SÉANCE DU 2 VENDÉMIAIRE AN III (MARDI 23 SEPTEMBRE 1794) - Nos 44-45 385 titre de secours et indemnité, et pour l’aider à retourner dans son domicile. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (79). 44 Un secrétaire donne lecture d’une lettre du représentant du peuple Chauvin-Hersant, délégué dans le département de la Vienne, [Haute-Vienne et Creuse,] relative à la situation de ce département. On demande le renvoi de la lettre aux comités de Sûreté générale et de Salut public, et l’insertion au bulletin. Cette proposition est décrétée (80). On lit une lettre du représentant du peuple Chauvin-Hersant, qui invite la Convention à ne pas ajouter foi au bruit qu’on se plaît à répandre que la contre-révolution s’opère dans le département de la Haute-Vienne, et que les patriotes y sont opprimés et incarcérés. Ces prétendus patriotes, dit la lettre, ne sont que des intrigants et des coupables. INGRAND : Si j’ai dit que la contre-révolution allait s’opérer dans le département de la Haute-Vienne, c’est que j’avais la preuve que des fédéralistes, destitués par mes collègues Richard et Choudieu, et par moi, ont été remis en place. Je le prouverai aux comités, auxquels je demande le renvoi de cette lettre. THIBAUDEAU : J’appuie le renvoi. Si je n’ai point pris la parole, lorsqu’Ingrand a annoncé que la contre-révolution était prête à s’opérer dans le département de la Haute-Vienne, c’est que je n’ai point voulu allumer les passions. Il s’agit de savoir si cinq ou six hommes [dix ou douze individus] (81), si la coalition de quelques prêtres [deux] (82) doit vexer, piller les patriotes de 1789. [On applaudit ] (83) L’un de ces hommes fut le complice de Dumouriez ; ce fait est prouvé. Un autre est un prêtre qui sortit de France il y a 20 ans, après avoir enlevé une fille qu’il mena en Angleterre [ L’assemblée témoigne son indignation ] (84) ; il est rentré en 1792, et il voudrait passer pour le meilleur patriote de la République. Au reste, le département est tranquille ; il ne s’agit que de juger les opérations du représentant du peuple ; il a envoyé les pièces, les comités les jugeront. La Convention décrète le renvoi aux comités de Salut public et de Sûreté générale (85). (79) P.-V., XLVT, 40-41. C 320, pl. 1327, p. 18. Décret non numéroté, minute de la main de Roger Ducos, rapporteur. Bull., 2 vend, (suppl.). (80) P.-V., XLVI, 41. (81) Débats, n° 732, 17. Gazette Fr., n° 996. (82) Débats, n° 732, 17. (83) Débats, n° 732, 17. (84) Débats, n° 732, 18. (85) Moniteur, XXII, 56-57. Débats, n° 732, 17-18 ; J. Fr., n° 728 ; Rép., n° 3 ; Gazette Fr., n° 996 ; J. Perlet, n° 730. 45 Un membre de la députation des Bouches-du-Rhône [Moïse Bayle] donne lecture d’une lettre des représentons du peuple Serres et Auguis, envoyés dans le département des Bouches-du-Rhône, relative à la situation de ce département. Un autre membre [Thuriot] demande qu’on donne lecture des lettres adressées au comité de Salut public par Jeanbon Saint-André, représentant du peuple. Un membre du comité [Treilhard] donne lecture de ces lettres, et la Convention en décrète l’insertion au bulletin Deux membres de la députation des Bouches-du-Rhône [dont Durand-Maillane] prétendent n’avoir pas eu connoissance des lettres écrites à la députation. La Convention passe à l’ordre du jour (86). Moïse BAYLE (87) : La députation des Bouches-du-Rhône a reçu des représentants du peuple à Marseille une lettre qui rassurera la Convention sur l’état de cette commune. Je vais en donner lecture. A Marseille, le 2e jour des sans-culottides. Citoyens collègues, nous profitons d’un courrier du commerce, pour vous envoyer un exemplaire de notre discours à la société populaire. Nous espérons que nos opérations répondront à la confiance de la Convention et à votre attente. Nous sommes convaincus que la grande masse des citoyens de