SÉANCE DU 29 FRUCTIDOR AN II (LUNDI 15 SEPTEMBRE 1794) - N° 43 199 temps repousser par son courage les efforts impuissants des audacieux qui oseraient l’attaquer; mais pour le faire avec plus de succès, il lui faut des objets que son sol lui refuse, ou dont les qualités qu’il fournit sont insuffisantes pour ses besoins. Comment parviendra-t-elle à se les procurer? Ce ne peut être que par l’échange des fruits de l’industrie de ses habitants, et cet échange, le commerce peut seul l’opérer; je dis le commerce seul, et je réfute ici l’opinion de ceux qui pourrait croire qu’il peut être fait par le gouvernement, opinion dangereuse dont les effets funestes entraîneraient la perte de la chose publique; une grande nation qui fait le commerce par son gouvernement est une monstruosité dans l’ordre politique, que les législateurs doivent s’empresser de faire disparaître. Si donc le commerce peut seul pourvoir aux besoins de la patrie, s’il rend les hommes industrieux, pourquoi cette défaveur qui semble attachée à ceux qui s’y livrent. Quel génie ennemi de la liberté avait pu souffler des principes dont les conséquences anéantissent par contre-coup l’industrie, les arts et l’agriculture. Les ressources de la République sont immenses; les efforts de ses ennemis ne pourront les épuiser; mais le législateur prudent doit tout prévoir, tout craindre et tout ménager. Les tyrans, sous le despotisme desquels la France a trop longtemps gémi, en ont tiré 60 milliards en cent quarante-six années. Comment la France, qui ne produit presque point d’or, a-1- elle pu se procurer les moyens d’assouvir cette insatiable cupidité? par son commerce et par le produit de l’industrie de ses habitants. Relevons donc le commerce et l’industrie; soutenons-les par une protection dont la volonté nationale soit la garantie; rappelons la confiance, et nous verrons bientôt accourir l’abondance des quatre parties du monde; rap-portons-nous-en entièrement au commerce sur les moyens d’exécution : il les trouvera dans son infatigable activité et dans sa prévoyance toujours active, dans ses relations universelles. Mais, je le répète, il faut, pour parvenir à ce but, s’empresser de détruire une prévention qui a porté le découragement dans le commerce et suspendu ses opérations; car, je vous le demande, citoyens, existe-t-il un homme assez ennemi de lui même pour se livrer à un état qui doit appeler le soupçon sur sa tête et exposer chaque jour sa personne et ses propriétés? Il serait absurde de le croire et injuste de l’exiger. Sans doute, il s’est introduit des abus dans le commerce; de vils agioteurs, sous le manteau de l’intérêt public, ont spéculé sur la misère du peuple. Voilà la plaie qu’il faut guérir; mais il ne faut pas que tout périsse, parce qu’une de ses parties est grangrénée; et, pour me servir des expressions de Mably : « On n’abandonna jamais l’exploitation d’une mine riche parce que quelques paillettes de cuivre s’y trouvaient mêlées avec des veines d’or. » La Grèce fut l’asile de l’industrie et des arts, parce que dans la Grèce on encourageait les lumières et les talents. Dans la Perse, au contraire le germe du génie fut étouffé; on était puni d’oser y dire la vérité. Abjurons parmi nous tout système destructeur de l’industrie et du commerce; regardons comme des hérésies politiques les déclamations propres à jeter le trouble et le découragement dans les esprits. Ne confondons plus le commerçant honnête avec l’agioteur avide qui abuse de cet état pour tromper. Que les encouragements s’étendent sur le premier, en même temps que la justice nationale frappera le dernier; que la société garantisse le fruit de ses travaux à celui qui travaille lui-même pour le bonheur de la société. Pénétrons-nous surtout de cette importante vérité, qu’il doit exister un accord parfait entre la partie propriétaire, la partie industrieuse et la partie commerçante de la population française; que sans cet accord, tout ordre moral est interverti. Que le propriétaire n’oublie jamais que les blés qu’il récolte doivent nourrir aussi l’artisan et le commerçant, puisque de leur côté les derniers fournissent à ses autres besoins. Rappelons aussi à l’homme moins fortuné que cet habit dont l’éclat l’importune, que ce meuble qui le scandalise, sont les fruits de l’industrie et la cause de l’aisance de trente familles qui ont contribué à leur fabrication. Votre comité sait qu’il est des circonstances où les besoins de l’Etat prescrivent des bornes à la liberté du commerce. Il fera tous ses efforts pour rattacher et réunir tous les fils qui tiennent le résultat de ses travaux. En attendant, il croit devoir vous proposer une mesure tendant à faire cesser quelques obstacles qui s’opposent à la fabrication. Les entrepreneurs des manufactures, les fabricants n’osent plus faire venir de l’étranger les matières premières nécessaires à l’aliment de leurs fabriques. Ce décret ne changera rien aux opérations du gouvernement, puisque si vous ne le rendez pas, les fabricants ne feront plus venir des matières premières, et qu’au contraire en le rendant vous en faciliterez l’importation. Ce décret est sollicité d’ailleurs par la commission de Commerce et d’approvisionnements qui en a senti la nécessité. Citoyens, réunissons tous nos efforts pour appeler l’industrie à la liberté. Le feu du génie échauffe l’âme; les arts aussi sont des républicains. Voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter : Un membre [Blutel], au nom du comité de Commerce et approvisionnemens, présente un projet de décret tendant à exempter du droit de réquisition et de préemption les matières premières que les fabricans font venir de l’étranger (77). La Convention nationale après avoir entendu le rapport de son comité de Commerce et (77) P.