[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 février 1790.] 669 traiter d’autres citoyens, ou la garde même qu'il commande, il doit alors avertir les violateurs de la liberté, de la propriété et de la sûreté d’autrui, que leurs actions sont proscrites par la loi, et qu’il a mission pour les réprimer ; et après les trois sommations prescrites par la loi martiale, il est en droit complet de faire de la force un usage suffisant pour arrêter tout crime ultérieur que la multitude voudrait se permettre. Pourquoi un commandant militaire a-t-il ce droit, sauf à en répondre et même indépendamment de la municipalité? C’est qu’il n’y a pas un homme qui n’ait ce même droit. Le jeune Anglais, dont je rougis d’ignorer le nom, qui a tiré l’épée, qui avec elle a sauvé la vie à M. Planter , et qui a contenu la fureur populaire dont ce négociant estimable avait été ou allait être la victime, n’était pas un citoyen, et cependant il a été récompensé, au nom de la nation française et des représen ¬ tants de la première commune de France, pour avoir employé la force et le courage militaire qu’il tenait du ciel, et empêcher le crime que des citoyens français avaient commencé et qu’ils auraient consommé sans lui. Ne refusons donc pas à nos troupes citoyennes, et qui ont prêté le serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au Roi, le droit que nous n’osons refuser à un étranger, et que nous honorons chez lui lorsqu’il en a fait un si honorable et si noble usage. Je crois, Messieurs, que cet exemple suffit pour montrer à quel point il est aisé de rétablir la sûreté publique, partout où se trouvent des citoyens intrépides et honnêtes, et particulièrement partout où se trouvent les guerriers légaux de la nation. Il y a donc, Messieurs, une garantie naturelle contre les désordres nuisibles à la sûreté publique ; contre les violences qui pourraient menacer les biens et les personnes. Cette garantie, c’est Dieu qui vous l’adonnée, lorsqu’il a rendu les hommes naturellement sensibles et courageux, compatissants et liers. Il ne s’agit que de ne pas empêcher ceux qui sont et doivent être plus éminemment doués de ces qualités précieuses de les déployer pour la paix et l’utilité publique. A ce moyen qui vient du ciel et que vous n’avez le droit d’interdire à personne, vous en pouvez ajouter un autre qui vienne de vous et des lois, et qui sera également juste, c’est la garantie et les indemnités à fournir par les villes, paroisses et communautés où se seront commis des dommages, à ceux qui les auront essuyés ; cette garantie est juste ; car, ou la plus grande partie des habitants de la communauté ont pris part au désordre, et doivent en conséquence le réparer, ou cette majorité a négligé de contenir la minorité, et alors elle devient responsable de sa faiblesse. Réunissez ces deux moyens, Messieurs, et vous aurez pourvu à tous les maux sans avoir compromis aucune liberté, ni aucun pouvoir; vous aurez assuré le bien public par la seule exécution des premiers principes du droit naturel, eu ordonnant la garantie due par ceux qui ont commis un dommage, et en laissant au sentiment de l’humanité et du courage la liberté que vous voudriez leur ôter en vain de protéger la justice, l’innocence et la faiblesse. C’est dans cette conviction, Messieurs, que j’aurai l’honneur de vous proposer un projet de décret: j’ignore si vous l’adopterez. Peut-être mes collègues vous en proposeront-ils de meilleur. Ce que je sais, c’est qu’aucune loi temporaire ne balancera jamais chez moi l’autorité de la loi divine et humaine, qui crie dans mon cœur que je dois assistance à tout homme opprimé, d’une manière illégale, par un autre homme ou par une multitude d’autres. Ce que je sais, c’est que, lorsque je verrai commettre ce crime, je ne demanderai ni ordre ni conseil à personne ; j’accourrai, je défendrai mon frère par la raison, si elle peut être entendue, par l’épée, si je ne puis mieux : les hommes ensuite m’applaudiront ou me feront pendre, selon qu’il leur paraîtra expédient. ..... Me non civium ardor prava jubentium mente qualit solidâ. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, voulant assurer la tran-quilité publique, a décrété et décrète ce qui suit : Art. Ier. Lorsqu’il y aura quelque tumulte ou attroupement considérable, les officiers commandant les gardes nationales et les troupes-réglées feront mettre leurs troupes sous les armes et les porteront au lieu de l’attroupement. Art. 2. S’il n’y a que du bruit, les militaires, tant gardes nationales que troupes réglées, se tiendront paisibles dans le poste qui paraîtra le plus propre à couvrir le lieu ou les personnes qui pourraient paraître menacés. Us y attendront l’ordre de la municipalité. Art. 3. Si, avant l’arrivée des ordres delà municipalité, les gens attroupés commettaient quelques violences contre les biens ou les individus, comme jets de pierre, bris de portes ou de fenêtres, incendies de meubles ou de maisons, coups donnés à quelque citoyen, militaire ou autre, les deux officiers commandants des deux troupes, ou l’un des deux à défaut de l’autre, feront faire, après trois appels au bruit du tambour, les trois proclamations ordonnées par la loi martiale; et si, ensuite, le désordre ou les violences ne cessaient pas, ils emploieront la force pour les réprimer, et saisiront les coupables pour les livrer à la justice. Art. 4. Aussitôt que les violences auront cessé, et quelques coupables arrêtés, les officiers commandants feront cesser tout usage de la force. Ils dresseront de tout ce qui sé sera passé procès-verbal assermenté, et le remettront, par duplicata, tant à la municipalité qu’au juge du lieu, pour mémoire dans l’instruction du procès. Art. 5. Lorsque, par un attroupement, il aura été causé quelque dommage dans une ville, paroisse ou communauté, il sera réparé par une imposition mise sur tous les habitants, au marc la livre de toutes leurs impositions directes : sauf le recours desdites communautés sur les biens de ceux qui auraient fomenté les désordres dont les dommages seraient résultés. M. Duport. On vous a proposé d’investir le monarque de la dictature; on vous a proposé de décréter actuellement les bases du pouvoir exécutif; on vous a proposé l’exemple d’une nation voisine ; on vous a fait craindre les guerres que pouvait nous susciter cette nation, tandis qu’il est vrai qu’uu Anglais, dont nous admirons les talents, n’a pas craint de dire à l’assemblée législative de son pays que ce serait la lâcheté la plus insigne que de troubler en ce moment un peuple occupé à conquérir sa liberté etc., etc. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 février 1790.] 670 M. Duport continue à faire des observations sur le fond du décret et sur la rédaction du comité. Il conclut à ce que cette rédaction soit adoptée avec les modifications qu’il y apporte. M. Prieur. Comme membre du comité des rapports, je demande à donner à l’Assemblée des détails sur les causes et sur les motifs des insurrections. M. de Montlosier. M. Prieur n’a pas la parole, et d’ailleurs il faut discuter les principes avant de discuter les faits. M. Prieur. Pour bien juger la loi qui vous est présentée, il faut connaître les faits qui paraissent la rendre nécessaire. J’ai examiné toutes les pièces relatives à l’affaire de Béziers et aux accidents arrivés dans les autres provinces. Je n’ai vu que des événements particuliers, et pas une seule atteinte contre la sûreté publique. L’objet des insurrections est la féodalité : la cause, les fausses interprétations de vos décrets données par les ennemis du peuple. Ainsi donc, l’objet étant connu, la cause étant également connue, vous pouvez plus aisément déterminer le remède. M. Prieur entre dans le détail des nouvelles reçues de plusieurs provinces. La ville de Péri-gueux annonce qu’il est fâcheux qu’un membre de l’Assemblée ait plutôt écouté l’exposé de trois gentilshommes que le récit fidèle de la municipalité. M. de Foucault demande à répondre à cette énonciation. MM. de Juigné, de Cocherel, Duval d’Eprémes-nil, etc., semblent contester les faits énoncés par M. Prieur. — Celui-ci se dispose à aller chercher les pièces originales. — Il quitte la tribune. — On l’invite à y remonter. M. de Montlosier réclame l’ordre du jour. M. Prieur. C’est au nom du peuple qu’on calomnie, que je parle aujourd’hui; c’est la vérité que je veux dire, parce que la vérité seule suffit à sa défense. M. de Foucault. Comme M. Prieur a dit quelque chose qui concerne les troubles de ma province, je demande la