[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] 483 vous ne pouvez trop vous hâter, déjà des moments précieux sont perdus. i - * ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. ; Séance du vendredi 23 octobre 1789 (1). > La séance a commencé par la lecture du procès-y verbal de la séance d’hier, et par celle de diverses adresses de villes et de communautés qui adhèrent aux différents décrets de l’Assemblée nationale. Adresse de la compagnie des volontaires de Chinonen Touraine, qui présentent à l'Assemblée leur hommage respectueux, et un zèle toujours " actif pour le maintien de l’ordre et de l’exécution jm de ses décrets ; de quelques religieux bénédictins P de l’abbaye de Cluny, qui adhèrent aüx offres faites par plusieurs de leurs communautés d’abandonner à l’Etat les biens qu’elles possèdent; des marches-communes de Poitou et de Bretagne, qui font en conséquence l’abandon des privilèges pécuniaires dont elles jouissent, mais supplient l’Assemblée de leur conserver leur existence indépendante du Poitou et de la Bretagne, offrant V de se conformer avec respect à la forme d'administration qu’elle établira pour les assemblées - provinciales et les municipalités; de la communauté de Beaumen en Périgord, contenant son adhésion aux décrets de l’Assemblée, des observations sur les inconvénients que lui présente le projet de l’ancien comité de Constitution sur un nouvel ordre judiciaire, la demande d’une justice royale et d’une brigade de maréchaussée; de la communauté de Saint-Etienne Roqueversière de Valfrancesque, diocèse de Mende en Languedoc, contenant remerciement et adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale ; et de la ville d’Issoire en Auvergne, où elle adhère avec empressement anx décrets de l’Assemblée, qui soumettent chaque citoyen à donner à l’Etat le quart de son revenu d’une année, et invitent les églises à porter à la -, monnaie le superflu de leur argenterie. Elle annonce qu’elle a déjà nommé des commissaires � pour dresser le procès-verbal de l’argenterie qu’elle va envoyer à l’hôtel des monnaies de la ► ville de Paris. Elle demande une justice royale de second ordre. M. Camus fait un rapport sur l’organisation des bureaux de l’Assemblée. * L’Assemblée nationale occupait trente-huit . commis; par esprit d’économie, M. Camus propose � d’en retrancher onze. Chaque -commis est aux appointements de 200 livres par mois : il propose de réduire les plus utiles et les plus intelligents à 150 livres, et de diminuer graduellement les appointements des autres, à raison de leurs •talents et de leur intelligence. ► Ces dispositions éprouvent quelques critiques. On oppose la justice à l’économie, le bien du * service à la parcimonie des réductions . Néanmoins le décret est adopté. Les commis seront dans la dépendance de deux inspecteurs tirés du sein de l'Assemblée, et qui .seront nommés demain. Les huissiers sont réduits à 120 livres, au lieu de 150 livres, et le nombre fixé à huit. On lit une lettre du comité d’Alençon relative à l’affaire de M. le vicomte de Garaman. Elle est ainsi conçue : « Nosseigneurs, s’il est possible que l’empressement à remplir ses devoirs puisse jamais occasionner des regrets* nous osons dire que dans cet instant nous éprouvons la peine la plus sensible de n’avoir pas cru pouvoir différer à vous envoyer une procédure que les circonstances nous avaient forcés de faire contre le vicomte de Caraman et les chasseurs de Picardie. Un événement malheureux ayant fait naître des inquiétudes sur le compte de cette troupe, l’alarme étant devenue générale, on a suivi peut-être trop promptement le parti d’une défiance mutuelle ; on a cru devoir approfondir des soupçons que les apparences changeaient en réalité ; les précautions les plus sérieuses ont précédé les informations; mais des explications, que l’agitation des esprits n’a pu permettre qu’après un certain temps, nous avons passé à cette estime réciproque que nous devions toujours conserver ; il ne nous reste plus qu’un vœu, et nous sommes persuadés que vous daignerez l’exaucer. « Tous les jours il arrive quë les amis les plus