266 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1789.] de ceux des colons qui habitent Saint-Domingue même n’a point voté pour la députation, ni pour le choix des députés ; que beaucoup ont manifesté un vœu contraire, par une requête adressée aux administrateurs de la colonie à la lin de l’année dernière. L’île de Saint-Domingue est peuplée d’environ 25,000 habitants blancs, nous estimons qu’en mettant à l’écart les femmes et les non-majeurs, environ 12,000 planteurs et autres avaient le droit de voter en cette circonstance. De ce nombre 4,000 seulement paraissent avoir désiré une représentation et de manière ou d’autre fait le choix des députés. Les vices de forme étant couverts, nos compatriotes ne représenteraient donc tout au plus qu’un tiers des habitants qui sont sur le lieu même ; ils n’ont donc ni le vœu général, ni le vœu prépondérant en nombre; la colonie n’est donc pas véritablement représentée. Cette adresse est signée de plus de 300 colons. M. Blin conclut en demandant à l’Assemblée de décréter que la discussion de toutes motions qui pourraient être proposées relativement à la colonie de Saint-Domingue, ou tout au moins à son régime intérieur, seront suspendue jusqu’à ce qu’en� nouvelle connaissance de cause elle ait forme des vœux positifs, certains, et fourni des lumières locales, également avantageuses pour elle et pour la mère patrie. M. de Coelierel (1). Messieurs, Saint-Domingue, connu jusqu’aujourd’hui sous la fausse dénomination de colonie, n’en est pas une. C’est une contrée qui s’est toujours régie en pays d’Etats par les lois qui lui sont propres. La dénomination de colonie n’est consacréeque par l’usage et non par le droit, seul imprescriptible. Dans le droit et dans le fait, une colonie est une émigration d’une partie de la population d’un Etat, envoyée dans une contrée déserte ou conquise par cet Etat, pour habiter et défricher cette contrée au plus grand avantage de cet Etat. Or, Saint-Domingue, dans son principe, était une province insulaire de l’Amérique, habitée par les naturels du pays, conquise d’abord par les Espagnols, et reconquise ensuite sur eux par une troupe de guerriers, composée de diverses nations, qui y formèrent des habitations, les cultivèrent et en offrirent le produit aux Hollandais en échange des marchandises qu’ils leur apportèrent, ce qui établit, alors un commerce libre parmi eux. C’est dans cette position que Saint-Domingue se donna à Louis XIV, aux conditions de maintenir ses privilèges et franchises. Donc Saint-Domingue n’a pas été formé par une émigration envoyée de la France pour l’établir, à son plus grand avantage ; donc Saint-Domingue n’est pas une colonie de la France. Mais si Saint-Domingue n’est pas une colonie française, elle est encore bien moins une province française. Une province française est une partie constituante et intégrante de la France, soumise à la même constitution ou susceptible de l’être sous tous les rapports. Or, Saint-Domingue par sa position ne peut (1) Le discours de M. de Cocherel n’a pas été inséré au Moniteur. être ni une partie constituante et intégrante de la France, ni être soumis à son entière constitution, ni même susceptible de l’être ; ses rapports sont presque tous différents. En effet, la France ne peut et ne doit être habitée que par un peuple libre ; son nom en porte l’expression et la nécessité ; son régime, ses mœurs, son climat, ses cultures, ses manufactures, sa constitution, en un mot, annoncent et demandent un peuple libre. Saint-Domingue, au contraire, est habité par des peuples de diverses couleurs et de différentes origines. Les uns, nés dans le sein de la liberté, Français, Espagnols, Anglais, Hollandais de naissance, habitent cette contrée éloignée ; les autres, arrachés du climat brûlant de l’Afrique par des négociants des ports de mer et souslraits par eux au plus dur des esclavages, qui fait la base et la constitution indestructible de ce peuple barbare, ont été transportés sur les rives fortunées de Saint-Domingue, habitées par une nation libre, hospitalière, qui s’empresse toujours d’obtenir à prix d’argent des négociants