170 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juin 1790.] qu’il présente de faire son établissement dans le royaume, et de n’y employer que des ouvriers du pays. $i d’ailleurs ses offres étaient égales, vous n’auriez plus qu’à examiner et décider si ces avantages ne sont pas balancés par l’offre que font des étrangers industrieux, estimés dans leur pays pour l’opération dont il s’agit, de transporter en France leurs capitaux, ceux de leurs associés, leur industrie et celle de leurs principaux ouvriers. Le sieur Auguste est un orfèvre accrédité, il est vrai, mais l’établissement des sieurs Mears et compagnie dans le royaume sera une acquisition utile et certaine. D’ailleurs, ils s’obligent, ainsi que le sieur Auguste, de faire en France toute l’opération; et leur intérêt seul suffit pour les porter à employer de préférence des ouvriers nationaux, qui leur coûteront moins que ceux de leur pays. D’uq autre côté, ils offrent environ 12 0/0 de plus, en se chargeant de tous les frais et risques ; et, pour sûreté de leurs engagements, ils se soumettent à donner dans Paris des cautions de toute satisfaction. Voilà des motifs de considération en leur faveur. Quant à la demande qu’ils font d’être exempts de droits d’entrée sur les charbons étrangers nécessaires à leur opération, il ne serait pas raisonnable de l’accorder. Outre que toutes ces faveurs particulières sont sujettes à des abus, et sont préjudiciables au Trésor public, nous avons dans le royaume plusieurs mines de bon charbon, à portée de rivières navigables. D’ailleurs la fonte du cuivre n’exige pas un feu plus actif que la fonte de la mine de fer. Votre comité estime donc que l’on doit employer du charbon du pays, ou payer les droits d’entrée, si l’on préfère le charbon étranger. On vous propose aussi, Messieurs,, de réduire à trois et à deux cloches toutes les églises des villes et des campagnes. C'est une grande question à examiner, et le comité croit qu’il convient de la remettre à un autre temps, que vous serez toujours les maîtres de fixer. Ce serait peut-être le meilleur moyen de tirer un meilleur parti de cette idée, que d’attendre le résultat des premières fontes des autres cloches qui sont déjà réformées. Ceux à qui vous accorderez le traité, étant plus éclairés par l’expérience, seront aussi plus disposés à augmenter leurs offres. Leur travail donnera des idées à d’autres artistes, et la concurrence procurera certainement quelque avantage à la nation. Les sieurs Mears terminent leur mémoire par l’offre de fondre gratuitement la grande cloche de Rouen, qui est cassée, et qui pèse quarante milliers, et de la remplacer par une autre moitié pesante, et qui cependant aurait la même intensité de son. Vous penserez sans doute, Messieurs, que cet objet ne regarde que la municipalité de Rouen, et qu’il ne doit être question aujourd’hui que ae fondre les cloches réformées, poür en faire entrer la valeur dans le Trésor national, et fournir au commerce deux métaux précieux, que nous tirerions de l’étranger. Mais n’y a-t-il point à craindre que la matière ordinaire des cloches ne contienne une plus grande quantité de cuivre, et que le bénéfice des entrepreneurs ne devienne par cela même beaucoup plus considérable qu’ils ne le font entrevoir? Nous vous observerons à cet égard que le sieur Auguste, ainsi que les artistes étrangers qui se présentent, s’accordent avec l’Encyclopédie, et la collection des Arts-et-Méliers , sur l’objet principal ; que la meilleure cloche est un alliage de trois livres de cuivre et d’une livre d’étain, comme l’ont avancé les sieurs Mears. Il ne resterait donc plus d’incertitude que sur la question de savoir s’il sera possible ou non de retirer avec profit une partie de l’étain. Plusieurs artistes de Paris, qui ont fait des expériences suivies, assurent que c’est impraticable, à cause de la dépense énorme où entraîne cette opération ; et c’est ce que l’opération seule, exécutée en grand sur de fortes quantités de différentes cloches, pourra déterminer : du moins c’est ainsi que le comité des finances l’a considéré. Il estime qu’il convient de faire rentrer au Trésor public la valeur des cloches devenues inutiles