(Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |6 octobre 1790.] 489 « Les autres régisseurs, séquestres ou administrateurs dont la gestion s’étendait sur des établissements situés dans l’arrondissement des différents départements, également au Corps législatif; « Et ceux de ces derniers dont la gestion ne s’étendait que sur des établissements situés dans un seul et même département, au directoire de ce département, qui les arrêtera sur l’avis de ceux des districts. « Tous seront tenus, dans la huitaine après l’arrêté do leurs comptes, d’en payer le reliquat, si aucuns il y a, au receveur de la caisse de l’extraordinaire, à peine d’y être contraints, même par corps, à la requête de ce dernier, sauf à leur être fait raison de ce dont ils se trouveront en avance. » Art. 28. « Les assemblées administratives et leurs directoires exerceront leur administration sur tous les biens nationaux non exceptés par les articles précédents, suivant les règles particulières ci-après. » M. Chasset, rapporteur. Nous avons épuisé le titre Ier. Je vais donner lecture des articles du titre qui suit : TITRE DEUXIÈME. De l'administration des biens nationaux. Article premier. « Les assemblées administratives et leurs directoires ne pourront régir par eux-mêmes, ou par des préposés quelconques, aucun des biens nationaux; ils seront tenus de les affermer tous, même les droits incorporels, excepté les rentes constituées, et celles foncières créées en argent, de 20 livres et au-dessus, lesquelles seront perçues par les receveurs des districts, chacun dans leur arrondissement, ainsi qu’il est prescrit par le décret des 6 et 11 août dernier. » M. le Président. Le comité des domaines demande à faire connaître son opinion sur cet article. Je donne la parole à un de ses membres. M. de Vismes présente ainsi qu’il suit l’opinion du comité des domaines sur la régie des droits seigneuriaux (1). Messieurs, le parti que l’on vous propose, d’affermer les droits incorporels dépendants des domaines nationaux ne doit-il pas occasionner l’anéantissement d'une partie de ces droits et l’extrême dégradation de leur produit ? N’est-il pas un moyen plus simple et plus avantageux de les faire régir, en attendant leur rachat, pour le compte de la nation? Telle est l’importante question que vous avez à décider; et je dois vous faire observer que le projet du comité central n’a pas, à beaucoup près, réuni les suffrages de tous les commissaires par qui il a été discuté. Quatre seulement sur sept, lui ont donné leur assentiment, tandis que l’opinion que je vais exprimer est le vœu unanime d’un comité nombreux, celui des domaines. On ne peut se dissimuler, Messieurs, une première vérité, c’est que les droits incorporels, et surtout les droits féodaux -dont je m’occupe plus particulièrement, se vendront plus difficilement. Dans l’état actuel des choses, cette propriété a peu d’attraits, puisqu’elle se trouve dépouillée des prérogatives qui, à bien des yeux, en faisaient tout le prix. On n’en verra plus que les désavantages, c’est-à-dire l’extrême division des droits féodaux, la dispersion des héritages qui y sont assujettis, la difficulté de leur perception, la facilité de la prescrire, et la nécessité d’en recevoir le rachat par petites sommes et par parties détachées. Il faut donc peu compter sur leur vente, mais seulement sur leur rachat, que les assignats hâteront sans doute, mais qui néanmoins s’achèvera lentement. D’où il suit que le mode de régie, qui sera adopté, à leur égard ne peut être combiné avec trop de sagesse, puisque les inconvénients en seraient d’autant plus graves, quïls ne seraient pas momentanés. Il est reconnu qu’il est impossible que les districts et leurs receveurs soient chargés de régir immédiatement les droits féodaux. L’expédient de les affermer est-il plus heureux ? Je ne puis croire que vous soyez de cet avis. Et d’abord, Messieurs, pensez-vous que, lors de l’adjudication des baux, il s’établira une concurrence capablede procurer des fermages suffisants? Deux classes d’hommes seulement peuvent se présenter; d’anciens percepteurs instruits delà valeur de la chose, et des spéculateurs hardis qui ne la connaissent pas. Les premiers sont peu nombreux. Souvent il n’existe, pour les droits d’une seigneurie, qu’un seul homme qui en ait la clef. Souvent cet homme sera un ancien procureur de maison religieuse, un ancien receveur de chapitre qui ne se souciera pas de devenir un fermier . Ainsi point, ou du moins très peu de concurrence vraisemblable dans la classe de ceux qui, connaissant la vraie valeur des choses, seraient plus en état de s’en rapprocher par leurs enchères ; et le très petit nombre de ceux qui se présenteront pour enchérir, regardera le plus