[26 septembre 1789.] [Assemblée nationale.] vateur y a à peine vendu sa récolte, qu’il est obligé d’employer une grande partie de son produit en frais de nouvelle exploitation ; que par cette raison ou par d’autres, il en est peu qui ne soient obérés; qu’il n’y a peut-être pas en France deux cent mille particuliers qui aient le quart de leur revenu net disponible. Si vous le demandez à l’amiable, beaucoup se croiront fondés, sur leur détresse, à ne pas l’envoyer ; si vous en voulez forcer le payement, je vous prie de considérer que jusqu’à ce que la nation soit heureuse, il sera imprudent de lui commander autre chose que ce qu’elle voudra. 11 faut des moyens prompts, des moyens possibles; nous rougirions devant ceux qui nous ont honorés de leur confiance, si, avant de leur demander des devoirs nécessaires, nous ne frappions pas sur des richesses immenses., des richesses mortes , des richesses dont le remplacement se fera presque sans aucuns frais. Ces richesses sont l’argenterie de toutes les églises ou monastères de France; de ces richesses qui en mériteront véritablement le nom si elles sont employées à épargner l’obole du pauvre et à solder notre liberté. Un habile calculateur fait monter l’argent orfèvre du royaume à un milliard, ce qui est assurément le calcul le plus modéré ; évaluons que l’argenterie des églises compose seulement le septième de cette somme et je crois encore ne pas 1 exagérer, voilàune somme déplus de 140 millions; il n’est pas besoin de vous faire sentir l’avantage d’une pareille somme dans un pareil moment. Ce n’est pas devant une Assemblée aussi éclairée qu’il est besoin d’exercer une pareille émotion; si un conseil honteux pouvait sauver la nation française, je dirais, il lui appartient dépérir, mais notre respect pour l’Etre suprême ne sera point douteux. Son luxe est dans la magnificence de la nature qu’il a ordonnée pour nos besoins et non dans les présents mesquins de la vanité des hommes. M. Le Clerc de Juigné, archevêque de Paris, demande la parole et dit : Messieurs, nous avons vu l’Eglise consentir au dépouillement des temples pour secourir les pauvres et pour subveuir aux besoins de l’Etat; ces exemples que nous offre l’histoire nous détermi-i nent, au moins c’est le vœu de tous les confrères qui m’environnent, de soutenir l’Etat parla portion de l’argenterie qui n’est pas nécessaire à la décence du culte divin. Je propose de faire ce dépouillement de concert avec les officiers municipaux, les curés et les chapitres. M. GIe*en. Messieurs, il faut un décret exprès de l’Àssemblée nationale pour autoriser la vente ‘ de l’argenterie des églises. Les évêques et le clergé n’ont pas le droit d’en disposer parce qu’elle ne leur appartient pas. M. Pelauque fait une autre motion tendant à donner aux églises des reconnaissances du produit de la fonte de l'argenterie avec intérêt à 4 0/0 au profit des pauvres. Divers membres demandent à aller aux voix sur la motion de M. le baron de Jessô. D'autres membres demandent au contraire qu’on reprenne l’ordre du jour, c’est-à-dire l’examen du plan financier proposé par M. JNecker. L’Assemblée adopte cette dernière proposition. M. le vicomte de Mirabeau. Messieurs, je lre Sérié, T. IX. 193 m’élève contre l’impôt par quart et j’appuie la remarque qu’il est permis de faire ses propres honneurs, mais non pas ceux de ses commettants. Je conçois, que les ci-devant privilégiés, les capitalistes, les propriétaires, pourront supporter l’impôt que vous voulez leur imposer; mais comment parviendrez-vous à le faire payer par celte classe indigente, attachée à la glèbe, qui attend de vous quelque secours, et à qui vous en promettiez? C’est ici que je réclame contre. La justice préside au calcul. L’enthousiasme, Messieurs, ne calcule jamais. M. Garat, l'aîné, député du Labour. Je déclare que ma province est la plus pauvre ; mais je connais le sentiment de nos compatriotes; il n’y en a aucun qui ne sacrifiât sa fortune à la patrie. Eh ! Messieurs, la pauvreté même sera généreuse l L’Assemblée revient ensuite à l’argenterie des églises. M. Treïlhard, de concert avec M. l’archevêque de Paris, offre l’arrêté suivant: « L’Assemblée nationale, sur l’offre faite par MM. du clergé, par l’organe de M. l’archevêque de Paris, a arrêté qu’il sera incessamment, par les archevêques, évêques, curés, chefs