[Assemblée nationale.] ARRIVES PARLEMENTAIRES. [18 aoàt 1790.] 4H M. Perrotln de Bàrmond. Messieurs, avant de vous parler de l’affaire qui m’amène, je dois vous rendre compte d’un accident qui peut-être aurait été funeste sans le zèle de la garde nationale et des officiers qui m’accompagnaient, peut-être aussi sans le sang-froid que j’ai montré. J’avais reçu ordre de M. de Lafayette de me rendre à l'Assemblée, accompagné de trois officiers qui ne m’ont pas quitté; ils étaient dans ma voiture, après laquelle venait l’aide-major. Comme beaucoup de monde était rassemblé devant ina porte, j'ai donné ordre à mon cocher de sortir par le boulevard ; le peuple a cru que je voulais m'échapper; il s’est jeté sur ma voiture, et mes chevaux ont couru risque d’être maltraités. Je me suis présenté au peuple; j’ai dit que j’allais à l’Assemblée nationale ; que je n’avais rien à craindre d’un peuple que j’estimais, et que j’irais à pied si on le voulait. On m’a dit : remontez dans votre voiture. J’ai continué ma route âu pas. J’ai trouvé des gardes nationaux de distance en distance, et je suis arrivé sans accident. Je devais fairè ce détail à l’Assemblée pour répondre d’avance aux romans qu’on aurait faits sur cet objet. Je ne me dissimule pas la difficulté de ma position; elle serait embarrassante pour un homme coupable; elle n’est que pénible pour celui qui a déjà pour lui un premier jugement, le témoignage de sa conscience. Vous avez demandé que je rendisse compte de ma conduite: ce sont mes réflexions, mes sentiments, c’est mon âme tout entière que je veux vous dévoiler. Une démarche légère et im prudente a excité l’ardeur de ces hommes qui dénoncent tout, et pour qui, comme pour les tyrans, l’on n’est plus innocent dès qu’on est suspect. Ils n’entameront pas ma conduite. Un sentiment me. console: l’Assemblée délibérera mûrement; elle distinguera d’une action coupable un sentiment qui peut égarer. Qu’on ne s’attende pas avoir ici par 1er d’intrigue, jamais elle n’a souillé ma pensée. Je n’ai à offrir que les détails d’une vie tranquille, et qui n’a été troublée que parle malheur des autres. Les faits de ma cause sont connus. Ma déclaration faite devant la municipalité de Gbâ-lons était insuffisante ; mais quel n’a pas été mon étonnement, quand j’ai vu ce qu’on m’a longtemps caché, quand j’ai vu, dis-je, dans l’acte même et après ma signature, la déclaration de M. Julien! Ici j’accuse formellement M. Julien du secret qui m’a été fait de sa déclaration : ce secret a eu, pendant trois semaines, le pernicieux effet de me laisser sous le poignard de la calomnie, sans que je puisse le détourner ; secret inconciliable avec votre nouvelle procédure ; déclaration qui n’a pas d’autre fondement que la dénonciation d’un domestique. Je suis donc obligé de vous donner le détail des faits. Le vendredi, 16 juillet, à six heures du matin, un particulier s’est présenté chez moi; il m’était parfaitement inconnu ; il me dit s’appeler le chevalier de Bonne-Savardin. Observez que l’affaire de ce particulier était peu connue; que la dénonciation du Châtelet n’avait pas paru. Je savais à la vérité qu’un citoyen de çe nom avait été arrêté près du pont de Beau-voisin. M. de Bonne me dit : «Je demande du secours ; je demande un asile ; je suis la victime d’une dénonciation liée à une plainte rendue contre JR. d’flozier; mes dénonciateurs sont payés; — Quels rapports y a-t-il entre, vous et moi ? lui dis-je. — Ceux qui. existent toujours entre l’homme malheureux et l’homme sensbile. » Je voulus refuser. « Je suis député; je suis magistrat »... je cherchai à m’armer de tous ces titres; mais j’étais déjà Vaincu. « Secourez-moi, dit-il, vous ne serez pas trahi. » Il m’indiqua des mesures ; il ne désirait que d’êtrè mis hors des barrières, je promis. Je fus le premier au boulevard neuf dans ma voiture ; nous partîmes; nous mîmes pied à terre dans la campagne. Jevis naître et augmenter son incertutide. « Où irai-je? Que deviendrai-je? me dit-il. j’aiïné mieux rentrer dans mes liens. » Je revins à Parié et je me rendis chez moi. On a dit à ce sujet qué j’étais allé chercher M. de Bonne à la campagne; que j’étais parti seul et revenu avec quelqu’un; M. de Bonne me fit sentir les difficultés de chercher un asile; je le gardai dans ma maison, où, presque toujours éloigné par les devoirs de ma place, je ne l’ai presque pas vu. J’entendaïè dans la société accuser des hommes puissants de l’évasion de M. de Bonne, et il était chez moi. Vingt fois j’ai été sur le point de le déclarer, uniquement pour servir ceux qu’on inculpait. Je voyais arriver le moment où il fallait l’abandonner; je le désirais, je le