SÉANCE DU 2 FRIMAIRE AN III (22 NOVEMBRE 1794) - N° 25 61 tion à décider du fait. Si la majorité demande à aller aux voix, à émettre le vœu de sa conscience, l’apport de cette pièce ne doit pas empêcher d’aller aux voix. Si l’on est de bonne foi, si l’on veut que le défaut de cette pièce ne puisse arrêter les débats, décrétez clairement que le décret que vous avez rendu n’empêchera point la continuation de la discussion. MAILHE relit la rédaction de ses propositions. TALLIEN : Je demande la parole, moins sur la rédaction que sur le décret en lui-même. Je crois que ce décret est inutile, qu’il est attentatoire à la dignité de la Convention. Les dernières mesures sont en contradiction avec les premières. Car, pourquoi demander des pièces si vous vous réservez la faculté de prononcer sans ces pièces ? C’est, comme l’a dit le préopinant, à la majorité de la Convention à statuer sur la question de savoir si ces pièces sont absolument nécessaires à la continuation de la discussion. Ce n’est que lorsque la délibération sera terminée, ce n’est que lorsque vous aurez rappelé les opinions des différents membres, ce n’est que lorsque vous irez à l’appel nominal, que vous déciderez cette nécessité des pièces. On vous l’a dit encore : vous n’êtes qu’un jury d’accusation, et non un jury de jugement. Votre proposition est absolument différente de celle où vous mit le procès de Capet. Il sortait de votre débbération pour monter à l’échafaud. Ce serait donc, et l’on a pas répondu à cette partie de l’opinion de Bentabole, ce serait donc, en traduisant d’après les preuves un représentant du peuple au Tribunal révolutionnaire, l’envoyer à la mort. Je demande la suspension du décret jusqu’à ce que la majorité de la Convention ait prononcé par l’appel nominal, et ait décidé si les pièces sont nécessaires. BOURDON (de l’Oise): C’est toujours la même aberration de principes dont on se sert pour faire violer à la Convention une forme conservatrice: il est bien certain que personne n’a dans son cœur l’intention de sauver un criminel ; mais il est bien certain qu’on ne peut prononcer l’accusation d’un représentant du peuple sur des pièces collationnées. {On murmure.) Je vous en conjure, maintenez ce principe qu’on ne pourra décréter d’accusation un député sur des pièces collationnées. {Nouveaux murmures.) Comment pouvez-vous vous élever contre ce principe, lorsque vous vous rappelez qu’on a, sur des pièces collationnées et reconnues fausses, diffamé Barras et Fréron ? La contradiction qu’on croit voir dans le décret n’y existe pas; il est digne de la Convention, il est conservatoire des principes. Il peut s’appliquer à ceux même qui réclament contre. Puisqu’ils sont patriotes, ils peuvent être accusés et calomniés. Je demande donc le maintien du décret et la continuation de l’examen des accusations. CLAUZEL: Il s’agit ici d’objets infiniment graves. Je demande aussi que le décret soit suspendu jusqu’au moment où la discussion sera terminée. Une fois que Carrier aura fini ses observations, chaque membre fera les siennes; msds, s’il prenait envie à quelqu’un d’éterniser cette affaire {Quelques murmures.), c’est à la majorité de la Convention à demander que la discussion soit fermée, que chaque membre monte à la tribune, et dise, à l’appel nominal, s’il y a, oui ou non, lieu à l’accusation. CARRIER : Il est très vrai que la Convention n’exerce ici que les fonctions de jury d’accusation; mais encore faut-il que, pour prononcer, elle puisse baser sa détermination sur des motifs ou des pièces suffisants. Mais pouvez-vous porter un décret d’accusation sur des pièces qui contiennent des variantes aussi contradictoires? Comment pourriez-vous préciser votre décision relativement à ces arrêtés sur des copies collationnées ? Il est donc de toute justice que le décret soit maintenu. Plusieurs membres : Aux voix la rédaction ! La Convention ferme la discussion. On demande une nouvelle lecture. Mailhe refit sa rédaction. On insiste pour la suspension du décret. Plusieurs voix : L’ordre du jour ! L’épreuve est deux fois douteuse ; un grand nombre de membres réclame l’appel nominal. Après quelques nouveaux débats assez vifs, la rédaction de Mailhe est adoptée en ces termes : « La Convention décrète ce qui suit : Article premier.- Toutes les pièces originales relatives à l’affaire de Carrier, et qui se trouvent à Nantes, notamment les arrêtés des 27 et 29 frimaire, et les pièces originales relatives au procès de Fouquet et Lamberty et à la Compagnie Marat, seront apportées sans délai au comité de Sûreté générale, après avoir été cotées et paraphées par l’agent national près le district de Nantes, qui en constatera l’état. Art. il.- Le conseil général de la commune de Nantes est chargé, sous sa responsabilité, de l’exécution de l’article précédent ; ceux qu’il commettra pour porter lesdites pièces sont autorisés à requérir pendant la route une force armée suffisante. Art. ni.- La discussion sera néanmoins continuée; et si la Convention nationale se trouve d’ailleurs suffisamment éclairée, elle prononcera qu’il y a ou qu’il n’y a pas fieu à accusation. Art. IV.