de maisons, supérieurs, etc., dressé, conjointement avec les municipalités, un état de l’argenterie des églises qui est nécessaire pour la décence du culte divin, et que l’excédant sera porté dans les monnaies du royaume pour les besoins de l’Etat. » On propose des amendements à ce projet. D’abord, on veut ajouter apres églises, les mots de fabriques et confréries. On veut de plus fixer ce qui est nécessaire. On fait encore d’autres observations, et, pour la seconde fois, on abandonne ce projet pour retourner à la discussion entamée sur le plan financier de M. Necker. M. le comte de Mirabeau rentre en ce moment dans la salle et donne lecture du projet de décret qu'il vient de rédiger: « L’Assemblée nationale, délibérant sur le discours lu par le premier ministre des finances, à la séance du 24 septembre, après avoir entendu les observations du comité des finances, frappée de l’urgence des besoins de l’Etat et de l’impossibilité d’y pourvoir assez promptement par un examen approfondi et détaillé des propositions contenus dans ce discours; considérant que la confiance sans bornes que la nation entière a témoignée à ce ministre autorise l’Assemblée et lui impose, en quelque sorte, l’obligation de s’abandonner à ses lumières, a arrêté et décrété d’adopter textuellement les propositions du premier ministre, relatives aux mesures à prendre actuellement pour subvenir aux besoins instants du Trésor public, pour atteindre au moment où l’équilibre entre les revenus et les dépenses fixes pourra être sûrement établi. « Autorise en conséquence le premier ministre des finances à lui soumettre les projets d’ordonnances nécessaires à l’exécution de ces mesures, pour recevoir l’approbation de l’Assemblée, et être de suite présentés à la sanction royale. » (Cet arrêté essuie beaucoup de contradictions; l’un propose des amendements, l’autre rejette la rédaction et en adopte l’esprit.) M. de Vlrleu s’écrie que M. de Mirabeau poignarde le plan de M. Necker. M. Duval d’Eprémesnll prétend qu’il ne 43 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 194 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1789.] faut ni faire l’éloge de M. Necker, ni le censurer; que ni l'un ni l'autre m* conviennent à la dignité de l’Assemblée. Il s’étonne surtout que ce soit M. de Mirabeau qui ait fait cet éloge. Il dit qu’il suffit qu’après avoir copié mot pour mot les propositions de M. Necker, on les transforme en lois, on les décrète purement et simplement. Cette forme d’arrêté, ironiquement proposée, obtient néanmoins quelques applaudissements. M. le vicomte de Mirabeau trouvé la rédaction trop sèche. Cette censure force M. le comte de Mirabeau à reprendre la parole pour défendre l’arrêté qu’il vient de proposer. M. le comte de Mirabeau. Il me semble que j’ai rarement été inculpé de flagornerie. Lorsque, dans l’arrêté dont l'Assemblée m’a chargé de lui résenter le projet, j’ai rappelé la confiance sans ornes que la nation a montrée au premier ministre des finances, c’est un fait que j’ai raconté, ce n’est pas un éloge que j’ai donné. Je me suis rigoureusement conformé à l’esprit de la décision que l’Assemblée nationale paraissait adopter, je veux dire l’acceptation de confiance d’un plan que les circonstances ne nous laissaient pas le loisir d’examiner, et la déclaration que cette confiance dans le ministre nous paraissait autorisée par celle que lui avaient montrée nos commettants. Lorsque je me suis retiré pour préparer ce que l’Assemblée avait bien voulu me charger de rédiger, on a beaucoup dit que j’allais rapporter de V éloquence, et non un décret. Lorsque je reviens, on accuse mon projet de décret de sécheresse , d’aridité , de malveillance. Les amis du ministre insinuent que je veux le compromettre en sauvant de toute responsabilité, dans une occasion si délicate, l’Assemblée nationale. D’un autre côté, on semble croire que je veux faire manquer les mesures du gouvernement, en spécifiant dans le décret de l’Assemblée qu’elle accepte le plan du ministre, de confiance en l’homme, et sans discuter son projet. La vérité ne se trouve jamais qu’au milieu des assertions exagérées; mais s’il est difficile de répondre à des imputations contradictoires, il me sera très-facile de mettre à leur aise ceux qui font de grands efforts pour tâcher de me