Marseille est excellente (Bentabole : Toute la Convention en est convaincue) ; mais elle est comprimée par la terreur où la tiennent des scélérats couverts du masque du patriotisme. Nous espérons que ces scélérats ne seront bientôt plus entourés que de leurs dilapidations. On a proposé hier dans la société populaire, de déclarer traîtres à la patrie ceux qui voudraient trouver dans le sein de cette société des fripons et des di-lapidateurs de la fortune publique. ( Mouvement d’indignation.) Signé Serres et Auguis. DURAND-MAILLANE : Je demande la parole... Moïse BAYLE : Robespierre accusait aux Jacobins Fouché d’être un conspirateur : Fré-ron dans son numéro d’hier (88), a dénoncé Granet et moi comme des conspirateurs... THURIOT : Je demande la parole pour un fait. QUELQUES VOIX : Elle est à Moïse Bayle. THURIOT : Que la Convention la lui accorde après, je ne m’y oppose pas, mais je demande à donner des explications sur la lettre qu’il a lue. Je dis que cette lettre, au lieu de (86) P.-V., XLVI, 41. (87) Pour l’ensemble des débats et la lecture des pièces afférentes, nous avons suivi le Moniteur, XXII, 57-58. (88) Gazette Fr., n° 996 indique qu’il s’agit du n° 6 de l 'Orateur du peuple. 386 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE rassurer, ne fait que confirmer les inquiétudes données à la Convention sur l’état de Marseille ; et comment peut-on se rassurer, lorsqu’une société populaire ose proposer de déclarer traîtres à la patrie ceux qui voudraient trouver dans son sein des fripons et des dilapidateurs de la fortune publique? DUHEM : Ç’a été rejeté. THURIOT : Je ne suis pas si instruit que Duhem. Sans doute la masse du peuple est bonne ; mais nous avons reçu de Jeanbon Saint-André deux lettres très expressives et une des représentants du peuple à Marseille, par laquelle ils annoncent qu’il a été formé un complot pour s’emparer des armes qui appartiennent à la République. ( Mouvement d’horreur. ) Je demande que Treilhard donne lecture de ces lettres. Il ne faut pas, quand on a des vérités à dire à la Convention, les écarter ou les étouffer. N’a-t-on pas déjà répandu que le comité n’avait fait un rapport sur la conspiration de Marseille que pour altérer la confiance dans les sociétés populaires, au lieu que c’est pour avertir les citoyens des campagnes et les sociétés populaires de. surveiller les agents de Pitt et de Cobourg? [Granet demande la date de ces lettres. THURIOT : Elles sont arrivées par le même courrier qui a apporté celle qu’on vient de lire.] (89) TREILHARD est à la tribune. Il donne lecture des lettres suivantes : Extrait d’une lettre du citoyen Jeanbon Saint-André, représentant du peuple dans les départements maritimes de la République, au commissaire de la marine et des colonies. Port-la -Montagne, le 25 fructidor, l’an II de la République française une et indivisible. La tranquillité du Port-la-Montagne [ci-de-vant Toulon] dépend de celle de Marseille. Si l’on ne se laisse pas séduire par des protestations de patriotisme emphatiques et par conséquent mensongères; si l’on frappe sans pitié les fripons de cette dernière commune ; si l’on en arrache les racines du fédéralisme qui y vivent encore, quoi que l’on puisse dire, et quoiqu’on les déguise sous le nom de Montagne, comme autrefois on les déguisait sous le nom de République, une et indivisible ; si le comité et la Convention se montrent fermes dans l’application des principes du gouvernement révolutionnaire, le Midi est sauvé ; mais si l’on se laisse tromper comme on l’a fait tant de fois, il n’y a pas de représentant du peuple qui puisse faire le bien ici, quels que soient ses talents, son patriotisme et sa fermeté. Extrait d’une lettre du représentant du peuple Jeanbon-Saint-André, délégué dans les départements maritimes de la République, au comité de Salut public. Port-la-Montagne, le 