[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.J 499 les catholiques elle clergé peuvent sans doute offrir \ des économies ; ils peuvent diminuer le luxe, cette , magnificence que l’Eglise elle-même désapprouve ; ils peuvent faire à la société temporelle le sacrifice volontaire des richesses inutiles, mais c’est de leurs mains qu’il faut qu’elle les reçoive ; c’est au soulagement des malheureux contribuables qu’il faut que le sacrifice soit destiné. Sur la partie qui est destinée à l’entretien des ministres ' des autels, ils peuvent encore s’exécuter; ils peuvent sur le tiers dont les canons leur laissent * la libre disposition, et que l’esprit religieux réduit au simple nécessaire, ils peu-� vent consentir de fortes contributions ; iis peuvent, en revenant aux mœurs de la primitive Eglise, imiter L’économe de l’Evangile, et bien mériter de la patrie en lui offrant l’hommage de ce qu’ils ne peuvent pas garder; enfin, sur la partie destinée aux pauvres, ils sont, sans doute, r immédiatement soumis au régime social ; la nation, garante de l’exécution des contrats, peut et y doit la surveiller; elle petit rectifier les formes d’administration, elle peut prendre les moyens ' les plus efficaces pour que les pauvres jouissent véritablement du tiers des biens ecclésiastiques. Mais le droit de surveillance et d’administration n’est point un droit de propriété. Je vais plus � loin: la nation, comme nation, n’est rii ne peut être propriétaire. C’est ici que s’appliquent merveilleusement les raisonnements et les principes > de M. Thouret. Gomment n’a-t-il pas prévu les conséquences qu’on en devait tirer ? La nation est évidemment un corps politique; un corps est un instrument pour parvenir à une fin ; le but de l’association politique est la conservation des propriétés individuelles; l’association est un - instrument de bonheur. Les associés peuvent se séparer, ou changer leur pacte ; alors l’instru-k-ment est brisé ou modifié. Que devient alors la propriété? Comment un corps national est-il propriétaire ? La propriété d’une nation se combat et se détruit par tous les arguments que M. Thouret a dirigés contre la propriété du corps clérical. Que résulte-t-il de tout ce que je viens d’avancer? 11 en résulte évidemment, selon moi, que la question de la propriété des biens du clergé est une question oiseuse ; que le clergé n’en est pas propriétaire, que la nation n’en est pas propriétaire ; que le clergé est administrateur ; que l’administration du tiers destiné aux pauvres peut être revendiquée par la nation ; que les prêtres peuvent et doivent, sur les deux autres parties, offrir de grands sacrifices ; mais que, quand même les prêtres seraient assez injustes * ou assez aveugles pour nous refuser ces sacrifices ; quand même, se renfermant dans la ri-b gueur de leur droit, ils vous diraient : Nous payerons l’impôt selon nos facultés, et dans une juste proportion ; vous n’auriez, Messieurs, qu’à gémir sur la dureté de leur refus ; leurs scandaleuses richesses, au sein des maux publics, témoigneraient en faveur de votre irréfragable équité : l’Etat serait sauvé par d’autres moyens, * par d’autres ressources, et l’on dirait enfin ce que vous méritez qu’on dise : Ils seront libres , ' car ils sont justes. Je conclus à ce que le principe de la motion soit rejeté, et qu’il soit nommé un comité pour concerter les moyens d’assurer et de simplifier l’administration clu tiers des biens ecclésiastiques, destiné aux pauvres, et recevoir les offres *- patriotiques et volontaires que le clergé fera sur les deux autres portions de ses biens. M. Durand de MBai liane (1). Messieurs (2), je n’ajouterâi rien aux raisonnements qui ont été faits par les préopindnts pour prouver que la propriété des biens de l’Eglise appartient à la nation; mais j’ajouterai quelque chose à leurs preuves* et je ne le ferai que parce que me déclarant en faveur de la motion, je crois devoir quelque compte de mon avis et au public et à mes commettants. On a d’abord très-bien établi que par rapport à la propriété des biens, il n’en est pas des corps. politiques ou moraux dans la société, comme des individus ; ceux-ci possédaient, existaient avec tous leurs droits naturels et imprescriptibles, avant la loi, et lés corps n’ont existé que par elle. La loi n’a rien donné aux individus, elle n’a fait que leur assurer ce qu’ils avaient : et ce qu’ils avaient alors n’était pas nécessairement, comme on fa avancé, le fruit de la violence ; car l’homme a toujours