craignais. J’avais formé le projet d’aller aux eaux; ce voyage a paru suspect; je dois à ce sujet remonter à des temps plus éloignés. La journée du 5 octobre m’avait tellement affecté, que j’étais sorti du ehàteaü méconnaissable. Je fus alors frappé d’une maladie, dont les effets étaient assez visibles ; je demandai un passeport. L’Assemblée se transporta à Paris, et parut mécontente de la quantité de passeports qui avaient été donnés ; je fis le sacrifice du mien. On s’occupait alors des biens du clergé. Quoique je n’eusse personnellement rien à défendre, j’étais attaché à ce corps, et je crus ne pas devoir m’éloigner. Le mal s’était repompé dans le sang ; mes amis me conseillèrent les eaux de Ville-Bonne. Dès le mois de juin je pris chez le ministre des renseignements sur ies moyens d’avoir un passeport. La confédération fut décidée, l’Assemblée désira que ses membres ne s’éloignassent pas, et je restai. Le 22 juillet, je demandai un passeport pour moi et pour mes deux domestiques; j’annonçai mon départ au chevalier de Bonne les larmes aux yeux ; il conçut quelque espoir ; je résistai. Enfin, je fis mes conditions : je dis que je ue voulais pas le conduire hors du royaume, mais dans telle ville de France qu’il voudrait m’indiquer, que je ne partirais pas s’il y avait un décret même d’ajournement. Le 26, la procédure fut décrétée et aucun décret ne fut rendu. Je partis le même soir ; j’avais calculé le danger que je pouvais courir ; le sentiment l’emporta sur la prudence, voilà toute ma faute; Elle serait impardonnable, si l’hospitalité était ùn crime, si les dénonciations étaient des vertus, si l’on pouvait ne pas repousser avec horreur les dénonciations do uestiques ; si telle était notre position, en professant hautement que tout citoyen doit fléchir devant la loi, je dirais avec courage que tout citoyen doit s‘é raidir contre l’inquisition. Je répondrai à mes adversaires personnels que jamais je n’ai coûnù M. de Bonne; que j amais je n’ai reçu de lettré de l’étranger ; j'ô ne parle pas de celle qui est arrivée chez moi pendant inon absence, timbrée dé Lôndres ; on a reconnu à la posté Ru’elle était partie de Paris ; mon frère l’a remise aù comité dés recherches ; je ne la dénonce pas, elle compromettrait trop de personnes : leur honneur nè m’appartient pas. Non seulement je défie mes adversaires personnels, mais je demande qu’on mette les scellés sur mes papiers. Qn verra dans, mes, .sprrespoodam-ces que toujours j’ai été occup’é à chercher le mal- [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 août 1790.] 148 beur pour le consoler ;que j’ai parcouru toutes les prisons d’Êtat; que je suis descendu dans tous les cachots ;que jamais en vain l’infortune n’a devant moi répandu des larmes. On verra combien j’ai l'ait de mémoires pour amollir l’autorité, pour solliciter la justice. J’ai quelquefois réussi, et mon succès a été le seul prix de mes travaux, le seul que désirât mon cœur. On a osé dire que l’affaire S résente a rapport avec l’affaire du 6 octobre. ui, j’v ai pris part; j’ai donné asile à des gardes du corps, à un membre de cette Assemblée. Ma maison est te temple du malheur. C’est ma religion, en est-il aucune qui n’ait son fanatisme? Voilà les détails que je devais présenter à l’Assemblée. Il me reste un devoir précieux à remplir : je dois à M. Mestre et aux officiers de la garde nationale qui ne m’ont pas quitté, des témoignages de reconnaissance pour leurs soins, pour leurs égards, pour l’ordre qu’ils ont mis dans ma marche. Cent mille personnes ont entouré ma voiture et mon . passage n’a occasionné aucun trouble. Partout on était sous les armes, partout j’ai vu l’image de cette union, de cette force, la sauvegarde puissante des empires. Je publierai mon voyage, et en présentant cet intéressant tableau, je rendrai sans doute un signalé service à la chose publique. Je dois un hommage à la ville de Châlons ; sa tranquillité profonde, due à l’accord de deux citoyens respectables, du maire et du commandant de la garde nationale, a fait de cette ville un modèle à présenter à toutes les cités de la France. Quant à moi, j’indiquerai un seul exemple : Un pair d’Irlande était accusé d’avoir enlevé un criminel de haute trahison ; il parut au parlement : il demanda s’il était un seul membre de l’assemblée qui pût résister au sentiment qui l’avait conduit , et le parlement décida qu’il n’y avait pas lieu à délibérer. Je réduis à une seule question toute cette affaire. Le signalement de M. de Bonne-Savardin a été publié. Est-il un jugement ? Si c’est un j u-gement, je suis coupable. Je demande qu’on instruise devant un tribunal. Jusqu’au décret je demande ma