lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]23 avril 1791.] nous ne verrons jamais dans la France qu’une mère tendre et chérie, pour laquelle nous voulons vivre et mourir. {Applaudissements.) « Bien pénétrés de ces sentiments, nous sommes avec un profond respect, Messieurs, vos très humbles, etc, ... . Signé : Rougemond, Bernard, Barbarin, Auber, Barrois, Greslau, J. Simillies, Fa-lois, Bussor, Bertrand, Chaudemerle, Laporte, Delaunay, Degmont, Eisdore, D. o-manrie, Hubert, Juard, Lecher, Lebourg, Jaslettiers, Léon, Thauret, Cassaret, Gui-bon. » (L'Assemblée décrète qu’il sera fait mention de cette adresse dans le procès-verbal.) M. le Président. Voici une lettre anonyme. Plusieurs membres : Pas de lecture! pas de lecture! M. le Président. Ce n’est point sur un ton qui déplaira à l’Assemblée; je crois devoir la lui faire connaître : « Messieurs, « Ne laissez pas l’honneur à la législature suivante d’abolir le duel ; immortalisez-vous en rendant un si grand service à l’humanité. Songez que si vous méprisez cet avis, vous en répondrez devant Dieu et devant les hommes. Vous répondrez de tout ce sang qui sera versé. Je ne laisserai pas ignorer à la France entière ce peu de mots que je vous écris. « Je verrai si vous ôtes dignes de mon respect. « Adieu. « Le 28 avril 1791. » M. Lavcuue. Il faut renvoyer cette lettre au comité de Constitution. (Ce renvoi est décrété.) Un membre du comité de vérification rend compte de la justice des motifs invoqués par M. de Lachèze à l’appui d’une demande de congé de 3 semaines et propose à l’Assemblée de lui accorder ce congé. (Ce congé est accordé.) M. Alquier, au nom du comité des colonies et des pensions. Messieurs, après avoir entendu le compte qui vous fut rendu des troubles qui avaient eu lieu à Port-Louis, île de Tabago, le 17 février dernier, vous jugeâtes qu’une indemnité était due au sieur Blosse, lieutenant en premier au régiment de la Guadeloupe, qui, après avoir déployé le plus grand courage pour ramener à l’urdre une troupe indisciplinée, et pour sauver la vie à un très grand nombre d’habitants, perdit absolument la totalité des effets qu’il possédait. Vous avez renvoyé la demande du sieur Biosse à l'examen et à la discussion du pouvoir exécutif. Le ministre de ce département a renvoyé au comité des colonies son avis et la fixation de son indemnité. L’avis du comité et du ministre de la marine a été le même que celui du comité des colonies. Ils pensent que l’on doit à ce citoyen, qui s’est dévoué au service de la patrie, une indemnité sur les fonds destinés au payement des gratifications et indemnités. En conséquence, je vous propose d’adopter le projet de décret dont la teneur suit : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu 25o ses comités des colonies et des pensions réunis, décrète que, sur les 2 millions destinés au payement des gratifications et indemnités en vertu du décret du 3 août 1790, il sera payé au sieur Blosse, lieutenant en premier au régiment de la Guadeloupe, la somme de 6,000 livres, pour l’indemniser des pertes qu’il a éprouvées dans les troubles qui ont eu lieu au Port-Louis, île de Tabago, le 17 février 1790. » (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est un rapport des comités des contributions publiques, des finances , des domaines et d’ agriculture et de commerce sur les articles généraux relatifs à V organisation des corps des finances. M. Itaîderer, au nom des comités des contributions publiques , des finances , des domaines et d’agriculture et de commerce. Messieurs (1), vous avez chargé vos comités des contributions publiques, des finances, d’agriculture et de commerce et des domaines réunis, de vous présenter leurs vues sur l’organisation des compagnies de finance. Ils sont prêts à remplir cette tâche. Elle se divise en trois parties. Vous avez d’abord à distinguer deux espèces de perceptions : l’enregistrement et le timbre d’une part, les douanes de l’autre. Ce sont heureusement les seuls impôts indirects qui nous restent. La perception des taxes des traites exige une police et une manutention différente de celle des droits d’enregistrement. Nulle ressemblance ne les rapproche. Elles exigent donc une organisation séparée. M.Defermon vous présentera l’une, M. Gou-dart l’autre. Mais, avant d’entrer dans les détails de l’organisation des perceptions indirectes, vous avez à régler plusieurs objets préliminaires qui regardent l’existence politique des agents qui en seront chargés. Ce sujet a paru à vos comités mériter un rapport particulier. Je suis chargé de vous le faire, et c’est ce qui m’amène à la tribune. Veuillez donner une sérieuse attention à cet objet. Il ne faut pas croire qu’en instituant les agents des perceptions indirectes, vous n’ayez à ordonner qu’un simple atelier de finances, à établir entre les ouvriers qui le rempliront, qu’une police propre à assurer et accélérer un travail étranger et indifférent à la Constitution. Les contributions indirectes que vous avez décrétées exigeront, pour leur perception, environ 18,000 hommes. C’est peu, sans doute, si Fou compare ce nombre à celui qui était autrefois employé en France, à celui qui l’est maintenant en Angleterre. L’ancienne contribution indirecte de France, les entrées comprises, employaient 80,000 hommes : celles d’Angleterre en emploient 40,000. Mais c’est beaucoup, si l’on cousidère non seulement ce que ces hommes eussent pu rapporter d’avantages à la société, étant employés à des travaux utiles, mais encore, et surtout, ce qu’ils pourraient contre la liberté politique et la propriété s’ils étaient institués sans précaution. 