722 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [�décembre 1789.] sont ordinairement plus grandes que celles à l'usage du peuple; aussi ne servent-elles aux chapitres que pour leur recette, et non pas pour payer ce qu’ils doivent. Je n’oserais pas encore •vous proposer l’unité des mesures; mais n’êtes-vous pas effrayés de savoir que la matrice de ces mesures particulières, toujours concentrée dans les mains des intéressés à l’agrandir, est soigneusement soustraite aux regards de la justice, et toujours méconnue du juge? Pour parer à tous ces inconvénients, je propose donc à l’Assemblée l’arrêté qui suit : PROJET DU DÉCRET. L’Assemblée nationale, toujours occupée des moyens de procurer la libre circulation des grains dans l’intérieur du royaume, expliquant, en tant que besoin, les articles 1 et 4 de son arrête du 4 août dernier, déclare qu’elle a entendu supprimer dès lors, sans indemnité, les droits de minage, stellage, leyde, coupelle, et tous autres droits perçus sur les grains, sous le prétexte d’inspection des mesures et de mesurage desdits grains. Décrète que, dans le royaume, le mesurage des grains sera de pure faculté, et ne se fera que sur la réquisition des parties, pour un ou plusieurs particuliers, préposés par les communautés, et assermentés par devant les juges des lieux, lesquels particuliers mesureurs seront, dans toute l’étendue du royaume, payés de leurs salaires à raison d’un sol par setier , dans la proportion de la mesure de Paris ; qu’à cet effet toutes les mesures actuellement en la possession de minagers et mesureurs seront incontinent remises aux officiers municipaux des lieux, et les matrices, même celles des mesures à l'usage particulier de quelques chapitres, abbayes, seigneurs et autres, pour leurs redevances personnelles, déposées aux greffes des juridictions, pour y avoir recours à l’effet de l’étalonnage. Décrète en outre que les droits de hallage, perçus sur les ventes de grains, sont dès maintenant supprimés ; déclare les halles appartenir aux communautés des lieux de leur situation, et seront les frais desdites halles remboursés par lesdites communautés, aux percepteurs des droits de hallage, suivant l’estimation qui en sera faite de gré à gré, ou par experts, et par le moyen d’une répartition qu’ordonneront les assemblées provinciales qui en détermineront le mode. L’Assemblée va aux voix sur le projet de décret du comité des rapports et il est décrété : 1° Qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la partie du rapport du comité qui propose des règlements très-sévères, et entre autres de décerner la peine de mort contre ceux qui manqueraient aux décrets de l’Assemblée qui interdisent l’exportation des grains, et qui en ordonnent la libre circulation dans le royaume ; 2° Que les comités de féodalité, de commerce et d’agriculture présenteront à l’Assemblée des projets de décret sur les moyens de supprimer, sans injustice, les droits de minage, hallage, péage, étalage, leyde et autres droits semblables. M. Dublaisel du Rieu, dont les pouvoirs ont été trouvés en bonne forme, est admis comme député de Boulogne-sur-Mer en remplacement de M. le duc de Yillequier, démissionnaire. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour neuf heures du matin. ANNEXES à la séance de V Assemblée nationale du 22 décembre 1789. Précis de l'opinion de M. Duval d’Eprémes-nil, concernant le commerce de l'Inde et le privilège de la compagnie des Indes actuelle. J’ai rappelé en peu de mots l’importance de la question : G’est une grande question de commerce, c’est une grande question d’Etat : qu’il me soit permis d’adresser, en commençant, une prière à l’Assemblée: tâchons de nous entendre, écartons de la tribune, écartons de l’Assemblée, les passions humaines : elles n’ont rien à voir dans une affaire de pure politique et de calcul : délibérons, en hommes d’Etat, sur la question d’Etat : traitons en bons calculateurs la question de commerce. Evitons les maximes tranchantes. Les maximes tranchantes sont aussi dangereuses qu’elles sont commodes : elles dispensent de tout examen; elles plaisent à deux genres d’esprits qui se tiennent toujours aux extrémités de toutes les questions, aux esprits emportés, aux esprits paresseux ! Des maximes modérées, une grande circonspection, une vigilance infatigable dans l’application ; voilà ce qui distingue les