eu, et He cessera d’avoir très-légitimement, et néanmoins sans aucune concession de la loi, la propriété de ses droits naturels c’est-à-dife de sa personne, de son industrie et de sa liberté. C’est là une vérité constatée dans la déclaration des droits, et où les corps moraux ne sont nullement compris ni ne devaient l’être, parce que, créés par la loi, ils ont tout reçu d’elle ; or, qui contestera à celui qui a créé, le droit d’ànéantlr? Voilà donc une première distinction qui forme un argument sans réplique, pour prouver que les corps politiques et moraux peuvent être dissous comme ils ont été formés ; et certainement qui n’existe ainsi que par la volonté d’autrui, ne peut se dire martre de ce qu’il possède, quand il ne l’est pas même de son existence. Mais il y a plus, et c’est ici que je me permettrai d’ajouter aux raisons des préopinants. Ils ont distingué les corps politiques des individus ; moi, je distinguerai le clergé d’entre tous les corps de l’Etat : ces derniers sont tels que la loi civile les a faits ; le clergé était tout fait avant la loi civile. Mais comment l’était-il? Comment Jésus-Christ l’a-t-il envoyé annoncer aux peuples, un royaume qui n’est pas de ce monde? l’envoya-t-il pour former un corps politique, un ordre civil et privilégié? l’envoya-t-il avec des biens, ou pour en acquérir ? Qu’on réponde à cette première question ; car eux qui ont défendu jùsqù’ici la propriété des biens ecclésiastiques en favëur du clergé, en ont raisonné comme on raisonne, soit des autres corps, soit des individus par les titres et les règles ordinaires des possessions. Ce n’est pas que cela même leur soit plus favorable ; mais le clergé ne peut pas seulement s’en prévaloir, parce que sa propre existence le renvoie sans cesse au premier titre de sa mission. Eh ! qu’est-il en effet, le clergé, aux termes de sa divine institution? une classe d’hommes dont les fonctions dans leur esprit comme dans leur objet, n’ont rien de naturel ni de commun avec ce qui constitue les autres corps de la société. Les ecclésiastiques sont (1) L’opinion de M. Durand de Maillane n’a pas ôté insérée au Moniteur. (2) Je m’étais inscrit sur la liste de ceux qui devaient porter la parole dans cette importante discussion; mais la matière a été traitée et conclue de manière que les mêmes orateurs ayant repris plusieurs fois la parole, vingt autres qui désiraient parler ne l’ont pu, et c’est alors le cas pour ces derniers, s’ils avaient écrit ce qu’ils devaient dire, de justifier leur suffrage par la I voie de l’impression. 500 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] des hommes dévoués par état au culte divin, et pour la gloire de Dieu et pour le salut des hommes, sans que ceux-ci soient engagés à rien envers eux, si ce n’est à leur entretien, en admettant leur doctrine et leurs services ; encore même les obligations des ecclésiastiques sont telles envers la religion, qu’ils doivent les remplir, lors même qu’ils ont le malheur de prêcher à des sourds ou à des ingrats. Ce langage est sans doute un peu dur, même ici un peu nouveau ; mais il ne sera pas étranger aux bons, aux véritables ecclésiastiques; il est, au surplus, très-nécessaire , car comment définir exactement l’état du clergé pour en connaître les droits et le pouvoir, sans remonter à son origine, à son premier établissement ? Jésus-Christ en parlant à ses apôtres, leur dit qu’il n’en serait pas d’eux comme des princes du siècle, que le premier d’entre eux serait le dernier ..... Il les envoya avec ses disciples prêcher, administrer aux autres gratuitement ce qu’ils avaient reçu gratuitement ; il borna leur récompense temporelle à leur simple nourriture, ce qui est de toute justice, parce que qui abandonne tout pour nous doit trouver en nous sa subsistance : dignus est operarius cibo suo. Ces paroles de notre Sauveur sont ici très-remarquables et présentent deux réflexions : la première, que ceux d’entre les ecclésiastiques qui ne travaillent pas d’un travail digne de leur état et de leur mission, ne méritent pas de vivre du bien de l’Eglise ; tels sont, j’oserai le dire, les titulaires sans fonctions, les eom-mandataires, les religieux hors de leur état, et tous ces bénéficiers, ces prélats non résidants ou prébendés, dont les jouissances engendrent le népotisme, et toutes’ ces vocations humaines dont les fruits sont dignes de l’arbre qui les porte et de la main qui l’a planté. La seconde réflexion est, que d’ôter des biens-fonds au clergé, pour y substituer