deviner. Je n’ai point l’honneur d’être l’ami du premier ministre des finances; mais je serais son ami le plus tendre que, citoyen avant tout, et représentant de la nation, je n’hésiterais pas un instant à le compromettre plu tôt que l’Assemblée nationale. Ainsi l’on m’a deviné, ou plutôt on m’a entendu; car je n’ai jamais prétendu me cacher. Je ne crois pas, en effet, que le crédit de l’Assemblée nationale doive être mis en balance avec celui du premier ministre des finances; je ne crois pas que ie salut de la monarchie doive être attaché à la tête d’un mortel quelconque; je ne crois pas que le royaume fût en péril quand M. Necker se serait trompé; et je crois que le salut public serait très-compromis si une ressource vraiment nationale avait avorté, si l’Assemblée avait perdu son crédit et manqué une opération décisive. 11 faut donc, à mon avis, que nous autorisions une mesure profondément nécessaire, à laquelle nous n’avons, quant à présent, rien à substituer; il ne faut pas que nous l’épousions, que nous en fassions notre œuvre propre, quand nous n’avons pas le temps de la juger. Mais de ce qu’il me paraîtrait profondément impolitique de nous rendre les garants des succès de M. Necker, il ne s’ensuit pas qu’il ne faille, à mon sens, seconder son projet de toutes nos forces, et tâcher de lui rallier tous les esprits et tous les cœurs. Personne n’a le droit de me demander ce que je pense individuellement d’un plan sur lequel mon avis est que nous ne devons pas nous .permettre de discussion. Cependant, afin d’éviter toute ambiguité et de déjouer toutes les insinuations qui ne tendent qu’à aiguiser ici les méfiances, je déclare que j’opposerais à ce plan de grandes objections, s’il s’agissait de le juger. Je crois que, dans les circonstances infiniment critiques qui nous enveloppent, il fallait créer un grand moyen sans la ressource du crédit ; qu’il fallait, en s’adressant au patriotisme, craindre ses réponses ; craindre surtout cet égoïsme concentré, fruit de la longue habitude du despotisme ; cet égoïsme qui désire de grands sacrifices à la sûreté publique, pourvu qu’il n’y contribue pas ; qu’on devait redouter cette multitude d’incidents qui naissent chaque jour, et dont les mauvais effets circulent dans le royaume longtemps après qu’ils ont pris fin autour de nous ; que les circonstances ne promettant pas un retour de confiance assez prochain pour en faire Usage immédiatement, se servir du crédit des ressources volontaires, c’était exposer de très-bonnes mesures à être usées quand les sujets d’alarmes ne subsisteront plus ; qu’en un mot, c’était d’une contribution forcée qu’il fallait attendre des succès. Et qu’on ne dise pas que ce genre de contribution était impossible ; car de deux choses l’une : ou nous pouvons encore compter sur la raison des peuples et sur une force publique suffisante pour effectuer une mesure nécessaire à leur salut, ou nous ne le pouvons plus. Dans le premier cas, si la contribution était sagement ordonnée, elle réussirait ; dans le second, peu nous importerait qu’elle échouât, car il serait prouvé que le mal serait à sa dernière période. Mais cette opinion, comme toute autre, n'est pas une démonstration; je puis avoir tort, et je n’ai pas môme le temps de m’assurer si j’ai tort ou raison. Forcé de choisir en un instant pour la patrie, je choisis le plan que de confiance pour son auteur elle préférerait elle-même, et je conseille à l’Assemblée nationale de prendre le parti qui me parait devoir inspirer à la nation le plus de confiance sans compromettre ses véritables ressources. Quant à la prétendue sécheresse du décret que je propose, j’ai cru jusqu’ici que la rédaction des arrêtés du Corps législatif ne devait avoir d’autre mérite que la concision et la clarté. J’ai cru qu’un arrêté de l’Assemblée nationale ne devait pas être un élan de rhéteur ou même d’orateur ; mais je suis loin de penser qu’il faille négliger en cette occasion les ressources de l’éloquence et de la sensibilité. Malheur à qui ne souhaite pas au premier ministre des finances tous les succès dont la France a un besoin si éminent! Malheur à qui pourrait mettre des opinions ou des préjugés en balance avec la patrie ! Malheur à qui n’abjurerait pas toute rancune, toute méfiance, toute haine sur l’autel du bien public ! Malheur à qui ne seconderait pas de toute son influence les propositions et les projets de l’homme que la nation elle-même semble avoir appelé à la dictature ! Et vous, Messieurs, qui plus que tous autres avez et devez avoir la confiance des peuples, vous devezplus particulièrement sans doute au ministre des finances votre concours et vos recommandations patriotiques. Ecrivez une. adresse à vos com- [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1789.] 