VILLE DE STRASBOURG. CAHIER Des doléances des citoyens du tiers-état attachés au conseil souverain d'Alsace et à la chancellerie établie près cette cour , assemblés en conséquence de l'ordonnance de i\I. le prince DE Bro-GLIE, grand bailli d'épée des districts de Colmar et Schlestadt , en vertu de son ordonnance du 18 du courant , et sous la présidence de M. DE BoiSGAUTHIER, conseiller audit conseil (1). Art. 1er. Pour assurer le maintien de la constitution du royaume, le Roi sera supplié d’accorder le retour périodique des Etats généraux, auxquels le tiers-état continuera d’assister par ses représentants en nombre égal à ceux des deux autres ordres. Art. 2. Que, pour consolider l’organisation de la monarchie par une chaîne qui rende fixe et permanente la communication des peuples avec leur souverain, il sera établi en chaque province des Etats particuliers qui seront formés de la manière la plus convenable à la constitution desdites provinces, et auxquels le tiers sera admis dans la même proportion qu’aux Etats généraux. Art. 3. L’honneur, qui est le ressort principal du gouvernement monarchique, n’étant pas un véhicule moins nécessaire au tiers-état qui forme la partie la plus nombreuse de la nation, qu’aux deux autres, les règlements qui tendent à l’avilir en l’excluant des offices et grades militaires, ne peuvent qu’étouffer dans son âme un sentiment si utile à la prospérité de l’Etat ; aussi le Roi sera très-humblement supplié de révoquer ses deux ordonnances des 25 mars 1776 et 17 mars 1788 et autres, en ce qui concerne l’exclusion donnée au tiers-état. En conséquence, ordonner que tous ses sujets de tous les ordres indistinctement, seront admis aux emplois militaires et élevés à tous les grades dont leur mérite les rendra susceptibles. Art. 4. La sûreté et la liberté individuelle des citoyens étant les prérogatives les plus propres à rendre à un peuple franc toute son énergie, on demande que l’usage des lettres closes soit aboli et que tout sujet du Roi ne puisse en aucun cas être jugé par des commissions particulières, mais par ses juges naturels. Que désormais il n’y ait plus dans tout le royaume d’autres tribunaux que ceux de la justice ordinaire, qui connaîtront au civil, au criminel et en matières contentieuses d’administration de toutes les causes , instances et procès qui pourront se présenter, chacun suivant sa compétence; qu’en conséquence, tous les tribunaux d’exception, d’attribution, et notamment celui de la connétablie, seraient irrévocablement supprimés. Qu’aucun ministre, commandant et intendant de province et toute autre personne revêtue de la puissance publique ne puisse faire arrêter un citoyen qu’à charge de le faire remettre entre les mains de son (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. juge dans les vingt-quatre heures. Qu’aucun sujet du Roi, de quelque qualité qu’il soit, ne puisse être distrait de son ressort nonobstant tous com-mittimus et évocation générale et particulière, hors les cas de droit, privilège de scel et tous autres qui à cet effet seront révoqués. Que nul arrêt en commandement ne puisse avoir d’exécution qu’au tant qu’il sera revêtu de lettres patentes bien et dûment vérifiées et enregistrées ès cours ; que les demandes en cassation des arrêts de cour souveraine ne puissent être portées qu’au conseil d’Etat privé du Roi, et que le conseil des dépêches ne puisse, sous aucun prétexte, en prendre connaissance. Enfin que les arrêts desdites cours soient exécutés par provision, jusqu’à ce que les jugements de cassation aient été signifiés aux parties. Art. 5. Que les députés ne délibéreront sur les besoins de l’Etat qu’après avoir obtenu le redressement des griefs énoncés ès articles précédents. Art. 6. Avant de consentir l’impôt et d’en déterminer la quotité, il sera avisé, à vue des états qui seront représentés, aux diminutions dont la dépense est susceptible, à la réduction de la dette de l’Etat ainsi qu’à celle des traitements et pensions, à leur portée légitime et aux moyens les plus simples et les moins onéreux de pourvoir à l’extinction de ladite dette. Art. 7. L’impôt tel qu’il sera fixé sera supporté par les trois ordres dans la