l’argent nécessaire à son entretien, n’est pas l’avilir, le dégrader, comme l’a dit M. l’évêque de Tréguier; mais c’est le rétablir dans son premier et véritable état. JN’on-seuIement il n’est pas parlé de biens-fonds dans l’Evangile ni dans le reste du Nouveau-Testament , mais pas même des dîmes ; d’où les Saints-Pères ont conclu que cette ancienne contribution a été du nombre des coutumes et des lois judaïques que l’Evangile même avait abrogées : en la loi de grâce , dit saint Hilaire, Jésus-Christ a aboli le joug des dîmes. Et en effet, jusqu’à Constantin, il n’est parlé dans les anciens canons que d’oblations purement volontaires ; et ce qui aura bien de quoi vous étonner, Messieurs, c’est que les clercs qui avaient des biens patrimoniaux n’y participaient point ; preuve sensible que dans les premiers temps, dans les temps les plus purs et les plus ignorés de l’Eglise, on regardait les biens ecclésiastiques comme les biens des pauvres, puisque les clercs eux-mêmes n’en jouissaient qu’à titre de pauvres ! Les offrandes étaient alors bien abondantes. La conversion des empereurs à la foi ne servit qu’à leur augmentation ; mais elles ne furent bientôt plus si considérables ; elles n’allaient pas à sa suffisance, et l’on eut recours à la dîme. L’histoire de son établissement est connue. Je lapasse pour attirer les regards sur sa destination ancienne et sur sa distribution actuelle, sans parler de son usage et de son emploi, qui n’est pas certainement celui que pres-orivent soit les fondations, soit les canons. L’abus I est tel à cet égard, qu’on trouve assez ex traordi-j naire que les défenseurs de la propriété ecclé-’ siastique nous aient rappelés au respect dû aux fondations, aux dons mêmes des fidèles, qui, comme on parlait autrefois, ont donné à Dieu et à Sainte Eglise. Cette Eglise sainte est-elle le clergé? notre Eglise gallicane est-elle le clergé? n’est-elle pas toute la nation qui, zélée catholique depuis le premier de ses Rois, ne veut jamais cesser de i’être? Eh ! qui ne sait pas que les fiefs, en nous donnant une noblesse jusqu’alors inconnue (1), nous ont donné aussi un ordre du clergé, des ecclésiastiques seigneurs féodaux, qui ont figuré comme tels jusque dans les armées ? Eh ! qui ne sait pas que ce sont les fiefs qui, en, jetant le clergé dans toutes les affaires du siècle, lui en ont procuré les honneurs profanes. Le régime de ces fiefs qui tenait dans les fers une nation libre et la plus digne de l’être, a été aboli heureusement par l’Assemblée nationale. Les ecclésiastiques voudraient-ils donc le faire revivre et le perpétuer, ce régime bizarre, en réclamant des droits et des possessions que condamne leur propre caractère et qui n’ont été jusqu’ici qu’une tolérance de la part de la nation ? Cette belle nation, comprimée et nécessairement dégénérée par les abus énormes et multipliés de toutes les espèces de pouvoirs dans notre ancien et monstrueux gouvernement, n’avait jamais été mise à portée de réclamer ses premiers droits à l'égard de ces fiefs acquis à main armée, pas plus que ceux qu’elle avait sur la législation qu’elle vient de recouvrer. Mais le temps est venu pour son entière restitution , et quand elle ne devait pas user aussitôt des biens ecclésiastiques, elle doit toujours s’en assurer le droit, ne fût-ce que pour en mieux régler l’emploi, surtout en fa-(1) La noblesse, dit le président Hénault, a été ignorée en France jusqu’au temps des fiefs. M. l’abbé Dubos a une fois raison, dit l’abbé de Mably dans ses Observations sur l’Histoire de France : il prétend, lie. VI, chap. iv, que les Français sous leurs premiers Rois n’étaient point partagés en deux ordres de citoyens, comme nous le sommes aujourd’hui en nobles et en roturiers ; il pense qu’il n’y avait point chez eux de familles qui jouissent par l’avantage delà naissance, de ces droits et de ces avantages particuliers et distinctifs qui constituent dans une nation une noblesse d’origine. L’abbé de Gourcy en a dit autant dans son discours couronné par l’Académie, sur l’état des personnes en France sous la première et seconde race de nos Bois, où, parmi un tas de preuves sans nombre, on n’en trouve pas une seule qui soit absolue ou cou-cluante sur l’origine de la noblesse française. « Sans doute, dit-il, les distinctions, les privilèges dont se glorifie aujourd’hui le corps de la noblesse française, et qui élève une barrière énorme entre elle et le reste des citoyens, ne remontent point à l’origine de la monarchie; il