étroitement unis se trouvent malheureusement compromis, et plus on s’est estimé, plus les sentiments opposés succèdent promptement. Quand on croit avoir été dans l’erreur les uns vis-à-vis des autres, n’est-il pas naturel, lorsque la vérité paraît, de revoir ces sentiments antérieurs reprendre plus de force que jamais, et de n’éprouver que le désir de pouvoir effacer jusqu’à la moindre trace de désunion? « Telle est la position de la ville d’Alençon et des chasseurs de Picardie. La réconciliation la plus touchante, les plus tendres effusions ne nous laissent plus d’autres impressions que celles de la plus tendre amitié et de la plus parfaite estime. « Nous espérons que la France ne verra pas sans édification que nous regretterions amèrement qu’on pût connaître quels ont été les torts des uns et des autres. « Faits pour maintenir cette paix et cette concorde, les plus fermes appuis des lois qui occupent tous vos moments précieux, nous espérons que le paquet que nous vous avons envoyé, et qui contient la procédure, sera entièrement anéanti, et qu’il ne sera plus question que de faire connaître l’heureux accord qui règne parmi nous. « Encore une fois, si quelques-uns de nous sont tombés dans l’erreur* si cette erreur est la cause de nos malheurs, nous désirons que le sujet en soit ignoré ; c’est la plus grande preuve que nous puissions donner de l’estime et de l’amitié réciproques qui doivent garantir pour toujours d’un événement aussi funeste. La ville comme la troupe se réunissant pour vous adresser cette prière, elle ne peut manquer d’être accueillie. « Nous sommes, avec un très-profond respect, vos très-humbles et très obéissants serviteurs. Lesmembres composant le district d’Alençon, etc.» Cette lettre sera imprimée, et M. le président est autorisé à écrire à la ville d’Alençon une lettre de félicitations. M. le coukte de Dortaii rappelle lâ motion ajournée de M. de Castellane relativement aux prisonniers actuellement détenus par lettres de cachet, et représente que puisque l’Assemblée ne peut s’en occuper en ce moment, il serait à (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [23 octobre 1789.] 484 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. propos de faire, en attendant, un travail préalable. Il propose en conséquence de nommer un comité de quatre personnes, qui se ferait remettre la liste des prisonniers détenus par lettre de cachet, et rendrait compte à l’Assemblée des motifs de leur détention. La nomination de ce comité a été ordonnée. On annonce un vieillard de cent vingt ans, né dans le Mont-Jura; il désire voir l’Assemblée qui a dégagé sa patrie des liens de la servitude. > M. l’abbé Grégoire demande qu’en raison du respect qu’a toujours inspiré la vieillesse, l’Assemblée se lève lorsque cet étonnant vieillard entrera - Cette proposition est accueillie avec transport. Le vieillard est introduit ; l’Assemblée se lève ; il marche avec des béquilles, conduit et soutenu par sa famille; il s’assied dans un fauteuil vis-à-vis le bureau et se couvre. La salle retentit d’applaudissements. 11 remet son extrait baptistaire. Il est né à Saint-Sorlin, de Charles-Jacques et de Jeanne Bailly, le 10 octobre 1669. M. Halrac. Ce vieillard, que la nature a conservé pour être témoin de la régénération de la France et de la liberté de sa patrie, a constamment renipli ses devoirs de citoyen utile jusqu’à cent cinq ans. Le Roi lui a donné une pension de deux cents livres, mais pour que sa famille se souvienne de cette journée, votons parmi nous une contribution qui, quelque modique qu’en soit le produit, rendra plus tranquilles les jours de ce vieillard respectable à tant de titres, et deviendra pour sa famille un précieux héritage. L’Assemblée charge MM. les trésoriers des dons patriotiques de recevoir cette contribution. M. le Président dit que M. Bourdon de la Crosnière, auteur d’un pian d’éducation nationale présenté à l’Assemblée, faisant entrer dans les leçons qu*il donne à la jeunesse le respect pour la vieillesse, demande à s’emparer de l’auguste vieillard qui sera servi dans l’école patriotique par les jeunes élèves