[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790.] obtenir une pension; mais vous avez ajouté : « sauf les exceptions qui pourraient avoir lieu pour les différents services, d’après les rapports qui vous seront faits. » Je vous prie de prendre en sérieuse considération la différence qu’il y a entre le service de terre et celui de mer : ce dernier service offre à l’homme qui s’y livre tous les dangers à la fois : le moindre de tous est souvent celui des combats. J’appelle en témoignage de cette vérité ceux qui ont eu le feu à bord, ceux qui ont échoué et ont été au moment de périr. Je ne parle pas de ces malheureuses victimes de leur état dontlenombreestsi considérable, deceux qui périssent journellement, tandis que sur terre on n'éprouve aucun de ces désastres. Je mets à part l’ennui d’une vie entière, semée sans cesse de toutes les privations possibles, et vos comités ont si bien senti qu’il devait exister une différence entre les retraites du service de mer, comparé avec celui de terre, qu’ils ont décidé que le marin serait susceptible d’une pension à 25 années de service, tandis que l’officier de terre doit avoir 30 ans de service effectif-, cependant, par une contrariété évidente à ce principe reconnu, il résulte que, ne faisant pas mention de l’exception à faire pour les 30 années d’âge, le marin se trouvera traité comme l’oflicier de terre, puisqu’ils ne pourront se retirer qu’au même terme de la vie ; et vous avez tous senti que ce service vieillissait bieu plus qu’un autre. Je demande donc qu’en considération de la différence du service de mer, comparé avec celui de terre, et confçrmément aux principes que vous avez déjà manifestés, il soit décrété que les marins pourront obtenir une pension à l’âge de45 ans, et ce, sous les clauses et conditions portées dans les décrets rendus et à rendre. M. Camus. Je demande s’il serait prudent d’ac-" corder une retraite à un homme de 45 ans ? M. Fréteau. L’un des articles précédemment décrété sur les pensions écarte tout à fait la réclamation deM. de Montcalm, parce qu’il accorde des pensions à ceux que des blessures reçues ou des maladies contractées dans le service ont mis hors d’état de le continuer. M. l’abbé Gouttes. Je demande une exception en faveur des officiers dits de fortune à qui on fait des passe-droits. On doit compter avec eux du moment où ils devraient être capitaines. M. Camus. Cette justice apparente constituerait une injustice réelle. Il faudrait examiner à quel moment ils auraient dû être capitaines et s’il n’y a pas eu de raisons pour les priver de ce grade. 11 faudrait, en un mot, faire un procès. M. le Président met aux voix l’article 4 qui est adopté sans changement. Art. 5. « Le taux de la pension qu’on obtiendra après avoir servi l’Etat dans les emplois civils pendant trente années effectives, sera réglé sur le traitement qu’on avait dans le dernier emploi, pourvu qu’on l’ait occupé pendant trois années entières. « Les années de service, qu’on aurait remplies dans des emplois civils hors de l’Europe, seront comptées pour deux années, lorsque les trente années de service effectif seront d’ailleurs complètes. » ( Adopté ). M. Camus, rapporteur , donne lecture de l’article 6. 443 M. Fréteau. M. de Montcalm a laissé quatre enfants vivants, à chacun desquels l’Etat a donné 1,000 livres de pension, pour témoigner sa reconnaissance à celui qui a soutenu l’honneur des armes françaises à Québec, et dont le tombeau eût été couvert des lauriers de la victoire, si ce grand hommes eût vécu deux heures de plus. Madame de Damas, sa fille, a reçu, au lieu de 1,000 livres, 4,000 livres. Je viens, de sa part, remettre mille écus à la nation. ( Des applaudissements interrompent l'orateur.) On propose que l’on conserve un capital de 4,000 livres pour la famille de M. de Montcalm, en énonçant, dans le nouveau brevet, que c’est par égard pour les services de leur père. Madame de Damas attend de cette énonciation un plus grand motif d’encouragement pour ses enfants. M. Camus. Les enfants de M. de Montcalm ont été plus maltraités que leur sœur; en reconnaissant la générosité de l’action qu’elle fait aujourd’hui, je crois qu’on doit aussi laisser à la nation la