[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j 4 J Sfiïfre'ÎTM 589 Lettre du citoyen Bouvoust (1). « 23 brumaire, l’an II de la République une et indivisible. « Citoyens administrateurs, « Dans les besoins de la République, tout citoyen sincèrement patriote lui doit des offrandes et des sacrifices. « C’est pour remplir cette obligation que je vous offre et vous fais remise pour tout le temps de ma vie, du traitement que la nation m’avait accordé à titre d’indemnité. Daignez, citoyens administrateurs, agréer au nom de la patrie cette remise. La présente, déposée entre vos mains et transcrite sur vos registres, sera pour la nation un titre de libération vis-à-vis de moi, et de ma part une renonciation solennelle et authentique à toute indemnité pour raison de mon ci-devant état; état dont, depuis plus de trois ans, j’ai cessé, avec la ferme résolutionde ne plus reprendre, toutes fonctions publique et particulière. « Salut et fraternité. « Signé : Bouvoust. « Pour copie certifiée conforme à l'original dé¬ posé aux archives du district de Mortagne, « Mangin, secrétaire. » Le conseil général de la commune de Rouen fait passer à la Convention nationale le procès-verbal de la fête civique qui a eu lieu dans cette commune en mémoire de Bordier et Jourdain, morts pour la défense de la cause du peuple. Mention honorable, insertion au « Bulletin » (2). Suit la lettre du conseil général de la commune de Bouen (3) : Le conseil général de la commune de Bouen, au Président de la Convention nationale. « Rouen, 6 frimaire, l’an II de la Répu¬ blique française. « Citoyen, « Nous te faisons passer six exemplaires du procès-verbal de la fête civique qui a eu lieu en cette ville le 3 de ce mois en mémoire de Bordier et Jourda/in, morts pour avoir défendu la cause du peuple en 1789. Nous t’invitons à en faire donner lecture à la Convention nationale. « Defontenay, maire. » (1) Archives nationales, carton C 283, dossier 810. (2) Procès-verbaux de, la Convention, t. 26, p. 339. (3) Archives nationales, carton C 284, doS'sieV 822. Fête civique en mémoire de Bordier et Jourdain (1). Délibération du conseil général de la commune de Bouen. Séance du duodi de frimaire, an deuxième de la République une et indivisible. Le conseil général provisoire de la commune de Rouen, ouï et ce requérant le procureur de la commune, Lecture faite des derniers interrogatoires de Jourdain et Bordier et du jugement de mort contre eux rendu le 21 août 1789; Considérant que Jourdain et Bordier étaient de vrais défenseurs de la cause du peuple, et sont morts victimes de leur ardent amour pour la liberté; Considérant que dans une Révolution il est nécessaire d’imprimer de grands mouvements à la masse du peuple, et que si ceux qui dirigent ces mouvements se laissent quelquefois égarer par l’enthousiasme de leur patriotisme, ils méritent plutôt l’indulgence que la sévérité des lois; Considérant que l’esprit public et les prin¬ cipes du gouvernement populaire sont outragés par la mort desdits Jourdain et Bordier, et que des magistrats révolutionnaires doivent s’em¬ presser de les proclamer solennellement les amis du peuple, et d’élever à leur mémoire un monu¬ ment de la reconnaissance publique. Arrête que la mémoire de Jourdain et Bor¬ dier sera solennellement réhabilitée, et qu’ils seront proclamés martyrs de la liberté. La commune de Rouen se charge de l’éduca¬ tion des enfants de Bordier et de Jourdain, et de faire une pension à la femme de ce dernier. La présente sera imprimée, affichée et en¬ voyée à la Convention nationale, à la Commune de Paris, à la Société des Jacobins et aux autres Sociétés populaires. i� La fête en mémoire de Jourdain et de Bor¬ dier, morts martyrs de la liberté, sera célébrée le tridi de frimaire, deuxième année de la Répu¬ blique. Les corps administratifs et judiciaires, les juges de paix et assesseurs, les commissaires de police et les 26 députés des assemblées pri¬ maires, la Société populaire, les instituteurs de la jeunesse et leurs élèves, les directeurs des spectacles et les personnes qui y sont