parole. (M. Prieur veut continuer son récit, on l’interrompt. — Après de longs débats, M. le Président consulte l’Assemblée, et M. Prieur continue). M. Prieur. La ville de Périgueux annonce qu’on a persuadé à de malheureux paysans, bons, mais simples et crédules, qu’ils seraient condamnés à des amendes s’ils ne se livraient point au pillage; qu’ensuite on a fait marcher contre eux des détachements de troupes, accompagnés du grand-prévôt et des exécuteurs de la haute justice, en disant que l’on allait décimer les habitants des campagnes. Dans d’autres provinces, des hommes inconnus répandent de l’argent pour séduire le peuple. A Monclair on a arrêté un chef de hande qui donnait aux paysans 20 sous par jour pour aller incendier les châteaux. Ailleurs on suppose des ordres signés du Roi et contresignés par M. de Saint-Priest, et des décrets de l’Assemblée, et l’on persuade au peuple qu’il n’a plus qu’un mois pour obtenir par ses mains la réparation des torts qui lui ont été faits. Dans d’autres pays l’ordre est parfaitement rétabli. A Sedan, notamment, le service des employés est en pleine activité. M. l’abbé de Bonneval demande la parole avec insistance. (Voy. plus loin son discours annexé à la séance de ce jour). M. le Président. Votre tour d’inscription n’est pas arrivé. La parole appartient à M. Pétion de Villeneuve. M. Pétion de "Villeneuve. On ne proclame en Angleterre le bill de mutinerie que dans les cas vraiment extrêmes.Quelle que soit aujourd’hui la gravité des circonstances, ce n’est pas une sévérité rigoureuse qu’il faut appeler à notre secours ; le peuple est trompé, il faut l’éclairer. On exagère les malheurs des provinces pour vous engager à employer les remèdes violents : nous ne pouvons, nous ne devons pas nous occuper de preuves, mais plutôt de prévenir le mal, et nous ne le préviendrons qu’en cherchant à en déiruire les causes. Cependant, s’il faut faire une loi provisoire, qu’elle sera-t-elle? Adopterons-nous, avec M. de Clermont-Tonnerre, le projet de M. Ma-louet ? Autant vaudrait renoncer à la liberté et courber avec docilité notre tête sous le joug de la servitude. Tous les corps administratifs, créés pour exercer la puissance du peuple, deviendraient des instruments de la puissance ministérielle ; ne nous abusons pas sur la responsabilité dont on nous annonce les merveilles. Il est clairement prouvé qu’elle ne serait qu’un prétexte de plus pour nous opprimer, puisqu’il serait loisible aux ministres de mépriser les formes légales, sauf à venir demander aux représentants de la nation une absolution que, sous le prétexte de certaines circonstances, ils n’auraient pas la liberté de refuser. Le projet du comité ne mérite pas autant de reproches, mais il ne laisse pas que d’avoir de grands dangers. Il renferme beaucoup de clauses inutiles, et, sans contredit, il est dangereux, dans les circonstances où nous nous trouvons, de multiplier inutilement les lois réprimantes. La loi martiale que vous avez décrétée suffira pour dissiper les attroupements, et la responsabilité qu’on vous propose de prononcer préviendra la négligence ou la faiblesse des officiers municipaux dans l’exercice de cette loi. M. le comte de Mirabeau. On a voulu entraîner une Assemblée législative dans la plus étrange des erreurs. De quoi s’agit-il? De faits mal expliqués, mal éclaircis. On soupçonne, plusqu’on ne sait, que l’ancienne municipalité de Béziers n’a pas rempli ses devoirs. En fait d’attroupements, toutes les circonstances méritent votre attention : il vous était facile de prévoir que, par la loi martiale, vous aviez donné lieu à un délit de grande importance, si cette loi n’était pas exactement, pas fidèlement exécutée. En effet, une municipalité qui n’use pas des pouvoirs qui lui sont donnés dans une circonstance importante, commet un grand crime. Il fallait qualifier ce crime, indiquer la peine et le tribunal ; il ne fallait que cela. Au lieu de se réduire à une question aussi simple, on nous a dit que la république est en danger ; j’entends et je serai entendu par tout homme qui écoutera avec réflexion, j’entends la chose publique: on nous a fait un tableau effrayant des malheurs de la France; on a prétendu que l’Etat était bouleversé, que la monarchie était tellement en péril