n’y avait point de nobles alors, tels qu’il y en a à présent. » Ceci pourrait paraître un peu étranger à notre question des biens ecclésiastiques ; mais jamais peut-être il ne fut plus nécessaire de rappeler au clergé comme à la noblesse les premiers droits de la nation à l’égalité de tous ses membres ; jamais peut-être les ecclésiastiques et les nobles n’avaient eu plus de besoin de connaître l’origine de la cause de leurs privilèges pour en supporter avec moins de peine le juste sacrifice, que les ecclésiastiques surtout y aient moins de regrets, parce que ministres des autels, ils peuvent bien chacun individuellement et comme citoyens participer aux droits civils et communs dans la société ; mais ils ne le peuvent en leur qualité d’ecclésiastiques, ni comme corps entier, ni comme membres tenant inséparablement au corps du clergé, lequel est par la nature même de son existence, uniquement consacré au service et à la défense de la, religion. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] 501 veur des pauvres, qui, avec la part qu’ils avaient sur ces biens, n’auraient dû jamais importuner aucun de nous, et ils nous obsèdent tous depuis des siècles ; nos curés, nos propres pasteurs et leurs vicaires à peine du pain pour eux, et > tous les gens de nos prélats et commendataires veloutés, en regorgent ! Qui donc corrigera un pareil abus, si ce n’est la nation qu’il attaque dans la partie la plus utile de ses membres? Les ecclésiastiques eux-mêmes nous disent que leurs biens sont le patrimoine des pauvres ; ils l’ont dit et répété dans cette tribune. Mais suffi t-il de le dire ? Convient-il même de ne le dire que s dans son propre intérêt ? Il faut donc que la nation vienne une bonne fois au secours des citoyens dont lavoixn’apu jusqu’ici se faire entendre pour obtenir du clergé ce qu’il lui doit, non par charité, comme l’ont dit quelques docteurs étrangers, mais par justice. On a fait des unions de bénéfices à des chapitres, à des collèges, à des • ordres militaires ; on a cherché à grossir les revenus d’archevêchés, d’évêchés, et tout cela pour > des gens qui, parce qu’ils étaient appelés nobles , devaient nécessairement avoir à chacun d’eux la portion de mille et de deux mille dignes sujets du Roi, flétris par leur naissance d’une exclusion aussi injuste qu’extravagante ! Etait-ce donc là l’intention des fondateurs? On L la supposait bien lestement : on disait que les biens de l’Eglise étant en leur majeure partie les , dons des rois, des princes et des seigneurs, leur volonté avait été ou devait être, qu’on en fît part de préférence à la pauvre noblesse, c’est-à-dire, à des aristocrates qui, sans manquer de rien, n’avaient pas assez de fortune pour corrompre les mœurs par leür égoïsme, par leur luxe, par leur* ambition! Cependant les dîmes dont on faisait le même usage, n’étaient pas des biens de fondations ! Les évêques se permettaient aussi quantité de réductions dans l’acquit des services ; les parlements même changeaient souvent l’objet des fondations ; et l’on contesterait à la nation, souveraine, législatrice et maîtresse de tous lesbiens écclésiastiques (parmi lesquels on voudra bien comprendre les biens des patronages spiritualisés, comme les biens de Malte (1), qui échapperaient à (1) De toutes les erreurs, la plus grande serait celle � de penser ou de croire que les biens des bénéfices en patronage laïque, ainsi que les biens de l’ordre de Malte, doivent être exceptés de la masse des biens ecclésiastiques, D’abord, à l’égard des biens de l’ordre de Malte, ils sont et ne peuvent être de leur nature que des biens ecclésiastiques, puisqu’ils ne sont possédés que par des religieux qui, quoique militaires, font tous des vœux solennels de religion et ne reconnaissent que le pape pour leur premier supérieur , leur grand-maître n’étant qu’un 7 supérieur subalterne pris dans la classe commune des religieux de l’ordre dont le pape a été fait le chef par les statuts de l’ordre même. On sait d’ailleurs que tous les biens de Malte, en y comprenant ceux des Templiers, des Antonins et autres, ne sont que le pur don des fidèles qui, comme dans tous les autres dons religieux, n’ont entendu les faire qu’à Dieu et à sainte Eglise. Les grands privilèges, dont cet ordre a été favorisé ne changent rien à la nature des biens qu’il possède, et si, w parmi les privilèges il en est un par lequel il n’est jamais compris sous l’expression de clergé de France, il n’en saurait être aucun qui puisse excepter les biens