ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.! des Etats généraux, doivent plus spécialement que tout autre tribunal, un compte exact à l’Assemblée nationale, non-seulement de tout ce qu’elles ont fait, mais môme de tout ce qu’elles ont été empêchées de faire ; 3° que si, jusqu’à ce jour, par respect pour des moments consacrés aux travaux de la régénération de la nation française, elle a cru devoir différer à se présenter dans l’auguste Assemblée nationale pour lui offrir ses hommages, elle ne peut plus longtemps résister à son impatience, et ne pas joindre ses sollicitations et ses vœux aux félicitations et aux vœux de la France entière: « A arrêté qu’au plus tôt le premier président et MM. le lieutenant, l’assesseur, Délié, de la Dainte, Gary, Boullaye, d’Herbecourt, Sprote, La Carrière, avocat et procureur du Roi, se rendront à Versailles, présenteront à l’Assemblée nationale l’hommage de son profond respect et de son entier dévouement, lui exprimeront autant qu’il est possible, sa vive et sincère reconnaissance du zèle et des efforts vraiment patriotiques avec lesquels l’auguste Assemblée a commencé et continue le grand œuvre d’où dépend la félicité publique, et la supplieront de permettre qu’ils laissent sur le bureau, tant le présent arrêté, qu’un imprimé, ayant pour titre : Mémoire de Vélection de Paris à Nosseigneurs de V Assemblée nationale. « Ce fut fait et arrêté en la Chambre du Conseil, les jours et an que dessus. Signé : Marie, Beau-rain, Buisson, Délié, de la Dainte, Gervais, la Carrière, Gary, Sprote, Guillebon, Boullaye, Garan-deau , d'Herbecourt , Bridon, Garnier, Guérin, Auger et Marmotant. c Signé : Diamy, greffier. Avec paraphe. » M. le Président répond: L’Assemblée natio� nale se fera rendre compte du mémoire qui lui est présenté par les officiers de l’élection de Paris ; elle en pèsera les motifs dans sa sagesse. Elle reçoit aujourd’hui vos hommages, et me charge de vous en exprimer sa satisfaction. M. le Président annonce à l’Assemblée que M. Necker demande à être admis pour lui présenter l’hommage de son respect et de sa reconnaissance. Cette annonce a été reçue avec des applaudissements réitérés. M. Hecker est introduit, et lorsque les applaudissements lui permettent de se faire entendre, il dit : Monsieur le président, je viens avec empressement témoigner à cette auguste Assemblée ma respectueuse reconnaissance des marques d’intérêt et de bonté qu’elle a bien voulu me donner. Elle m’a imposé ainsi de grands devoirs; et c’est en me pénétrant de ses sentiments et en profitant de ses lumières, qu’au milieu de circonstances si difficiles je puis conserver un peu de courage. M. le Président lui répond en ces termes : Monsieur, vous aviez, en vous éloignant des affaires, emporté l’estime et les regrets de l’Assemblée nationale : elle l’a consigné dans ses arrêtés ; et en exprimant ainsi les sentiments dont elle était pénétrée, elle n’a été que l’interprète de la nation. Le moment de votre retraite a été celui d’un deuil général dans le royaume. Le lloi, dont le cœur généreux et bon vous est lre Série, T, VIII, [29 juillet 1789.1 30o connu plus qu’à qui que ce soit, est venu dans cette Assemblée s’unir à nous ; il a daigné nous demander nos conseils : nos conseils devaient être ceux de la nation ; ils étaient de rappeler à lui le ministre qui l’avait servi avectantdedévouement, de fidélité et de patriotisme. Mais déjà le cœur du Roi avait pris de lui-même ce conseil salutaire: et quand nous pensions à lui exprimer nos vœux, il nous remettait la lettre qui vous invitait à reprendre vos travaux ; il désirait que l’Assemblée nationale y joignît ses instances, et il voulait, pour gage* de son amour, se confondre encore avec la nation, pour rendre à la France celui qui en causait les regrets et qui en faisait l’espérance. Vous vous étiez, en partant, dérobé aux hommages du peuple; vous aviez employé, pour éviter l’expression de son estime, les mêmes soins qu’un autre eut pris pour fuir les dangers de son mécontentement et de sa haine. Vous touchiez au moment où, après une longue et pénible agitation, vous alliez trouver le calme