[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 septembre 1789.] 101 quand le bien commun L’exige. Quant à la promulgation, elle n’est que la publication de la loi. D’après cela, il s’ensuit qu'on doit dire : qu’est-ce que la loi ? c’est la volonté générale. Quel est le caractère de l’authenticité de la loi ? C’est la sanction du Roi. Peut-elle être absolue? Elle ne peut être que suspensive , etc. Telle était la marche que vous deviez suivre; mais aujourd’hui que vous reprenez les choses à l’origine, vous pouvez remonter aux principes, et ils se trouvent dans l’arrêté du comité. M. Bouche répond à M. Tronchet en disant que parler de la nécessité de la sanction purement et simplement, c’est faire retomber l’Assemblée dans le veto absolu et indéfini. M. Guillolin demande la parole; un murmure continuel l’empêche de parler. On fait la motion de fermer la discussion , et M. l’évêque de Laogres propose de prendre les voix. M. Guillotin persiste, mais les cris répétés aux voix! l’interrompent. Plusieurs fois il recommence, plusieurs fois on le prive de parler avec la même opiniâtreté. Enfin le calme renaît pour un moment; M. le président en profite pour interroger le vœu de l’Assemblée. On va aux voix pour savoir si la discussion sera fermée ou non. L’Assemblée décrète qu’elle est fermée. M. le secrétaire donne lecture de l’article. M. Le Chapelier en demande la division. Cette demande excite des réclamations. M. Le Chapelier veut ■ l’appuyer, on lui ferme la bouche. Enfin, il persiste, et parvient à se faire entendre, en priant M. le président de rappeler à l’ordre les membres qui l’interrompent. M. Eæ Chapelier. On ne peut faire regarder le Roi comme co-législateur, si ce n’est relativement à la faculté qu’il a de refuser suspensive-meut l’exécution d’une loi. C’est sur ce principe que je me fonde en réclamant la discussion. M. Garat. Permettez-moi , Messieurs, de rapporter ici les détails de la discussion : elle a commencé par la demande faite par M. Le Chapelier de la division en deux articles, l’un qui assure le pouvoir législatif de la nation, et l’autre qui donne au Roi le droit de promulgation. M. Mounier. Il ne faut pas séparer le décret qui prononce sur la formation de la loi par le pouvoir législatif, de la sanction qui en est le complément; ils doivent être réunis en un seul article. M. Tronchet donne une très-longue explication sur la formation de la loi. M. de Lally-Tollendal. On ne peut faire un seul argument contre la rédaction, sans renoncer à toutes les règles de la logique. On ne peut rien omettre, rien retrancher, rien diviser, parce que le caractère de la loi est indivisible. En un mot, de deux choses l’une : ou l’auteur de la motion est d’accord avec nous, et alors il n’est point nécessaire d’énoncer les principes en deux articles ; ou il est contraire à l’article énoncé, et alors il devient extrêmement dangereux de laisser énoncer des principes contraires à ceux qui sont dans nos cœurs, dans nos cahiers, et j’ajouterai même dans notre conscience. Je le répète, ce mot, avec tranquillité, avec respect, parce qu’il est plus sacré que celui des principes, dont on nous rebat si souvent les oreilles. La dernière phrase du discours de M. de Lally excite quelques murmures. On propose quelques amendements. Les choses étaient dans cet état, lorsque M. le Président est rentré. M. le Président rend compte qu’il s’est, conformément aux ordres de l’Assemblée , retiré par devers le Roi, à qui il a dit : « Sire, l’Assemblée nationale a appris avec douleur la résolution que Votre Majesté a prise d’envoyer à la Monnaie sa vaisselle et celle de la Reine; elle supplie Votre Majesté de révoquer cette résolution, ne pouvant regarder que comme sacrifices les plus pénibles pour elle et pour la nation, ceux qui seraient personnels à Votre Majesté. » Le Roi lui a répondu : « Je suis fort touché des sentiments que l’Assemblée nationale me témoigne; vous l’en assurerez de ma part; mais je persiste dans une