SÉANCE DU 9 BRUMAIRE AN III (30 OCTOBRE 1794) - N° 46 217 46 LAKANAL reproduit le projet de décret présenté par lui, au nom du comité d’instruction publique, sur les écoles normales. LEVASSEUR (de la Sarthe) : Il me semble que le nombre de trois élèves par district n’est pas suffisant ; je demande qu’il soit porté à cinq. PELET : Au lieu de fixer le nombre des élèves à envoyer sur la proportion des districts, je pense qu’il serait plus raisonnable de baser ce nombre sur la population. Il y aurait plus d’égalité. LE RAPPORTEUR : Quel est le but de l’établissement que le comité vous propose? C’est de répandre uniformément, et d’une manière prompte, l’instruction dans toute la République. Le comité pense atteindre ce double but. Les trois élèves qui seront envoyés par district pour suivre à Paris, le cours des écoles normales, ouvriront à leur retour des écoles normales secondes. La population nous a paru une base trop longue et trop diffilcultueuse pour l’instant. D’ailleurs, qu’arrivera-t-il de celle que nous avons adoptée? C’est que, dans les départements plus populeux, il y aura plus d’élèves des écoles normales qui y seront établies. LEFIOT : On ne doit jamais se disposer à commencer un édifice par le faîte. Le comité d’instruction a été chargé de présenter un plan d’institutions républicaines. Je ne nie pas que les écoles normales ne soient nécessaires ; mais avant de former des instructeurs, il faut savoir sur quoi on les instruira. Où puisera-t-on ces instructions? Ce ne peut être dans des livres qui n’existent pas. Il faudrait donc avant de discuter le projet des écoles normales, que les livres élémentaires fussent prêts, et que le comité présentât le plan des institutions républicaines. Je demande donc l’ajournement de la discussion jusqu’à ce nouveau rapport. [MASSIEU annonce que ces livres élémentaires seront faits avant que les écoles normales ne soient formées ; il dit que le comité a chargé de faire ces élémens les hommes reconnus pour avoir le plus de talens, chacun dans le genre de ses études.] (105) ERHMANN : Quand un problème est résolu, il est inutile de le remettre en question. On a formé l’Ecole de Mars ; eh bien, n’a-t-on pas fait des élèves et des instituteurs? Le succès de cet établissement répond pour ceux qu’on voudra créer. Le génie français fera réussir toutes les grandes entreprises. Vous aviez besoin de poudre et de salpêtre ; il fallait tout créer, tout faire; eh bien, tout a été créé, tout a été fait. Je demande l’ordre du jour sur la proposition du préopinant, et la suite de la discussion. La Convention passe à l’ordre du jour. (105) Débats, n° 767, 571. RAMEL : Pelet a fait une proposition que le rapporteur a combattue, et qui cependant me parait juste. Il est facile de remédier aux inconvénients que Lakanal a fait entrevoir. Voici comme je conçois cette mesure. Il faudrait que chaque district envoyât un élève; ensuite, que les districts dont la population excédera vingt mille âmes en envoyassent deux ; ceux qui auront plus de quarante mille âmes, trois, et ainsi du reste. Cet amendement est adopté. THIBAULT : Je demande qu’avant l’ouverture des écoles normales on imprime la liste des personnes chargées de composer les livres élémentaires. LE RAPPORTEUR : Le comité a nommé pour composer ces livres des hommes dont les talents sont connus et estimés. On peut s’en rapporter sans doute à Bernadin de Saint-Pierre pour la morale, à Lagrange pour la géométrie, etc. Voilà quels hommes seront professeurs dans les écoles normales. THIBAULT : L’observation du rapporteur n’empêche pas que la mienne ne soit adoptée. Les livres élémentaires ne seront pas composés avant l’ouverture des écoles. J’estime les talents, mais encore plus la moralité. Il n’est pas rare de voir des scélérats écrire sur la morale. Robespierre ne parlait que de vertu, Couthon que de justice. Quels exemples pour nous instruire sur l’avenir! (On applaudit.) L’impression de la liste est décrétée. Le rapporteur lit l’article qui fixe à quatre mois la durée de l’établissement des écoles normales. SERGENT : Si les hommes que le comité a désignés in petto pour professer dans ces écoles ne sont pas des charlatans ou des insensés, ils ne pourront jamais en quatre mois atteindre le but de cet établissement. Comment voulez-vous que des jeunes gens qui d’abord auront à se défaire de vieux préjugés, de vieilles habitudes, soient en si peu de temps capables d’aller ensuite former de nouveaux instructeurs? Il ne s’agit pas de faire naître des fruits en serres chaudes, mais il faut former des hommes instruits et dignes d’instruire leurs concitoyens. Je vois dans le projet du comité le dessin d’un beau tableau ; mais ce n’est qu’une ébauche. Craignons, en ne faisant que des croquis sur l’éducation publique, que la génération suivante ne soit en droit de nous faire des reproches. Point de petits calculs sur cet important objet. Le terme de quatre mois est trop court et absolument insuffisant. Il ne s’agit point ici, comme pour le salpêtre, de travailler en mécanique ; il s’agit de former le coeur ; il faut le temps ; l’intention ne suffit pas ; on ne fait pas en quatre mois des moralistes, des physiciens, des géomètres. Je demande que le délai soit fixé à un an. [Massieu a