18,000 hommes, dépositaires d’un pouvoir public, sont d’un grand poids dans la balance des pouvoirs. Il faut donc examiner avec beaucoup d’attention sous quelle forme il convient que les agents de la finance exercent le leur. Subordonnerez-vous les employés, sans en faire de grands corps, aux corps administratifs? En (1) Oc document n’est pas iuséré iu extenso au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 123 avril 1791.J 256 [Assemblée nationale.! ferez-vous des corps particuliers, et les subordonnerez-vous au gouvernement? Les laisserez-vous indépendants, former empie dans empire? ou enfin ne chercherez-vous pas uu moyen de les surveiller sans gêner leur action, de les contenir dans les régies sans les charger de chaînes embarrassantes ? Voilà les questions qu’il s’agit d’examiner. J’excepte cependant la troisième, qui assurément n’est pas la maiière d’un doute. Pour les résoudre, il est nécessaire de rappeler deux principes : 1° il faut que les moyens ne contrarient pas la fin ; que les percepteurs puissent faire la perception sans embarras, la faire par tout le royaume, sur des principes uniformes ; car c’est de l’uniformité de pe! ception que dépend l’exécution de la plus importante de vos lois constitutionnelles, celle qui décrète l'égalité; 2° il faut encore que les moyens de la perception ne contrarient pas la Constitution. Guidés par ces deux principes, examinons la première question. Première question. Faut-il des corps de finance? Les corps administratifs ne peuvent être chargés des perceptions indirectes : 1° Parce que les produits de cette sorte de perception dépendent d’une multitude de circonstances qui les augmentent ou les réduisent, et qui, ne pouvant être soumises au calcul, ne peuvent, par cette raison, être assujetties à des règles fixes. Un département où la perception serait relâchée payerait moins qu’un autre moins riche, mais où la perception serait plus rigide ; 2° Les perceptions indirectes exigent des connaissances particulières et une étude suivie. Les corps administratifs, composés de membres temporaires, y seraient toujours malhabiles; 3° Il s’introduirait dans la perception une différence d’usages et de jurisprudence impossible à détruire à la suite ; 4° Des magistrats élus par le peuple, pour un temps limité, pourraient très bien ne pas être animés de l’esprit de perception qui est nécessaire pour assurer les produits. Voilà 4 circonstances qui montrent que les perceptions ne peuvent être remises aux corps administratifs, sans blesser le premier principe que nous avons exposé. Voici ce qui concerne le second : l°Les perceptions indirectes multiplieront trop les occasions où la magistrature populaire agirait sur le peuple. Or rien ne compromet tant la magistrature populaire, que la fréquence de son action. Elle est instituée pour la tranquillité des citoyens : il ne faut donc pas qu’ils puissent lui reprocher leurs inquiétudes de chaque jour, les gênes de chaque action de leur vie. Le sentiment des gênes attachées aux perceptions indirectes, sera longtemps prêt à s’aigrir ou à s’exalter par les réminiscences de l’ancien régime; 2° Les membres des corps administratifs, pouvant disposer d’un très grand nombre de places, pourraient disposer d’un grand nombre de suffrages dans toutes les élections ; 3° Les membres des corps administratifs, maîtres de favoriser un très grand nombre de citoyens dans les perceptions, augmenteraient aussi par là leur influence dans les élections; 4e Les autorités administratives sont obligées de requérir la force publique quand elle est nécessaire pour la sûreté de la perception. Si les administrateurs sont eux-mêmes les percepteurs, ils paraîtront toujours agir dans leur propre cause, armer pour leur opinion, disposer de la force à j’aide de leurs voluntés. Toujours le service de ! la force publique doit être séparé de la faculté de la délibération. Concluons donc que l’existence séparée de petites corporations de finance, attachées à chaque département ou district, d’un côté compromettrait le grand principe de l’égalité de perception qui dépend ici de l’uniformité; de l’autre donnerait aux corps administratifs une trop grande puissance active, une trop grande influence morale, et cependant compromettrait ou dénaturerait le pouvoir