par la suppression des couvents et communautés religieuses, parce que, suivant le calcul des sieurs Mears et compagnie, sur le nombre des cloches déjà réformées par les décrets, ce serait un objet de huit à neuf millions de produit assuré pour la caisse de l’Ëxtraor-dinaire. Lorsqu’il s’agira de fixer la manière de payer les cloches, soit en argent comptant, soit à terme, soit en métal de cuivre provenant des cloches, l’Assemblée nationale prendra en considération la convenance évidente, dans la circonstance actuelle, de frapper de la monnaie de cuivre, et en même temps de se procurer des feuilles de cuivre pour le doublage de nos vaisseaux. Sous ce point de vue, elle estimera peut-être qu’il sera utile de recevoir le payement des cloches en lingots de cuivre; cette manière de s’acquitter serait probablement préférable pour ceux qui se chargeraient de la fonte des cloches, et les engagerait à en donner un prix plus avantageux pour la nation. l’Assemblée, dans cette hypothèse, prendra une détermination positive. Votre comité des finances n’aurait pas été éloigné d’accueillir la proposition de MM. Mears et compagnie; mais il lui a paru prudent, avant de rien terminer sur leurs offres, ainsi que sur celle de M. Auguste, de vous proposer le projet de décret suivant: « L’Assemblée nationale, après avoir entendu « le rapport du comité des finances sur les pro-« positions qui lui ont été faites par divers « particuliers, pour la foute ou l’acquisition des « cloches des couvents et communautés reli-« gieuses qui sont supprimés, ajourne à deux « mois toute décision à prendre sur ces propo-« sitions ; et, pour leur donner la publicité conve-« nable, elle ordonne l’impression du rapport de « son comité des finances; elle invite les artistes, « métallurgistes et fondeurs de faire des essais « sur la matière des cloches, afin d’acquérir des « connaissances plus positives, et d’établir une « plus grande concurrence, lorsque l’on jugera à « propos de faire faire l’adjudication définitive « des cloches des communautés supprimées et de « celles qui deviendront inutiles. » M. le Président met aux voix ce projet de décret. Il est adopté. (On demande à passer à l’ordre du jour.) M. le comte de Mirabeau. M. le Président, je demande la parole avant l’ordre du jour : je ne la tiendrai que pendant deux minutes. (On demande encore l'ordre du jour.) (M. de Mirabeau paraît à la tribune, au milieu des murmures tumultueux d’une partie de l’Assemblée.) M. le comte de Mirabeau. Frapklip es{ mort... (Il se fait un -profond silence.) il est re- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juin 1790.] 171 tourné au sein de ia Divinité, le génie qui affranchit l’Amérique et versa sur l’Europe des torrents de lumières ! Le sage que deux mondes réclament, l’homme que se disputent l’histoire des sciences et l’histoire des empires, tenait sans doute un rang bien élevé dans l'espèce humaine. Assez longtemps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre; assez longtemps l’étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites : les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs; les représentants des nations ne doivent recommander à leurs hommages que les héros de l’humanité. Le congrès a ordonné, dans les quatorze États de la confédération, un deuil de deux mois pour la mort de Francklin, et l’Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération et de reconnaissance pour l’un des pères de su constitution. Ne serait-il pas digne de vous, Messieurs, de nous unir à l’Amérique dans cet acte religieux, de participer à cet hommage rendu à la face de l'univers, et aux droits de l’homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager 1a conquête sur toute la terre? L’antiquité eût élevé des autels au puissant génie qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. L’Europe, éclairée et libre, doit du moins un témoignage de souvenir et de regret à l’un des plus grands hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté. Je propose qu’il soit décrété que l’Assemblée nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Francklin. (La partie gauche applaudit avec transport.) MM. de lia Rochefoucauld