souvent son expérience comme un moyen sûr de faire un gain énorme. Quant aux spéculateurs qui n’ont point de connaissances personnelles, il est bien évident que vous ne devez fonder sur eux aucunes espérances. On ne fait jamais que de mauvais marchés avec des gens qui ne vivent que de hasards. Je dis plus, Messieurs, a’eussiez-vous que des enchérisseurs honnêtes et instruits, vous ne serez encore que des adjudicataires à vil prix. Car telle est la nature des droits féodaux, tel le est l’extrême attention, telles sont les peines multipliées que leur perception exigera de l’adjudicataire, qu’il doit nécessairement spéculer sur un bénéfice très considérable. Mais la vilité du prix des baux n’est pas le seul inconvénient attaché à ce mode de régie ; il en est d’au très non moins graves, dont quelques-uns frappent sur le capital même des droits. La nouvelle division du royaume n’a nulle analogie avec l’ancien régime féodal. Une mouvance ou une directe importante a d’ordinaire des extensions très éloignées ; et il arrivera souvent, quand surtout elle sera placée à l’angle de quelque district ou département, qu’elle s’étendra à la fois dans plusieurs ressorts administratifs. Je demande quel embarras il ne résultera pas de cette circonstance ; comment surtout on (1) Cette opinion n’a pas été insérée au Moniteur. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {6 octobre 1790.) 490 transportera sans cesse d’un département dans un autre, les titres uniques d’une grande mouvance éparse sur divers territoires? Je demande si la perception ne souffrira pas beaucoup de la grande difficulté qu’il vaura d’éclairer les fermiers sur l’étendue des droits qui leur sont confiés? Je demande si cette difficulté ne donnera pas lieu à de nombreux recours de garantie, à des demandes de non-jouissances, à une multitude de prétentions qui consumeront les moments précieux des administrateurs? La matière féodale, vous le savez, Messieurs, est extrêmement difficile et abstraite; il faut des connaissances pour diriger, pour soutenir, pour conserver la perception des droits féodaux. Ce ne sont pas vos fermiers qui auront ces connaissances ; il faudra qu’ils aillent sans cesse les puiser au district. Je ne crains pas de le dire, Messieurs, souvent, ils ne les y trouveront pas, ou, en tout cas, ce ne sera jamais qu’au prix de distractions préjudiciables à des travaux plus importants. Je vais plus loin, Messieurs, vos fermiers ne seront pas toujours des gens honnêtes. Je vous laisse à juger combien de fraudes peut occasionner leur collusion avec les redevables. C’est ici peut-être un des plus graves inconvénients des baux. La multiplicité, la variété, lacasualité des droits féodaux ouvrent, de toutes parts, une source féconde d’abus, que toute la vigilance des administrations ne pourra éclairer , soit parce que les administrateurs, trop attachés aux grandes opérations, n’auront pas de temps à donner à des détails infinis et minutieux, soit même parce que leur existence mobile les rendra plus faciles à tromper. Il me semble voir déjà les fermiers faisant partout des combinaisons clandestines avec les débiteurs, et des manœuvres frauduleuses faire disparaître une multitude de droits. S’il y a tant d’inconvénients à affermer les droits féodaux ; si, d’un autre côté, il est impossible, de l’aveu de tout le monde, de les faire régir immédiatement par les districts et leurs receveurs, quel parti faut-il donc prendre ? Rien de plus simple. Messieurs, il faut confier cette régie à ceux qui sont déjà chargés de celle d’une partie des domaines nationaux, c’est-à-dire à l’administration des domaines. D’abord, cette disposition ne peut éprouver aucun obstacle résultant, soit de vos précédents décrets, soit delà nature même des choses. Si, par votre décret des 14 et 20 avril, vous avez dit, Messieurs, que l’administration des biens déclarés être à la disposition de la nation serait, dès la présente année, confiée aux administrations de département et de district, vous avez ajouté que ce serait sous les règles, les exceptions et les modifications qui seraient expliquées. Au moyen de ce correctif, les choses sont absolument entières, relativement aux droits féodaux, et rien ne vous empêche de faire à leur égard une exception dont vous vous êtes expressément réservé le pouvoir. Je prévois, cependant, une objection. L’administration des domaines (dirà-t-on , Messieurs), n’a plus qu’une existence précaire et momentanée : comment lui confier une régie qui peut durer longtemps? L’administration des domaines , je l’avoue , Messieurs, doit subir de prochains changements. Mais, remarquez, je vous prie, qu’il n’est point dans votre intention de supprimer, mais seulement de modifier les impositions