qui leur est déféré par la Constitution. Il faut donc des corps d’agents pour les perceptions indirectes. Deuxième question. Subordonnerez-vous les corps de finance au gouvernement? Mais si vous instituez de grands corps de finance, vous tombez dans d’autres dangers ; etc’est ici l’onjet de la seconde question... Subordonnerez-vous les corps de finance au gouvernement? Ces corps ne peuvent-ils pas porter atteinte à la liberté et à la propriété, en ruinant la Constitution qui en est l’abri ? La Constitmion peut êtreattaouée en 2 points: l'autorité déléguée au prince , et l’autorité exercée par des représentants de la nation. Les autorités nationales peuvent l’être par 2 moyens : 1° la corruption , qui rend le despotisme indifférent à leur existence; 2° la force ouverte, qui, en les détruisant, épargne la peine et l’humiliation de les corrompre. J’appelle autorités nationales celle du Corps législatif, celle des corps judiciaires, la souveraineté du corps du peuple. Le ministre peut les corrompre : 1° en s’emparant des suffrages de ceux qui remplissent les places : c’est corrompre l’autorité dans son exercice; 2° en corrompant ceux qui donnent les places, afin qu’ils les décernent à ceux qui sont déjà corrompus : c’est empoisonner la source. On corrompt les suffrages de deux manières. Immédiatement par l’argent, en payant un homme vénal; même en rendant vénal, par la séduction de l’argent, un homme qui ne l’était pas. Média-tement par l’argent encore, en corrompant par lui l’esprit public, en montrant partout l’argent s’écoulant des mains du prince, les places lucratives, les pouvoirs lucratifs et permanents émanant des mains du prince; en attirant tous les regards sur le prince, et en les détournant de la patrie, qui, comme la nature, n’est libérale que pour le travail, et en proportion du travail. On corrompt aisément l’esprit public, on attire tous les regards sur le prince, quand il a 18,000 places à donner, quand ces 18,000 places sont lucratives, quand elles suffisent chacune à l’établissement d’une famille, quand elles sont distribuées sur toute la surface du royaume, quand elles sont permanentes, quand elles offrent des chances d’avancement, quand elles donnent des fonctions qui embrassent les citoyens dans tous les actes de leur vie. et donnent sur eux une sorte d’empire, quand elles offrent à ceux qui les occupent l’appui d’un grand corps, et surtout quand tous ces avantages départis aux corporations de finance n’appartiennent à aucun autre fonctionnaire public, c’est-à-dire quand les autres fonctionnaires publics sont temporaires, modiquement salariés, quand ils sont privés de tout empire, même de toute influence; quand enfin ils n’ont pas l’appui, si souvent utile, d’une grande corporation étendue sur tout l’empire. On détruit les autorités uationales par la force ouverte; mais, suivant les circonstances, la mesure de force nécessaire pour cette destruction est (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril 1791 .( fort différente. Il en faut une très puissante, très énergique, pour abattre des autorités saines et vigoureuses; il en faut très peu pour détruire des autorités corrompues au milieu d’un peuple qui l’est lui-même. Ainsi, après avoir corrompu parce qu’on n’osait pas détruire, il devient presque absurde de ne pas détruire après avoir corrompu ; tant il est alors facile, commode, prudent et économique de détruire! On a une force suffisante pour détruire la souveraineté d'un peuple corrompu : 1° quand on peut disposer de 18,000 hommes, dont 15,000 forment une armée disciplinée et exercée; 2° de 30,000 hommes qui aspirent à faire partie de cette armée; 3° dfune perception productive avec quoi l'on soudoie un supplément de force ; 4° du crédit des grandes compagnies de finance, nanties des contributions publiques, et pouvant les offrir pour gages à des emprunts considérables. On dispose réellement d’une perception productive : 1° quand on peut cacher les produits et les dérober; 2° quand on peut les faire parvenir par une route détournée dans le trésor du prince au lieu du Trésor public; 3° quand on peut forcer les produits et retirer de l’impôt une somme extraordinaire pour une entreprise préméditée. Avec tous ces moyens, le ministère peut également miner l'autorité du 'prince. « En Angleterre, dit John Nickols, laséduction et la corruption sont devenues les ressorts du gouvernement. Les taxes multipliées sous tant de formes produisent des places utiles, sans nombre, à donner, et multiplient son influence dans les élections. Il ne renoncera point au plus ferme appui de l’empire qu’il a usurpé sur la nation, et sur le roi même, à gui il a laissé peu de dispositions , sous le spécieux prétexte de ménager son intérêt. » Ainsi, c’est à des ministres intrigants, ambitieux et usurpateurs, bien plus qu’au prince, que pourrait profiter la ruine des autorités nationales. Ce pourrait être aussi aux chefs mêmes des corps de finance ; et