[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1790.] 571 Adresse de la société des amis de la Constitution de la ville d’Aurillac, qui, à peine formée, s’empresse d’adresser à l'Assemblée ses hommages et son adhésion à la Constitution ; elle sollicite l'établissement d’un tribunal de commerce à Aurillac. Adresses des communes de Ligny-le-Ghâtel, Ma-ligny, Mercy-le-Cerveux, Varennes, Ligneville, la Chapelle, Vaupelfaigue et Yilly, au département de l’Yonne, district de Saint-Florentin, contenant diverses observations sur la ferme des aides, dont elles demandent la suppression, et sur les moyens de la remplacer. Le sieur Michel Cabien , sergent des milices gardes-côtes d' Oisti'eham, est admis à la barre. M. de Cussy, député de Caen, obtient la parole et raconte en ces termes les actions courageuses de Michel Cabien (1) : Messieurs, le 12 juillet de l’année 1762, une escadre anglaise, mouillant à l’embouchure de la rivière d’Orne, dans le dessein d’intercepter ou de détruire quinze vaisseaux du roi, chargés de bois de construction pour Brest, lit ses préparatifs pour exécuter ses projets hostiles. Elle mit à terre, dans la nuit, deux détachements de soldats pour protéger l’attaque que ses chaloupes armées allaient entreprendre. Le détachement qui avait débarqué à la droite de la rivière, surprit le poste qui veillait à la garde de la batterie, tua sept soldats, en prit seize, mit les autres en fuite, et s’empara de la batterie. Cinquante soldats, qui avaient débarqué à l’autre rive, s’emparèrent aisément de la batterie qui n’était gardée que par un matelot canonnier invalide, et quatre vieillards qui eurent le bonheur de s'échapper à la faveur de l’obscurité; mais avant d’abandonner leur poste, ils avaient tiré deux coups de canon, qui avaient mis en alarme les habitants du village d’Oistreham, situé à la rive gauche de l’Orne. Ce beau village , peuplé de pêcheurs intrépides , avait perdu presque tous ses habitants détruits par une guerre, malheureux ou captifs en Angleterre. Mais tandis que les femmes et les enfants s’occupaient d’enlever leurs meubles et de cacher leurs bestiaux, Michel Cabien, sergent des milices gardes-côtes de la compagnie d’Oistreham se porta, seul, à l’entrée du village, couvert par un canal de trente pieds de largeur. Le seul tambour de sa compagnie l’avait suivi, mais ne tarda pas à le uitter pour aller prendre soin de sa famille et e ses effets. Bientôt l’intrépide sergent aperçoit la troupe anglaise qui prolongeait le canal ; il s’avance à l’autre rive, crie : qui vive! fait feu sur les ennemis, gagne rapidement une autre porte, renouvelle son cri et son feu, et toujours par son agilité se préserve du feu de l’ennemi, qui, dirigeant ses coups vers l’endroit où l’on avait tiré, ne pouvait l’atteindre. Cabien s’aperçoit que les Anglais sondent la profondeur du canal ; alors il prend le ton imposant d’un commandant, ordonne à sa troupe de faire feu de bataillon. La prudence détermine les Anglais à sè coucher ventre à terre ; mais Cabien réfléchit bientôt que les Anglais ne seront pas dupes de sa ruse guerrière; il a recours à une ruse nouvelle; il ordonne à son aide-major de prendre cent hommes et de tourner le village pour gagner le pont et attaquer l’ennemi en queue, tandis (1) Le Moniteur ne reproduit qu’une partie du discours de M. de Cussy. qu’il va le charger en tête. L’ennemi intimidé se relève et se détermiue à la retraite ; mais elle n’est pas assez rapide au gré de Cabien; il prend > la caisse que le tambour avait laissée près de. lui, bat la marche, et frappant à coups redoublés sur un petit pont de bois, imite, par le mouvement rapide de ses pieds, celui d’une troupe nombreuse qui se précipitait sur le passage. Les Anglais battent la retraite autant que le permit le fardeau des morts et des blessés qu’ils remportaient avec eux. Un officier anglais, atteint de plusieurs coups, avait eu la cuisse cassée; la douleur que lui causait cette griève blessure, ne permit pas à ses camarades de l’emporter dans leur suite; ils abandonnèrent cet infortuné à la générosité; des Français. Leur attente ne fut pas trompée. . Lorsque la renaissance du jour a permis au brave sergent de reconnaître le terrain, il prodigua ses soins généreux à son ennemi vaincu; il se montra aussi