[Assertiblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] nales auront toujours le droit et les moyens de faire pour eux quelque chose de plus. En l’état, il est seulement à propos de les attacher à la terre qui les recevra ou dans laquelle ils seront conservés, de ne rien dire ni sur leur culte, ni sur le litre de citoyens qu’ils demandent, et qui comprend beaucoup de choses qu’il n’est pas dans votre intention et de votre sagesse de leur accorder, quant à présent, mais seulement de leur laisser faire librement ce qu’ils ont permission tacite de faire, sans rien dire de plus, en prenant néanmoins toutes les précautions que la raison publique ordonne de prendre avec des hommes dont on doit encore se méfier, mais à qui pourtant on veut faire du bien. CHAPITRE XI. Projet de décret sur l’état à donner aux juifs en France. « 1° L’Assemblée nationale déclare qu’elle met sous la protection et la sauvegarde de la nation française et des lois, les personnes des juifs qui viendront se domicilier en France, les biens-fonds qu’ils y ont acquis et ceux qu’ils y acquerront. « 2° Elle supprime toute marque, sur les vêtements, qui servait à distinguer les juifs en France, toutes les taxes arbitraires qu’on levait sur eux, toutes les redevances dites pour protection, et toutes les places de protecteurs, et ce, sans indemnité envers ceux qui sont revêtus de ces titres et places, ou qui prétendraient avoir des droits pour s’en faire revêtir. « 3° L’Assemblée nationale décrète de plus que les juifs qui posséderont enFrance des biens-fonds ou autrement seront taxés d’une manière juste et proportionnelle comme les Français. « 4° Elle leur interdit tout trafic et négoce d’argent au-dessus de l’intérêt qui est ou qui sera autorisé par les lois, en faveur des Français, à peine d’être poursuivis extraordinairement, et punis suivant la rigueur des ordonnances. « 5° Aucun juif ne pourra habiter les terres de la domination française, qu’il n’y ait acquis une propriété foncière, au moins de 10,000 livres en valeur. « 6° À dater du jour de la publication du présent décret, et dorénavant, tous les papiers ou effets, billets simples, billets à ordre, lettres de change et obligations privées que les juifs pourraient se former ou acquérir sur des particuliers non négociants, commerçants, marchands ou banquiers, seront déclarés nuis et de nulle valeur. « 7° L’Assemblée nationale excepte du dispositif de l’article précédent tous les papiers ou effets, billets simples, billets à ordre, lettres de change et obligations privées, d’une date antérieure à la publication du présent décret, mais elle leur enjoint de les faire signer et parapher par le juge royal le plus voisin du lieu de leur domicile. « 8° Elle décrète qu’à l’avenir nul juif ne pourra acquérir ou se former des titres dé créances sur des sujets français qui ne seront dans aucun genre de commerce ou de négoce, que par actes publics, signés par trois témoins domiciliés, lesquels déclareront avoir vu compter, lors de l’acte, la somme dont s’agira, ou être parfaitement instruits de la créance ; et ce, sous peine de nullité desdits actes et créances. « 9° Il est défendu à tout juif de quitter le quartier, la carrière ou la ville qu’il habite, avant d’avoir payé sa portion des dettes communes, m ainsi et de la manière qu’il sera réglé par les chefs de la communauté des juifs desdits quartier, carrière ou ville. « 10° Nul juif ne sera reçu dans le3 villes, bourgs et villages du royaume, qu’il ne justifie, par-devant les officiers municipaux, du lieu d’où il est venu et du payement des dettes communes. » 3e ANNEXE. Opinion de M. le duc de La Rochefoucauld, sur le plan de finances proposé dans la séance du 18 novembre (1). Messieurs, vous avez borné la discussion au plan qui vous a été présenté hier par vos commissaires : je bornerai donc mes observations à ce plan, et je ne vous entretiendrai point de celui qui vous a été développé par M. de Laborde, et qui réunissait aux avantages et aux inconvénients d’une banque publique une forme de comptabilité simple et facile. Vous pouvez adopter cette forme en la séparant de toute banque, parce que cette liaison n’est point essentielle, et parce que l’économie qu’elle présente est plus apparente que réelle, puisque ce sont les profits de la banque sur d’autres affaires avec le gouvernement, et les droits qu’elles lui donnent, qui la mettent à portée défaire presque gratuitement le service de comptabilité. Je ne vous entretiendrai pas non plus d’un autre plan qui vous a été présenté par quelques-uns de vos commissaires, parce qu’il m’a paru contraire à vos