195 mettants, où vous leur montrerez ce qu’ils doivent à la chose publique, l’évidente nécessité de leurs secours et leur irrésistible efficace ; la superbe perspective de la France, l’ensemble de ses besoins, de ses ressources, de ses droits, de ses espérances; ce que vous avez fait, ce qu’il vous reste à faire, et la certitude où vous êtes que tout est possible, que tout est facile à l’honneur, à l’enthousiasme français.... Composez, Messieurs, publiez cette adresse ; j’en fais la motion spéciale ; c’est, j’en suis sûr, un grand ressort, un grand mobile de succès pour le chef de vos finances. Mais, avant tout, donnez-lui des bases positives. Donnez-lui celles qu’il vous demande par une adhésion de confiance à ses propositions, et que par votre fait du moins il ne rencontre plus d’obstacles à ses plans de liquidation et de prospérité. M. de Lally-Tollendal dont le discours peut se résumer dans ces deux mots que son érudition lui suggéra, timeo Danaos, propose d’adopter le plan de M. Necker, et de renvoyer la rédaction du décret au comité des finances. Cette motion fait naître une espèce de lutte entre ces deux manières d’approuver le plan du ministre, pendant laquelle des opposants très-animés se montrent à la tribune. M. de Lally-Tollendal propose d’adopter, quant au fond, le projet d’arrété de M. de Mirabeau, mais d’en référer la rédaction au comité . des finances. M. Diival d’Eprémesnil fait l’amendement suivant : Vu l’urgence des circonstances, et ouï le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale accepte, de confiance, le projet présenté par le premier ministre des finances. Cet amendement est adopté, quant au motif d’urgence, mais bientôt les motifs de confiance excitent de vives réclamations. La séance se prolongeait, les têtes s’échauffaient, la voix des orateurs se confondait avec celle des interlocuteurs, et les opinions ne se présentaient plus que comme un vain son au ‘milieu du tumulte. Il était plus de cinq heures du soir. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, au �milieu de tant de débats tumultueux, ne pourrai-je donc pas ramener à la délibération du jour par un petit nombre de questions bien simples ? Daignez, Messieurs, daignez me répondre. Le premier ministre des finances ne vous a-t-il pas offert le tableau le plus effrayant de notre situation actuelle? Ne vous a-t-il pas dit que tout délai aggravait le péril? Qu’un jour, qu’une heure, un instant ♦pouvaient le rendre mortel ? Avons-nous un plan à substituer à celui qu’il ►nous propose? — (Oui! a crié quelqu’un dans l’Assemblée.) — Je conjure celui qui répond oui , bile considérer que son plan n’est pas connu, qu’il faut du temps pour le développer, l’examiner, Je démontrer ; que fût-il immédiatement soumis à notre délibération, son auteur a pu se tromper; flüe fût-il exempt de toute erreur, on peut croire qu’il s’est trompé ; que quand tout le monde a tort, tout le monde a raison : qu’il se pourrait ''donc que l’auteur de cet autre projet même avant raison, eût tort contre tout le monde, puisque sans l’assentiment de l’opinion publique le plus grand talent ne saurait triompher des circonstances.... Et moi aussi je ne crois pas les moyens de M. Necker les meilleurs possibles , mais le ciel me préserve, dans une situation si critique, d’opposer les miens aux siens. Vainement je les tiendrais pour préférables ; on ne rivalise pas en un instant une popularité prodigieuse, conquise par des services éclatants, une longue expérience, la réputation du premier talent de financier connu ; et, s’il faut tout dire, des hasards, une destinée telle qu’elle n’échut en partage à aucun mortel. Il faut donc en revenir au plan de M. Necker, Mais avons-nous le temps de l’examiner, de sonder ses bases, de vérifier ses calculs?... Non, non, mille fois non ! D’insignifiantes questions, des conjectures hasardées, des