proportion des facultés individuelles, et il ne pourra désormais en être établi, levé ou perçu aucun que du consentement des Etats généraux", et pour le temps seulement qui sera par eux déterminé. Il ne sera pareillement fait aucun emprunt que de leur agrément; l’emploi des revenus ordinaires du Roi et de l’impôt qui sera accordé pour y suppléer, sera rendu public par un compte que le ministre des finances fera imprimer annuellement, des recettes et dépenses, et chaque ministre demeurera personnellement responsable envers la nation de l’administration de son département. Art. 8. La suppression des receveurs généraux et particuliers des finances sera instamment demandée, sauf à faire parvenir l’impôt au trésor royal, par telle voie directe qui sera avisée aux Etats généraux, ou aux Etats provinciaux de chaque province. Art. 9. On demande pareillement la réforme du code criminel et un règlement général pour l’abolition de la mendicité. Art. 10. L’assemblée provinciale établie par le Roi en Alsace sera révoquée, ainsi que tous ses accessoires, etremplacée par des Etats provinciaux composés d’un nombre de députés du tiers-état égal à celui des députés des deux autres ordres réunis, et tous librement élus, chacun dans son ordre. Le Roi sera supplié d’ordonner que la ville de Strasbourg et les dix villes impériales ne pcmr-ront participer au choix des députés du tiers, que concurremment avec les autres habitants de 785 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ville de Strasbourg.] la province du district dans lequel lesdites villes sont situées, ce qui aura pareillement lieu pour la prochaine convocation aux Etats généraux. Le plan des Etats provinciaux de l'Alsace, pour leur organisation, sera concerté par les députés des trois ordres de la province et présenté au Roi pour être muni de la sanction de Sa Majesté. Art. 11. La portion pour laquelle la province sera comprise dans la détermination de l’impôt, ainsi que les levées relatives aux dépenses intérieures de ladite province, seront réparties entre les trois ordres sans distinction, proportionnellement aux facultés respectives, et pour cet effet, toutes les propriétés indistinctement seront portées aux rôles des communautés dans les bans desquelles elles se trouvent situées. Dans le cas où des raisons de politique, ou le prétexte de l’exécution de quelque traité, exigeraient que certains princes étrangers possessionnés en Alsace fussent exemptés de] la contribution, leur cote, qui sera néanmoins fixée par les rôles, serai passée pour comptant au trésor royal, étant juste qu’elle soit suportée par tout le royaume. Art. 12. Dans le cas où le reculement des barrières aux frontières du royaume serait proposé, le Roi sera supplié d’ordonner que l'Alsace n’y soit pas comprise, et qu’à cet égard, ainsi que pour tous ses autres privilèges, la province conservera son état de province étrangère effective. Art. 13. Sa Majesté sera suppliée pareillement d’ordonner que la ligne de démarcation établie en Alsace en vertu de l’arrêt du conseil de 1773 et 1774, sera repliée sur les frontières intérieures de la Lorraine, la Franche-Comté et les Evêchés, pour que tous les habitants jouissent également du bénéfice de la culture et du commerce du tabac. Que la même ligne entre l’Alsace et les principautés de Montbéliard et de Porrentrui, sera supprimée, pour rétablir une libre communnication de commerce entre la province et ces deux Etats étrangers. Art. 14. Que l’administration des forêts des communautés d’habitants appartiendra aux Etats provinciaux, à charge par eux de faire homologuer au conseil souverain d’Alsace les règlements généraux et particuliers , touchant cesdites forêts. Que la juridiction absolue sur ces mêmes forêts sera rendue aux juges ordinaires, nonobstant tous arrêts du conseil d’Etat qui seront censés et réputés comme non-avenus. Que les amendes encourues pour délits forestiers n’ayant pas été prononcées au fur et à mesure des rapports, et formant par leur accumulation une masse énorme qui en quelques communautés excède la valeur des facultés des habitants, le Roi sera supplié d’accorder la remise desdites amendes prononcées par le