alors l’autorité publique serait véritablement dansles mains destraitants. C’est ce qui est toujours arrivé sous le règne des ministres faibles ou ignorants, qui, comme on sait, n’ont pas été rares en France. Autrefois la puissance des plus grandes corporations, je veux parler des cours et même celle des ministres, quand elle avait été amollie quelque temps, ne suffisaient pas toujours pour résister à la puissance des compagniesdefinance. Ondoit se rappelercombien M. Necker a eu de peiue à réduire au nombre excessif de 12 les 48 receveurs généraux des finances; combien cette réforme, quoique insuffisante, lui suscita de tracasseries. On a vu des compagnies de finance qui naguère menaçaient encore. Avec de grands corps de finance subordonnés au ministère, le ministère peut donc corrompre et détruire la Constitution, être lui-même corrompu et affaibli. Il peut du moins violer sans cesse la liberté individuelle et la propriété; la liberté individuelle, en autorisant des vexations, des duretés privées; la propriété, en dérobant, ou seulement en cachant au peuple les produits, en empêchant la surveillance, en compliquant la comptabilité, en empêchant la réforme des perceptions, les diminutions de frais, les suppressions d’emplois inutiles, enfin en faisant servir les deniers publics à des spéculations privées. La conséquence de ces observations est donc que les corps de finance ne doivent pas être mis lre Série, T. XXV. 257 sans réserve et sans précaution dans la dépendance du ministère ou du gouvernement. L’intérêt même de nos nouveaux corps de finance sollicite la prévoyance des législateurs. L’intérêt de ces corps est que rien ne les sépare du corps des citoyens; que rien ne les distingue de la classe commune des fonctionnaires publics. Sous un gouvernement libre, tous les citoyens sont frères ou ennemis; tous les fonctionnaires publics sont considérés comme ayant part à la paternité publique, ou comme des instruments de tyrannie. Les agents du fisc sont les fonctionnaires publics les plus exposés aux préventions défavorables. L’impôt excite toujours quelque humeur dans le redevable au moment de payer, et cette humeur sert de prétexte aux défiances. Or, si l’on veut que le citoyen soit confiant pour les agents des perceptions,’ il faut montrer que la loi a été défiante envers eux. Si l’on veut qu’à leur aspect la sécurité reste inaltérable dans tous les esprits, il faut que l’inquiétude et la cautelle semontrent dans les institutionsqui les concernent. Si l’on veut que les percepteurs ne puissent être accusés sans cesse de malfaisance, il faut les environner de règles qui leur ôtent les moyens de mal faire; de sorte que dans leur action on ne voie que celle de la loi, et dans leur intérêt uue l’intérêt public. Troisième gestion. Gomment convient-il d’instituer les corps de finance? Une des premières vérités que nous avons reconnues est qu’on ne peut établir en France un grand corps de finance indépendant d’une autorité supérieure toujours active, toujours vigilante et responsable. Ce principe nous conduira un premier résultat , c’est que jamais les perceptions indirectes ne peuvent être affermées et qu’elles doivent être régies. En effet, une fer/ne serait un grand corps indépendant, au sein de l’Etat, où il n’y a plus de grands corps; un grand corps, dont les chefs vous seraient donnés par la seule richesse, et dont les inférieurs seraient au choix des chefs; un grand corps dont l’union et l’étroite cohésion doubleraient les forces naturelles; en un mot, un empire dans l’empire, et puissant contre l’empire. Avoir ainsi réduit la question, c’est l’avoir résolue. D’ailleurs, un de vos décrets semble interdire même d’examiner si les revenus publics, consistant en contributions ou taxes, seront affermés. C’est le décret du 7 octobre, dont voici les termes : « Aucun impôt ne sera accordé que pour le temps qui s’écoulera jusqu’au dernier jour de la session suivante. Toute contribution cessera de droit à cette époque, si elle n’est pas renouvelée. ». Il résulte de ce décret, que les contributions établies sous le nom de taxes, comme les contributions appelées directes, dénomination souvent appliquée d’une manière très inexacte, n’ayant d’existence assurée que pour 2 ans, ne pourraient être données à ferme pour plus de 2 ans. Or tout le monde sent que l’Etat ne trouverait de fermiers pour un temps aussi court, qu’en laissant l’exploitation des revenus affermés à un taux fort inférieur à sa valeur. Quoique ces observations suffisent pour éloigner à jamais l’idée d’affermer les taxes publiques, cependant, Messieurs, il peut être utile de fixer plus particulièrement votre détermination sur ce point. Je vais donc vous exposer encore quelques réflexions d<> vos comiiés à cet égard. 1° IL nous a paru que ce serait rendre odieuse et méprisable, ou du moins très suspecte, l’activité qu’il importe tant de faire honorer dans 17 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.] 