tâtonnements infidèles; voilà tout ce qui , dans ce moment, est en notre pouvoir. Qu’allons-nous donc faire par le renvoi de la délibération? Manquer le moment décisif, acharner notre amour-propre à changer quelque chose à un ensemble que nous n’avons pas même conçu, et diminuer par notre intervention indiscrète l’influence d’un ministre dont le crédit financier est et doit être plus grand que le nôtre... Messieurs , certainement il n’y a là ni sagesse, ni prévoyance... Mais du moins y a-t-il de la bonne foi ? Oh ! si des déclarations moins solennelles ne garantissaient pas notre respect pour la foi publique, notre horreur pour l’ infâme mot de banqueroute, j’oserais scruter les motifs secrets, et peut-être, hélas ! ignorés de nous-mêmes, qui nous font si imprudemment reculer au moment de proclamer l’acte d’un grand dévouement, certainement inefficace s’il n’est pas rapide et vraiment abandonné. Je dirais à ceux qui se familiarisent peut-être avec l’idée de manquer aux engagements publics, par la crainte de l’excès des sacrifices, par la terreur de l’impôt... Qu’est-ce donc que la banqueroute, si ce n’est le plus cruel , le plus inique, le plus inégal , le plus désastreux des impôts?... Mes amis, écoutez un mot : un seul mot. Deux siècles de déprédations et de brigandages ont creusé le gouffre où le royaume est près de s’engloutir. Il faut le combler, ce gouffre effroyable. Eh bien! voici la liste des propriétaires français. Choisissez parmi les plus riches, afin de sacrifier moins de citoyens; mais choisissez ; car ne faut-il pas qu’un petit nombre périsse pour sauver la masse du peuple? Allons. Ces deux mille notables possèdent de quoi combler le déficit. Ramenez l’ordre dans vos finances , la paix et la prospérité dans Je royaume. Frappez, immolez sans pitié ces tristes victimes , précipi-tez-les dans l’abîme; il va se refermer... Vous reculez d’horreur... Hommes inconséquents! hommes pusillanimes ! Eh ! ne Voyez-vous donc pas qu’en décrétant la banqueroute, ou , ce qui est plus odieux encore, en la rendant inévitable sans la décréter, vous vous souillez d’un acte mille fois plus criminel, et, chose inconcevable I gratuitement criminel; car enfin, cet horrible sacrifice ferait du moins disparaître le déficit. Mais croyez-vous, parce que vous n’aurez pas payé, que vous ne devrez plus rien? Croyez-vous que les milliers, les millions d’hommes qui perdront en un instant, par l’explosion terrible ou par ses contre-coups , tout ce qui faisait la consolation de leur vie , et peut-être leur unique moyen de la sustenter, vous laisseront paisiblement jouir de votre crime ? Contemplateurs stoïques des maux incalculables que cette catastrophe vomira sur la France ; impassibles égoïstes [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 septembre 1789.] 196 qui pensez que ces convulsions du désespoir et de la misère passeront comme tant d’autres, et d’autant plus rapidement quelles seront plus violentes, êtes-vous bien sûrs que tant d’hommes sans pain vous laisseront tranquillement savourer les mets dont vous n’aurez voulu diminuer ni le nombre, ni la délicatesse?... Non, vous périrez, et dans la conflagration universelle que vous ne frémissez pas d’allumer, la perte de votre honneur ne sauvera pas une seule de vos détestables jouissances I Voilà où nous marchons... J'entends parler de patriotisme, d’élans du patriotisme, d’invocations du patriotisme. Ah I ne prostituez pas ces mots de patrie et de patriotisme. Il est donc bien magnanime, l’effort de donner une portion de son revenu pour sauver tout ce qu’on possède! Eh ! Messieurs, ce n’est là que de la simple arithmétique, et celui qui hésitera ne peut désarmer l’indignation que parle mépris que doit inspirer sa stupidité. Oui, Messieurs, c’est la prudence la plus ordinaire, la sagesse la plus triviale, c’est votre inlérêt le plus grossier que j'invoque. Je ne vous dis plus comme autrefois : donnerez - vous les premiers aux nations le spectacle d’un peuple assemblé pour manquer à la foi publique? Je ne vous dis plus : eh ! quels titres avez-vous à la liberté, quels moyens vous resteront pour la maintenir, si dès votre premier pas vous surpassez les turpitudes des gouvernements les plus corrompus? si le besoin de votre concours et de votre surveillance n’est pas le garant de votre