commissaire départi et à prononcer sur les rapports faits jusqu’à ce jour, sauf à être infligé aux délinquants déjà repris des peines plus fortes en cas de récidive. Que les caisses forestales établies par M. l’intendant seront supprimées et les deniers versés dans lesdites caisses remis aux receveurs de chaque communauté, après qu’il en aura été rendu compte aux Etats provinciaux par ceux à qui le maniement desdites caisses a été confié. Art. 15. Pour la sûreté et la tranquillité des ropriétaires de la province, demander un éta-lissement de conservation des hypothèques dégagé de toute fiscalité et conciliable avec la constitution de l’Alsace. Art. 16. Le Roi sera supplié, en amplifiant et restreignant les dispositions de son règlement du ire Série, T. Y. 10 juillet 1784, d’ordonner que les créances des juifs sur les habitants chrétiens indistinctement de la province d’Alsace, et causées pour prêts d’argent, ou cessions de billets et obligations, ainsi que pour vente de toutes choses mobilières, seront constituées au denier vingt du capital, sauf auxdits juifs à recouvrer le capital et intérêts des créances causées pour ventes d’immeubles ou pour cessions à eux faites du prix de pareilles ventes. Que désormais il leur sera défendu d’accepter par eux-mêmes ou par personnes interposées, aucune procuration des chrétiens, pour procéder sous leur garantie à la vente d’immeubles desdits chrétiens, ainsi que de leur faire aucun prêt d’argent et de contracter avec eux par ventes et achats autrement que pour argent comptant, sous peine de nullité de tous contrats et billets, sans préjudice néanmoins aux lettres et billets de commerce passés entre eux et les banquiers et marchands pour fait de négoce. Art. 17. Qu’il ne pourra être établi en Alsace aucune nouvelle fabrique qu’en vertu de lettres patentes, lesquelles ne pourront être accordées que du consentement des Etats provinciaux, donné en leur assemblée générale. Art. 18. Toute la haute Alsace et le Sundgan étant inondés de monnaies de mauvais aloi de la ville et république de Bâle, depuis la pièce de 3 sous jusqu’à celle de 4 livres 10 sols, Me Roi sera supplié de faire répandre dans la province une quantité de monnaie suffisante pour la circulation journalière et d’ordonner que toute la monnaie de Bâle sera retirée par les collecteurs des impositions, pour être renvoyée en Suisse en payement des pensions dont le Roi gratifie annuellement cette nation, avec défense d’en introduire et faire circuler de nouveau sous les peines des ordonnances. Art. 19. Qu’il ne pourra être supprimé en Alsace aucun corps, chapitre et maison réguliers remplis par des personnes du tiers ; en conséquence, que le Roi sera supplié de lever les séquestres des revenus de l’abbaye des chanoines réguliers de Marbach, ordonné par arrêt et commandement du conseil des dépêches du 25 août 1786, et d’accorder par forme d’indemnités aux habitants du tiers-état de la province les biens et revenus de l’ordre de Saint-Antoine, pour être régis et administrés par les Etats provinciaux et par eux affectés soit à l’augmentation des pensions des curés royaux, soit à telles œuvres pies qu’ils estimeront les plus avantageuses au bien public. Art. 20. Sa Majesté sera pareillement suppliée d’ordonner que les évêques de Spire et de Bâle seront tenus d’établir à leurs frais, dans la partie de l’Alsace qui est de leur diocèse, des séminaires ainsi que des suffragants et officiaux résidants. Art. 21. Que les offices des justices des seigneurs d’Alsace seront conférés gratuitement et que les officiers ne pourront être destitués que pour causes jugées légitimes par la cour souveraine de la province. Art. 22. Qu’il plaise à Sa Majesté maintenir et confirmer la province d’Alsace dans sa constitution, droits et privilèges qui lui sont assurés par les traités de paix et conventions que le Roi a bien voulu faire avec ladite province, conventions signées dans les arrêts du conseil du 13 juin 1694 et 29 novembre 1700; en conséquence, ne créer ni établir en Alsace aucun tribunal nouveau. Signé Payen de Montmort; Larcher; Albert Lainé ; Reubell ; Dubois et Thauneberger, commissaires, et de Boisgauthier, président. 50