répondu qu’il n’étoit pas question de faire un cours de morale ou d’éducation; 218 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE mais seulement d’inculquer aux élèves un mode simple et clair de se servir des livres élémentaires qui par les soins que l’on y avoit mis, feroient les trois-quart de l’éducation.] (106) COLLOT D’HERBOIS : Si le terme est trop court, l’instruction sera imparfaite; si vous le prolongez vous ne satisferez pas à l’impatience de tous les citoyens qui vous demandent cette instruction. Je ferai une observation que je soumets au comité lui-même ; je crois pouvoir remédier au double inconvénient que je vois à craindre. Il faut que les besoins les plus pressants soient satisfaits les premiers. Je serai donc d’avis que l’on choisît parmi les élèves instructeurs qui seront envoyés aux écoles normales ceux qui auront montré le plus de sagacité ; à mesure qu’ils seraient suffisamment instruits d’une partie des sciences qui doivent composer les cours de ces écoles, on les renverrait dans leurs départements pour y former de nouvelles écoles, et on les ferait sur-le-champ remplacer ici par d’autres élèves ; de cette manière, la propagation de l’instruction serait infiniment plus prompte. Je voudrais que ce remplacement eût ainsi lieu jusqu’à l’entier achèvement des cours des écoles normales. THIBAUDEAU : L’observation du préopinant part d’une base qu’il a supposée et qui n’existe pas dans le projet du comité. Il ne s’agit point de plusieurs cours sur diverses sciences, mais d’un cours unique sur la meilleure manière d’enseigner ce qui doit faire l’objet des écoles primaires, comme la lecture, l’écriture, l’arithmétique et la morale. Or ces points d’instruction ne peuvent être divisés sans inconvénients. En effet, si l’on renvoyait dans son département un élève qui n’aurait appris qu’à enseigner à lire, le but ne se trouverait pas rempli. Je pense au reste que le terme est trop court. On peut adopter celui que le comité propose, sauf à le prolonger ensuite. COLLOT D’HERBOIS : Les observations de Thibaudeau ne détruisent pas les miennes... Plusieurs membres : Aux voix l’article! GRÉGOIRE : Je crois qu’il vaudrait mieux ne point fixer de terme. L’expérience nous éclairera là-dessus, il sera toujours temps d’y revenir. Cet amendement est décrété. Le projet de décret est adopté en entier en ces termes (107) : Un membre [LAKANAL], au nom du comité d’instruction publique, fait un rapport sur l’établissement des écoles nor-(106) Mess. Soir, n° 804. (107) Moniteur, XXII, 388-389. Débats, n° 767, 571-572; J. Mont., n° 17 ; Rép., n° 40 ; J. Perlet, n° 767 ; Ann. Patr., n° 668 ; Ann. R. F., n° 39 ; Mess. Soir, n° 804 ; J. Fr., n° 765 ; C. Eg„ n° 803; J. Univ., n° 1799; F. de la Républ., n° 40; M. U., XLV, 156. males et présente à la suite un projet de décret qui est adopté ainsi qu’il suit : La Convention nationale, voulant accélérer l’époque où elle pourra faire répandre d’une manière uniforme, dans toute la République, l’instruction nécessaire à des citoyens français, décrète : Article premier. - Il sera établi à Paris une école normale, où seront appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l’art d’enseigner. Art. II. - Les administrations de district enverront à l’école normale un nombre d’élèves proportionné à la population : la base proportionnelle sera d’un pour vingt mille habitans; à Paris les élèves seront désignés par l’administration du département. Art. III. - Les administrateurs ne pourront fixer leur choix que sur des citoyens qui unissent à des moeurs pures un patriotisme éprouvé et les dispositions nécessaires pour recevoir et répandre l’instruction. Art. IV. - Les élèves de l’école normale ne pourront être âgés de moins de 21 ans. Art. V. - Ils se rendront à Paris avant la fin de frimaire prochain; ils recevront pour ce voyage, et pendant la durée du cours normal, le traitement accordé aux élèves de l’école centrale des travaux publics. Art. VI. - Le comité d’instruction publique désignera les citoyens qu’il croira les plus propres à remplir les fonctions d’instituteur dans l’école normale : et en soumettra la liste à l’approbation de la Convention; il fixera leur salaire de concert avec le comité des Finances. Art. VII. - Ces instituteurs donneront des leçons aux élèves sur l’art d’enseigner la morale et former le coeur des jeunes républicains à la pratique des vertus publiques et privées. Art. VIII. - Ils leur apprendront d’abord à appliquer à l’enseignement de la lecture, de l’écriture, des premiers élémens du calcul, de la géométrie pratique, de l’histoire, de la grammaire française, les méthodes tracées dans les livres élémentaires adoptés par la Convention nationale et publiés par ses ordres. Art. IX. - La durée du cours normal sera au moins de quatre mois. Art. X. - Deux représentans du peuple désignés par la Convention nationale, se tiendront près l’école normale, et correspondront avec le comité d’instruction publique sur tous les objets qui pourront intéresser cet important établissement. Art. XI. - Les élèves formés à cette école républicaine rentreront, à la fin du cours, dans leurs districts respectifs : ils ouvriront dans les trois chefs-lieux de canton désignés par l’administration de district,