268 l’exercice de toute fonction publique, que de montrer les agents des perceptions toujours pressés par l’aiguillon de l’intérêt privé. Ce serait avertir les redevables de se défier d’eux; ce serait susciter contre eux tous les premiers mouvements; et l’on sait qu’en matière de contributions, tous les premiers mouvements du peuple sont très énergiques ; 2° Par la régie, on empêche les fortunes subites et démesurées; on empèchele dégoût de se répandre sur toutes les professions ; f amour des richesses de gagner tous les cœurs. On épargne au peuple un spectacle qui l’afflige, l’irrite ou le corrompt ; 3° Par la régie, on évite des Vexations infinies. La ferme tourmente toujours les lois, pour les rendre plus productives, et ensuite les tribunaux ou le législateur même, pour consacrer l’exten-Bion des lois, et y ajouter. Dépositaires ou instruments d’une grande partie de la fortune publique, les fermiers, toujours importuns, sont néanmoins toujours sûrs d’obtenir. Ils ne font f)as les lois, dit Montesquieu, mais ils forcent à es faire. On a dit que les régies étaient plus rigoureuses envers le peuple que les fermes : cela a été vrai en France, mais on n’en peut rien conclure en faveur des fermes. En effet, la cause de la différence dont il s’agit a été la versatilité du gouvernement, qui a sans cesse passé de la régie à la ferme, et de la ferme à la régie. On a mis les régies entre les mains de compagnies qui, ayant été fermières et voulant le redevenir, ont vexé sous le nom de régie, pour faire désirer le retour de la ferme, et en même temps se préparer, par des rigueurs dont l’odieux ne tombait pas sur elles, des profits plus abondants pour le temps où la ferme serait rétablie. La forme de régie étant invariablement arrêtée, les régisseurs n’auront plus désormais de motifs pour vexer. Enfin, si après les raisons les exemples pouvaient être nécessaires, nous dirions que dans tous les pays libres, en Hollande, en Angleterre, les revenus de l’Etat sont en régie. Après avoir combattu l’idée d affermer les contributions indirectes, on se sent cependant rappelé à cette idée par un avantage attaché aux fermes : c’est la certitude et la fixité du revenu public, qui, dépendant de la vigilance du fermier, est garanti par son intérêt privé. Cet avantage, il est vrai, n’appartient point à la simple régie; mais il n’appartient point exclusivement à la ferme. M. Neeker l'a obtenu du système des régies composées, système qui consiste à laisser les perceptions entièrement dans la main de l’Etat; à donner aux régisseurs des ap-ointemenls fixes et suffisants, et A leur accorder, ans ce revenu, lorsqu’il passe une certaine mesure, une part qui devient une légère surabondance de salaire et une sorte de largesse rêmu-nératoire. Dans ce système, l’impôt ne devient pas la propriété de quelques individus; une autorité publique en tient toujours le régulateur. Dans ce système, l’armée fiscale est à l’Etat, non à des particuliers. Dans ce système donc, le bénéfice du régisseur ne peut avoir d’autre effet que de le rendre plus attentif à ses devoirs, de donner à la règle plus de vie, plus d’action ; de la rendre, pour ainsi dire, plus présente à toutes les circonstances qui peuvent naturellement et légitimement féconder le revenu public. La régie intéressée est celle que le commerçant établit dans ses affaires, en ajoutant aux gages de ses commis une part dans les bénéfices. Encore, bien qu’il dirige toujours leurs opérations, il aime à faire concourir leur volonté et leur zèle au succès de ses entreprises. Dans l’art d’administrer la finance, le commerce doit être votre modèle. C’est son expérience qu’il faut opposer aux misérables et funestes routines des anciens manipulateurs d’argent qu’on appelait autrefois les aigles de la finance et qui, pour la plupart, en étaient bien plutôt les vautours. Nous avons dit que les chefs des corps de régie, ou les ministres, acquièrent la puissance redoutable d’exercer à leur choix la corruption ou la violence, quand ils peuvent disposer d’un grand nombre de places et d’une grande somme des deniers publics. La première conséquence qui semble résulter de ces considérations, c’est qu’il convient de ne point donner aux ministres la faculté de nommer aux emplois supérieurs, ni aux chefs de la régie le droit de nommer aux emplois inférieurs; mais d’autres circonstances contrarient le principe. Vous avez décrété que la suprême administration des finances serait confiée à des délégués du prince, sous leur responsabilité. Or, si le ministère est responsable des perceptions, il doit pouvoir nommer aux places supérieures ; et si, comme je le pense, les employés supérieurs doivent être responsables aussi pour ce qui les concerne, ils doivent pouvoir nommer aux emplois inférieurs. S’il était possible de réduire un corps de finance à une subordination aussi exacte que les corps militaires, de les soumettre à la discipline pour tous