principes, et que je lui ai trouvé le vice essentiel de déclarer que le clergé ne sera plus un ordre, vérité déjà connue, et qui n’a pas besoin d’être consacrée par un nouveau décret, et de ressusciter en même temps l’ordre du clergé, par ses dispositions sur les biens qui lui resteraient affectés. Ce n’est pas ici le moment d’examiner l’usage que vous ferez à l’avenir des biens ecclésiastiques. Vous avez déclaré qu’ils étaient à la disposition de la nation; vous pouvez donc prendre sur la conservation, la vente et l’administration de ces biens, les mesures que votre sagesse vous suggérera pour le bien de l’Etat; et quel que soit le parti qu’elle vous dicte, les individus ecclésiastiques séculiers et réguliers n’auront point à craindre pour leur sort; vous ferez tout ce que la justice réclame pour les jouissances des uns, et pour l’honnête subsistance des autres, soit qu’ils veuillent rester ensevelis dans les cloîtres, soit qu’ils veuillent rester dans la société, car la justice est un devoir aussi rigoureux pour les nations que pour les particuliers. Une grande nation qui se régénère les observe avec un scrupule plus religieux, et la politique lui commande encore de traiter favorablement ceux qui peuvent souffrir les lois nouvelles, pour attacher tous les cœurs à la révolution. Passant maintenant à l’examen du plan soumis à votre délibération, je n’en discuterai point les principes que vous paraissez avoir adoptés, peut-être d’après l’impérieuse loi de la nécessité, en attendant que des circonstances plus heureuses vous mettent à portée de construire un édifice nouveau sur des bases plus conformes à la justice et à l’intérêt public; et je commencerai par re-(1) L’opinion de M. de La Rochefoucauld, n’a pas été insérée au Moniteur. 216 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 47Ô9.] mercier votre comité, le premier ministre des finances et les administrateurs de la caisse d’escompte, de nous avoir délivrés de la perspective effrayante que présentaient les propositions faites, il y a peu de jours, d’assujettir les affaires de la nation à une banque pendant le cours de 10 ou de 20 années. J'adopterai donc le plan, mais avec quelques amendements dont voici les motifs: Premièrement, au lieu de donner aux assignats que l'on vous propose de créer une hypothèque vague et générale sur les biens du domaine et du clergé dont vous décréterez la vente, je vous proposerai de les appuyer sur des hypothèques spéciales : cette forme sera plus satisfaisante, parce qu’elle mettra les acheteurs des assignats, pour ainsi dire, en possession actuelle du bien désigné; et en effet vous pouvez donner aux porteurs de ces assignats les mêmes droits qu’ont les créanciers hypothécaires sur les biens des particuliers leurs débiteurs, et vous pouvez ne prescrire pour ces ventes que des formalités simples, et qui, rendant leur exécution facile, augmentent, pour cette sorte d’effets, l’attrait que la solidité doit déjà leur donner. Cette idée, qui n’est pas de moi, Messieurs, appartient à un homme célèbre dans les sciences, et zélé citoyen, M. le marquis de Condorcet, et vous la trouverez développée dans un petit ouvrage intitulé : t Plan d’un emprunt « public avec hypothèques spéciales, » qui vous a été distribué ces jours derniers. Mon second amendement aura pour but de diminuer l’étendue de l’opération sans rien déranger à son procédé, ni aux termes, soit d’emprunts, soit de ventes, soit de remboursement, et je verrai dans cette restriction l’avantage d’en assurer le succès, précisément parce qu’elle sera moins étendue et plus simple. En effet, quoique les assignats que vous avez créés l’emportent de beaucoup sur tous les autres papiers par la solidité de leur hypothèque, ils seront moins courus d’abord, parce qu’ils présenteront moins de ressources pour l’agiotage; il est donc prudent de n’en pas faire répandre sur-le-champ une très-grande quantité: ainsi je bornerai la premièreémis-sion à 90 ou 100 millions, en faisant porter leurs hypothèques sur des biens dont une commission que vous nommeriez, aurait fait sous peu de jours la désignation ; et dans trois mois, d’après es connaissances que les assemblées de département vous auraient données, vous en ordonneriez une autre de pareille valeur ; le produit de ces ventes remplirait toutes les conditions qui vous sont proposées pour 1790 et 1791 ; les besoins du moment seraient, assurés, et lorsque vos travaux sur toute les branches de la constitution seraient achevés, vous pourriez décréter, avec une plus mûre réflexion, des opérations plus grandes, et dont la confiance alors bien établie vous