- Le comité de Sûreté générale enverra sur-le-champ le présent décret, par un courrier extraordinaire, au conseil général de la commune de Nantes. » CLAUZEL : Citoyens, il importe à la tranquillité publique que la discussion de l’affaire qui nous occupe en ce moment se termine promptement. Je ne dissimulerai pas que les comités de Sûreté générale et Militaire réunis ont été obligés, d’après les renseignements qui leur sont parvenus, d’augmenter la force armée. {Murmures de quelques membres.) Il était de mon devoir d’instruire la Convention que des malveillants, 62 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE l’aristocratie peut-être ( Plusieurs membres : fai-tes-les arrêter!), pour avilir la représentation nationale, voulaient faire croire que son intention était de traîner cette affaire en longueur. Je dirai plus : c’est qu’on a tenté de soulever Paris en faveur de Carrier; des émissaires du crime ont parcouru les sections pour engager une lutte entre les citoyens qui les habitent et la Convention nationale. D’après ces renseignements, vos comités ont cru devoir augmenter la garde ordinaire de six mille hommes. Dira-t-on qu’il fallait attendre, pour prendre ces mesures, que des malheurs fussent arrivés ? Je ne le crois pas. Le devoir du législateur est de prévenir le mal, et non pas d’appliquer le remède quand le mal est venu. Je demande, afin de faire taire les malveillants, et de terminer cette affaire, que demain, à onze heures précises, Carrier monte à la tribune, et continue sa défense (43). Cette proposition est adoptée (44). CRASSOUS : Je demande, au nom des secrétaires, que la Convention procède à leur renouvellement. Plusieurs membres : Après que l’affaire de Carrier soit terminée. La séance est levée à sept heures (45). Elle porte ensuite sur la forme et sur la question de savoir si les copies collationnées peuvent suffire : un membre [LEFIOT] observe qu’un de ces arrêtés se trouve produit deux fois dans les pièces, et qu’il n’est pas conforme dans les deux, que cette contradiction détruit l’authenticité; il conclut à l’apport des originaux. Un autre membre [BOURDON (de l’Oise)] soutient qu’on ne doit pas juger un représentant du peuple sur des copies collationnées, qu’elles ne peuvent suffire lorsqu’il s’agit du moindre délit. Ces observations sont combattues : les uns pensent que dans les faits imputés à Carrier, il peut y en avoir de suffisants pour déterminer l’acte d’accusation ; ils demandent qu’on suive la discussion sur la suite du rapport. D’autres observent que les pièces originales ne peuvent être nécessaires que pour le jugement, et non pour l’accusation; d’autres craignent que la demande des pièces ne retarde la décision ; on demande que la Convention fixe des jours pour continuer la discussion, sans qu’elle absorbe tout le temps des séances et des comités, et afin qu’elle ne nuise pas à la marche du gouvernement: enfin, après plusieurs débats, la Convention décrète que les arrêtés des 27 et 29 frimaire seront apportés en original. (43) Moniteur, XXII, 568-575. Rép., n° 64 ; Gazette Fr., n° 1057. (44) Moniteur, XXII, 575. (45) Moniteur, XXII, 575. Gazette Fr., n° 1056 indique huit heures. De nouvelles difficultés s’élèvent sur la rédaction; on demande le rapport du décret, on demande la suspension. Ces propositions sont écartées par l’ordre du jour. La rédaction est mise aux voix article par article; il se fait divers amendements et propositions additionnelles. Le décret est définitivement adopté en ces termes : La Convention nationale [sur le rapport de MAILHE] décrète ce qui suit : Art. premier.- Toutes les pièces originales relatives à l’affaire Carrier, et qui se trouvent à Nantes, notamment les arrêtés des 27 et 29 frimaire, et les pièces originales relatives au procès de Fouquet et Lamberty et à la compagnie Marat, seront apportées sans délai au comité de Sûreté générale, après avoir été cotées et paraphées par l’agent national près le district de Nantes, qui en constatera l’état. Art. II.- Le conseil général de la commune de Nantes est chargé, sous sa responsabilité, de l’exécution de l’article précédent ; ceux qu’il commettra pour porter lesdites pièces, sont autorisés à requérir pendant la route une force armée suffisante. Art. iii.- La discussion sera néanmoins continuée ; et si la Convention nationale se trouve d’ailleurs suffisamment éclairée, elle prononcera qu’il y a ou qu’il n’y a pas lieu à accusation. Art. IV.- Le comité de Sûreté générale enverra sur le champ le présent décret par un courrier extraordinaire, au conseil général de la commune de Nantes. Un membre [CRASSOUS] observe que le bureau devoit être renouvelé hier; il demande que la Convention fixe une séance pour procéder au renouvellement. Cette proposition n’a pas de suite. La discussion sur l’affaire de Carrier est renvoyée à demain onze heures précises (46). La séance est levée à sept heures et demie du soir (47). Signé, LEGENDRE, président, GUIMBERTEAU, MERLINO, THIRION, DUVAL (de l’Aube), secrétaires. En vertu de la loi du 7 floréal, l’an troisième de la République française une et indivisible. Signé, GUILLEMARDET, BALMAIN, J. -J. SERRES, CAÂ. B LAD, secrétaires (48). (46) P.-V., L, 23-25. C 327, pl. 1430, p. 16, sous la signature de Mailhe. Rapporteur Mailhe selon C*II, 21. (47) P.-V., L, 25. Débats, n° 790, 881 indique « une séance qui s’est prolongée depuis midi jusqu’à huit heures ». (48) P.-V., L, 25.