prévenant, aussi empressé pour le secourir, qu'il avait employé de fermeté pour le combattre. Cette circonstance prouve que si l’éducation perfectionne nos mœurs, la vraie générosité est un sentiment inspiré par la nature, qui n’apparlient pas exclusivement aux classes les plus distinguées de la société. Au milieu des soins multipliés que les habitants d’Oistreham s’empressaient de prodiguer à ce prisonnier, on remarquait en lui un air qui décelait son inquiétude; on se hâta de faire venir un interprète ; alors, cet officier pria ceux qui l’environnaient de ne point le transporter à Caen; . il assura qu’il serait bientôt réclamé. En effet, une chaloupe parlementaire se présenta et proposa pour sa rançon les seize prisonniers que les Anglais avaient fait à l’autre bord. Cabien donna seul la liberté à ces seize prisonniers; il sauva quinze bâtiments chargé d’une-cargaison précieuse; il priva les Anglais de la satisfaction de conduire dans leurs ports, comme un trophée dont ils étaient jaloux, des bâtiments destinés, lors de la construction, à porter dans leur île la terreur et la destruction. Cabien préserva son village de l’incendie auquel il était destiné pour éclairer et favoriser l’attaque; des Anglais. Cette entreprise échoua par sa prudence, par sa fermeté. L’honneur du nom français ne fut pas flétri, parce que Cabien se montra , digne de le porter. L’officier anglais, chargé de commander le débarquement, fut dégradé par un conseil de guerre. Je garderai le silence sur les autres actions par lesquelles il n’a cessé de se rendre utile à sa patrie et dangereux à ses ennemis. Messieurs, j’ai rempli un devoir aussi intéressant pour mon cœur qu’agréable à mes compatriotes, en présentant à vos regards un des plus braves citoyens dont mon pays s’honore, et dont la patrie puisse s’enorgueillir. Le surnom de brave lui a été donné par un maréchal de France commandant la province ; il eût pu y joindre celui de prudent. Les actions utiles et glorieuses de ce modeste soldat suffiraient pour donner droit à plusieurs citoyens de réclamer avec confiance des récompenses utiles et des titres d’honneur.; mais Cabien n’a rien sollicité ; une modique gratification de deux cents livres lui fut accordée ar le feu roi, pour reconnaître l'action la plus ardie, la mieux combinée qui puisse être conçue, et exécutée par un soldat qui réunit la valeur au génie ; mais cette recompense pécuniaire lui fut moins précieuse, malgré sa pauvreté, que le témoignage honorable que M. le �duc de Choiseul lui adressa pour lui exprimer la satisfaction que 572 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1790. le roi avait ressentie de sa valeur et de son intrépidité. Pendant quinze ans ce brave homme fat oublié ; mais aux approches d'une guerre nouvelle, M. de Pezay, inspecteur général des milices gardes-côtes, ayant eu le bonheur de le distinguer dans la foule de ses modestes et intrépides compatriotes, lui accorda, en 1777, une gratification de cent cinquante livres, réduite à cent livres en 1778, et convertie, le premier juillet 1779, en une pension annuelle de cent livres sur le Trésor royal. Ce brave homme me désavouerait à l’instant, Messieurs, si je sollicitais de votre générosité une récompense pécuniaire; sa grande âme ne cherche que l’honneur; mais celui qui peut le flatter davantage en ce moment, est de renouveler devant vous le serment civique, dont la formule était gravée dans son cœur, même avant la renaissance de la patrie : je vous supplie de vouloir bien le lui accorder. (Des applaudissements multipliés de toutes les parties de la salle accueillent ce brave homme.) M. le Président répond : Monsieur, les applaudissements que vous venez d’entendre vous prouvent assez que le courage et la vertu ne sont jamais mieux honorés que par une nation libre. Jouissez de ce premier avantage, en attendant les récompenses d’une autre nature qui vous sont dues. L’Assemblée nationale vous permet d’assister à sa séance. (L’Assemblée décrète, àp’unanimité, que la motion de M. de Gussy sera envoyée au comité des pensions, et qu’elle sera imprimée.) M. le Président fait prêter ensuite au brave Cabien le serment d’être fidèle à la loi, à la nation, au roi et de maintenir de toutes ses forces la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi. M. Dubois-Crancé . La position actuelle du régiment de Ghampagne, en garnison à Hesdin, pourrait donner quelques inquiétudes, relativement à l’exécution du décret que vous avez rendu au sujet de ce corps. On pourrait prévenir des événements fâcheux et rappeler aux soldats l’intention que l’Assemblée a toujours eue de leur faire rendre justice, en adoptant le projet de décret que j’ai l’honneur de vous présenter : « L’Assemblée nationale décrète que le décret qu’elle a rendu le 31 du mois d’août dernier aura son exécution entière pour l’examen des moyens qui ont été employés pour l’exécution de son décret, concernant le régiment de Royal-Champagne, en garnison à Hesdin, en date du 7 août dernier. « Eu conséquence, l’Assemblée nationale décrète que son Président se retirera sur-le-champ par-devers le roi , pour le prier d’envoyer deux commissaires civils à Hesdin, à l’effet de prendre connaissance de tous les faits qui ont suivi l’exécution de son décret susdit, et en rendre compte à l’Assemblée nationale dans le plus court délai. » M. de Folleville. Je demande l'ajournement de cette affaire . M. Briois-Beaumetz. Le projet de décret qui vous t st proposé est un véritable ajournement, puisqu’il ne tend qu’à obteuir des lumières avant de statuer. Il n’y a donc aucun inconvénient à adopter le décret. M. le Président consulte l’Assemblée. Le projet de décret est adopté. M. Gossin, rapporteur du comité de Constitution propose un projet de décret concernant la municipalité de Tonneins qui est adopté, sans discussion, ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Constitution, décrète que, conformément au vœu des deux municipalités dont est composée la ville de Tonneins, chef-lieu d’un des districts du département de Lot-et-Garonne, et d’après l’avis du directoire de ce département, ainsi que de celui du district, ces deux municipalités seront réunies en une seule, qui portera le nom de Tonneins; qu’en conséquence les dénominations de Tonneins dessus et Tonneins dessous sont et demeurent supprimées. L’Assemblée nationale décrète, en outre, qu’afin que la ville de Tonneins renouvelle son maire et le procureur de la commune à la même époque que les autres communes, le maire et le procureur de celle de Tonneins ne resteront en place que jusqu’à la Saint-Martin de 1791 ; mais ie substitut du procureur de la commune, si la population en comporte, remplira ses fonctions pendant deux ans; et à la même époque de la Saint-Martin 1791, la moitié des officiers municipaux et des notables sera renouvelée par le sort; et pour l'exécution du présent décret, à laquelle il sera procédé sans délai, l’Assemblée renvoie au directoire du département. » M. le Président. L’ordre du jour est la dis - cussion du projet de décret sur l'organisation des archives nationales. M. Gossin, rapporteur , donne lecture des articles. M. Begnaud (de Saint-Jean-d' Angêly). Il serait important de n’organiser les archives que lorsqu’on organisera les bureaux ; la raison de ma manière de voir me paraît des plus simples ; il doit exister une communication entre vos bureaux et le grand dépôt ; vos bureaux ne sont point organisés, vous n’avez point d’idée d’ensemble; ma motion a été adoptée, dans une autre circonstance, par M. Gamus qui jouit de votre confiance dans cette partie. Je conclus à l’ajournement. M. Goupil. Révoquer en doute si une grande nation doit avoir des archives me semble une dérision. Existe-t-il une loi qui ait fait des bureaux qui sont les actes de l’hôtel de ville, un dépôt national? Je rappelle à cette Assemblée que la place de grand archiviste de la couronne a été réunie à celle de procureur général du Parlement de Paris. En Angleterre, la Tour de Londres est un véritable dépôt dont Rickmer a extrait dix volumes in-folio, formant le recueil des actes de la nation. Quant à l’objection qui est faite d’organiser les bureaux, c’est une vraie chimère. Lorsque la nation aura décidé qu’il y aura des archives, elle déterminera ie service des bureaux. Le chancelier d’Aguesseau, qui, à tous les talents, joignait l’amour de l’exactitude, voulut former un recueil de toules les pièces qui composaient les lois sur les eaux et forêts de France; non seule-(11 Voyez le rapport de M. Gossin, du 29 juin 1790, Archives parlementaires, tome XVI, page 561.