disposition que la rareté du numéraire effectif rend convenable. Ni la Reine, ni moi, n’attachons aucune importance à ce sacrifice. » L’Assemblée a témoigné par des applaudissements unanimes la sensibilité de sa reconnaissance. On reprend la délibération. On fait d’abord un premier amendement, celui d’ajouter, après les députés de la nation, ces mots ; légalement et librement élus. Cet amendement est adopté. On en fait un second, celui de mettre, au lieu des députés de la nation , V Assemblée des représentants de la nation. Cet amendement est encore adopté. On en fait un troisième, qui est de mettre : aucun acte du pouvoir législatif. Ce dernier excite des réclamations infinies. M. le comte de Mirabeau. Je demande ce qu’on entend par un acte de législation qui n’est pas une loi. Ces deux expressions sont parfaitement synonymes. Je ne connais d’autre réponse à cette observation, que aux voix, et j’avoue que cette réponse me paraît sans réplique. Mais, si l’on veut s’entendre, on dira : sommes-nous d’accord sur la chose que nous voulons définir par l’article proposé? Si c’est la loi, il faut dire simplement : la loi est l’acte du pouvoir législatif, sanctionné par le Roi. Si c’est, comme je le crois, la nature et les bornes du pouvoir exécutif que vous voulez déterminer, il faut changer d’un bout à l’autre la rédaction de l’article, sous peine de nous soumettre à un galimatias évident, ou bien l’article dirait : un acte du Corps législatif ne sera autre chose qu'un acte du Corps législatif. J’observe en finissant qu’il ne serait pas mal que l’Assemblée nationale de la France parlât français et même écrivît en français les lois qu’elle propose. M. Bouche dit que l’amendement n’a pas le sens commun. Néanmoins l’amendement est adopté. M. le Président propose la rédaction de l’article, conformément aux amendements. « Aucun acte du Corps législatif ne pourra être considéré comme loi , s’il n’a été fait par les re- 4Q# [AisèmbMê Bâtionfcl«.| ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 septembre 1789.] présentants de la nation légalement et librement élus, et sanctionné par le monarque. » La majorité adopte ce décret. Plusieurs membres prétendent que l’épreuve est incertaine. M. le Président prononce une seconde fois le décret, et lève la séance. Mais une partie de la salle fait entendre les plus vives réclamations. On demande , d’un côté , que l’article soit renvoyé au comité de rédaction pour être traduit en français ; de l’autre, on persiste dans le décret. M. de Lally observe que c’est totalement changer une loi que d’en changer les mots. M. de Mirabeau lui réplique. M. lé Président croit que M. de Mirabeau l’accuse d’avoir signé l’arrêté avant d’être prononcé ; il demande justice de cette inculpation. Ou s’explique, on s’éclaircit , et il se trouve qu’il n’y a pas d’allégation, si ce n’est celle d’avoir signé le décret avant de l’avoir relu. Une partie de l’Assemblée se récrie contre les réclamations de M. de Mirabeau, qu’elle appelle tyrannie. M. de Mirabeau dit ensuite que l’épreuve a été douteuse. M. le président, pour terminer, a proposé un appel nominal. Les uns le demandent, les autres le rejettent. L’Assemblée se sépare sans rien décider. Séance du mardi 22 septembre 1789, au soir. La séance du 22 soir commence par l’annonce de plusieurs offres patriotiques. 1° Une lettre de M. Berthier, gouverneur de l’hôtel de la guerre, par laquelle il offre à l’Assemblée nationale sa vaisselle d’argent, pesant 33 livres un quart, poids de marc, disant qu’il serait honteux d’être servi sur de l’argent, lorsque le monarque donne l’exemple de l’être lui-même sur de la terre ; il joint 44 médailles, aussi d’argent, pesant ensemble 3 livres et demie, et un étui d’or ; le tout pour être employé comme contribution volontaire au bien de l’Etat, et saus intérêt d’ici en 1799, et plus, si les circonstances l’exigent. M. le Président instruit l’Assemblée que le même citoyen, père de six enfants, avait déjà fait, à Paris, un don patriotique de 26,000 livres, et contribué pour 24,000 livres à celui connu sous le nom de Bouquet du Roi. 2° Une lettre de M. Fretel, paumier deM. le duc d’Orléans, qui demande que, sous les auspices de l’Assemblée nationale, il soit proposéà tous les propriétaires de maisons une contribution d’un écu par croisée, pour être employée â l’acquittement de la dette publique. Rajoute que, propriétaire au Palais-Royal, d’une maison qui a trente-deux croisées, sa quote-part est de 96 livres, qu’il a l’honneur d’envoyer à l’Assemblée nationale, en la suppliant de vouloir bien la recevoir. 