français la possession de leurs captifs détenus dans leurs navires. Ils perdent bientôt, en descendant de ces espèces d.e prisons, le souvenir de leurs malheurs ; et les chaînons les plus pesants de leurs fers se brisent en entrant sur les habitations de leurs nouveaux conquérants, qui mêlent sans cesse leurs sueurs avec les leurs, partagent leurs peines, leur prodiguent des soins dictés par l’humanité, l’intérêt et la loi. La sagesse de cette loi même a fixé les limites de leur servitude qui ne s’étend guère plus loin que celle de la discipline sévère observée dans les corps militaires. Le concours, le mélange de ces peuples divers qui habitent File de Saint-Domingue, Indifférence du climat de cette contrée, de ses cultures, de ses manufactures, des mœurs de ses habitants, l’opposition de leur état même exigent donc une constitution autre que celle de la France : Saint-Dnmingue ne peut donc pas être partie intégrante et con-tituante de la France, puisque son régime nécessité n’est susceptible que d’une partie de sa constitution: Saint-Domingue ne peut donc pas être regardé précisément comme une province française. Saint-Domingue ne peut conséquemment être considéré que comme une province mixte, et la seule dénomination qui lui convienne, est celle de province franco-ùmericaine . A ce titre, elle doit donc avoir une constitution mixte composée de la constitution de la France à qui elle appartient par droit de donation, et d’une constitution particulière et nécessaire à sa position, qui ne peut être réglée et déterminée que par les seuls habitants résidant à Saint-Domingue, qui offriront, à cet effet, par leurs députés à l’Assemblée nationale, le plan d’une nouvelle formation d’assemblée en Etats particuliers et provinciaux : d’où il résultera l’exercice du droit acquis à l’Assemblée nationale, d’examiner cette constitution mixte, mais nécessaire, d’en développer les rapports, d’en discuter les avantages ou les désavantages pour la France, de les peser en dernière analyse, de sanctionner enfin, de renoncer même à la donation de Saint-Domingue, si elle est onéreuse à la France, ou de la conserver, si elle est utileà ses intérêts, mais toujours aux conditions premières de la donation ; de façon que si, après le plus mûr examen, les charges pour la France sont plus fortes que les raisons d’utilité, l’Assemblée nationale pourra prononcer l’abandon de Saint-Domingue, sans pouvoir cependant ren-A [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre 1789.] verser la constitution propre et nécessaire à son existence, encore moins aliéner l’objet de la donation, parce que les habitants de Saint-Domingue, en se donnant à la France, n’ont pas pu, n’ont pas dû sacrifier leurs intérêts les plus chers au prix de la protection accordée; au contraire ils ont dû croire améliorer leur sort, et non le détériorer; c’est un principe du droit naturel adopté par l’Assemblée nationale et que réclameront auprès d’elle les députés de Saint-Domingue, au nom de leurs commettants dont l’amour pour la France, plutôt que leur intérêt, sera toujours le plus sûr garant de leur fidélité. Les députés de Saint-Domingue solliciteront de l’Assemblée nationale, la décision de la question des lois prohibitives, exercées par les négociants des ports de mer, toujours préjudiciables à leur subsistance, à l’amélioration du sort des noirs si justement désirée, au progrès de leurs cultures dont elles empoisonnent le germe. Ils demanderont au nom de leurs commettants la liberté de tous les nègres résidant en France, tant qu’ils y resteront. Ils consentiront encore à l’abolition delà traite des noirs, faite par les négociants français, si c’est le vœu de l’Assemblée nationale. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour 9 heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQUE D’AIX. Séance du vendredi 27 novembre 1789 (1). M. Dubois de Craneé, secrétaire, donne lecture du procès-verbal des deux séances de la veille, et des adresses suivantes : Adresse de félicitations, remerctments et adhésion de la ville du Mesle-sur-Sarthe en Normandie; elle demande à être autorisée à substituer un receveur à la place du collecteur d’usage, pour la recette des deniers royaux. Adresse du même genre du comité permanent de la ville de Luxeuil en Franche-Comté; il supplie l’Assemblée d’agréer l’élection qu’il a faite, avec la commune, de ses magistrats. Adresse du même genre de la ville d’Uzès en Languedoc; dans une délibération qui y est jointe, le comité permanent s’élève avec force contre l’imprimé ayant pour titre, « Déclaration de l’ordre de la noblesse de la sénéchaussée de Toulouse, » et enjoint aux officiers de la garde nationalede veiller : 1° à ce qu’il ne se forme aucune assemblée de prétendus ordres, corps ou corporations, sous prétexte d’y délibérer séparément et par ordre sur les affaires de l’Etat en général, et de la province en particulier, et 2° de les disperser en se conformant aux dispositions de la loi martiale. Adresse du même genre des communes de The-non en Périgord; elles demandent l’établissement d’une municipalité, et d’une justice royale: Délibération du comité permanent "de la ville de Guerlesquin en Bretagne, dans laquelle il ex-267 prime le profond respect et la soumission parfaite de tous les citoyens pour les décrets de l’Assemblée nationale. Il la supplie instamment de lui envoyer directement tous ceux qui ont été sanctionnés ou acceptés par le Roi, attendu qu’il n’en a reçu aucun, de même que les juges des lieux . Adresse de félicitations, remercîments et adhésion des officiers municipaux et représentants de la commune de Poligny en Franche-Comté. Adresse du même genre des officiers municipaux et représentants de la commune de Beau-jeu ; ils demandent que le Beaujolais soit séparé de la province du Lyonnais, et applaudissent au plan de division du royaume en départements, proposé parle comité de constitution. Adresse du même genre de la ville de Manosque en Provence; elle demande à êlre le chef-lieu d’un département, et le siège d’un tribunal supérieur; Adresse du même genre de la ville d’Apt en Provence ; elle demande que l’avantage d’être chef-lieu du district lui soit conservé; Adresse du même genre du conseil municipal et comité permanent de la ville d’Anduze en Languedoc; il exprime son indignation contre la déclaration séditieuse et perfide de la noblesse de la sénéchaussée de Toulouse ; il attend comme le plus grand bienfait une nouvelle organisation des municipalités et des assemblées administratives, ainsi que l’établissement de nouveaux tribunaux. Adresse du même genre de la ville d’Amboise ; elle demande une justice royale. Adresse des habitants de Lille, en Flandre, par laquelle ils offrent à l’Assemblée nationale l’hommage de leur respect et de leur reconnaissance pour les bienfaits que la nation recevra des nobles travaux de cette auguste Assemblée. M. Bertliereau, membre de la députation de Paris, a observé que les officiers d u Châtelet avaient été instruits qu’on leur reprochait une négligence marquée dans l’instruction des affaires relatives aux personnes prévenues et accusées du crime de lèse-nation. 11 a ajouté que, pour prouver l’injustice du reproche, le procureur du Roi lui avait remis un état exact de ces mêmes affaires. L’Assemblée a entendu avec satisfaction la lecture de cet état; elle a ordonné qu’il serait inséré dans le procès-verbal de la séance, ainsi qu’il suit : Etat des différentes affaires qui s'instruisent au Châtelet contre les personnes prévenues et accusées du crime de lèse-nation. Le 30 octobre, le procureur-syndic de la commune a dénoncé M. le prince Lambesc. Le 3 novembre, lendemain des fêtes, le procureur du Roi a rendu plainte et demandé qu’il fût informé. L’information a été commencée ce soir même, et décrétée le 10; depuis on a fait une addition d’information de 35 témoins ; et le 24, ce décret qui avait été décerné contre un quidam, a été nominativement appliqué à M. le prince Lambesc (1). Une seconde dénonciation a été faite par le procureur-syndic de la commune, le même jour 30 octobre, contre le sieur Augeard ; la plainte du (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (1) Voy. aux annexes de la séance, le procès du prince de Lambesc.