leurs mouvements, la responsabilité aurait pour appui des règles précises et rigoureuses, et l’on pourrait charger les corps administratifs de composer les régies. Mais les percepteurs ne sont ni casernés pendant la nuit, ni alignés pendant le jour ; ils ne manœuvrent pas tous ensemble ; leurs fonctions sont en partie abandonnées à leur probité; leur subordination est volontaire : la confiance est donc le seul titre sur lequel les nominateurs puissent répondre des sujets ; ils doivent, par conséquent, avoir la liberté du choix. Mais il est très possible de tempérer l’effet d’une pareille faculté. On peut décréter : 1° Que le ministre notifiera au Corps législatif la nomination qu’il aura faite des chefs de régies, et qu’il les exposera ainsi à la censure des représentants de la nation; 2° Que la nomination des employés supérieurs des départements n’appartiendra ni aux chefs des régies, ni au ministre exclusivement, mais à celui-ci, sur la présentation des autres; 3° Que tous ces employés et les inférieurs seront présentés aux corps administratifs et aux municipalités sur le territoire desquels ils exerceront leurs fonctions, et qu’ils y seront assermentés; 4° Qu’il y aura un ordre d’avancement déterminé par la loi, et tel que, sans affaiblir la responsabilité, ni arrêter l’émulation, il prévienne l’arbitraire; 5° Que l’arbitraire sera également écarté des destitutions. Cette dernière mesure est importante; car la crainte d’une destitution assujettit bien plus encore que la gratitude d’une nomination. La nomination s’oublie aisément : elle est un bienfait, quand elle n’est pas une justice ; au lieu que la crainte de la destitution agit en raison du double intérêt de la fortune et de l’honneur et constitue presque toujours l’homme dans la dépendance la plus étroite. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril 1791.) 259 Voilà nos moyens pour empêcher que la grande masse d’hommes qui composeront les corps de finance ne soient à la disposition de leurs chefs ou des ministres. Il nous reste à vous exposer le moyen que nous avous cru propre à prévenir l’abus des fonds provenant des contributions indirectes. Ce moyen consiste à décréter qu’ils seront versés par les percepteurs des régies, dans les caisses de district. Si vous l’adoptez, les ministres ne seront pas maîtres de changer le cours des deniers publics, de les détourner du Trésor de l’Etat, pour les verser dans le trésor du prince, ni de les intercepter pour eux-mêmes. Si vous l’adoptez, les chefs des compagnies ne pourront déguiser les produits, pour augmenter leurs profits; ils n’auront plus d’intérêt à les déguiser, à les forcer par une rigueur démesurée ou par des exactions; ils n’auront plus à offrir aux vues du gouvernement un crédit fondé sur le nantissement des deniers de l’Etat, et qu’ils survendent néanmoins à l’Etat. Si vous l’adoptez enfin, non seulement vous n’aurez plus à craindre que les contributions publiques ne soient employées au détriment de la Constitution, mais de plus, le Corps législatif tiendra entièrement dans ses mains le régulateur du pouvoir exécutif : au moindre danger d’usurpation de sa part, un décret suspendra le versement des fonds des caisses de districts dans la trésorerie. Ainsi une législature pourra, sans combats, sans péril, sans bruit, d’un seul mot, paralyser une armée tournée contre la liberté et tarir, pour les plus redoutables ennemis de la Constitution, la source de la vie et de la puissance. Vous avez applaudi à cette vue, Messieurs, lorsque le comité des contributions publiques vous a proposé de réserver à des autorités populaires la suprême administration des finances; et si vous avez rejeté le projet de décret qui vous a été proposé à cet effet, c’est uniquement parce que vous n’avez pas trouvé de convenance au moyen d’exécution qui vous était offert. Or, le versement des contributions indirectes dans les caisses de district, remplit à peu près le même objet et ne présente aucun des inconvénients qui vous ont frappés, dans l’idée de faire élire les chefs de régies par les représentants do peuple. C’est donc à vos principes que nous nous conformons aujourd’hui, et ce sont vos lumières qui nous ont guidés. Si nous nous bornons à considérer notre projet sous ses rapports immédiats avec les droits de la propriété et de la liberté, nous trouvons encore plus de motifs qu’il n’en faut pour l’appuyer. C’est un droit attaché à la propriété en matière, de finances, que de suivre de l’œil les deniers publics, depuis le moment de leur recette jusqu’au payement final des dépenses pour lesquelles ils sont consacrés. C’est sur ce principe que vous avez voulu que les produits des contributions directes fussent recueillis par des collecteurs populaires, mis en dépôt dans la caisse de trésoriers électifs, soumis à l’inspection d’administrateurs de district, pareillement électifs. C'est sur ce même principe que vous avez décrété que des représentants ne la