de l’ordre de Malte sous l’expression de biens ecclésiastiques ou en général de biens de l’Eglise. Quant aux biens des bénéfices en patronage laïque, il n’y a certainement pas plus de raison pour les excepter de la masse des biens ecclésiastiques, dont la disposition et la propriété appartiennent à la nation; ce l’expression de biens du clergé), et l’on contesterait à la première Assemblée constituante de la nation, le droit ou le pouvoir de toucher aux fondations pour le plus grand bien de l’Etat et de la religion ! Les Romains, dont le gouvernement a, pour ainsi dire, fait le nôtre, avaient deux maximes : l’une que les biens de la religion n’appartenaient à personne, res sacrœ, res nullius; l’autre, que ce qui n’appartenait à personne appartenait à la République ; d’où vient en France le droit du Roi sur tous les biens vacants. Il est aussi dans notre droit public que les biens de l’Eglise ne sont pas seulement sous la protection du Roi, comme sa discipline, ses canons, mais ils sont de plus, comme disent nos lois, sous la main du Roi; ce qui signifie que nul autre que lui ne peut en disposer; et cela se prouve par une distinction bien frappante dans notre pratique. Les juges royaux sont les seuls qui puissent entamer et faire saisir le temporel des églises, de leur autorité. Les juges des seigneurs ne le peuvent pas ; ils ne l’ont jamais fait. Enfin, c’est une vérité consignée dans tous nos livres, que les droits et la puissance des souverains et des nations n’ont dû souffrir ni diminution ni dommage, par la religion qu’ils ont reçue dans leurs Etats. La nation française ne serait-elle pas lésée et beaucoup trop, si le clergé possédait tant de biens dans une entière indépendance? Un des préopinants, défenseur zélé des possessions ecclésiastiques, a opposé que la vente des biens de l'Eglise n’avait été demandée par aucun cahier : j’en connais quelques-uns qui la demandent; mais le mien en particulier me charge sont les biens d’un bénéfice comme les biens de tout autre bénéfice en patronage ecclésiastique, dont le titre a été spiritualisé par l’approbation ou la sanction de l’autorité épiscopale. C’est là l’unique règle à suivre pour distinguer en matière de patronage laïque, celui qui n’est proprement qu'un établissement privé, ou, comme l’on dit, une fondation toute laïcale, laquelle n’étant ni revêtue ni scellée de l’autorité de l’Eglise, conserve et dans son titre et dans sa dotation son caractère propre, c’est-à-dire celui d’une possession domestique et patrimoniale ; telles sont, par exemple, les chapelles ou les simples oratoires, non érigés par l’évêque en litre de bénéfices ; car tout ce qui reçoit la sanction de l’évêque est dès lors nécessairement ecclésiastique, ou cesse d’être un bien profane que chacun peut posséder. Le droit de présentation, ou de nomination, ou même de collation, ne fait rien à la chose ; car ce droit n’est qu’un témoignage de bienveillance ou de reconnaissance que l’Eglise a voulu donner originairement à ses bienfaiteurs, à ceux du moins qui en ont été curieux; car la plupart ont préféré de ne laisser aucune trace après eux de leurs bienfaits ; en sorte que l’exercice de ce droit de présentation ou collation même royale n’a absolument rien de commun ni avec le titre du bénéfice, ni avec la nature et la possession de ses biens. Ce n’est au contraire qu’une servitude ou une gêne de plus au choix libre des ministres ecclésiastiques. 11 n’y a donc d’exception, s’il peut y en avoir, que par la clause expresse de retour des biens, dans le cas prévu h 'une suppression ou d’un dérangement dans l’ordre des fondations. Et quant à l’autre droit, par lequel un patron pauvre peut réclamer pour ses besoins des secours dans les biens du patronage, ce qui n’est presque point d’usage tant il est rare, il n’a été également accordé par l’Eglise que dans le même esprit, ou par les mêmes motifs; il ne doit donc pas produire plus d[effet contre le droit suprême de la nation dans la disposition qu’elle peut faire de tous les biens ecclésiastiques, lesquels une fois donnés à l’Eglise n’appartiennent plus à personne : res sacrœ , res nullius. 