liberté provisoire. Je sollicite en même temps celle de M. Eggss; il adroit à des dédommagements : je les lui offre, tels qu’il les jugera convenables. Je donnerai ma parole d’honneur, si vous l’exigez, de ne pas m’éloigner de Paris. M. le Président. Retirez-vous, Monsieur, dans la salle voisine ; l’Assemblée vous fera connaître ses intentions. (M. l’abbé Perrotin se retire.) M. le Président. Je recommande le silence le plus profond pendant cette délibération. M. Perrotin est là, il vous entend, vous le jugez ; le moindre mouvement ne serait pas digne de vous. M. Voidel. Je suis encore vivement affecté de la sensibilité que m’a inspiré le discours touchant de M. l’abbé Perrotin ; mais je dois oublier cette affection et remplir mon devoir, et comme membre de cette Assemblée et comme membre du comité des recherches. Ce comité a eu connaissnce de l’interrogatoire fait àMM.deBonne et Eggss; mais ne coyant pas devoir s’expliquer en ce moment, votre comité demande que vous nommiez des commissaires ou que vous l’autorisiez à interroger M. l’abbé Perrotin, sur les faits qui le concernent dans les dispositions de MM. Eggss et de Bonne. M. l’abbé Maury. Ce n’est pas la sensibilité, l’humanité, c’est la raison, c’est l’intérêt public, qui doivent être les guides des législateurs. La grande affaire qui vous occupe en ce moment appelle toute votre attention sur des principes généraux et des considérations particulières : il n’y aura jamais de liberté pour aucun peuple, tant qu’il renfermera dans son sein des prisons non légales; en Angleterre, il n’y a qu’une seule prison par comté; elles sont multipliées à Londres à cause de l’immense population de cette capitale. Il n’est pas un Anglais qui ne crût la constitution renversée, la liberté anéantie, si un individu pouvait être mis en prison sans qu’il eût le droit d’exercer la loi salutaire habeas corpus. L’abbaye Saint-Germain n’est pas une prison, c’est une chartre privée, c’est une Bastille, car il n’existe en France aucun juge qui puisse ni ouvrir, ni fermer les portes de l’abbaye Saint-Ger-main-des-Prés; donc ce n’est pas une prison légale. Serait-elle une prison, il n’y aurait pas de bris de prison, le seul délit qui, dans cette affaire, pourrait être reconnu parles lois. Je soutiens que l’évasion d’un homme détenu n’est, quant à cet homme, que l’exercice d’un droit naturel; que l’extraction purement matérielle, et sans circonstances coupables, d’un citoyen détenu, n’est pas un délit public : tels sont les principes généraux. Quantaux circonstances particulières, lorsqu’un peuple amoureux de la liberté est effrayé chaque jour par les intentions prétendues de prétendus ennemis, on peut ne pas s’en tenir à la sévérité des lois, parce que le salut du peuple est la suprême loi... Par zèle pour l’innocence de M. l’abbé de Bar-mond, pour son intérêt, pour sa sûreté, pour la réparation qu’il a droit d’attendre, je vous propose des conclusions sévères; je demande que l’Assemblée, pour procéder avec la dignité qui lui convient, ordonne au dénonciateur de M. l’abbé de Barmond de rendre compte de sa dénonciation dans le plus court délai, pour qu’elle soit portée, ou au tribunal que vous avez chargé de l’examen des crimes de lèse-nation, ou à tout autre, ou à un tribunal que vous créerez, ou à un tribunal existant. Peu importe; cequi importe c’est qu’un citoyen ne soit pas privé de sa liberté injustement; c’est que l’Assemblée soit instruite du prétendu projet de contre-révolution ; c’est que les citoyens ne soient pas exposés au jugement d’un peuple égaré; ce qu’il importe, c’est d’éclairer si parfaitement la conduite de M. de Barmond, qu’on ne puisse douter si elle a une relation avec l'affaire de M. de Bonne. S’il y a apparence de complicité, j’invoque la justice la plus sévère; je dégraderais le caractère de député, dont M. l’abbé de Barmond est revêtu, si je demandais sa liberté provisoire ; non, je veux le voir sous la main de la loi; je veux qu’il n’ait sa liberté que lorsque son innocence ne trouvera plus un seui contradicteur : il est dans les mains de la nation; qu’il en sorte pur comme un vrai représentant, ou bien qu’il monte sur un échafaud. Je conclus et je demande que M. de Barmond soit reconduit par sa garde, que l’Assemblée ordonne à son dénonciateur de se nommer dans trois jours, que cette dénonciation soit portée à un tribunal; et que, dans le cas où il ne se présenterait pas de dénonciateur, M. de Barmond soit remis en liberté. M. Duport. Lorsque M. Perrotin vient, sur des faits anterieurs à la circonstance présente, prier des membres de cette Assemblée qui en avaient connaissance d’attester ces faits, aucun ne s’est