3° Toutes les personnes employées à la manufacture du sieur Réveillon voulant contribuer, autant qu’il est en leur pouvoir, à l’acquittement de la dette de l'Etat, ont unanimement consacré le produit de leur journée, montant à 500 livres; elles supplient M. le président de vouloir bien faire agréer cette offre à l’Assemblée nationale. L’annonce de toutes les offres patriotiques est unanimement applaudie. M. le Président annonce que M. le marquis de Montalembert désire être admis à la barre, pour faire à l’Assemblée nationale une offre patriotique. L’Assemblée ayant agréé sa demande, il est introduit. M. le marquis de Montalembert dit: C’est en ce jour que mon ambition sera satisfaite, si l’auguste Assemblée devant laquelle j’ai l’honneur de me présenter veut bien accepter, pour la nation, mes cabinets de fortifications. Us sont composés de plus de cent plans en relief de différentes forteresses, construites suivant mes nouvelles méthodes. Ces cabinets, formés par le travail constamment fait chez moi depuis plus de trente années, contiennent différentes compositions, depuis les plus grandes places de guerre jusqu’aux plus petits forts. Les principaux avantages sont d’être capables d’une beaucoup plus grande résistance, avec des garnisons beaucoup moins nombreuses, d’exiger beaucoup moins de dépenses dans leur construction, et enfin d’en placer les défenseurs dans les batteries casematées, où ils seront garantis des effets destructeurs des boulets et des bombes des assiégeants ; car la conservation du dernier des citoyens doit être le premier de nos devoirs. Quelque fortune que j’eusse pu offrir à la nation, elle eût toujours été bien au-dessous de la valeur des moyens défensifs que je viens déposer en ses mains ; j’ose dire qu’ils peuvent l’élever à un grand degré de puissance, m’en reposant d’ailleurs sur sa sagesse, pour ne les employer qu’à la conservation de ses propriétés et au plus grand bonheur de l’hümanitê. Que nos frontières soient enfin rendues impénétrables : j’en ai démontré la possibilité il y a déjà bien des années ; alors ce beau royaume deviendra le séjour de la liberté, de la paix et de l’abondance. Oui, Messieurs, je donnerais le reste de ma vie, s’il le fallait, pour hâter cet heureux moment. Il ne me reste qu’à supplier cette auguste Assemblée de recevoir avec bonté ce témoignage de mon zèle. M. le Président répond: l’Assemblée nationale reçoit avec plaisir l’hommage que vous lui présentez, et applaudit à votre patriotisme : elle jugera dans sa sagesse à quoi doit être destiné le fruit de votre louable travail, dans un moment où l’éducation publique, participant à la régénération générale, s’étendra à tous les objets d’utilité nationale. M. le Président ajoute que, quoique le sacrifice de M. le marquis de Montalembert n’ait pas besoin d’être relevé par les accessoires, il croit devoir instruire l’Assemblée que ce noble citoyen a refusé une somme énorme, pour cet objet, de la part de riches étrangers. Les applaudissements redoublent et, sur sa demande, la séance est accordée à M. le marquis de Montalembert. M. le Président rappelle l’ordre du jour. M. Barrère deVieuzac, membre du comité de vérification, fait un rapport sur les pouvoirs des députés de la Guadeloupe. Messieurs, cette colonie occupée dans ce dernier siècle par 17,000 Français, encouragée dans ses progrès par Louis XlV et Colbert, conquise en