27 fructidor, l’an II de la République française une et indivisible. (89) Débats, n° 732, 19. Citoyens collègues, tout va assez bien au Port-la-Montagne. Il n’en est pas de même à Marseille, et vous devez avoir les yeux constamment ouverts sur cette ville. Je m’en rapporte à cet égard aux détails contenus dans ma dernière dépêche, et j’ajoute que vous n’avez jamais bien connu, ni au comité, ni à la Convention, l’esprit qui domine parmi ces hommes qui se disent si ardents patriotes, et qui ont plus d’un intérêt à se faire une réputation exagérée. Ce qu’il y a de vrai c’est que je n’ai vu nulle part moins de patriotisme qu’à Marseille, et que c’est de tous les points de la République le plus mauvais sans exception. Signé Jeanbon Saint-André. La lettre qui suit, arrivée hier 1er vendémiaire, est sans date ; mais l’annonce qui se trouve de la proclamation des représentants du peuple prouve qu’elle est de la même date que celle adressée à la députation qui a été lue à la tribune. Les représentants du peuple, envoyés dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Var et de l’Ardèche, à leurs collègues, membres du comité de Salut public. Citoyens collègues, nous vous envoyons copie de la proclamation franche et fraternelle que nous avons été obligés de faire pour détromper les bons habitants des campagnes qu’on cherchait à égarer et à soulever. Il y avait même déjà quelques rassemblements suscités par des agitateurs envoyés, et par suite des projets découverts par la lettre du nommé Reynier, de son arrestation et de son enlèvement. On nous instruit dans le moment qu’il s’en forme à deux lieues d’ici ; nous nous empressons de les faire dissiper, et nous allons prendre toutes les mesures de sûreté convenables pour ramener la tranquilité ; hier nous avons renouvelé le comité de surveillance ; nous vous faisons passer notre arrêté à cet égard. Le général Villemallet, envoyé par le général en chef Dumerbion, commande actuellement à Marseille : cette place demande la plus grande surveillance de la force armée, qui n’y est pas aussi forte qu’il le faudrait, mais celle qui y est, se comporte bien : nous ne parlons que de l’infanterie et des hussards. Nous recevons tous les jours des plaintes contre la gendarmerie qui est on ne peut plus mal composée, et qui n’est nullement organisée en conformité de la loi. Les gendarmes sont tous du pays, ils n’ont pour la plupart ni habits, ni armes, ni chevaux, et ne sont aucunement en état de faire le service ; la nation les paie cependant également : c’est un abus qu’il faut détruire, et il est instant de s’en occuper. Nous avons aussi découvert que dans le fort Jean, où était le dépôt des armes, fusils, etc., on se préparait à s’en emparer, et qu’il y avait des passages pratiqués dans les souterrains par lesquels on entrerait. Nous venons de donner des ordres pour les faire boucher, et pour faire encore échouer ce projet ; nous espérons sous peu en connaître les auteurs. SÉANCE DU 2 VENDÉMIAIRE AN III (MARDI 23 SEPTEMBRE 1794) - N° 46 387 Nous vous dirons que hier il fut proposé à la société de Marseille de déclarer traitres à la patrie les individus qui voudraient trouver des fripons et des dilapidateurs de la fortune publique dans la société populaire : nous ne ferons aucune observation à ce sujet. Vous remarquerez seulement qu’il est clair qu’ils ont en vue ce qui se trouve dans notre discours à cette société sur les fripons et les dilapidateurs. Nous pouvons vous assurer qu’avec de l’ensemble nous viendrons à bout de déjouer tous les complots liberticides qui sont ici à l’ordre du jour. La grande masse est bonne ici, ainsi que dans le département; mais la terreur qu’entretiennent les scélérats meneurs l’empêche de se prononcer ; et pendant ce temps-là ils cherchent à tout entraver et à se faire des partis à la Robespierre, en tenant les mêmes propos et en jouant les mêmes rôles. Salut et fraternité. J.