attachées, les citoyens des deux sexes, sont invités d’y assister. Ordre. La moitié de la force armée, la gendarmerie et la légion de Rouen, ouvriront la marche ; les tambours auront un crêpe sur leur caisse. Le cortège partira de la Maison commune à midi. Les instituteurs de la jeunesse et quelques élèves en groupe. La musique militaire et celles des spectacles feront entendre sur la route les sons les plus lugubres. (1) Archivés nationales, carton C 284, dossier 822 590 [Cbntdniien nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. <* décembre Les corps administratifs et judiciaires seront entourés des citoyennes des spectacles, vêtues de blanc, ayant sur la tête une guirlande de roses, et une ceinture tricolore. Dans le centre sera portée une urne renfer¬ mant les restes de Bordier et Jourdain. Les membres de la Société populaire. La moitié de la force armée, la gendarmerie et la Légion de Rouen terminèrent le cortège, L’orchestre sera placé à côté d’un autel élevé en face du pont. Aux quatre faces de l’autel seront des ins¬ criptions. Aux quatre coins, une cassolette où l’on brû¬ lera des parfums. Les citoyennes jetteront des fleurs sur l’autel où sera placée l’urne. Les corps administratifs y poseront des branches de cyprès. La musique jouera en grand chœur. Il sera donné lecture de la délibération du conseil général de la commune. Il sera prononcé un discours analogue. La partie du port depuis l’entrée du pont jusqu’au boulevard de la route de Paris s’appel¬ lera quai Bordier. L’autre côté, depuis l’entrée du pont jusqu’à la Bourse, s’appellera quai Jourdain. Il sera placé une inscription pour transmettre à la postérité le souvenir de cette fête civique. Marche du cortège. Départ de la Maison commune à midi précis, rues Saint -LÔ, des Çarmes, du Change, du Bac, le port, l’entrée du pont, retour par la porte des Consuls, rues de l’Estrade, des Charrettes, grand pont, grande rue, rues du Bac, Baudin, Saint -Lô, la maison commune. Fait et arrêté en conseil général, le duodi de frimaire, an II de la République française, une et indivisible. Signé : Fontenay, maire , et Havard, secrétaire greffier. Procès -verbal. Ce jourd’hui 3 frimaire, an deuxième de la République, en exécution de la délibération du conseil général de la commune de Rouen, en date du 2 dudit mojs, le représentant du peuple Alquier, les corps administratifs et judiciaires, les juges de paix et assesseurs, les commissaires de police et les vingt -six députés des assem¬ blées primaires, la Société populaire, les insti¬ tuteurs de la jeunesse et leurs élèves, les direc¬ teurs des spectacles et les personnes qui y sont attachées se sont réunis en la maison commune pour assister à la proclamation de la réhabili¬ tation de Bordier et Jourdain. Le départ du cortège a eu lieu à midi et demi, dans l’ordre indiqué par ladite délibération; il s’est rendu à une heure et demie au bout du pont, où était élevé un autel à quatre faces, sur le lieu même où périrent ces deux martyrs de la liberté, et sur lesquelles étaient ces inscrip¬ tions : A Bordier et Jourdain, martyrs de la liberté. Les patriotes sont immortels. Vous vivez dans nos cœurs. Vos mânes seront vengées, If Aux quatre coins étaient des cassolettes où brûlaient des parfums. Sur le milieu étaient les têtes de ces deux infortunés, couvertes du bonnet de la liberté, et conservées par les soins du citoyen Laumo-nier, chirurgien-major de l’hospice de l’IIuma-nité, à côté desquelles on a déposé l’urne portée dans la marche par quatre citoyens. Les corps constitués et tous les citoyens in¬ vités se sont rangés autour de l’autel; ensuite, on a fait battre un ban, et le secrétaire-greffier a fait lecture, a été plusieurs fois interrompue par des approbations multipliées d’un peuple innombrable qui a participé à cette cérémonie, et par des cris mille fois répétés de Vive la Bépublique ! Après cette proclamation, le maire a prononcé le discours suivant : « Il est enfin arrivé ce jour où nous réhabili¬ tons la mémoire de deux martyrs de la liberté, ou plutôt où notre patriotisme se