faculté do reconnaître les services de leur père. Je demande donc que la proposition de M. Fréteau soit renvoyée au comité des pensions. M. de Montcalm. Je remercie l’Assemblée, au nom de mes cousins, de la bienveillance dont on veut bien les honorer; ma famille ne sert point pour l’argent, l’honneur est la seule récompense qu’elle ambitionne. (M. de Montcalm reçoit des applaudissements de l’Assemblée.) M. de Noailles. La proposition de M. Fréteau doit être prise en considération. Les services de M. de Montcalm ont fait connaître son nom dans les deux mondes, sa valeur et ses talents militaires ont honoré les armes françaises. Je ne retracerai point les actions de guerre qui ont distingué ce brave général; mais je citerai un fait particulier qui touchera l’Assemblée, et qui lui montrera que les vertus civiques et guerrières ont des droits sur tous les peuples. Lorsque les troupes françaises se sont présentées dans le nouveau monde, elles ont reçu des témoignages d’attachement de plusieurs hordes de sauvages; il n’en est aucun qui n’ait donné des marques de respect pour la conduite de M. de Montcalm à la tête de nos troupes dans la guerre du Canada, et des témoignages d’admiration pour sa mémoire. 11 n’en est point qui n’ait demandé des nouvelles de son nom, de sa famille, et qui n’en ait conservé un souvenir juste et touchant. S’il n’a point de service, disait-on, nous le mettrons à notre tête. Je vous demande si de pareilles preuves d’un mérite éclatant peuvent être douteuses, et si à l’instant où les sauvages montrent de la reconnaissance pour des actions glorieuses dont vous avez joui, je demande si vous serez au-dessous de ces peuples non policés, pour les sentiments de générosité et de reconnaissance. J’insiste sur la motiou de M. Fréteau. L’article est décrété en ces termes : Art. 6. « Nonobstant l’article 5 du décret du 26 juillet, relatif aux enfants des officiers tués à la guerre, les enfants du général Montcalm, tué à la bataille de Québec, au lieu de la somme de 3,000 livres qu’ils devraient se partager entre eux, aux termes dudit article, toucheront 1,000 livres chacun. L’Assemblée nationale autorise les commissaires, par elle nommés pour la distribution des nouvelles pensions, à exprimer dans le bre- 444 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 juillet 1790.] vet de 1,000 livres qui sera délivré à chacun desdits enfants, que cette exception a été décrétée par elle comme un témoignagne de son estime particulière pour la mémoire d’un officier aussi distingué par ses talents et son humanité, que par sa bravoure et ses services éclatants. M. Camus, rapporteur, lit l’article 7 ainsi conçu : Art. 7. « Les pensions accordées aux familles d’Assas, de Chambord, de Monlcalm, et au général Luckner, seront conservées en leur entier, nonobstant les dispositions des articles précédents qui pourraient y être contraires. A regard des autres exceptions qui ont été ou seraient proposées, elles seront renvoyées au comité des pensions, qui en fera le rapport à l’Assemblée. » (Cet article est adopté.) M. «le Wimpffen. Je demande qu’il soit ajouté à l’exception décrétée en faveur du général Luckner, ces mots: conformément aux conditions sous lesquelles il est entré à notre service , afin d’éviter la multitude de réclamations qui me parviennent de toute part, fondéessurl’exemple de ce général Luckner, dont les titres sont d’uDe nature toute différente de celle des réclamants. M. Delley-d’Agier. Je réclame aussi une exception en faveur des pensionnaires du roi de Pologne qui se trouvent à la charge de l’Etat. M. Camus. Les legs doivent se prendre sur la succession du testateur; ainsi il faut, avant de statuer sur le payement, savoir qui devra le faire. M. Dupont (de Nemours). M. Lagrange, géomètre, qui n’a point de pareil en Europe, a été appelé du service de Prusse par le gouvernement français : je demande une exception en sa faveur, ainsi que pour la famille de M. Poivre, qui, après 30 années de service, a obtenu une pension de 3,000 livres pour sa femme, et une de 1,000 livres pour chacune de ses filles. M. Gaultier de Riauzat observe qu’il y a au moins deux mille réclamations de cette nature. (Ces