Constitution ?... Je vous dis : vous serez tous entraînés dans la ruine universelle; et les premiers intéressés au sacrifice que le gouvernement vous demande, c’est vous-mêmes. Votez donc ce subside extraordinaire. Eh 1 puisse-t-il être suffisant! Votez-le, parce que, si vous avez des doutes sur les moyens (doutes vagues et non éclaircis), vous n’en avez pas sur sa nécessité et sur notre impuissance à le remplacer, immédiatement du moins. Votez-le, parce que les circonstances publiques ne souffrent aucun retard, et que nous serions comptables de tout délai. Gardez-vous de demander du temps, le malheur n’en accorde jamais... Eh ! Messieurs, à propos d’une ridicule motion du Palais-Royal, d’une risible insurrection qui n’eùt jamais d’importance que dans les imaginations faibles ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés : Catilina est aux portes de Home, et Von délibère! Et certes il n’y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome... Mais aujourd’hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là ; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur... et vous délibérez ! Nous n’essayerons pas de rendre l’impression que ce discours improvisé produisit sur l’Assemblée. Des applaudissements presque convulsifs firent place à un décret très-simple, conçu en ces termes, qui passa après un appel nominatif, commencé à cinq heures et demie et fini après sept heures. « Vu l’urgence des circonstances , et ouï le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale accepte de. confiance le plan de M. le premier ministre des finances. » M. le Président prévient l’Assemblée que la réunion des bureaux aura lieu lundi matin à huit heures et demie pour y procéder à l’élection d’un président, de trois secrétaires et de trois trésoriers de la caisse patriotique et que de là on se rendra à l’Assemblée générale à neuf heures et demie. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. MOUNIER. Séance du lundi 28 septembre 1789, au matin (1). La séance a été retardée jusqu’à onze heures par la nomination du président et de trois secrétaires. M. le comte de Clermont Tonnerre, Président sortant, a annoncé que dans le scrutin pour le président M. Mounier avait réuni la pluralité 1 absolue des suffrages. Les voix se sont réparties de la façon suivante : M. Mounier, 365; M.Pétion de Villeneuve 143; M. Target 52. Les secrétaires élus sont : MM. de Lafare, évêque de Nancy, Bureaux de Puzy et Faydel. M. le comte de Clermont-Tonnerre a dit ensuite : Je ne puis, Messieurs, que vous offrir � l’hommage d’une reconnaissance toujours renaissante, et d’un zèle qui ne finira jamais. M. Pochet propose de voter des remerciements sur la manière dont le Président sortant a rempli ' ses fonctions. L’Assemblée a accueilli cette motion par d’unauimes applaudissements. M. Mounier, en prenant place au fauteuil,. a dit : Messieurs, celui qui m’a précédé dans le poste honorable que vous avez bien voulu me confier, m’inspire tout à la fois le désir de suivre ses traces, et la certitude de ne pouvoir le remplacer; je réclame donc votre indulgence, et j’esr père l’obtenir en faveur de mon zèle. Des députés de quelques jeunes citoyens employés dans les maisons de commerce de Paris, ayant apporté 6,209 livres à la caisse patriotique� on leur a permis de se présenter à la barre, et M. le président leur a dit : L’Assemblée nationale reçoit votre offre patriotique; c’est un bel exemple digne d’être suivi., L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. M. de Boulainvilliers, prévôt de Paris, ayant demandé la permission de présenter 26,000 livres, il a été introduit ; sur l’explication qu’il a donnée de la manière dont celte somme lui est parvenue dans le courant du mois de mai dernier, de la part d’un citoyen, qui, à cette époque, ne voulait pas être nommé, et d’une lettre subséquente du même citoyen, l’Assemblée a* reçu ce don avec d’autant plus d’éloges qu’il vient de M. Berthier, qui a déjà donné des sommes considérables, et qui promet de consacrer ses jours au service du Roi et de la patrie, sans am cune espèce de récompense. M. le Président a dit: Vous voudrez bien vous charger d’instruire ce digne citoyen de 1� satisfaction avec laquelle l’Assemblée a reçu cette preuve de patriotisme. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.