réhabilite lui-même; car qu’importe à ceux qui périssent pour une cause glorieuse, et l’infamie que la haine a cru attacher à leur supplice, et les honneurs par lesquels le repentir s’efforce ensuite de consoler leurs mânes? Mais il importe à tous les bons citoyens de prouver à la République entière, par une démarche éclatante, que loin d’avoir partagé le crime de quelques individus, ils l’ont en horreur; de prouver aux ennemis de la Révo¬ lution que leurs triomphes sont de courte durée ; aux patriotes qu’une gloire immortelle les attend, soit qu’ils succombent victimes de leur courage, soit qu’ils triomphent et que la recon¬ naissance publique, indépendante du succès, est le prix de tous les vrais amis de la Révolution. Hâtons-nous de la terminer, cette grande Révo¬ lution; que tous les patriotes se serrent et s’avancent de concert et d’un pas ferme vers le but où nous nous rendons; que tous les obstacles qui pourraient retarder leur marche soient renverses; que tous les préjugés dispa¬ raissent; que toutes les affections particulières cèdent à ce grand intérêt. Songeons qu’une révolution qui n’est pas parvenue à son terme n’est que le germe d’une révolution nouvelle : ce ne sera qu’ après avoir posé sur une base iné¬ branlable la liberté et l’égalité qu’il nous sera permis de nous reposer. République une et indi¬ visible, est le monument que nous devons à ceux qui ont péri pour elle; c’est le seul qui soit digne et d’eux et 4e nous, » Ce discours fini, le citoyen Bibié, directeur du théâtre de la République, a prononcé celui-ci : « Le silence qui règne en ce moment auguste est le témoignage du crime écrasé par la voix du repentir. Combien de citoyens égarés vont aujourd’hui verser des larmes en se rappelant que c’est à cette place même que Bordier et Jourdain, premiers eufants de la liberté, payè¬ rent de leur vie l’énergie qu’ils montrèrent en vous la présentant pour la première fois. « A Rouen, si près du foyer sacré de la Révo¬ lution, ils crurent trouver des cœurs pour les recevoir : ils trouvèrent des bras pour les égorger. « Ils voulaient vous donner du pain, l’hon¬ neur, la liberté et la vie, et vous leur avez donné la mort ! la mort réservée aux scélérats. « Les prêtres, les cruels aristocrates de 1789, ont égaré le peuple et sont parvenus à le rendre tranquille spectateur de cette horrible barbarie. « Ces deux héros furent les premiers martyrs de la liberté ! Et ce crime, commis avec irapu* [Convention nationale.] AftCHlVËS PAftLEUfËMAlftËB. j u. �B9*îr« « « 591 1 t4 décembre 1793 nité, a couvert d’opprobre la ville et ses habi¬ tants. « Aujourd’hui que le peuple connaît ses droits imprescriptibles, aujourd’hui que le peuple a les yeux ouverts sur les malveillants qui l’entou¬ rent, ce peuple, toujours bon, mais toujours trompé, ne peut supporter plus longtemps le mépris des révolutionnaires de Paris; et, pour mériter l’estime et la confiance de la République entière, sa première démarche doit être un acte de justice; et c’est en venant sur la place des forfaits abjurer son erreur, et rendre l’honneur à ceux qui lui apportaient le flambeau de la raison et de la philosophie, qu’il aura véritable¬ ment fait un pas pour la Révolution. « Ne croyez pas qu’un peu de parfums et quelques fleurs jetées sur les restes inanimés de ces deux patriotes, de ces deux infortunés pères de famüle, qui sont encore tout vivants dans le cœur des vrais sans -culottes, ne croyez pas, dis-je, que ce faible encens suffise à leurs mânes irritées. « Je les entends vous crier : Peuple égaré, nous te pardonnons, si notre mort peut t’ouvrir les yeux sur tes devoirs, et si désormais tu consacres ta vie au bonheur et à la liberté de notre patrie. « Quand tu n’auras plus d’ennemis à com¬ battre, souviens-toi qu’il existe deux femmes infortunées à qui tu arrachas leur mari; sou-viens-toi qu’elles sont mères de six enfants que tu privas de leur père. En nous rendant l’hon¬ neur, rends-leur l’existence, adopte-les, deviens l’époux de nos veuves et le père de nos malheu¬ reux orphelins. « Peuple, je t’entends leur