réclamations, notamment celles qui concernent M. Lagrange et la famile de M. Poivre, sont renvoyées au comité.) M. Camus, rapporteur , présente un article particulier concernant les pensions établies sur la caisse de l’ancienne administration du clergé. Après une courte discussion, ce* article est décrété ainsi qu’il suit: « Les pensions qui étaient établies sur la caisse de l’ancienne administration du clergé seront payées sur cette même caisse, pour les six premiers mois de la présente aunée, sur le pied néanmoins de 600 livres au plus pour l’année entière, conformément au décret du 16 de ce mois ; et il en sera de même des pensions qui pourraient exister encore sur d’autres caisses que le Trésor public. » M. de Toulouse-Lautrec. On ne reçoit pas de nouvelles de la municipalité de Toulouse qui, par un décret de l’Assemblée du 27 juin, est autorisée à poursuivre la procédure commencée contre moi. Je demande que M. le président soit chargé de demander à cette municipalité d’accélérer l’envoi des charges qu’on peut avoir faites contre moi, désirant convaincre l’Assemblée et le monde entier de mon innocence. J’ai grand besoin des eaux, je souffre de douleurs abominables. Je ne veux point aller à Barèges, parce que c’est trop loin, d’ailleurs cela coûte cher; mais j’irai aux eaux de Bourbonne, qui ne sont pas loin d’ici. Cependant je ne vous ferai cette proposition que lorsque mon affaire aura été jugée. M. Fréteau. Un membre qui s’engage à revenir auprès de l’Assemblée dès qu’il en sera requis ne peut être retenu près d’elle lorsqu’il a des motifs d’absence aussi légitimes. Je propose d’accorder à M. de Lautrec l’autorisation de partir quand il voudra. (Cette autorisation est accordée.) M. Gossin, rapporteur du comité de Constitution, propose un projet de décret, pour annexer le faubourg de Gloire à la municipalité de La Chapelle. Ce décret est adopté, sans discussion, ainsi qu’il suit: « L’Assemblée nationale décrète: 1° que la partie du faubourg Saint-Denis, connue sous le nom de faubourg de Gloire, avec ses dépendances, et qui se trouve hors des murs de Paris, est réunie à la municipalité de la Chapelle : 2° que les habitants de cette partie de faubourg et dépendances, réunissant les qualités prescrites par la loi, seront éligibles aux fonctions municipales et militaires de cette paroisse. » M. La Révelllère de Lépeaux fait un rapport sur les règles particulières h observer pour la distribution des pensions et gratifications aux gens de lettres, savants et artistes. Avant de vous présenter les règles qui, réunies aux principes généraux que vous avez déjà décrétés, doivent établir, autant qu’il est possible, une juste répartition des grâces envers ceux qui se rendent recommandables dans les sciences et les arts, votre comité aura l’honneur de vous soumettre un court exposé des motifs qui l’ont guidé dans ce travail. Il ne s’attachera pas à prouver que chez un peuple nombreux et civilisé depuis longtemps, on doit regarder comme bienfaiteurs du genre humain ceux qui, par leurs veilles et les fruits de leur génie, augmentent la somme de ses lumières. Celte vérité, sans doute, serait susceptible de longs développements; mais le temps nous presse, et ce n’est pas avec vous qu’il est nécessaire de descendre dans les détails pour faire sentir toute l’étendue d’un objet. Déjà vous êtes, ainsi que nous, convaincus que, dans Tordre actuel des choses, il est du devoir étroit des représentants du peuple français de protéger, de toutes les manières, les savants, les artistes, les gens de lettres et les établissements qui servent essentiellement aux progrès des sciences et des arts. Vous ne trouverez pas, dans cette partie du travail de votre comité, la précision qu’il s’est efforcé de mettre dans les autres. 11 avait pour cela deux bases faciles à saisir : la durée des services et le traitement qui y est attaché; mais ici elles lui manquent. Cependant vous jugerez, ainsi que lui, qu’il n’est pas moius nécessaire de fixer des bornes à l’espèce de latitude exigée impérieusement par la nature du sujet. Le premier objet qui s’est préseuté à votre comité, c’est la reconnaissance que méritent ceux qui, abandonnant leur patrie et leurs plus douces