[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] 6S9 La fatale politique du despotisme ne savait que trop qu’il fallait tout diviser pour tout assujettir ; vous, Messieurs, vous avez anéanti tout ce qui pouvait tendre à séparer les hommes ; vous avez aboli ces privilèges qui faisaient des provinces de l’empire autant de royaumes différents. Le vaste territoire de la France ne présente plus qu’une rande famille régie par les mêmes lois, jouissant es mêmes avantages. Si le nom de citoyen romain excitait l’idée de l’orgueil, celui de citoyen français excitera partout l’amour de la liberté. Le*s agents du pouvoir arbitraire, intimement liés entre eux, formaient autour du trône une enceinte inaccessible à la vérité - la nation tout entière était, pour ainsi dire, responsable aux ministres: vous avez rendu les ministres responsables à la nation. L’innocense est désormais à l’abri sous la sauvegarde des jurés, cette institution d’antique sagesse, que tous les peuples libres ont regardée comme le palladium de la liberté. Vous avez aboli cet infâme trafic par lequel la barbarie du fisc mettait à l’enchère le droit de disposer de lafortune, delà vie et mêmede l’honneur... Vos généreux efforts viennent enfin d’établir l’administration de la justice sur sa véritable base, la confiance publique. Le régime oppresseur des intendants et des suppôts de leur autorité sans bornes, est remplacé par une administration composée de citoyens librement élus, qui seront, sans doute, jaloux de justifier le choix de leurs concitoyens. Vous nous avez affranchis des servitudes féodales ; vous avez aboli les capitaineries et le droit exclusif de la chasse, qui n’était que celui de conserver des animaux destructeurs. Vous avez supprimé la gabelle, qui entretenait à grands frais une guerre intestine ; et ce n’est encore là qu’une partie des bienfaits que nous devons à votre sagesse; ils nous sont garants de ceux que nous avons droit d’en attendre. Secondés par un roi auquel il était réservé de mériter le glorieux titre de Restaurateur de la liberté , vous poursuivrez, Messieurs, vos bienfaisants travaux ; vous ne vous séparerez pas (vous en avez prononcé le serment, applaudi par toute la France) ; vous ne vous séparerez pas sans avoir achevé cette Constitution qui nous assure le bonheur. Forts de l’opinion publique, environnés des bénédictions du peuple, méprisez les intrigues, les manœuvres, les sourdes menées de ceux-là mêmes qui ne pourraient manquer d’être les premières victimes de l’explosion qu’ils auraient produite. C’est en vain qu’ils cherchent à couvrir d’un voile sacré leurs coupables desseins, et que, s’attendrissant avec hypocrisie, tantôt sur la religion, tantôt sur la monarchie, ils essayent de ressusciter, par leurs discours, tous les abus que vous avez renversés par vos décrets : c’est en vain qu’ils tentent de nous persuader que vous avez voulu détruire la religion de nos pères, parceque vous avez rappelé ses ministres à leurs véritables fonctions et aux vertus de l’Evangile. N’avez-vous pas décrété que le cul te de la religion catholique serait le seul entretenu aux frais de l’État ? N’avez-vous pas amélioré le sort de ces utiles et vénérables pasteurs qui nous donnent journellement un si touchant exemple des vertus dont la religion nous fait un devoir ? Ceux-là seuls la profanent, qui, d’une bouche impie, osent proférer le nom d’un Dieu de paix pour le faire servir aux intérêts de leurs passions ! Mais que peuvent ces âmes seryiles et tyranniques contre l’énergie d’un peuple qui a connu le prix de la liberté ? Nous jurons de la conserver, cette liberté que nous devons à vos travaux et à l’intrépidité de nos concitoyens ; nous jurons dans son sanctuaire, en présence de ses zélés défenseurs, au nom de tous les citoyens du département de l’Oise, que nous maintiendrons de tout notre pouvoir la Constitution du royaume, et que nous serons fidèles à la nation, à la loi et au roi. Louis-Stanislas-Xavier Girardin d’Ermenonville, président, Galon, secrétaire. Et ont signé les électeurs réunis en la ville de Beauvais. M. le Président répond: « Messieurs, le patriotisme le plus ardent est maintenant la première vertu de tous les Français. L’Assemblée nationale voit dans les sentiments que vous lui apportez, quels sont les principes qui ont conduit le département de l’Oise dans ses élections; vous venez de montrer combien