502 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] expressément, de ]a part de plusieurs communautés nombreuses, de demander la suppression de la dîme et son remplacement par la vente des biens-fonds de l’Eglise que l’on versera dans le commerce, et dont le prix mis en un capital aussi solide et aussi permanent que la religion elle-même, servira invariablement à la dépense du culte divin, et à l’entretien des ministres des autels, ne laissant plus à ceux-ci les sollicitudes agricoles qui ont tant fait gémir les saints Pères, autant que les richesses mêmes de l’Eglise, et cela pour les rendre à leur état, pour ne leur laisser que le soin et la charge de notre salut, terme et cause unique de leur ministère : nemo militans Deo, implicet senegotiis sœcularibus (Paul). Voilà, Messieurs, les propres termes du cahier dont je suis porteur; ils servent et à démentir l’assertion qu’on s’est permise, et à justifier le principe de la Constitution pour lequel je me déclare. 11 paraît avoir été avoué par M-l’archevêque de Paris dans les termes qui vous sont connus, Messieurs, puisqu’ils sont dans votre procès-verbal ; ils n’avaient alors que les dîmes pour objet. Mais le clergé n’a mis lui-même aucune différence [tour la propriété qu’il réclame, entre les dîmes et les autres biens de l’Eglise. 11 a déploré aussi beaucoup, par l’organe du même préopinant, que la nation veuille la dépouiller de tous ses biens, pour en enrichir, dit-il, les sangsues de l’Etat, pour faire les capitalistes bénéficiers, et les bénéficiers capitalistes. Nous avons déjà observé que le clergé est mieux dans son état, quand il ne reçoit qu’un salaire en argent pour son entretien, victum et vestitum (Paul). Nous observerons ici à l’égard des capitalistes qui pourraient recevoir des biens ecclésiastiques en payement de leurs créances, que parmi les créanciers de l’Etat, il en est un très-grand nombre et le plus grand, à qui ne conviennent nullement les reproches d'usure et d’agiotage. Ceux même d’entre eux qui les méritent, ont bien moins de tort que les déprédateurs de nos finances qui nous ont fait recourir si souvent à la voie funeste de l’emprunt. C’est pour n’y plus revenir qu’on veut cette fois guérir le mal par sa racine, couper la partie gangrenée pour sauver le reste du corps. C’est en effet le parti le plus sage; c’est celui que prend tout bon père de famille dont l’héritage est dévoré par le chancre des intérêts. 11 vend une partie de son bien pour conserver l’autre. C’est eniin pallier le mal et l’augmenter même, que d’en adoucir ou ménager les remèdes. Il n’importe à qui il est dû, si la dette est légitime. Loin de nous toute inquisition personnelle comme toute banqueroute! S’il nous est permis d’examiner les créances, les dettes trop avantageuses au prêteur, pour en empêcher de pareilles à l’avenir, pour retrancher même celles qui ne seraient qu’usurpées, il ne nous convient pas de faire le procès aux créanciers. Nous les avons mis tous sous la sauvegarde de la loyauté française, et nous voilà dès lors obligés à chacun d’eux et par une loi dont dépend l’honneur de la nation; je ne parle point de crédit ni n’en veux parler, parce que celui dont on a usé jusqu’ici, n’a servi, par les emprunts, qu’à notre ruine : il fallait tout simplement faire plus tôt ce que nous faisons aujourd’hui ; il fallait, sans tant de circuits ni de subtilités dans les spéculations et les raisonnements, renoncer à la bourse d’autrui. La France est inépuisable dans ses ressources, et ses propres moyens auraient suffi, comme ils vont suffire infailliblement pour tout ce que l’on propose. On fuyait ci-devant l’impôt, l’on n’osait en proférer le nom, et l’on accablait la nation de l’impôt le plus dur, qui est l’emprunt. Heureusement ce moyen même n’a plus été en notre pouvoir. La nation s’est repliée sur elle-même et n aura besoin de personne. Déjà l’on a reconnu généralement que de tous les abus le plus grand et le plus inique était celui des exemptions ; on en doit la première dénonciation publique, je dois le dire, à un ministre qui, s’il avait mal administré, parla supérieurement bien sur cet abus dans la première assemblée des notables. 11 n’était pas possible, en effet, de faire un pas de plus, sans que le peuple ne succombât sous le poids des impositions, où les exempts privilégiés, tous plus riches les uns que les autres, tous favorisés de privilèges, de dons, de pensions, ne touchaient pas du bout de leur doigt, et ils en avaient tout le profit. C’est aussi ce qui me fait regarder l’imposition du quart des revenus comme le plus heureux et le plus convenable aux circonstances, où s’agissant de venir tous au secours de l’Etat, ce ne sont néanmoins que les citoyens aisés qui les premiers accourent ; par où l’on donne au peuple deux plaisirs à la fois, celui de ne rien payer d’un impôt mis uniquement