[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1789.] 645 M. de La Luzerne, évêque , duc de Langres, président suppléant , sensible aux applaudissements unanimes de l’Assemblée, a dit : Je voudrais trouver des expressions qui répondissent à la sensibilité dont vos bontés me pénètrent. Vous m’honorâtes infiniment, lorsque vous m’élevâtes à la place où je me trouve dans ce moment ; l’honneur que vous répandez sur moi m’est bien plus flatteur encore, puisqu’il me montre que mes efforts, quelque inutiles qu’ils aient été, ne vous ont pas déplu. La discussion sur l’article du commerce des grains a été reprise ; après quoi on a lu le modèle du décret, et neuf amendements qui ont été proosés par divers membres, sur lesquels l’Assem-lée en a adopté quatre par assis et levé, et en a rejeté cinq par le même mode de délibération. Une seconde lecture a été faite du modèle de décret, après laquelle un membre de l’Assemblée a proposé un dernier amendement qui a été adopté. L’Assemblée a décidé ensuite qu’elle adoptait le décret avec les amendements admis; mais qu’elle renvoyait au comité de rédaction pour y adapter les mêmes amendements, et le rapporter à l’Assemblée du lendemain soir pour la lecture y en être faite. M. de Clermont-Tonnerre ayant repris sa place, a rendu compte qu’il avait présenté, selon les.ordres de l’Assemblée, les divers décrets des 4, 6, 7, 8 et 11 août, et celui du comité des subsistances du 29 août dernier, à la sanction royale, et que le Roi lui avait répondu « qu’il prendrait en considération la demande qu’il lui faisait, et qu’il y répondrait très-incessamment. » M. le Président a invité le comité de vérification à s’assembler le lendemain matin, et a indiqué pour ordre du jour de la séance du lendemain soir l’affaire de la gabelle, un rapport sur les Juifs et une motion d’un membre de l’Assemblée sur la caisse d’escompte. M. le Président a levé la séance, qu’il a indiquée pour demain neuf heures du matin. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 15 septembre 1789 (1). EXAMEN de plusieurs questions importantes sur le commerce des grains, et sur les moyens d’assurer la subsistance des villes, par M. de Beauvais, ancien évêque de Senez (2). ( Imprimé par ordre de V Assemblée nationale .) Messieurs, après les questions relatives à la Constitution, celle du commerce des grains et de (1) Le mémoire de M. de Beauvais n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Ce discours était destiné à être prononcé dans l’Assemblée nationale, si elle se fût occupée de ces questions aux époques où elles avaient été ajournées; on a pensé qu’il était utile de provoquer la discussion sur une matière aussi intéressante, afin que les opinions étant fixées, les vrais principes sur la législation des grains soient reconnus et sanctionnés. Il est d’autant plus nécessaire de traiter ces questions, la subsistance des villes est une des plus importantes qui puisse occuper votre attention ; non-seulement cette question intéresse les habitants des villes et des campagnes, mais elle peut encore singulièrement influer sur nos relations de commerce et de politique avec plusieurs nations voisines; elle mérite donc de votre part le plus sérieux examen. Votre comité de rapport vous propose de prononcer la peine de mort contre ceux qui exporteront les grains à l’étranger ; je vais essayer de démontrer que cette peine serait sans proportion avec le délit ; que cette loi, rigoureuse à l'excès, serait contraire à nos intérêts, impolitique et impossible à maintenir. Cette peine est sans proportion avec le délit, parce que l’infraction que l’on veut punir est criminelle seulement en raison de circonstances qui peuvent et qui doivent cesser bientôt. Sans doute, Messieurs, dans un temps d’effervescence, de fermentation, d’alarmes et d’inquiétudes sur les subsistances, vous avez dû prohiber l’exportation des grains ; le cri du peuple et l’opinion publique provoquaient la loi ; mais aujourd’hui que le calme est rétabli dans presque tout le royaume, devez-vous aller au delà par une loi qui entretiendrait à la fois les erreurs du peuple et ses inquiétudes ? Devez-vous prononcer une peine terrible contre un délit de circonstances, sur lequel votre opinion n’est pas encore fixée, et que les plus habiles publicistes sont bien loin de regarder comme un crime, puisqu’ils pensent que la maxime contraire, celle de la liberté absolue d’exportation et d’importation, devait être adoptée par un gouvernement sage. Vous savez, Messieurs, qu’en juin 1787 une loi solennelle demandée par les notables, sollicitée par toutes les provinces, enregistrée sans difficulté par tous les parlements, avait consacré la liberté d’exportation. Cette loi, que l’on peut nommer nationale, puisqu’elle avait l’assentiment et le vœu générai, n’a été révoquée que par un simple arrêt du Conseil rendu au mois de septembre de l’année dernière ; ainsi l’exportation des grains, que l’on regarde aujourd’hui comme un crime digne du dernier supplice, loin d’être un délit il y a deux ans, était autorisée par la loi. À présent, Messieurs, je suppose que les années prochaines soient tellement abondantes que le prix des grains soit avili en France, alors les législatures suivantes seront nécessairement obligées de révoquer cette loi sanguinaire. Un des reproches les mieux fondés que l’on ait fait au gouvernement ministériel et arbitraire, dont nous sommes heureusement délivrés, a été celui d’avoir multiplié à l’infini les arrêts et les règlements de lieux et de circonstances. Vous n’avez certainement pas l’intention d’imiter l’exemple des ministres dont l’ignorance et les erreurs ont fait gémir si longtemps les habitants de cet empire. Que diront les nations étrangères, qui toutes ont, en ce moment, les yeux fixés sur vous, lorsqu’elles verront que vous punissez de mort une action que la loi avait, deux ans auparavant, regardé comme irréprochable ? Au moment où cette Assemblée présente à l’unique plusieurs représentants de la commune le persuadent et veulent, dit-on, faire croire à leurs concitoyens que si Paris n’est pas le centre et le chef-lieu d’un département très-étendu; si elle ne conserve pas le droit de dominer sur tout ce qui l’environne, elle manquera de provisions et de subsistances. (Note de M. de Beauvais.)