vons étiez pénétrés des avantages de la Constitution française ; vous êtes dignes de la soutenir et de la défendre. L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. » Une députation de la fédération faite à Orléans , le 9 mai présent mois, entre les gardes nationales des provinces de l’Orléanais, du Berri, de la Touraine, du Nivernais, du pays Chartrain et de différentes villes de quelques autres provinces du royaume, est admise à la barre ; elle "prononce un discours et donne lecture d’une adresse dans lesquels se trouvent exprimés avec force les sentiments d’admiration et de respect, d’amour et de reconnaissance pour la Constitution, et d’attachement pour le roi, le serment prêté sur l’autel de la patrie, et reçu par la religion elle-même, de respecter et de*défendre à jamais les droits de l’homme et du citoyen, et de maintenir en toute occasion la liberté publique et la liberté individuelle. Cette adresse est ainsi conçue : ADRESSE D’ORLÉANS A L’ASSEMBLÉE NATIONALE. Messieurs, admiration et respect, amour etrecon-naissance, tel est le tribut journalier que vous offrent à i’envi tous les enfants d’une immense famille dont vous êtes les libérateurs et les pères. D’un coin à l’autre de l’empire français, tous les cœurs embrasés du feu sacré de la liberté, de ce feu presqu’éteint, qu’il vous était réservé de retrouver sous un amas destructeur de préjugés et d’abus qui l’étouffaient; tous les cœurs ramenés à l’union par le patriotisme et l’égalité, se hâtent de voler autour de vous. Ils savent, tous les bons citoyens, combien vous êtes forts de vos lumières et de votre courage : ils veulent aussi que vous le soyez de leur pieux empressement à bénir vos travaux, et à provoquer par les élans répétés de leur dévouement, le complément de cette Constitution tutélaire, qui, en assurant à jamais la félicité et l’éclat de la première nation de l’Europe, doit subjuguer l’univers entier par le miracle toujours renaissant de ses précieux effets. C’est cet enthousiasme patriotique qui déjà, dans plusieurs départements, a offert de loin, Messieurs, à vos yeux attendris le spectacle touchant de plu- Q30 [Assemblée nationale.] sieurs milliers de soldats citoyens, de tous les rangs, de tous les âges, de tous les lieux, ralliés dans une heureuse confusion aux pieds de la patrie que vous avez sauvée, et mêlant à leurs serments, pour la défense du drapeau delà liberté, les actions de grâces les plus vives pour les héros législateurs qui l’ont arboré sur les ruines du despotisme renversé. Pouvaient-elles être les dernières, Messieurs, à vous offrir l’hommage de leur inébranlable attachement à la tige naissante de la liberté française, les gardes nationales de ces provinces autrefois si vantées pour les valeureux exploits qui les ont distinguées dans toutes les crises malheureuses où la France ravagée ne se défendait, après tout, des attaques d’un rival acharné, que pour courber aveuglément sa tête sous un joug qui n’était moins honteux pour elle, que parce qu’il ne lui était pas étranger? Plus de trois mille citoyens confédérés sous les murs d’Orléans déposent à vos pieds, comme autrefois les anciens à ceux de leurs héros et de leurs dieux, leurs vœux et ceux de cinquante mille frères qu’ils représentent, pour le maintien decette Gonilitution, qu’ils ont nommée dans leur enthousiasme civique, le miracle du génie et le chef-d’œuvre du patriotisme. Ah 1 que n’avez-vous été vous-mêmes témoins, Messieurs, des élans de leur admiration! Ils vous eussent attendris jusqu’aux larmes, ces élans d’autant plus énergiques qu’il y entrait moins d’apprêt et que le cœur faisant tous les frais de leur acclamation ingénue, empruntait de la nature seule ce geste, cette attitude dont l’expression est si éloquente qu’après l’avoir vue, après s’y être livré soi-même avec la plus vive émotion, on désespère encore de la peindre fidèlement, Vivent à jamais, s’écrient-ils dans les tendres épanchements de leurs âmes émues, vivent 4 jamais les pères de la pairie : vivent nos augustes représentants, qui, commandant au nom de la raison à tous les peuples étonnés, ont posé d’une main aussi sûre que courageuse, le trône de la félicité publique sur les bases inébranlables de l’égalité toujours balancée, de la vertu toujours récompensée! Puis, par un retour délicieux, se livrant dans un heureux abandon, à ce sentimentinexprimable qui, par excellence, est