nation inspecteraient sans cesse les opérations des administrateurs royaux de la trésorerie générale. Ce que vous avez fait pour une sorte d’impôt, vous devez évidemment le faire pour les impôts indirects dans chaque district. A quoi servirait, en effet, que des représentants de la nation surveillassent le Trésor public, que des représentants de chaque district surveillassent les caisses des contributions directes, si des mains suspectes pouvaient intercepter dans leur cours les contributions indirectes, et si leur produit était un secret concentré entre quelques membres d’une régie séparée du reste de la nation, et dépendant du seul ministre ? On n’oppose à notre système qu’une objection facile à lever. On nous dit que les receveurs de district sont, en général, incapables de la tâche qu’ils ont maintenant à remplir et que le surcroît de recette, que nous proposons de leur attribuer, ne fera qu’aggraver le mal résultant de leur impuissance actuelle. Nous répondrons à cette objection : 1° Qu’il n’y a de receveurs incapables que dans quelques petites villes et que, dans celles-là, les recettes indirectes seront peu considérables; 2° Que si les receveurs des districts sont, en général, moins capables que ceux des régies, en compensation ces premiers ne sont pas aussi généralement attaqués que les seconds de la maladie de l’agiotage, qui présente bien plus de danger pour la chose publique ; 3° Que d’après les mesures prises par l’Assemblée nationale, le nombre, des districts sera réduit l’année prochaine, et que très probablement la suppression tombera sur ceux qui offrent le moins la ressource des talents; 4° Que jusqu’à présent la comptabilité n’avant été soumise à aucune règle, elle a pu être irrégulière, sans qu’il faille en conclure que les mêmes hommes dont on se plaintaujourd’hui, l’exercent encore mal à la suite ; 5° Qu’il est incomparablement plus simple et plus facile de recevoir sans contrôle, sans examen , des mains d’un percepteur d’impôts indirects, le produit de sa recette, que de recevoir les contributions directes, pour lesquelles il y a des formes à suivre, des quittances à donner; qu’ainsi les hommes capables de faire celle-ci le seront certainement de faire l’autre ; 6° Que s’il se trouve des receveurs de district incapables de remplir leurs fonctions, il faut les destituer; car il est absurde de laisser en place des hommes chargés d’une recette annuelle de 380 millions de perceptions directes, et de 3 milliards de biens ecclésiastiques, tandis qu’on ne peut leur confier une simple recette de 80 millions, dégagée de tout embarras de perception. Dans les principe-set dans le plan que nous vous proposons, Messieurs, tout se réduit à empêcher les corps de finance, que vous allez placer entre tous les pouvoirs publics, d’être une fédération occupée de ses seuls intérêts dans l’Etat, ou une armée ministérielle, instrument de corruption et de tyrannie publiques. Ne vous le dissimulez pas, Messieurs : la Constitution n’a aucun danger à courir qui ne vienne de la finance, ou que la finance ne puisse augmenter. La liberté anglaise ne périra que par ses finances; elle n’est déjà altérée que par ses finances; une malheureuse vénalité ne s’est introduite dans le parlement britannique que par les finances. Veillez sur l’avenir, Messieurs ; prévenez l’abus des corps de finance. Servez en cela de modèle àla nation voisine qui, sous d’autres rapports, vous en a servi; avertissez-la, par votre prévoyance, des malheurs qui l’attendent, comme elle vous a 260 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791. J avertis, par les avantages dont elle jouit, du bonheur que vous avez atteint; prévenez son déclin, comme elle a excité votre essor; rendez à sa vieille liberté les forces qu’elle a communiquées à l’enfance de la vôtre; enfin acquérez un nouveau titre à la reconnaissance de tous les amis de la liberté. Voici le projet de décret que vos comités m’ont chargé de vous présenter : « Art. 1er. Les taxes d’enregistrement et de timbre d’une part, celles des traites, de l’autre, seront perçues par deux régies intéressées, l’une sous le titre de régie de l’enregistrement et Ou timbre, l’autre sous le titre de régie des douanes. « Art. 2. L’administration centrale de chaque régie sera établie dans la capitale. « Art. 3. Les modes d’admission aux emplois et d’avancement seront déterminés pour chaque régie par un décret particulier. « Les régisseurs généraux dans chaque régie seront choisis et nommés par le roi, entre les employés du grade immédiatement inférieur, ayant au moins 5 années d’exercice dans ce grade. « Les employés du grade immédiatement inférieur à celui de régisseur seront choisis et nommés par le ministre des contributions publiques, entre trois sujets qui lui seront présentés par les régisseurs généraux, suivant l’ordre d’avancement qui leur sera prescrit. « Les préposés inférieurs seront nommés par la régie. « Art. 4. Les régisseurs généraux