et le repos ; vous avez connu les troub'es qui agitaient ce royaume, vous avez connu les vœux ardents du Roi et de la nation; et, sans vous aveugler sur l’incertitude des succès dans la carrière qui de nouveau s’ouvrait à vous, vous n’avez pensé qu’à nos malheurs ; vous vous êtes rappelé ce que vous deviez à la France pour l’attacnement et la confiance qu’elle vous donne ; vous n’avez plus pensé à votre repos, et d’après vos propres expressions, vous avez, sans hésiter, -préféré le péril aux remords. L’empressement des peuples qui se portaient en foule sur votre route, la joie pure et sincère qu’a reçue le Roi de votre retour, les mouvements que fait naître votre présence dans cette salle où votre éloge était, il y a quelques jours, prononcé avec tant d’éloquence et entendu avec tant d’émotion, tout vous est garant des sentiments de la France entière. La première nation du monde voit en vous celui qui, ayant particulièrement contribué à la réunion de ses représentants, a le plus efficacement préparé son salut, et peut seul, dans ces moments d’embarras, faire disparaître les obstacles qui s’opposeraient encore à sa régénération. Quel homme avait droit de prétendre à une si haute destinée? lit quel titre plus puissant pouvait assurer la France de votre dévouement le plus absolu? Peut-il donc être offert à la nation un présage plus certain de bonheur, que la réunion des volontés d’un Roi prêt à tout sacrifier pour l'avantage de son peuple, d’une Assemblée nationale qui fait à l’espoir de la félicité publique l’hommage des intérêts privés de tous les membres qui la composent, et d’un ministre éclairé qui, aux sentiments d’honneur qui lui rendent le bien nécessaire, joint encore la circonstance particulière d’une position qui le lui rend indispensable ? Et quelle époque plus heureuse, Monsieur, pour établir la responsabilité des ministres, cette précieuse sauvegarde de la liberté, ce rempart certain contre le despotisme que celle où le premier qui s’y soumettra n’aura de compte à rendre à la nation que celui de ses talents et de ses vertus? C’est après ce salutaire établissement, que vous avez sollicité vous-même, dont vous aurez été le premier exemple, que l’homme portant un cœur droit, des intentions pures, un caractère ferme, une conscience à l’abri de tout reproche, pourra, s’il est doué de quelque talent, aspirer ouvertement au ministère. Glorieux, alors de l’idée qu’au-SQ [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 306 cune action mauvaise, qu’aucune complaisance funeste, qu’aucune intrigue sourde ne pourront être dérobées au jugement de la nation, il bravera les inventions obscures de la haine et de l’envie, et portera dans son cœur l’heureuse confiance que la vérité est toujours plus forte et plus convaincante que la calomnie, quand l’une et l’autre ne peuvent élever la voix que devant une nation généreuse et éclairée. C’est en vous soumettant aujourd’hui, Monsieur, à cette honorable épreuve, c’est en reprenant la place que vous avez consenti d'accepter, que 1 exercice de vos talents, que votre fidélité inviolable aux intérêts de la nation et du Roi, désormais indissolublement liés, sauront prouver à l’Europe, sans l’étonner, combien étaient justes et les regrets publics, et l’allégresse universelle dont il appartenait à vous seul d’être l’objet. Si, dans cette circonstance, il pouvait m’être permis de laisser échapper l’expression d’un sentiment qui ne m’est que personnel, jedirais combien il m’est doux de lier l’époque glorieuse pour moi, d’une fonction honorable que je ne dois qu’à l’extrême indulgence de cette auguste Assemblée, et que je ne puis justifier que par mon zèle, à l’époque tant désirée de votre retour à un ministère que vous signalerez par votre attachement pour une constitution qui va bientôt assurer le bonheur de l’Empire. L’Assemblée applaudit vivement le discours de M. le président; elle y trouve ses sentiments et ses principes exprimés avec tant de noblesse, de justesse, d’éloquence et d’énergie, qu’elle ordonne l’impression de ce discours, et son insertion dans le procès-verbal. Une députation de la ville de la