[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 février 1791.] M. Euimery quitte le fauteuil. M. Riquetti de Mirabeau l'aîné , président , le remplace. Un membre annonce un don patriotique de 449 livres fait par la commune de Viterbe. Une députation de quakers est introduite à la barre ; tous ses membres restent couverts. L’orateur de la députation s’exprime ainsi (1) : « Respectables législateurs, « La nation française vous ayant nommés ses législateurs, et vos âmes ayant été disposées à lui donner des lois sages, nos cœurs ont été vivement excités à solliciter votre justice et votre bienfaisance pour la société des chrétiens paisibles à laquelle nous appartenons. Vous savez qu’il existe dans plusieurs Etats de l’Europe et de l’Amérique septentrionale un grand nombre de chrétiens connus sous le nom de quakers, qui font profession de servir Dieu suivant l’antique simplicité de la primitive Eglise chrétienne. « Plusieurs villes et vil aues du Languedoc renferment nombre de familles attachées à ce christianisme primilif; plusieurs autres familles, parties de l’Amérique, sont venues s’établir à Dunkerque sous les auspices de l’ancien gouvernement; elles y sont venues .-ur les invitations adressées aux habitants de i’île de Nantucket, dans le but ü’étendre les pêcheries françaises. Ces insulaires ont prouvé qu’ils méritaient vos bienfaits par leurs succès, et le même zèle les portera à les mériter encore. Mais d’autres intérêts bien plus grands nous amènent aujourd’hui devant vous. « Dans ce siècle où les lumières ont fait de rapides progrès, vous avez senti que la conscience, ce rapport immédiat de l’homme à son créateur, ne pouvait pas être assujettie à la puissance des hommes; ce sentiment de justice vous a portés à décréter la liberté générale de tous les cultes; c’est un des plus beaux décrets de la législation française : vous avez donné un grand exemple aux nations qui persécutent encore les opinions religieuses, et nous espérons qu’elles le suivront tôt ou tard. « C’est cet esprit de justice que nous venons invoquer ici pour qu’on nous laisse suivre en paix quelques principes et quelques formes auxquels la grande famille des amis appelés quakers est restée inviolablement attachée depuis son origine. « Un de ces principes nous a vainement attiré de vives persécutions; la Provideuce nous a donné la force de les surmonter sans user de violence : c’est celui qui nous défend de prendre les armes et de tuer les hommes sous aucun prétexte, principe qui s’accorde avec les Ecritures saintes, le Christ ayant dit : « Ne rendez pas le mal pour le mal, mais faites du bien à vos ennemis. » Eh ! plût au ciel que ce principe fût universellement adopté ! Tous les hommes ne faisant plus qu’une famille, ne seraient plus que des frères unis par la bienfaisance. Vous en êtes convaincus, vous généreux Français : vous avez dé�à commencé à le mettre en pratique; vous avez juré de ne jamais souiller vos mains dans le sang pour des conquêtes; ce pas vous conduit... il conduit le monde entier vers la paix universelle. Vous ne verrez donc pas avec des yeux (1) Le Moniteur ne donne que des extraits de ce discours. 109 eunemis les hommes qui l’accélèreut par leur exemple; ils ont prouvé dans la Pensylvanie qu’on peut former, élever et soutenir de vastes établissemenls sans appareil militaire, et sans verser le sang des humains. « Soumis à vos lois, nous ne vous demandons que de pouvoir être ici, comme ailleurs, les frères de tous les hommes, et de ne jamais armer nos mains contre aucun. « L’Angleterre et les Etats-Unis de l’Amérique, où nos frères sont beaucoup plus nombreux qu’en France, nous laissent suivre paisiblement ce grand principe de notre religion, sans nous regarder comme des membres inutiles à la société. « Il est encore une demande, et nous espérons que vous ne nous la refuserez pas, parce qu’elle découle des principes de justice auxquels vous rendez hommage: nous avons conservé dans nos enregistrements de naissances, de mariages et sépultures, la simplicité de la primitive église ; nos maximes nous défendent les formes qui sont inutiles; elles nous font une loi de nous borner à celles qui sont indispensables pour constater ces époques de la vie dans leur rapport avec l'ordre social; nous demandons que nos simples enregistrements suffisent pour légitimer légalement nos mariages, naissances, et constater nos décès, en faisant faire une déclaration devant les magistrats. « Nous demandons enfin à être dispensés de toute formule de serment. Christ nous les a expressément détendus en ces termes : « Vous « avez appris qu’il a été dit aux anciens : vous « acquitterez vos serments; et moi je vous dis, « ne jurez en aucune manière, mais que votre « oui soit oui, et que votre non soit non. » « Sages législateurs, vous êtes persuadés comme nous que la formule du serment n’ajoute rien à la bonne foi, qu’elle n’ajoute rien à la déclara-ton de l’honnête homme, et qu’elle n’effraye pas les parjures ; vous convenez que le serment n’est qu’une manière particulière d’exprimer une déclaration, que ce n’est qu’une langue particulière... Nous espérons que vous ne refuserez pas de nous entendre dans la nôtre : c’est celle de not le commun maître, c’est celle de Christ. « Nous espérons qu’on ne nous accusera pas de vouloir nous soustraire au grand but du serment civique; nous nous empressons de déclarer ici que nous resterons fidèles à la Constitution que vous avez établie ; nous la chérissons, nous la respectons, et notre intention est d’en suivre les lois dans toute leur pureté; et, d’un autre côté, si nos paroles, nos dépositions judiciaires ne sont pas trouvées contormes à la vérité, nous nous soumettons à la peine due aux faux témoins et aux parjures. « Balanceriez-vous, respectables législateurs, à accueillir notre pétition ? Jetez les yeux sur l’histoire de notre société dans h s pays où elle est établie : plus d’un siècle s’est écoulé sans qu’on nous ait jamais trouvés compris dans aucune conspiration contre les gouvernements dans lesquels nous étions établis; notre sévère morale nous défend l’ambition et le luxe; une surveillance rigide et domestique les uns envers les autres a pour but de nuus maintenir daus la pratique et les mœurs que notre fondateur nous a prêchées par ses discours et sou exemple. « Le travail est à nos yeux un devoir indispensable, ordonné à tous les hommes; ce précepte nous a rendus actifs et industrieux; ainsi notre société convient à la France sous ce rap-