législateurs sages et de vrais administrateurs. Je le dis, s’est écrié M. de Montesquieu, et il me semble n’avoir fait mon livre que pour le prouver; les hommes demandent à être gouvernés par l'esprit de modération. Tel est celui qui doit éclairer l’Assemblée nationale ...... Je fus sur le point d’ajouter.... Ah 1 Messieurs, ce grand homme s’est-il trompé ? Pensons à l’état du royaume, rentrons en nous-mêmes et prononçons.... mais je contins ce mouvement et j’entrai dans mon sujet. Deux questions : l’une générale et l’autre particulière : question générale, le commerce de l’Inde; question particulière, le privilège de la compagnie actuelle. Le commerce de l’Inde. — Peut-on l’abandonner ? Sommes-nous déterminés à supporter les privations qu’entraînerait l’abandon de ce commerce ? Non, sans doute : il faut donc évidemment le faire par nous-mêmes, ou devenir les tributaires des étrangers. Le faire par nous-mêmes 1 — Gomment ? par le moyen des particuliers ou d’une compagnie? Consultons l’expérience, remontons au principe. Ici, j’ai demandé à l’Assemblée la permission de jeter un coup d’œil sur l’histoire de la compagnie des Indes, supprimée en 1769 : j’ai rappelé des faits connus : j’ai fait voir cette compagnie naissant en 1664, à la voix de Louis le Grand et du sage Golbert, en présence et par l’avis d’une assemblée nombreuse, choisie dans tous les rangs et dans tous les états : languissante les premières années; s’élevant en 1689 à des profits considérables; successivement interrompue dans ses opérations , par la guerre qui suivit la dernière révolution, on devrait dire la véritable restaura- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 décembre 1789.] 723 tion de l’Angleterre, et par la guerre de 1 7 00 *, ensuite, réunie à la compagnie d’Occident en 1719, enveloppée dans les horreurs du système, mais prenant enfin une consistance solide en 1725 : de cette époque je l’ai suivie jusqu’à la suspension de son privilège en 1769. — J’ai distingué les produits de son commerce d’avec ses répartitions ; et j’ai mis en fait que si les répartitions n’avaient pas été proportionnées aux produits, c’est que la compagnie toujours gouvernée et souvent déchirée par deux commissaires du Roi, n’avait jamais été maîtresse, à proprement parler, ni de ses opérations, ni de ses dépenses. L’histoire de la suppression de la compagnie devait naturellement terminer ce récit. Cette histoire est peu connue. J’ai rappelé aux uns, j’ai révélé aux autres les intrigues et les fautes qui préparèrent cette suppression. 11 existait en 1769 deux, hommes célèbres, tous deux étrangers, tous deux banquiers, tous deux hardis spéculateurs. L’un travaillait en même temps en Angleterre au changement total de la direction; en France, à la destruction de la compagnie elle-même. Ses plans étaient bien concertés : toutes les apparences étaient pour ses calculs. Il s’agissait de masquer l’opération. On prenait des circuits alors pour arriver aux projets destructeurs. La conversion de la compagniè des Indes en caisse d’escompte fut proposée. Mais de si belles espérances s’évanouirent : en Angleterre, lord Clives déconcerta les calculs de l’homme dont je parlais : en France, quatre députés des actionnaires sur sept (j’étais un des quatre) renversèrent le projet de la caisse d’escompte. Mais nos succès irritèrent les ministres. Ce projet leur convenait. La perte de la compagnie fut jurée. On lit paraître le livre de M. l’abbé Mouîlet et l’on attendit l’occasion. De son côté, l’autre étranger soutenait la compagnie des Indes par des loteries. Je n’ai point accusé ses intentions, mais j’ai dit que son système produisait fautes sur fautes. Une certaine opération de lettres de change que j’ai combattue dans le temps ne fut pas la moins grave. Les embarras de la compagnie augmentèrent : ils furent dévoilés tout à coup dans l’assemblée générale. Cependant le Roi nous devait 7 millions, c’était un point convenu. On pouvait nous payer cette somme, ü n’était point d’efforts, il n’était point de sacrifices que nous ne fussions prêts à faire pour continuer le commerce. Le ministre avait pris son parti. L’arrêt de suspension fut rendu au conseil. La compagnie se vit forcée d’abandonner son privilège. Mais le despotisme des ministres n’a pu détruire deux grands faits également certains : l’un, que la compagnie avait payé, depuis la paix