de tous les rangs, et surtout par les enfants dont les pères ont été tués à l’attaque de la Bastille. M. le vicomte de Mirabeau. Faites pour ce vieillard ce que vous voudrez; mais laissez-ie libre. .. M. le Président au vieillard . L’Assemblée craint que la longueur de la séance ne vous fatigue, et vous engage à vous retirer. Elle désire que vous jouissiez longtemps du spectacle de votre patrie devenue entièrement libre. M. le comte de Praslin présente, au nom des officiers et des soldats du régiment de Lorraine , infanterie , un don patriotique de 8,377 livres. M. le duc d’ Aiguillon. Convaincu que la liberté doit être assurée par la tranquillité, et que la discipline et l’obéissance des troupes sont nécessaires au rétablissement de l’ordre, je 'vopose de décréter « que tous les corps militaires doivent rentrer dans l’ordre, sans quoi ils encourront les peines portées par les ordonnances actuellement subsistantes, qui seront provisoirement exécutées, jusqu’à ce que l'Assemblée nationale ait statué sur une nouvelle constitution militaire.» Sur la proposition de M. Gottin, cette motion est renvoyée au comité militaire. Ce jour étant destiné aux finances, M. le président propose de continuer la discussion ajournée de la motion de M. de Mirabeau sur les biens du clergé. Elle consiste à décréter ces deux principes : 1° qüe la propriété des biens ecclésiastiques appartient à la nation ; 2° que le traitement des curés doit être porté à 1,200 livres au moins, avec le logement. M. l’abbé Maury propose de continuer la discussion sur les qualités d’éligibilité. M. le comte de Mirabeau. Quelque opinion que j’aie de la dialectique du préopinant, j’avoue qu’il est difficile, même pour lui, de prouver que le principe est la même chose que la conséquence. Je ne sais pas comment, dans un pareil terrain, on peut être sans cesse attaqué et renvoyé continuellement à la Constitution, comme si les finances y étaient étrangères; la science du pot au feu est pour une maison comme pour un empire. On ne peut pas attaquer ma motion, car je n’ai parlé que d’un principe qui doit être fixé dans votre Constitution. L’Assemblée décide que cet objet forme l’ordre du jour. M . de Bonnal, évêque de Clermont. La religion est notre vrai trésor, et les biens de l’Eglise ne sont utiles que pour son éclat, sa propagation et sa perpétuité; mais je ne puis reconnaître qu’ils appartiennent à la nation. Ou iJ n’existe nulle propriété, ou la nôtre est inattaquable : exposer mon opinion à cet égard est un devoir de citoyen, parce que la vente de nos biens ne remédierait à rien, et augmenterait les impôts : c’est un devoir d’évêque, parce que cette opération serait funeste à la religion ; les peuples se dégageraient bientôt de l’impôt nécessaire pour le culte divin, bientôt il n’y aurait plus de ministres, plus de religion. Je regarde comme indispensable de porter les portions congrues au taux le plus élevé. M***. J’observe, de l’aveu même de l’abbé Maury, que le clergé n’est que dépositaire du bien des pauvres. Dans ce moment on veut lui retirer ce dépôt. Je demande si vous pouvez, messieurs les prêtres, vous préférer à toute la nation, qui veut être elle-même la dispensatrice de ses revenus. M. Duport. Vous n’ignorez pas, Messieurs, que le trouble est dans les monastères ; de toutes arts vous avez reçu des réclamations ; tous les ommes qui ont écrit sur cette matière ont pris leur parti, et comme l’on accuse la nation de reprendre par force les biens qu'elle a donnés , il faut encore examiner cette quesion. Je me demande d’abord : qu’est-ce que la propriété? C’est le droit de jouir pour soi; c’est le droit de vendre, d’aliéner, en un mot de disposer à son gré. Ces derniers caractères ne sont pas absolument les mêmes ; cardans nos lois il existe des propriétaires qui ne peuvent vendre, mais ils jouissent pour eux. Il faut donc distinguer. Ceux qui ne jouissent pas pour eux ne sont que de simples administrateurs. Je réclame les différents canons qui déclarent qu’il u 'appartient aux ecclésiastiques que ce qui leur est strictement nécessaire; le reste appartient aux pauvres.