-V., XLV, 276. 200 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE approvisionnemens décrète [que] tout citoiën dont l’industrie et les relations tendent à vivifier le commerce et les manufactures ou à introduire dans la République des matières premières propres à les alimenter mérite bien de la patrie. Le droit de réquisition et de préemption ne pourra être exercé sur les matières premières que les fabricans justifieront avoir fait venir de l’étranger pour l’aliment de leurs fabriques. Le présent décret sera inséré au bulletin des loix et de correspondance (78). VILLERS obtient la parole : il expose que le comité de Commerce s’est hâté de se conformer au vœu que l’Assemblée a manifesté hier de s’occuper des grands intérêts du commerce; il fait sentir qu’une révolution générale dans l’Etat a du en opérer une aussi dans le commerce; qu’une nation entourée d’ennemis, ne peut être à-la-fois guerrière et commerçante; mais continue l’orateur, si aujourd’hui nous vous indiquons les maux, vous saurez bientôt y appliquer les remèdes. Il y a deux grands principes : c’est qu’une nation policée ne sauroit exister sans commerce, et que l’âme du commerce c’est la liberté. Si un instant vous vous êtes écartés de ces principes pour le bonheur du peuple, c’est pour son bonheur aussi que vous y revenez aujourd’hui. Il faut le dire : le premier pas à faire, seroit de supprimer la loi du maximum et celle sur les ac-caparemens. Mais c’est moi-même qui vous ai proposé, il y a quelques jours, de proroger la première de ces lois; et en effet, je ne crois pas qu’on pût, dans ce moment, supprimer ni l’une ni l’autre. L’opinant pense qu’en attendant que ces lois puissent être abrogées, l’Assemblée doit porter toute son attention sur les manufactures, qui sont un si puissant aliment pour l’industrie, et une source si abondante de richesses. Il réfute les raisonnemens de ceux qui croient que tout ce qui tient au luxe doit être banni des républiques; il regarde, au contraire, les manufactures de luxe plus convenables aux Etats républicains qu’aux monarchies : les premiers y cherchent, non de vaines jouissances, mais des moyens d’augmenter leurs moyens de subsistances et de population. C’est sur-tout aux bonnes institutions et aux bonnes mœurs, dit-il, à préserver les républiques des inconvéniens qu’entraîne l’amour du luxe. Quand la vertu est honorée par dessus tout, l’homme préfère à tout l’estime de ses concitoyens. (On applaudit.) VILLERS demande l’impression du discours et l’adoption du projet de décret. On demande, d’autre part, l’impression et l’ajournement du tout. THURIOT [et ISORÉ] (79) appuie[nt] cette dernière proposition; il [THURIOT] observe (78) C 318, pl. 1286, p. 34. Projet de décret de la main de Blutel. Cordier indique en marge, la décision de la Convention d’en assurer l’impression et l’ajournement. Moniteur, XXI, 780. (79) J. Fr., n° 721. qu’au nombre des matières premières dont on a parlé, se trouvent le fer, le chanvre, et beaucoup d’autres objets que, vu les besoins de l’Etat, il seroit peut-être dangereux de concentrer dans les mains des particuliers [si l’on ne conserve pas au gouvernement le droit de requérir] (80). Il croit donc qu’il faut ajourner le tout, pour qu’on ait le temps de bien mûrir les propositions, et d’aviser aux dangers qu’elles présentent au premier aspect. Cette dernière décision est décrétée (81). La Convention en décrète l’impression et l’ajournement (82). 44 Un secrétaire annonce la nomination des citoyens Barailon, Pelé (du Loiret), Bernard-Saint-Affrique et Béraud pour commissaires au dépouillement du scrutin pour le complément du comité des Transports, Postes et Messageries (83). 45 La Convention nationale accorde au citoyen Cruves, l’un de ses membres, retenu chez lui pour cause de maladie, une prolongation, de congé de quatre décades (84). [ Cruves , au citoyen Barras son collègue , Lor-gues, district de Draguignan, département du Var, le 17 fructidor an 17] (85) Ma fille doit avoir prévenu de ma maladie, les fièvres se sont enfin fixées en doubles tierces; Je suis obligé de me servir d’une main étrangère ne pouvant pas le faire moi-même, attendu le peu d’intermition qu’il y a dans mes fièvres, pour te prier de demander à la Convention un congé jusqu’au rétablissement de ma santé dont j’en désire la célérité pour pouvoir aller le plutôt possible coopérer aux sublimes travaux de la Convention. Tu trouveras cy -joint le certificat de l’officier de santé. Salut et fraternité Cruves (80) J. Paris, n° 624. (81) Débats, n° 725, 484-485. Moniteur, XXI, 780; J. Mont., n° 139; M. U., XLIII, 475; J. Fr., n° 721; F. de la Républ., n° 436; Mess. Soir, n° 758; Rép., n° 270; J. Perlet, n° 723; Ann. Patr., n° 623; Ann. R. F., n° 288; C. Eg., n° 758; Gazette Fr., n° 989; J. Paris, n° 624. (82) P.-V, XLV, 276. Décret n° 10 899. Rapporteur Thu-riot, selon C* II 20, p. 300. (83) P.-V., XLV, 276. (84) P.-V., XLV, 276. C 318, pl. 1286, p. 36. Décret n° 10 892. Rapporteur Barras. (85) C 318, pl. 1286, p. 35.