indirectes, de la perception desquelles elle est chargée, et que vous avez reconnu vous-mêmes qu’il faudrait dis compagnies de finance quelconques pour faire le recouvrement des impositions indirectes; cette reconnaissance est consignée dans votre décret du 3 de ce mois, par lequel vous chargez trois de vos comités, de vous proposer un plan de ces compagnies. Ainsi quelque parti que vous preniez sur ce point, il est vrai de dire qu’il existera toujours des hommes qui, chargés spécialement de la perception des droits connus aujourd’hui sous la qualification de domaniaux, pourront être préposés en même temps à la régie des droits féodaux. J’ai entendu objecter encore qu’il fallait une administration unique confiée à des hommes élus par le peuple. Je pourrais répondre d’abord que je ne vois pas de principe constitutionnel qui l’exige ainsi; que le plus grand avantage de la nation est la seule règle à suivre en cette matière foute de finance ; que l’article 5 du titre premier, déjà décrété, consacre provisoirement une régie séparée de biens nationaux dans la main de l’administration des domaines ; et que ce n’est aussi qu’une mesure provisoire que je propose en ce moment. Mais il est, Messieurs, une autre réponse plus directe. Lorsque je vous invite à confier la régie d’une portion des revenus nationaux, aux administrateurs des domaines, je n’entends point que les corps administratifs soient étrangers à cette branche de la régie nationale. Je demande, au contraire, formellement que l’administration des domaines et ceux qui lui succéderont n’agissent que sous la surveillance et l’autorité des corps administratifs; elle sera leur agent, comme le ferait le receveur de district en cette partie. 11 me reste maintenant à faire voir quels avantages résulteraient du système que je propose. 1° Je l’ai déjà dit, Messieurs, la difficulté est de trouver des bommes instruits dans la matière féodale. Celte difficulté n’existe plus si vous adoptez l’administration des domaines et ses employés ; ils ont, et l'habitude de cette perception si détaillée, si minutieuse, et l’expérience nécessaire pour lever les doutes qu’elle présente à chaque pas. 2° Ils ont, et ils ont seuls, un autre genre de connaissances, infiniment précieuses pour la conservation des droits féodaux, et pour le maintien de leur produit; les registres de contrôle leur fournissent tous les renseignements nécessaires, surtout pour connaître, et les mutations et les individus devenus débiteurs, par l’effet de ces mêmes mutations; cette seule considération devrait suffire pour faire préférer l’expédient que je propose, à celui des baux à ferme qui doit dégrader inévitablement les droits féodaux. 3° Il y a une analogie parfaite entre la régie actuelle et celle que je revendique en sa faveur. Bien plus, Messieurs, les deux régies ont déjà nombre d’objets communs et indivis. Et en effet, dans l’ancien régime, il existait beaucoup de fiefs, tenus en partage par le roi et les corps ecclésiastiques. Or, ne serait-il pas ridicule aujourd’hui, Messieurs, que ces. ci-devant fiefs se trouvent réunis dans la main de la nation d’en diviser l’administration et de souffrir qu’une partie fût affermée, tandis que l’autre resterait soumise à l’ancienne perception ? 4° Vous trouvez, dans le parti que je vous propose, un autre avantage toujours cher aux habiles administrateurs; c’est la simplicité de l’administration, et l’uniformité des principes. Soumis à un même régime, tous les droits féodaux seront 491 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 octobre 1790.1 mieux administrés et mieux conservés. A chaque instant le Corps législatif et l’administrateur suprême pourront connaître l’ensemble et les résultats des opérations; la régularité des versements se trouve suflisamment assurée ; ënfin il est impossible de se dissimuler la préférence due à l’ordre, à la méthode et à l’exactitude d’une régie toute montée et dont les rapports établis d’un bout du royaume à l’autre partent d’un même point, pour y revenir sans cesse. 5° Le rachat des droits féodaux présentera souvent des difficultés, et ces difficultés seront quelquefois de nature à embarrasser les districts. Vous venez à leur secours par l’arrangement que je propose. Les régisseurs et employés des domaines se trouvent dans l’obligation de les aider, de préparer même leur travail ; et la liquidation se fera avec plus de célérité et plus de justesse. 