assurera le succès. D’après cet exposé, je vous proposerai d’obtenir ces 200 millions par la vente, 1° des domaines du Roi, ainsi qu’elle vous est proposée, en réservant les forêts, mais en vendant aussi les parties de bois au-dessous de 300 arpents, vulgairement appelés bocteaux. Cette mesure, proposée en 1787 à l’Assemblée des notables, me paraît sage, parce que la garde de ces bois est difficile, dispendieuse, le' produit presque nul pour le Trésor public et parceque, au contraire, ils seront avantageusement vendus; 2° de partie de biens ecclésiastiques actuellement aux économats, parce que leur vente ne fera tort à personne. Il me reste maintenant à désirer avec vous, Messieurs, que la caisse d’escompte puisse reprendre le plus tôt possible ses payements à bureau ouvert. La négociation des annuités et des assignats, au moyen desquels vous vous acquitterez avec elle, doit, si elle est heureuse, comme il y a lieu de le croire, hâter ce moment et faire cesser une surséance honteuse dont la nation ne peut tolérer la courte durée que pour éviter de plus grands maux. Mais, concurremment avec cette opération provisoire, il vous faut donner à la confiance une base solide, et joindre aux gages que vous lui présentez un autre gage plus solide encore, celui de l’ordre et de l’économie; ce n'est’point par les noms que vous donnerez à vos caisses que vous établirez cet ordre, ce sera en adoptant une bonne méthode de comptabilité, et celle que M. de La-borde vous a proposée me paraît très-propre à remplir vos vues ; il faut y ajouter la publicité de toutes les opérations du Trésor public, il faut classer tous les remboursements que vous avez à faire, afin que chaque créancier, instruit du temps où il devra recevoir, puisse faire ses calculs en conséquence ; il faut enfin consolider votre ouvrage par un bon système d’impositions qui réunisse à l’égalité dans la répartition, des modes de perception simples, clairs, conforme à la justice, et qui ne puissent jamais blesser les droits des citoyens. Je me résume, et j’ai l’honneur de vous présenter les deux décrets de vos commissaires avec les amendements suivants. PROJET DE DÉCRETS SUR LES FINANCES Présenté par le comité des Dix avec amendement de M. de La Rochefoucauld. PREMIER DÉCRET. L’Assemblée nationale a décrété et décrète : 1° Les billets de la caisse d’escompte continueront d’être reçus en payement dans toutes les caisses publiques et particulières, jusqu’au 1er juillet 1790, et elle sera tenue d’effectuer ses payements à bureau ouvert à cette époque. 2° La caisse d’escompte fournira au Trésor public, d’ici au 1er juillet prochain, 80 millions en ses billets. 3« Les 70 millions déposés par la caisse d’escompte au Trésor royal en 1787 lui seront remboursés en annuités, portant 5 0/0 d’intérêt, et 3 0/0 pour le remboursement du capital en vingt années. 4° Il sera donné à la caisse d’escompte, pour les avances de l’année présente, et des six premiers mois de 1790, 170 millions en assignats, « avec hypothèques spéciales », sur les biens-fonds qui seront mis en vente, portant intérêt à 5 0/0, et payables à raison de 5 millions par mois, depuis le 1er juillet 1790, jusqu’au 1er juillet 1791, et ensuite à raison de 10 millions par mois. 5° La caisse d’escompte sera autorisée à créer 25,000 actions nouvelles, payables par sixièmes, de mois en mois, à compter” du 1er janvier prochain, moitié en argent ou en billets de caisse, et moitié en effets qui seront désignés. 6° Le dividende sera fixé invariablement à 6 0/0; le surplus des bénéfices restera en caisse, ou [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] 217 dans la circulation de la caisse, pour former un fonds d’accumulation. 7° Lorsque le fonds d’accumulation sera de 6 0/0 sur le capital de la caisse, il en sera retranché cinq pour être ajoutés au capital existant alors, et le dividende sera payé à 6 0/0 sur ce nouveau capital. 8° La caisse d’escompte sera tenue de rembourser à ses actionnaires 2,000 livres par action en quatre payements de 500 livres chacun, qui seront effectués le 1er janvier 1791 , le 1ei juillet de la même année ; le 1er janvier 1792, et le 1er juillet 1792. DEUXIÈME DÉCRET. ARTICLE PREMIER. « L’Assemblée nationale a décrété et décrète que la question d’établissement d’une caisse de l’extraordinaire est ajournée à un jour très-prochain, auquel le comité des financés devra faire son rapport sur le plan de comptabilité à établir; « Qu’il sera fait par la voie du sort ou autrement un ordre de remboursement, et que le premier de chaque mois la liste de ceux à exécuter dans le mois sera imprimée. » art. 2. Que