-J. Serres, Auguis. GRANET : Je demande que Moïse Bayle donne lecture de l’adresse que nous avons écrite, il y a trois mois à la société populaire de Marseille, [ murmures ] (90) et l’on verra si nos principes ne sont pas dans le meilleur sens. Moïse BAYLE : Voici cette lettre... Plusieurs voix : L’ordre du jour. L’ordre du jour est adopté. On demande l’insertion au bulletin des lettres lues par Treilhard. L’insertion est décrétée. Moïse BAYLE : J’avais dit que Robespierre avait dénoncé aux Jacobins Fouché, comme conspirateur; que Fréron, dans son numéro d’hier, a dénoncé Granet et moi... [On lui crie de s’adresser aux tribunaux ou d’écrire] (91) L’ordre du jour ! s’écrie-t-on de toutes parts. L’assemblée passe à l’ordre du jour. DURAND-MAILLANE : On nous a dit que la lettre qui a été lue d’abord a été adressée par les représentants du peuple à la députation des Bouches-du-Rhône. Comme député des Bouches-du-Rhône, je suis bien aise de déclarer que jamais je n’ai eu communication de rien ; à l’égard des avis que nous pouvions donner à nos collègues, relativement aux localités, je déclare encore que je n’en ai donné aucun, si ce n’est à leur départ. Un autre membre de la même députation fait une déclaration pareille. MEAULLE : Je croyais que la Convention avait renoncé aux questions particulières. Plusieurs voix : Oui (90) Débats, n° 732, 20. (91) Ann. R.F., n° 3. MÉAULLE : Je crois qu’elle fera bien encore de renoncer à s’occuper des difficultés qui s’élèvent entre les députations. Prenez garde de laisser former par ces discussions un congrès fédéraliste. D’après ces motifs, je demande l’ordre du jour sur les difficultés qu’on veut faire naître. BENTABOLE : Il n’y a point là de difficultés, en vain voudrait-on le faire croire ; ce n’est qu’une explication. J’appuie au reste l’ordre du jour. [DESRUES : On a demandé l’impression des lettres au bulletin, je demande que la dernière seulement y soit insérée, parce que ces lettres renferment entr’elles une contradiction : on lit, dans la première, que l’esprit des habitans de Marseille est mauvais, et dans la seconde, on dit que la masse de cette commune est excellente. GRANET : J’appuie cette observation : elle est juste. THURIOT : Il n’y a point de contradiction réelle ; la masse des habitans de Marseille est excellente, mais elle est comprimée par la terreur, et c’est dans ce sens que Jeanbon Saint-André dit, dans sa première lettre, que l’esprit qui règne à Marseille est mauvais.] (92) L’ordre du jour est adopté (93). 46 Un membre [Ruamps] demande qu’on donne lecture des pièces qu’on dit exister, et qu’on prétend désigner Barras et Fréron comme ayant dilapidé les deniers publics. Barras et Fréron demandent la lecture des pièces, et d’être entendus pour repousser ces inculpations, qu’ils disent mal fondées. Un membre obtient la parole pour une motion d’ordre; il invoque la liberté de la presse comme le seul moyen de faire connoître les dilapidateurs. On demande le renvoi de toutes les propositions aux comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, pour en faire un prompt rapport. Cette proposition est décrétée (94). GRANET (95) : Je demande que la dénonciation contre Fréron soit renvoyée au comité de Sûreté générale. (On murmure.) RUAMPS : On dit qu’il existe des lettres où Fréron et Barras sont accusés de dilapidations. J’en demande la lecture. (92) Débats, n° 732, 21. (93) Moniteur, XXII, 57-58. Débats, n° 732, 18-21 ; J. Fr., n° 728; M.U., XLIV, 26-27, 35, 52-53; Rép., n° 3; Gazette Fr., n° 996 ; Ann. R. F., n° 3 ; F. de la Républ., n° 3 ; J. Perlet, n° 730 ; J. Mont., n° 147 ; Mess. Soir, n° 766 ; Ann. Patr., n° 631 ; J. Univ., n° 1764 ; J. Paris, n° 3 ; Bull., 2 vend. (94) P.-V., XLVI, 41-42. (95) Moniteur, XXII, 58-60.