de 1763, beaucoup de dettes occasionnées par la déplorable guerrô de 1756, l’autre, qu’elle laissait au Roi un actif de beaucoup supérieur à son passif. A l’exposé rapide des profits commerciaux de la compagnie, profits indépendants de leur emploi, j’ai comparé le résultat des opérations du commerce particulier; j’ai distingué dans ce commerce les commissionnaires et les intéressés; j’ai fait voir comment il était possible que les intéressés perdissent, tandis que des commissionnaires gagnaient beaucoup ; j’ai soutenu qu’à l’inspection des factures d’armement, comparées aux relevés des ventes, l’Assemblée nationale se convaincrait que les intéressés avaient perdu : et maintenant, Messieurs, vous concevez pourquoi l’auteur d'un écrit imprimé, sous le titre de Dernier mot, ne veut pas qu’il soit de votre dignité de comparer les bilans de la compagnie avec ceux des particuliers. Eh quoil quand il existe un moyen infaillible de prononcer, en connaissance de cause, sur les effets du privilège ou de la liberté, l’emploi de ce moyen qu'exige le bien public, pourrait blesser la dignité de l’Assemblée? On s’était prévalu dans le meme imprimé de la progression successive du commerce libre. J’ai répondu que cette progression successive avait eu pour cause le changement successif des intéressés ; qu’avant qu’une grande erreur fût épuisée en France, il se passait du temps, et qu’ainsi les progrès du commerce libre n’avaient été eux-mêmes que les progrès d’un mal certain. Un bon gouvernement ne saurait voir d’un œil indifférent les pertes particulières, quand elles sont le fruit de ses erreurs. Eclairer et diriger les citoyens, est la fin et le devoir de toute administration publique : j’ai jeté ce principe, en courant, pour ainsi dire : il est exact, il est sensible, il n'a pas besoin de preuves, et j’ai fait voir comment les pertes du commerce libre étaient aussi des pertes pour l’Etat. J’ai prouvé par des raisons tirées de la position respective des Anglais et des Français dans l’Inde, que le commerce particulier, ce commerce appelé libre, était tout à la fois l’esclave, le facteur et le tributaire de la compagnie anglaise. M. Pitt le sait bien : l’Assemblée nationale ne le croit pas. Enfin la compagnie demandait au Roi, par an et par abonnement, quinze cent mille francs pour tous les frais de souveraineté. Or, depuis la suspension, il n’est point d’année que nos établissements au delà du cap de Bonne-Espérance, n’aient coûté à l’Etat quatre millions au moins, en pleine paix; souvent six, quelquefois davantage. Voilà comment les ministres avaient calculé. J’en appelle aux états de dépenses. De ces détails, justifiés par l’expérience et par le calcul, je me suis élevé jusqu’au principe. J’ai parlé des avances; j’ai défini la manière de contracter; j’ai parcouru toutes les branches du commerce français au delà du cap de Bonne-Espérance; j’ai montré les principales difficultés, je n’ai pas dissimulé les inconvénients, j’ai peint les avantages de ce commerce; j’ai comparé la puissance des Anglais à notre faiblesse, et j’ai déduit, de la nature du commerce de l’Inde, des mœurs, du caractère, du gouvernement des Indiens, de l’exemple des Anglais, et de leur état comparé au nôtre, deux grandes vérités : l’une, que le commerce des Indes orientales devait se faire par une compagnie souveraine, armée, ef jouissant dans l’Inde d’une puissance territoriale; c’était le principe de M. Dupleix ; c’est celui que les Anglais n’ont pas cessé de suivre, instruits par les leçons de grand homme qu’ils ont fait rappeler : l’autre, que ce principe, cet établissement d’une compagnie française, souveraine, armée, territoriale, était devenu impraticable dans les circonstances intérieures et politiques où se trouvait la nation. Humiliant aveu 1 C’est malgré moi que je l’ai fait. Mais de ce qu’un principe ne peut pas être mis en pratique, s’ensuit-il qu’on doive l’effacer de la liste des maximes nationales! Non, sans doute. Que fait alors un peuple sage? II attend un moment plus heureux, ajourne la question, et garde le principe. Telle fut ma conclusion à l’égard de la question générale. 