et de Lafayette se lèvent pour appuyer la proposition de M. de Mirabeau : tout le côté gauche se lève. M. Moreau monte à la tribune. On crie : Aux voix ! aux voix ! M. Moreau (de Tours). Je veux, non contredire la motion, mais la compléter. M. Legrand. Je demande que M. le président soit chargé d’écrire au congrès, pour lui témoigner la part que l’Assemblée nationale prend à la perte qu’il vient de faire. M. le comte de Montlosier. Je demande si M. Francklin est réellement mort, et si sa mort a été notifiée à l’Assemblée nationale par le congrès? M. le comte de Mirabeau. MM. de La Rochefoucauld et de Lafayette, amis de ce grand homme, ont été instruits de sa mort. Cette triste nouvelle a été écrite à M. de La Rochefoucauld par M. Landowsne. Ainsi cette perte n’est que trop sûre ; mais j’aurai l’honneur d’observer que si, par impossible, cette nouvelle est fausse, la sollicitude qu’on montre est de peu d’importance; car votre décret feraitpeude peine à M. Francklin. L’Assemblée adopte par acclamation la motion de M. le comte de Mirabeau et rend le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que ses membres porteront trois jours le deuil de Benjamin Francklin, à commencer de lundi prochain; que le discours prononcé à cette occasion sera imprimé, et que M. le Président écrira au congrès américain au nom de l’Assemblée nationale. » M. Lebrnn, rapporteur du comité des finances , reprend la suite de son rapport sur les différentes parties des dépenses de la dette publique. La partie dont il s’occupe est dénommée : remises, moins-imposé , modération et non-valeurs. M. Lebrun. Le chapitre des remises, moins imposé, modération et non-valeurs renferme des objets qui tiennent, les uns de la bienfaisance, les autres de la justice, d’autres enfin de l’une et de l’autre, peut-être aussi de l’impuissance de l’ancienne administration. La bienfaisance était justice rigoureuse pour certaines provinces, dans un temps où la mesure de toutes les contributions était forcée, où par conséquent il était impossible de balancer les malheurs elles prospérités des différentes parties d’une même province. Aujourd’hui, le fardeau également partagé pèsera moins, et les calamités particulières seront compensées sans qu’il en coûte au Trésor public. Il faut au Trésor public une recette égale aux besoins calculés par l’économie. Ce sera dans un excédent d’imposition que les départements trouveront les moyens de corriger leurs malheurs locaux. Le comité a pensé qu’il fallait retrancher de la dépense toute la partie des remises, modération et décharges. Elles montent, année commune, pour les pays d’élection et pays conquis, à. . . . 4,769,770 liv. En Languedoc ....... . ....... 400,000 En Provence ................. 3,370 En Roussillon ................ 21,000 En Bretagne ................. 200,000 Terres adjacentes ...... ....... 12,500 A la vallée de Barcelonette jusqu’en 1802 ................ 10,000 Sous le titre de bienfaisance, il faut ranger encore en Provence : Pour le rétablissement du port de Seine ................... 15,000 Pour le dessèchement des marais de Fréjus .............. 15,000 A des pères de famille qui se chargent d’enfants trouvés, environ .................. . 16,000 Tous ces articles doivent être à la charge des départements qui partagent la Provence. D’autres articles s’évanouissent par le nouvel ordre des choses. Ce sont des compensation? d’abonnements de vingtièmes accordés à des princes ou à des particuliers, de capitations retenues sur les gages ou traitements d’officiers civils ou militaires. Restent quatre objets qui paraissent présenter des difficultés que le patriotisme et la justice doivent résoudre. Ce sont des sommes accordées au Languedoc et à la Bretagne pour rembourser les capitaux des emprunts qu’ils font tous les dix ans pour racheter les quatre sous pourlivrede la capitation, Languedoc, 800,000 livres;Bretagne, 300,000 livres. Ensemble, 1,100,000 livres. Ce rachat date, pour le Languedoc, de 1788. Pour ia Bretagne, de février 1789. Le Languedoc a payé 3 millions. La Bretagne n’a encore payé que 2,200,000 liv. au lieu de 4 millions convenus. En tenant compte au Languedoc et à la Breta-