répondre : Oui, nous les adopterons; oui, nous les vengerons en fai? saut tomber le glaive de la loi sur les infâmes qui nous ont aussi indignement trompés. « Oui, nous jurons fraternité à tous les pa¬ triotes; guerre, guerre éternelle aux ennemis de la liberté et de l’égalité. Vive la République ! » Après quoi le citoyen Saint-Amand, commis¬ saire du conseil exécutif provisoire, prenant la parole, prononce un discours d’abondance ana¬ logue à la circonstance, et recommande aux soins de la commune les enfants d’un citoyen qui a langui longtemps dans les prisons, comme ayant été compromis dans l’affaire de Bordier et Jourdain; puis continuant, il démontre au peuple tous les avantages qu’il doit se promettre des heureux effets du gouvernement républi¬ cain. En inspirant l’amour de la liberté et la haine des tyrans et de leurs vils satellites, il termine par assurer le peuple qu’il va user de tous les moyens qui sont en son pouvoir pour subvenir aux besoins qu’il a de subsistances. A ce discours succède celui du citoyen Alquier, représentant du peuple, conçu en ces termes : « Citoyens, « Il m’est bien doux de me trouver au milieu de vous, comme représentant du peuple, dans ce jour expiatoire où le patriotisme vient effacer le|crime de l’aristocratie, et rendre enfin des honneurs trop tardifs à la mémoire de deux martyrs de la liberté, qui, sous vos yeux, et dans vos murs, furent assassinés pour avoir défendu sa cause. Leur mort ne fut point le crime du peuple ; le peuple méconnut longtemps et sa force et ses droits; on a pu l’égarer quel¬ quefois, mais il fut toujours juste et bon, et le meurtre de Bordier et de son malheureux ami, ne doit être imputé qu’aux aristocrates qui do¬ minaient alors. Cet arrêt inique qui conduisit à l’éohafaud deux amis de la liberté, ils l’appe¬ lèrent justice ! Eh bien, citoyens, c’est encore cette justice que l’aristocratie vous réserve; et, comme Bordier et Jourdain, elle dévoue chacun de vous au supplice et à l’infamié, si jamais elle triomphe ! Il ne suffit donc pas d’honorer au¬ jourd’hui deux victimes de la tyrannie, il faut les venger en comprimant, par des mesures révo¬ lutionnaires, les aristocrates qui vivent au mi¬ lieu de vous, et qui nourrissent au fond de leurs cœurs l’ espérance de vous asservir encore, Autant vous fûtes faibles lorsque vous laissâtes égorger deux hommes qui venaient vous de¬ mander d’être libres, autant vous devez vous élever avec force pour défendre les principes éternels qui garantissent les droits du. peuple. « Mais ce n’est pas seulement contre les hommes assez stupiaes ou assez vils pour se dévouer à servir la tyrannie, que vous devez faire éclater une haine vigoureuse; il est des préjugés qui favorisent les tyrans, et que la France, devenue libre, foule aux pieds avec dédain, et sous lesquels vous ne voudrez pas sans doute être plus longtemps asservis ! Sans doute, le jour n’est pas lpin où dans cette cité, et parmi tous ces monuments de l’imbécillité de nos pères et de la tyrannie des prêtres, la philosophie et la raison auront aussi leurs temples et obtiendront enfin des autels ! Sans doute qu’entraînés par le poids de l’exemple, vous vous empresserez d’offrir pour la défense de la liberté, et pour appeler l’abondance dans nos ports, ces trésors enfouis dans le sanctuaire, et ces instruments fastueux des jongleries sacer¬ dotales. « Je ne veux point imprimer un mouvement que j’attends avec certitude de votre raison, que la philosophie commande, et dont la poli¬ tique a besoin peut-être; mais dans le moment où vous honorez les cendres de Bordier au lieu même où il fut immolé, pourrais-je vous laisser ignorer que la tyrannie religieuse influa sur sa condamnation. Le croiriez-vous, citoyens, un des chefs du jugement porte qu’il est entré dans une église et qu’il a troublé l’ordre, dans une sacristie de je ne sais quel couvent de moines ! Ainsi le sort des amis du peuple et de la vérité, a toujours été d’être poursuivis par les tyrans et par les prêtres. Mais le jour qui les venge a paru enfin ! La reconnaissance publique se charge