724 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 décembre 1789. J Question particulière ; le privilège de la compagnie actuelle. Il importait de placer la question sous son vrai point de vue. Le commerce particulier est condamné par le principe; la compagnie actuelle est condamnée par le principe : les juger par le principe, ce serait donc en d’autres termes proscrire le commerce de l’Inde. Cependant, on ne veut pas, on ne doit pas l’abandonner. Qu'est-ce donc que l’on doit faire? La réponse vient d’elle-même. On doit comparer l’établissement du privilège et l’établissement de la liberté, non pas au vrai principe, mais bien entre eux, relativement à ce principe. Celui des deux établissements qui se rapproche le plus du vrai principe est le meilleur. Et c’est alors que rapprochant en peu de mots du principe général, le titre constitutif de la compagnie actuelle, ses opérations, ses profits, son influence politique dans l’Inde, ses moyens, ses justes espérances, ses engagements remplis, ses marchandises accumulées sur la foi publique, en improuvant quelques abus attachés à son organisation, mais étrangers à son commerce, en m’élevant contre l’affreux principe qui, d’une loi de liberté, ferait un titre rétroactif contre la propriété; j’ai conclu qu’en justice, aussi bien qu’en politique, le privilège de celte compagnie était encore préférable au commerce particulier. « L’Europe, ai-je ajouté; l’Europe commerçante est attentive à notre délibération, et l’Angleterre est à la porte qui nous écoute. » Voilà le fidèle précis de mon opinion. Maintenant je vous demande, lecteur impartial, si vous avez, je ne dis pas conçu, mais soupçonné cette opinioD, au compte qu’en a rendu le Journal de Paris. Au reste, le succès n’a pas répondu à mon zèle. La liberté du commerce de l’Inde est décrétée. Mais cette liberté, pour être légitime, n’en sera pas moins funeste à la nation ; et j’ose dire, usant ides droits de citoyen, que l’Assemblée, en rendant ce décret, a commis une grande erreur. L’Angleterre, qui l’attendait avec impatience, saura bien en profiter. P.-S. J’achevais ce précis, quand plusieurs de mes amis vinrent m’avertir qu’il était question dans le quatre-vingt-quatorzième numéro du Journal de Paris, d’une assertion de M. le duc de Praslin, contraire à la mienne, au sujet des intrigues qui préparèrent la suspension du privilège de la compagnie en 1769. J’avais parlé le vendredi, M. le duc de Praslin a porté la parole le samedi 3, à l’ouverture de la séance. J’étais absent ; j’ignorais qu’il m’eût contredit; c’est le Journal de Paris qui me l’apprend. « M. le duc de Praslin a assuré, dit le journal, que dans la guerre qui s’est terminée en 1763, cette compagnie avait fait des pertes si considérables, qu’elle était dans une détresse si grande, qu’elle adressait supplications sur supplications au gouvernement. pour qu’il se chargeât du payement de ses dettes, et que les actionnaires eux-mêmes sollicitèrent l’abolition de la compagnie. « J’atteste, a dit M. le duc de Praslin, que les preuves de ces vérités sont consignées dans les bureaux de la marine, et que l’Assemblée nationale est sûre de les y trouver. » Ainsi s’est exprimé M. le duc de Praslin. J’ose dire qu’il s’est trompé. J’ignore si l’administration de la compagnie a jamais sollicité l’abolition du privilège; je n’étais ni syndic, ni directeur, j’étais député des actionnaires, mais j’atteste à mon tour que jamais les députés, ni l’assemblée générale des actionnaires, n’ont sollicité l’abolition de la compagnie, à moins qu’on ne traite de sollicitation, la remise forcée du privilège à laquelle nous contraignirent le despotique arrêt de 1769, et l’opiniâtreté du ministère dans ses mesures. Ceci demande quelques détails. Le fatal arrêt de 1769 tenu secret jusqu’à sa publication, vint tomber au milieu de nous comme un coup de tonnerre. Nous jetâmes les hauts cris. M. Risteau, directeur de la compagnie avait composé un mémoire, qui démontrait, premièrement, que le privilège était nécessaire; secondement, que le commerce de la compagnie était toujours possible, il nous fit lecture de ce mémoire dans une assemblée générale des syndics, directeurs et députés. Nous l’approuvâmes. Il fut porté à M. le duc de Praslin, lors ministre de la marine. Nous lui demandâmes la permission de le faire imprimer. Cette permission nous fut constamment refusée. De son côté, le Parlement fit des remontrances. Elles ne furent pas écoutées; et ce fut après une longue suite d’inutiles efforts et de plaintes infructueuses, que l’assemblée générale des actionnaires, perdant courage, remit