sur ceux qui ont plus de 400 livres de rentes, et l’autre de voir ceux-là mêmes qui jusqu’à ce jour n’avaient fait’ que le pressurer, porter le plus gros poids de la charge. Cela même n’est pas nouveau en France et a été pratiqué souvent sous le nom d'impôt sur les aisés (Philipi, Summ. muner., n° 45). Il est vrai que les mêmes, soumis désormais comme les autres aux charges publiques, seront encore favorisés d’une exemption nouvelle, de la dîme qu’ils payaient ci-devant et qu’ils ne payeront plus; mais on saura bien les atteindre comme gros tenanciers, par l’impôt direct auquel il faudra nécessairement donner la préférence et ce sera un moyen de plus pour rendre la vente des biens-fonds ecclésiastiques encore plus avantageuse à l'Etat, lequel, à titre de premier pauvre, aurait toujours eu le premier droit sur leurs revenus, si, par la qualité et fa profession de ceux qui les possèdent, il n’avait pas les fonds mêmes à sa disposition. Ainsi, me rangeant à l’avis de ceux qui soutiennent que la propriété et la disposition des biens ecclésiastiques appartiennent à la nation, j’estime aussi que l’on ne peut donner moins de douze cents livres à un curé; mais en ce sens que la moindre des paroisses aura un tel nombre d’habitants, ou sera d’une telle étendue, réglés par l’Assemblée nationale, afin qu’il ne soit pas donné la même somme à un curé qui n’aurait rien à faire, comme il y en a dans ce moment un très-grand nombre dans le royaume. Par la même raison, il faut graduer une somme plus forte, pour les curés qui auraient plus de paroissiens, à tant pour chaque centaine de feux de plus, estimés à quatre ou cinq personnes chacun. Au surplus, il n’a pas été parlé dans cette motion de la portion congrue ou de la pension convenable aux vicaires des paroisses. Il paraît qu’elle est fixée dans l’opinion générale à la moitié de celle des cures. Cependant il est bon de considérer que les vicaires n’ayant plus, comme par le passé, de petit casuel, ni peut-être d’horaires de leurs messes, et ayant très-souvent besoin d’un ménage à eux, quand Jes curés ne veulent pas les nourrir à leur table, ce serait une injustice contraire certainement à l’intention de l’Assemblée, de ne leur donner strictement que [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] 5Q3 la moitié de la portion congrue des curés. Si leur i état ne mérite pas tous les égarés Rus à celui des curés, leurs fonctions, leurs services à l’égard des paroissiens sont les mêmes ; c’est aussi l’état vers lequel on doit désormais faire tourner l’éducation de tous les clercs dans les séminaires; parce que la nation ne voulant plus dans le clergé que des ministres utiles et si utiles qu’ils soient nécessaires, comme le sont les vicaires des paroisses, leur état trop avili jusqu’à ce jour, doit être à l’avenir protégé, de manière qu’il n’y en ait pas dans l’Eglise de plus honorable et de plus honoré pour les ecclésiastiques qui commencent à la servir. Il a été envoyé au comité ecclésiastique dont j’ai l’honneur d’être membre, des mémoires où l’on propose : 1° de rendre les vicaires des paroisses inamovibles, pour qu’ils ne soient plus comme tiraillés entre les évêques et les curés, qui se font depuis longtemps la guerre sur le droit d’en disposer chacun à leur gré; 2° de déterminer le nombre et l’établissement des vicaires dans les paroisses par des lois et des règles fixes, qui écartent l’arbitraire dont on s’est plaint à cet égard jusqu’à présent; 3° qu’on n’en envoie aucun dans les paroisses, au moins pour y faire toutes les fonctions pastorales, celle surtout de la confession, avant l’âge de trente ans, comme on ne nommerait aux cures que des prêtres ou vicaires âgés de trente-cinq ans, et reconnus dignes et capables par bonnes preuves,- 4° qu’il y ait annuellement des synodes diocésains et où les vicaires mêmes assistent. Mais ce sont des objets un peu étrangers à notre motion sur les biens ecclésiastiques; je l’adopte en son entier sous les amendements dont je viens de parler relativement au taux de la portion congrue des curés et des vicaires : me réservant de discuter les articles concernant les vicaires dans le comité ecclésiastique, d’où l’on n’a pu jusqu’ici faire sortir aucun projet de règlement pour en faire le rapport à l’Assemblée, parce que ce suprême sénat qui a dans les mains tous les pouvoirs constituants et législatifs, a fait succcéder aux décrets du mois d’août, des décrets nouveaux qui, sans fixer ultérieurement l’état des choses, l’ont