les domaines de la couronne, à l’exception des forêts et des maisons royales dont Sa Majesté voudra se réserver la jouissance, « et les parties de bois au-dessous de 300 arpents, appelés boc-teaux », seront mis en vente, ainsi que partie des domaines ecclésiastiques « actuellement aux économats, jusqu’à la concurrence de la valeur de 200 millions, dont il sera, dès à présent, par quatre commissaires nommés à cet effet, désignés de concert avec le ministre des finances, pour la valeur de 100 millions , distribués en hypothèques spéciales. La désignation des autres 100 millions sera faite dans le courant de mars 1790, après avoir reçu les renseignements donnés par les assemblées des départements , conformément à son décret du 2 novembre ; l’Assemblée nationale réglera la forme et les conditions desdites ventes par un décret particulier. » ART. 3. Il sera créé des assignats de 1,000 livres chacun, « avec hypothèques spéciales » , portant intérêt à 5 0/0, jusqu’à concurrence de la valeur desdits biens à vendre , lesquels assignats seront admis de préférence dans l’achat desdits biens. Il sera éteint desdits assignats, soit par lesdites ventes, soit par les rentrées de la contribution patriotique, et par toutes les autres recettes extraordinaires qui pourront avoir lieu, 100 millions en 1791 et 100 millions en 1792. Lesdits assignats pourront être échangés contre toute espèce de titres de créance sur l’Etat en dettes exigibles, arriérées ou suspendues, portant intérêt. 4e ANNEXE. Plan de M. le vicomte de Hacaye pour l’établissement d’un Trésor et d'une Banque nationale (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Messieurs, votre comité des finances a paru penser qu’il résulterait beaucoup d’ordre , de grandes convenances et des avantages réels pour les finances de l’Etat, en divisant en deux branches l’administration du Trésor royal. La première formerait une Caisse ou Trésor national , sous l’inspection immédiate de la nation, et serait destinée à acquitter les intérêts, et successivement les capitaux de la dette publique, que vous avez mise sous la sauvegarde de la nation ; la seconde conserverait le titre et les fonctions du Trésor royal, et servirait à l’acquit de toutes les dépenses courantes de l’Etat, sous la responsabilité des ministres. En effet, Messieurs, quelle confiance ne ferez-vous pas renaître dans le royaume et chez tous les étrangers qui se trouvent intéressés au sort de nos finances parles rapports du commerce, si, après avoir mis les créanciers de la nation sous sa puissante sauvegarde, vous indiquez les moyens, les valeurs que vous destinez à les rembourser, et si leur espoir peut se tourner vers les époques, à peu près fixes, auxquelles les remboursements peuvent s’effectuer! Après avoir mûrement consulté ce qui a été écrit de mieux sur nos finances , et ce qui a paru réunir le plus de suffrages de ces hommes aussi expérimentés que bons citoyens qui désirent voir renaître la tranquillité et le bonheur de la patrie, du sein des troubles où nous ont conduits les dilapidations d’administrateurs infidèles ou ignorants , je vais soumettre à votre sagesse le pian de constitution d’un Trésor national qui, assurant à jamais le sort des créanciers de l’Etat , me conduira à vous proposer le remplacement de la Caisse d’escomple par une Banque nationale ; ce dernier établissement , jouissant de votre protection, favorisera l’agriculture, les manufactures et le commerce de notre patrie , qui languissent véritablement par le défaut de circulation du numéraire. Vous savez, Messieurs, qu’il n’appartient nullement à un grand empire de faire la banque par ses caisses, mais qu’il lui appartient de l’encourager , de la protéger, tant que ses agents procurent des facilités au commerce ! Eh ! des banquiers ou des financiers qui chercheraient à nous écarter de nos principes par des plans de coalition se rendraient coupables du crime de lèse-nation, parce qu’ils n’auraient que le projet d’atténuer la puissance nationale, en jetant sur ses revenus, sur son commerce, les chaînes d’une aristocratie financière. Vous pouvez, Messieurs, remplacer la Caisse d’escompte par une Banque nationale , en faire une base du bien public et la constituer de manière que les administrateurs qui seront chargés de la diriger, soient protégés par le Trésor national , et ne puissent jamais aspirer à tenir ce Trésor , ni le commerce dans leur dépendance. Vous ne pouvez pas ignorer, Messieurs, que dans les circonstances où nous nous trouvons , il ne serait pas de votre sagesse de faire une (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.