son privilège au Roi, contre mon avis. La séance fut à peine levée que la plupart des actionnaires, pénétrés de regrets, vinrent m’entourer dans la salle même, et me demandèrent s’il n’était pas possiblede reprendre ses places et de revenir sur la délibération. je répondis que le coup était porté; et je sortis en gémissant de l’avenir funeste préparé à nos établissements en Asie. L’événement n’a que trop justifié mes craintes. Nous voilà dans cetle partie du monde, sans possessions, sans crédit, sans honneur. Oh ! combien les cœurs vraiment français ont de peines à dévorer ! Il faut encore que j’instruise le public de quel-ues faits, qui le mettront à portée de juger si c’est à tort que j’ai dénoncé les attaques livrées à la compagnie des Indes en 1769, comme l’effet d’une intrigue profonde. Au moment où la conversion de la compagnie des Indes en caisse d’escompte fut sur le point d’être proposée, M. de Sartine, lors lieutenant de police (j’étais avocat du Roi au Châtelet), me pria très-instamment et très-ouvertement, aux noms des deux ministres, MM. les ducs de Choiseul et de Praslin, de ne pas m’opposer à ce projet. Je répondis à M. de Sartine que cela m’était impossible, et je lui en dis les raisons. La députation des actionnaires n’était pas encore nommée. On devait aller au scrutin par liste. Mon nom était sur 41 listes, à la disposition d’un agent du ministère, lequel agent m’en avait fait la confidence espérant me séduire. Il se trouva qu’au moment de l’élection, les 41 suffrages me furent enlevés, et la chose était si claire, que j’en riais avec mes voisins : « Toutes les fois que vous entendrez appeler ces six noms, leur disais-je, le mien ne sera pas sur la liste, >.• ce qui se vérifia exactement. Mais voici bien mieux. Je ne laissai pas que d’obtenir quelques succès à Rassemblée générale des actionnaires.J’en parle sans prétention et par nécessité. En peu de phrases, et presque par la simple lecture d’un projet de délibération que j’avais rédigé, je renversai tellement celui de conversion eu caisse d’escompte, qu’il fut rejeté à la pluralité de 300 voix et plus, contre 20 ou 25. Qu’arrivat-il? Le ministère feignit de craindre quelques succès du même genre au Parlement. Deux mois après, je me présentai à M. le chance- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 décembre 1189.] 725 lier de Maupeou, pour le prier de m’obtenir du Roi des provisions de conseiller en cette cour, qui se qualifiait souveraine, comme dit M. Tliou-ret; M. le chancelier me déclara qu’il n’en ferait rien; il m’objecta la compagnie, et me renvoya à M. de Choiseul. Je lui déclarai, à mon tour, que je m’adresserais toujours au ministre de la magistrature, jamais à d’autres. C’était une fort belle phrase. Mais le fait est que je n’ai pu être conseiller au Parlement qu’en 1775. J’avais promis d’attendre. Enfin, immédiatement après la suspension du privilège, ce furent des adversaires du privilège, des partisans du projet de conversion, qui, pour leur commerce particulier, obtinrent gratuitement du département de la marine, des vaisseaux tout agréés, ce qui leur valut des profits considérables, que l’ignorance ou l’intérêt attribuent à la liberté du commerce. Je l’ai dit dans mon opinion, je l’oubliais dans mon précis ; je ne dois pas négliger cette vérité, bonne à deux fins. En effet, on peut juger tout à la fois par elle, et des motifs de ia suspension, et des profils de la liberté. Je me rappelle une autre circonstance qui sûrement ne paraîtra pas indifférente aux esprits attentifs. Il ôtait convenable que le projet de conversion de la compagnie des Indes en caisse d’escompte, fût lu à la députation des actionnaires, avant d’être porté à l’assemblée générale. On le sentait, mais on différa cette lecture jusqu’à la veille de l’assemblée. Enfin on se détermina : la députation fut rassemblée. Les ministres s’étaient flattés apparemment que la présence du commissaire du Roi n’y serait pas inutile. M. Boutin vint s’asseoir au milieu de nous. L’auteur du projet se mit en devoir de commencer la lecture. Je l’arrêtai. Je demandai à M. Boutin s’il comptait rester. Sur sa réponse affirmative, je lui présentai qu’il n’en avait pas le droit; que son titre lui donnait une place à la direction, non à la députation; et je le suppliai de se retirer. M. Boutin s’y refusa ; ‘la lecture du projet fut tentée de