6° Enfin, l’économie est évidente, et elle est même considérable; il ne s’agira que d’accorder des attributions médiocres à des préposés qui ont déjà un traitement, tandis que j’ai démontré que les fermiers feront inévitablement des pro*- duits énormes. Telles sont, Messieurs, les principales raisons pour lesquelles votre comité des domaines rejette l’expédient des baux à ferme et préfère la régie éclairée et économique de l’administration des domaines, ou des agents quelconques qui seront chargés de la perception des droits domaniaux. Ges raisons ont déjà été tentées par des administrations de districts; et j’en connais quelques-unes qui, ne pouvant imaginer qu’on affermera, et craignant d’être chargées de la régie des droits féodaux, se disposent à la faire faire par les contrôleurs des actes. Les raisons que je viens d’exposer me paraissent s’appliquer, *pour la plupart, à tous les droits incorporels en général ; et je crois que si vous voulez les conserver dans leur intégrité, si vous ne voulez pas laisser affaiblir cette partie du gage de la dette publique, il faut tout réunir sous la même régie. Je vais plus loin, Messieurs, l’intérêt de l’Etat semble même exiger une autre mesure; ce serait de surseoir, quant à présent, à la vente des droits incorporels. De puissantes considérations semblent vous y engager. D’abord, les mêmes causes qui empêcheront d’affermer avantageusement, empêcheront aussi de vendre avantageusement. Vous n’aurez pas plus de concurrents dans l’un que dans l’autre cas, et ce seront les mêmes hommes qui se présenteront. Osez, d’après cela, calculer l’énorme perte dont vous êtes menacés, en faisant attention que les droits féodaux qui dépendent du domaine proprement dit, forment un revenu annuel de 4,500,000 livres, et que ceux dépendant des biens ci-devant ecclésiastiques sont le triple ou le quadruple de ceux du domaine. Vous ne retirerez peut-être pas 150 millions de ce qui vaut au moins 400 millions. 2° En vendant, vos intentions bienfaisantes ne seront pas remplies. Vous avez voulu, Messieurs, que les redevables eussent le temps de se racheter, et qu’en attendant ils ne pussent être soumis à des poursuites rigoureuses. Or, la vente va subroger à la nation des spéculateurs avides qui, uniquement occupés du désir de gagner, se feront un jeu d’opprimer les redevables. 3° Enfin, les assignats vont, dans les commencements, hâter les rachats; il vous est utile surtout de profiter du premier effet qu’ils vont produire, et votre comité des domaiueâ est persuadé qu’en ne vendant pas, vous retirerez plus en deux ans du rachat de partie des droits féodaux, que ne vous produirait la vente de la totalité. C’est à vous de juger, d’après cela, Messieurs, s’il est prudent de vendre dès à présent, et si, au contraire, il ne vaut pas mieux, comme vous le propose votre comité des domaines, surseoir, quant à présenta la vente, et confier provisoirement la régie des droits incorporels et notamment des droits féodaux à l'administration des domaines. Vous avez, Messieurs, à décider si une propriété dont la valeur est au moins de 400 millions, ne mérite pas une surveillance particulière, et si vous devez adopter légèrement les mesures qu’on vous propose, et dont l’effet inévitable sera d’en diminuer les produits et d’en dégrader la valeur d’une manière effrayaute. Votre comité des domaines aurait cru manquer à la confiance dont vous l’avez honoré s’il eût dissimulé les observations qu’il m’a chargé de soumettre à votre sagesse. Plusieurs membres sont ensuite entendus soit pour, soit contre l’avis du comité des domaines. L’Assemblée ferme la discussion. L’amendement du comité des domaines est rejeté. L’article 1er est ensuite mis aux voix et adopté. sans changement. M. Chasset, rapportent , lit les articles 2 et 3. Après quelques débats et quelques modifications de rédaction, ces articles sont adoptés en ces termes ; Art. 2. « Les baux à ferme ou à loyer passés publiquement et à l’enchère avant le 10 de ce mois, par les corps administratifs ou par les municipalités; seront exécutés suivant leur forme et teneur. » Art. 3. « Ceux qui auront été faits par les précédents détenteurs pour des biens ecclésiastiques suivant les règles établies par l’article 9 du titre l®*1 du décret du 14 mai dernier, concernant l’aliénation des biens nationaux, ou pour des biens d’apanage, suivant les règles établies par l’article 7 du décret du 13 août suivant, concernant les apanages, seront pareillement exécutés. L’Assemblée s’en remet au surplus à la prudence des directoires de département et de district, pour le maintien des baux à loyer des maisons d’habitations, faits sans fraude sous-seing privé dans les lieux où l’on était en usage de les passer ainsi. » (La séance est levée à 10 heures du soir.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. EMMERY. Séance du jeudi 7 octobre 1790, au matin. La séance est ouverte à 9 heures 1/2 du matin. M. Wielllard (de Saint-Lô), secrétaire, donüe lecture du procès-verbal de la veille au matin.