ne pourront être destitués qu’en vertu d’une délibération des commissaires cle la trésorerie, et sur la proposition du ministre des contributions publiques. Les préposés immédiatement inférieurs ne pourront l’être qu’avec l’approbation du ministre des contributions publiques et en vertu d’une délibération des régisseurs généraux. Les employés inférieurs pourront l’être par une délibération des régisseurs. « Art. 5. Immédiatement après la nomination des régisseurs généraux, le roi en donnera connaissance au Corps législatif. Le ministre des contributions publiques donnera connaissance de celle des préposés en chef dans les départements, aux directoires des corps administratifs dans le territoire desquels les préposés devront exercer leurs fonctions. Les régisseurs généraux donneront, tant aux directoires desdits corps administratifs que des municipalités, l’état des employés intérieurs qui exerceront clans leur territoire. « Art. 6. Tous les membres des régies feront serment de remplir avec fidélité les fonctions qui leur auront été départies; les régisseurs généraux prêteront ce serment entre les mains du ministre des contributions publiques et du commissaire de la trésorerie; les préposés, devant les directoires des corps administratifs dans le territoire desquels ils devront exercer leurs fonctions. « Art. 7. Les produits des recettes des différentes régies seront versés dans les caisses de district, aux termes et suivant le mode qui seront réglés par le décret d’organisation de chacune d’elles. « Art. 8. Tout receveur de l’une ou l’autre régie adressera au receveur de district, avec les fonds qu’il lui fera passer, un état de sa recette brute, des frais de perception qui auront été et dù être prélevés sur les produits, et de la somme effective versée à la caisse du district. 11 en-j verra en même temps un double certifié de ces j états au directoire du district et à la municipalité de sa résidence. « Art. 9. Les directoires de district pourront, quand ils le jugeront à propos, vérifier et faire vérifier, par les municipalités, les caisses et les registres des receveurs des différentes régies. « Art. 10. Les receveurs de district fourniront un supplément de cautionnement proportionnel au produit présumé de leur recette, d’après les déclarations des régisseurs généraux. « Art. 11. Les produits des régies qui seront versés à la caisse du receveur de district, seront ajoutés à la masse générale de ses autres recettes, et sa remise sera fixée sur le tout conformément à l’article 25 du décret du 22 novembre dernier. » M. Pierre de Delley. Je demande la parole. M. Rcgnaiid (de Saint-Jean-d' A n g èly). Le rapport qui vient d’être fait est très important; avant de passer à la discussion, il me semble nécessaire que l’Assemblée ait pu le méditer. En conséquence je propose l’ajournement jusqu’après l’impression de ce document. (L’Assemblée ordonne l’impression du rapport de M. Rœderer et arrête que, dès qu’il aura été distribué, les articles du projet seront soumis à la discussion.) L'ordre du jour est un rapport des comités des domaines, des contributions publiques , des finances et d' agriculture et de commerce, sur l’organisation générale de V administration des douanes nationales. M. Goudard, au nom des comités des domaines , des contributions publiques, des finances et d’agriculture et du commerce. Messieurs (1), je viens dans ce moment fixer votre attention sur un objet bien important, puisqu’il s’agit de l’exécution de vos décrets sur les droits de traites, c’est à vous, en effet, qu’il appartient d’autoriser la dépense de cette grande administration, d’en régler toutes les parties, afin que rien ne soit laissé à l’arbitraire. C’est ainsi que, successivement, toutes les dispositions qqi s’y rapportent doivent vous être soumises, pour éprouver les réformes dont vous les jugerez susceptibles. Les administrateurs des douanes nationales, qui ont été nommés en exécution de votre décret du 31 octobre, ont présenté un plan d’organisation de l’administration qui leur était confiée. Ce plan, analysé et discuté dans vos comités réunis d’agriculture et du commerce, des contributions publiques, des domaines et des finances, a paru susceptible de plusieurs changements importants ; c’est le résultat de ce travail que je viens vous offrir. Avant d’entrer dans aucuns détails, je dois vous présenter une observation générale qui vous fera connaître la difficulté qu’il y aura toujours d’arriver, dans la perception des droits de traites, à une mesure proportionnelle avec tous les autres impôts, parce que la difficulté résulte de la nature même des choses et du but auquel il faut atteindre, très indépendamment des produits ; la protection que la nation doit au commerce et à l’agriculture, qui sont les deux sources de la richesse et de la prospérité des empires. Ce serait en effet mal juger des traites que de (l) Le Moniteur ne donne qu’un court extrait de ce i apport.