nouveau. Alors j’assurai M. Boutin qu’il me serait impossible d’opiner devant lui, et que j’allais me retirer moi-même en laissant sur le bureau une protestation que j’avais rédigée durant ce colloque. Je la lus. J’ose dire qu’elle était courte, mais énergique. M. Boutin en fut touché, lise rendit à mes raisons et se retira. Livrés à nous-mêmes, la lecture du projet fut reprise. On fut aux voix. Les amis de ce projet se regardèrent. Le compte n’était pas difficile. Nous étions sept. Ils se virent trois contre quatre. Le croira-t-on? Ges messieurs se levèrent et quittèrent la séance, sans en donner aucun motif. Je les laissai sortir, mais je les suivais, et je les joignis dans le vestibule. Il était rempli d’actionnaires et d’officiers de la compagnie. Ce fut alors qu’élevant la voix, j'observai a ces Messieurs que la députation ayant été régulièrement convoquée, ils n’étaient pas en droit de rompre la séance par une retraite sans motif, et je les priai de déclarer qu’ils n’entendaient point, par leur absence, frapper cette séance de nullité. La déclaration me fut faite sans difficulté, par l’un d’entre eux, au nom de tous les trois. Tranquille sur ce point, je rentrai dans la salle delà députation. Nous délibérâmes et nous conclûmes à porter le lendemain à rassemblée générale un projet d’arrêté qui ne laissa, comme je l’ai déjà dit, au projet deconversion que vingt ou vingt-cinq suffrages; encore ces suffrages étaient-ils presque tous d’étrangers. A présent, je laisse au lecteur équitable à décider si la réunion de toutes les circonstances que je viens d’exposer prouve de la bonne foi ou de l’intrigue. Au surplus, les intrigues du ministère ne sont pas toujours celles du ministre. Jesuis fort éloigné d’imputer à feu M. le duc de Praslin les opérations de 1769. Nous savions tous que ce ministre écoutait volontiers M. le duc de Choiseul, qui, trop confiant quelquefois dans sa pénétration personnelle, n’était lui-même que l’instrument d’un petit nombre de personnes très-déliées; ce fui celte confiance de M. le duc de Choiseul dans sa pénétration, qui le porta, quoique averti, à proposer au feu Roi, M. de Maupeou pour chancelier. Je finis par une réflexion, qui malheureusement n’est pas propre à consoler les actionnaires, mais qui peut du moins rassurer les citoyens. Le décret qui déclare le commerce libre au delà du cap de Bonne-Espérance, n’est pas constitutionnel; mais le fût-il, l’Assemblée nationale n’étant ni ne pouvant être une convention, une autre législature éclairée par l’expérience pourra rétablir les vrais principes du commerce de l’Inde. Je le désire. Trop heureuse la nation, si des erreurs sur le commerce étaient les seules qu’elle eût à réparer ! 2e ANNEXE. Projet de V organisation du pouvoir judiciaire, proposé à V Assemblée nationale , par le comité de constitution. TITRE Ie'. Des tribunaux et des juges en général. Art. 1er. La justice sera rendue au nom du Roi : nul citoyen, nul corps ne peut avoir le droit de la faire rendre en son nom. Art, 2. Les juges seront élus par les justiciables, en la forme qui sera ci-après déterminée. Art. 3. Les juges seront institués par le Roi, sur la présentation qui lui sera faite de deux sujets élus pour chaque place vacante. Art. 4. Nulle charge, donnant le pouvoir judiciaire, ne pourra désormais être créée pour être vendue sous aucun prétexte. Art. 5. La justice sera rendue gratuitement, et il sera pourvu à ce que les juges reçoivent des appointements suffisants, en raison de la dignité de leurs places et de l’importance de leurs fonctions. Art. 6. Le pouvoir judiciaire étant subordonné à la puissance législative, les cours de justice ne pourront ni usurper aucune des fonctions du Corps législatif, ni empêcher ou retarder l’exécution de ses décrets sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture. Art. 7. Les cours de justice seront tenues de transcrire purement et simplement dans leurs registres, les lois qui leur seront envoyées, dans les trois jours de leur réception, et de les publier dans la huitaine, à peine de forfaiture. Art. 8. Les cours de justice ne pourront point faire de règlements, elles adresseront leurs représentations au Corps législatif toutes les fois qu’elles croiront nécessaire soit d’interpréter le sens douteux d’une loi, soit d’en rendre une nouvelle. Art. 9. Le pouvoir judiciaire étant distinct et