celui de tous les Français, vive à jamais, répétaient-ils dans leurs transports, vive à jamais ce roi-citoyen, ce monarque adoré, et si digne de l’être, qui laissant bien loin derrière lui les Louis XII et les Henri IV, que l’histoire lui présentait pour modèles, s’est montré jaloux de venir lui-même, environné de sa seule vertu, partager avec les représentants d’une nation dont il est le père, l’honneur de sauver la chose publique, et lier généreusement sa cause à celle de la liberté d’un peuple dont il se plaît à songer qu’il est tendrement aimé. Préparés par ces douces émotions, ou plutôt soulagésen quelque sorte par ces pieuses effusions dont nos cœurs avaient besoin, nous avons tous juré, Messieurs, sur l’autel de la patrie, et la religion elle-même a reçu nos serments; nous avons tous juré sur nos armes, sur notre honneur, et sur nos vies, de respecter et de défendre à jamais les droits de l’homme et du citoyen; de maintenir, en toute occasion, la liberté publique et la liberté individuelle; de garantir les domaines nationaux et les propriétés particulières; de venger, conformément à vos décrets, l’autorité tutélaire de nos magistrats municipaux; de protéger en tous lieux la libre circulation des grains, qui peut seule met-[20 mai 1790.] tre à l’abri du jeu cruel de l’avide monopoleur, le premier aliment de vi ngt-quatre millions d’ hommes dont les droits sont égaux et les intérêts sont communs; et surtout de déployer toute la force de nos armes pour la perception des impôts légalement établis, sans laquelle le vaisseau public déjà si longtemps battu par la tempête, tenterait inutilement d’arriver au port. Un pacte de famille a mis le sceau à nos serments comme à notre confiance, et sous l’égide impénétrable d’une éternelle fraternité à laquelle nous associons avec transport tous les vrais citoyens, en défiant les ennemis du dehors, nous aimons mieux nous arrêter à l’espoir de ramener parmi nous ceux de nos frères, qu’une obstination intéressée, ou une servile habitude de préjugés pourraientégarer encore, que songer à la victoire toujours douloureuse qu’assure de plus en plus le nouveau lien qui nous resserre. Tels sont, Messieurs, les engagements solennels dont nous déposons en vos mains le contrat patriotique. Puisse* t-il être bien près de nous ce jour si désiré ou nous trouverons dans vos décrets, et le titre de notre existence devenue nécessaire à la perfection du grand ouvrage de la restauration publique, et le tableau des devoirs dont l’entier accomplissement peut seul nous rendre dignes de porter l’épée citoyenne! Par là vous encouragerez nos travaux, vous assurerez nos succès, et vous comblerez notre reconnaissance. Nous avons l’honneur d’être, etc. M. le Président répond : « Messieurs, l’intimité d’une union étroite entre tous les Français est un des fruits les plus heureux de la Constitution ; les Français maintenant sont frères, et tous servent d’un zèle égal leur commune patrie. L’Assemblée nationale sait combien elle doit compter sur la fidélité et le courage des gardes nationales; elle applaudit à vos vœux, elle reçoit avec satisfaction le gage de voire fidélité, et elle reconnaît dans vos expressions les sentiments dont toute la nation est pénétrée pour le prince qui fait le bonheur et qui est l’objet de l’amour des Français. «L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. » M. Defay demande l'impression de l’adresse d’Orléans. L’Assemblée décrète que l’adresse sera imprimée et jointe au procès-verbal de la séance. M. le Président fait donner lecture à l’Assemblée d’une lettre du ministre de la guerre, sur ce qui s’est passé à Brest entre la municipalité de cette ville et M. de Martinet, lieutenant-colonel commandant le régiment de Beauce. On demande que la lettre et les pièces y jointes soient renvoyées au comité des rapports, et l’Assemblée le décrète ainsi. L’ordre du jour est un rapport sur la déclaration de Suisses de Fribourg contre leur détention aux galères de Brest. M. l’abbé Grégoire, au nom du comité des rapports. Au mois de mai 1781 deux mille cinq cents hommes s’assemblèrent sous les murs de Fribourg, pour conquérir la liberté que le gouvernement devenu aristocratique leur avait enlevée. Les magistrats, effrayés, proposèrent une capitulation : elle fut adoptée de part et d’autre. Au mépris de ce traité, on instruisit au criminel ARCHIVES PARLEMENTAIRES.