tellement changé, qu’il n’est guère possible de lui présenter un plan fixe sur aucune réforme en ces matières. M. Mayet, curé de Rochef aillée (1). Messieurs l'Assemblée nationale, depuis qu’elle est en activité, s’est imposée la tâche glorieuse, mais pénible, d’atteindre, pour les réformer, les abus de tout genre, qui, par le laps des années, l’impéritie ou l’infidélité des agents de l’administration, avaient jeté de profondes racines dans toutes les parties politiques de ce vaste empire, et semblaient encore, il n’y a guère, vouloir s’y éterniser pour en consommer la ruine. Au milieu des travaux diffieiles auxquels vous vous êtes livrés jusqu’à ce jour avec un zèle si persévérant, vous n’avez pu, Messieurs, porter sur le clergé de ce royaume, et sur les besoins iie ses membres, qu’un coup d’œil général qui, embrassant dans leur ensemble toutes les parties de l’administration temporelle de l’Eglise, ne nous avait pas permis, faute de temps, ou d’instruction suffisante, d’entamer sur ce point aucune opération de détail; bientôt cet objet important sera soumis à votre sagesse, et c’est un devoir pour (!) L’opinion de M. Mayet n’a pas été insérée au Moniteur. moi d’y rappeler pour un instant votre atteq-tion. La majesté du culte catholique d’autant plus cher à la nation française, que son établissement dans les Gaules remonte à des temps bien antérieurs à rétablissement de cette monarchie, l’entretien des temples, la décoration des autels, le soulagement des pauvres, la subsistance enfin des ministres de l’Eglise, tels sont, Messieurs, les grands objets sur lesquels vous aurez successivement à prononcer. Sans doute l’examen le plus approfondi, les vues les plus judicieuses, par conséquent les mieux appropriées au bien général, présideront au décret qui va régler de si grands intérêts, et j’aurais à me reprocher si je pensais qu’il fût nécessaire aujourd’hui de faire entendre en leur faveur la voix de la religion, d’invoquer dans cette cause les sentiments dé votre justice et de votre humanité. L’ancienne administration dû clergé vous a paru si vicieuse dans le partage des biens ecclésiastiques, et jusqu’à un certain point dans leur emploi, que vous avez mieux aimé anéantir totalement ce régime défectueux, que de chercher à le réparer, en y appliquant les règles d’une réforme, dont il vous a paru n’être plus susceptible. Je n’examinerai pas, Messieurs, jusqu’à quel point les circonstances, et peut-être des passions particulières, ont amené cette étonnante révolution dans le régime administratif du clergé ; je ferai seulement preuve de ma soumission sincère aux décrets de l’Assemblée nationale, en ne lui proposant sur l’emploi des biens ecclésiastiques que des vues à peu près conformes aux principes qu’elle a consacrés. Mais il me semble que pour procéder avec méthode dans une matière qui présente de si grands détails, il est indispensable d’embrasser dans un plan général toutes les parties du régime économique du clergé, de bien connaître d’abord, de fixer avant tout, la masse totale de ses revenus et l’étendue de ses charges ; de descendre ensuite par degré, et d’appliquer à chacun des titulaires de bénéfices ou des établissements ecclésiastiques des moyens de subsistance, honorables, suffisants et assurés. Je commence par examiner les ressources que nous offrent les biens du clergé; je passerai bientôt aux dépenses que ses besoins exigent. Avant le décret fameux du 4 du mois d’août dernier, le clergé jouissait du produit des dîmes du revenu de ses propriétés territoriales et de la contribution du casuel, ce dernier article spécialement affecté aux pasteurs des paroisses; par un motif dont le principe ne saurait être assez loué, puisqu’il vous était inspiré par le désir de soulager les peuples, vous avez déclaré abolies les dîmes, et cette portion du casuel dont avaient joui jusqu’alors les curés de la campagne; de manière qu’aujourd’hui ce n’est guère que dans le produit des propriétés territoriales du clergé, placées d’ailleurs dans la disposition de la nation par le décret du 2 novembre, qu’il faut essayer de trouver des ressources, pour fournir avec dignité aux dépenses du culte national, et à la subsistance de ses ministres. Mais je n’ai pas de peine à me persuader, Messieurs, et je pense que vous serez bientôt convaincus vous-mêmes, que cette dernière por-tiou des revenus ecclésiastiques, quelle que soit l’évaluation que vous en fassiez, pourvu qu’elle ne passe pas les bornes de toute vraisemblance,