-Eortation des grains et farines à l’étranger et sur t.Iibre circulation dans l’intérieur. ILa question préalable est mis aux voix, et l’Assemblée, décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. ---- On reprend la discussion des articles proposés par M. Guillotin sur les lois criminelles. M. l’abbé Papin. Ce n’a jamais été sans succès .que les droits de lajustiee eide l’humanité ont été réclamés parmi vous. Un cœur sensible qui s'intéresse pour le juste persécuté peut donc parler avec confiance. Hier un honorable membre a parlé peut-être pour des coupables : le vice de la procédure contre laquelle il a réclamé était qu’elle ait été tenue secrète ; il craignait le sort d’un jugement pour des hommes dont les délits n’étaient pas notoirement constatés. Vous avez admis aussitôt sa réclamation, vous avez à l’ins-, tant . statué .que votre président écrirait pour qu’il fût sursis â l’exécution. Que ne dois-je donc pas espérer lorsque je prends la parole, non pour un coupable, non pas même pour un juste, mais pour une foule d’individus honnêtes, irréprochables, qui. ont bien mérité. de leurs concitoyens, et qui ,se trouvent sur le point de subir un châtiment plus terrible que la mort même, pour des fautes auxquelles ils n’ont eu aucune part, qu’ils abhorrent, qu’ils . n’ont pu empêcher, et qu’ils voudraient avoir , pu prévenir ? G’est pour de telles ■personnes, .Messieurs, que j’invoque votre clémence,. que je réveille votre commisération; elle a été sollicitée peur la même cause en deux fois différentes. Des circonstances impérieuses, des affaires mültipliées et instantes ont suspendq jus-,qu!à présent votre décret ; mais il n’y a plus à différer aujourd’hui. Le tribunal est assemblé, les coupables vont être cités devant le juge intègre.' Ils méritent la mort ; qu’ils la subissent. Détournez-en vos regards; il faut des réparations, il faut des exemples, qu’ils en servent; mais né soülfrez pas que leurs tourments passagers .rpjaiUissent éternellement sur leurs familles plon-tées dans la tristesse, et qui n’ont d’espoir que ans votre justice compatissante, il existe pour nous un préjugé barbare qui dévoue à l’infamie les proches d’un criipinel. Cédez aux cris de la raison ; réprouvez ce que la saine philosophie condamne; que les fautes soient, dans une nation sage, uniquement personnelles. Sar un reste de la tyrannie féodale, la confiscation des biens du condamné, en certains cas et pour certains délits, étendait la peiné à une .génération innocente, à des enfants, à des proches déjà trop malheureux d’appartenir à un coupable. Réduisez, messieurs, par votre sagesse, la peine du délit au seul criminel ; abrogez cette loi trop rigoureuse, qui tue dans ses descendants celui qui a déjà subi la peine de ses forfaits. Enfin, Messieurs, au milieu de tant de préjugés contre lesquelsje m’élève, quelle barbarie de ne pcmyoir justifier, dans la suite.des temps, qu’un criminel n’est plus, qu’en produisant sa sentence de mort. Souffrez, messieurs, que la famille réclame le cadavre; ordonnez au moins qu’il soit admis à la sépulture commune, et que rien, dans l’acte qui atteste son décès, ne retrace Je souvenir du châtiment qu’il a subi. C’est à ces trois points essentiels que je réduis la motion de M. Guillotin. J’espère qu’il ne me désapprouvera pas d’avoir remis à votre décision des articles qu’il a . sollicités : c’est entrer dans ses vues que d’en accélérer le succès. Il en a, mieux que je ne le pourrais faire, exposé la nécessité et l’importance. Ne la différez donc plus ; rendez la vie, sauvez l’honneur des familles nombreuses de cette capitale et des provinces; prononcez uni décret qui deviendra pour le royaume un bienfait universel. L’orateur observe que le premier article portant que « les délits du même genre seront punis par le même genre de peine, quels que soient le rang et l’état des coupables, » a été décrété1 le premier décembre dernier. M. Guillotin, auteur du projet de décret, propose d’ajourner les articles 2 et 4, de les renvoyer au comité des sept, établi pour la réforme de1 la jurisprudence criminelle et de délibérer sur les articles 3, 5 et 6. Cette proposition est adoptée, et le président donne lecture de l’article 3 qui deviendrait le deuxième du décret. M. l’abbé Maury. Messieurs, rien n’est plus sage qu’une loi qui détruit un préjugé barbare qui fait porter à une famille innocente, jusqu’aux dernières. générations, le déshonneur d’un coupable. Il est beau de commander à l’opinion et de détruire d’antiques erreurs lorsqu’elles sont préjudiciables au bien de la société ; mais il faut commander à l’opinion avec empire; il faut le faire avec un appareil qui maîtrise les sens, fixe l’attention du peuple nt serve de guide à sa raison. Or, c’est par le ministère de l’homme de la loi que le décret dont je vous parle doit être exécuté. Je propose que sur le lieu même du supplice, le juge réhabilite la mémoire du condamné. Gette sentence de réhabilitation anéantira toute flétrissure et ne donnera plus de prise au préjugé. M. Barnave. Gette réhabilitation serait vicieuse, en ce qu’elle mettrait le crime du décédé au même niveau que l’innocence. Il faut y substituer la simple lecture à faire, à haute voix, au peuple, par le greffier, de l’article dont il est question. M. Emmery, Cet amendement est inapplicable aux condamnations du coupable aux galères à temps, attendu qu’il n’y a point de lieu d’exécution ni de temps précis où cette lecture pourrait être faite. M. JLarrey re. Toutes ces précautions donne-