Flèche est admise à présenter à l’Assemblée nationale son hommage et son adhésion à tous ses arrêtés. M. le Président répond : L’Assemblée nationale reçoit les témoiguages du respectueux dévouement de la ville de la Flèche, et elle me charge de vous en témoigner sa satisfaction. H est Jait lecture du procès-verbal de la séance du 28. M. Martin, suppléant de M. Leblanc, député de Besauçon, décédé ces jours derniers, est admis. M. le Président termine la séance en annonçant que l’Assemblée se réunira en bureaux, ce soir et demain matin, à neuf heures. ASSEMBLEE NATIONALE. Réunion dans les bureaux du 30 juillet 1789. Les bureaux s’assemblent à neuf heures du matin. Dans plusieurs bureaux, la discussion sur la déclaration des droits, ne donne lieu qu’à peu de réflexions. Dans d’autres, les divers projets sont rejetés. M. Duport agite dans son bureau la question de savoir s’il ne faudrait pas établir, pendant la session de l’Assemblée, les états provinciaux, pour que ces nouveaux établissements, à l’ombre de l’Assemblée nationale, pussent se consolider et résister aux révolutions qui affaiblissent et lut-[30 juillet 1789-1 tent souvent contre des corps dont l’organisation est à peine perfectionnée. M. Pothée, premier député du Vendômois, appuie l’opinion de M. Duport, il se récrie contre la crainte que quelques membres témoignent sur la trop longue session de l’Assemblée. Pour suppléer à l’insuffisance des curés à portion congrue, et à la modicité de la fortune de quelques députés, on proposera incessamment de faire un payement. M. Pothêe émet encore cette idée dans son bureau. Voici une nouvelle déclaration des droits, quia été discutée dans les bureaux : Projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen , par M. de Servan, avocat au parlement de Grenoble. 1° Toute société civile est le produit d’une convention entre tous ses membres, et jamais celui de la force ; 2° Le contrat social, qui constitue la société civile, n’est et ne peut être que l’union de tous pour l’avantage de chacun ; 3° Ce qui convient au bien commun ne peut être déterminé que par la volonté générale, qui est la seule loi. 4° Nul membre de la société civile n’est obligé d’obéir à d’autre autorité qu’à celle de la loi ; 5° La loi, par rapport à la société civile, n’étant que la volonté générale, la puissance législative appartient originairement à tous; 6° Lors même que cette puissance ne peut être convenablement exercée par tous, elle ne peut être irrévocablement exercée par un ; 7° La puissance législative ne peut être confiée par la nation à des représentants que sous des conditions exactement relatives à l’objet de l’établissement de toute société civile; 8° L’objet de la société civile peut se réduire à la liberté civile, laquelle est le pouvoir que le citoyen a d’exercer ses facultés dans toute l’étendue qui n’est pas interdite par la loi; 9° Les facultés du citoyen se réduisent à disposer de ses pensées, de sa personne et de ses propriétés; 10° Toute vraie législation n’est qu’un système de lois qui doivent se rapporter et tendre à la liberté civile, comme à leur centre commun; 11° Les lois politiques ou constitut.ves conduisent à la liberté civile, lorsque la puissance législative est instituée de manière à connaître et vouloir le bien public, et lorsque la puissance exécutive, ne manquant jamais de pouvoir pour faitre obéir aux lois, en est toujours privée pour les violer. Les lois civiles conduisent à la liberté civile, lorsqu’après avoir borné l’usage indéfini de la propriété, sous tous les points seulement qui touchent au bien public, elles abandonnent le reste à la raison dechaaue-homme. Les lois criminelles se rapportent à la liberté civile, lorsque tout homme peut agir sans craindre un châtiment injuste, et lorsque tout homme coupable peut être jugé sans craindre un châtiment excessif. Les lois religieuses sont conformes à la liberté civile, lorsque, prescrivant dans la morale des actions utiles à tous, elles ne gênent la liberté des hommes, par le dogme et par le culte, qu’au-tant que ce dogme et ce culte sont nécessaires pour affermir les principes do la morale.