488 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] à leur tour pour ce service, et c’est au moment de l’appel que l’enrôlement qui a lieu d’abord devient pour eux une sorte de conscription, de manière qu’on peut dire qu’un homme de mer s’est enrôlé volontairement pour sa profession, et que son enrôlement le soumet à une conscription dans tous les cas où l’Etat a besoin de ses services (1). Cependant, les principes qui forment notre Constitution exigent que l’on mette à cette conscription tous les adoucissements possibles. Premièrement, il est juste que chaque matelot ne soit appelé qu’à son tour. Secondement, qu’il ne serve sur la flotte qu’un certain temps. Troisièmement, qu’il reçoive une récompense en se rendant à bord du vaisseau de guerre; cette prime serait de deux à trois louis pour un matelot appelé à son tour pour le service, et double pour tout matelot qui se présenterait de bonne volonté. C’est ainsi que les Anglais, pour adoucir ce que la presse a d’odieux, ont soin d’engager au service de leur flotte tous les matelots, soit nationaux, soit étrangers, en leur accordant une récompense considérable pour leur enrôlement volontaire. J’ai dit qu’il était juste qu’un matelot ne dût son service sur la flotte que pour un temps, et je pense qu’il devrait être libre pendant un ou deux ans après trois années de service consécutives. 11 conviendrait enfin que tout matelot qui aurait servi pendant six années de service se retirât avec une paye quelconque qui lui serait conservée toute sa vie, et pût à son tour, en reprenant son service su r les vaisseaux de guerre, parvenir aux grades d’officiers mariniers, et même aux grades supérieurs, lorsqu’il aurait donné des preuves de valeur, de capacité et de bonne conduite, d’après les témoignages de tous les officiers de tout grade avec lesquels il aurait servi. Cet espoir des récompenses militaires est le moyen le plus sûr de se procurer les meilleurs matelots, et il fait disparaître tout ce que le service obligé peut avoir d’inconvénients. Ainsi, un matelot qui a suivi sa profession pendant un ou deux ans, ou pendant deux voyages, est un homme classé, et qui est censé avoir formé un engagement volontaire et devoir, au besoin, un service à l’Etat, pendant tout le temps qu’il navigue; en temps de guerre, ce matelot doit servir à tour de rôle et pendant un temps limité. S’il devient vétéran au service, il est à la paye de l’Etat, à la paye simple lorsqu’il ne sert point, et à la paye entière lorsqu’il sert. Enfin, par l’ancienneté et l’importance de ses services, il a droit de parvenir aux grades militaires . J’ai fait voir que le travail étant la source de la reproduction des richesses, l’agriculture et l’industrie devaient être encouragées. Qu’à cet effet, il fallait faciliter tous les moyens d’échange et la libre circulation à l’intérieur, l’exportation à l’extérieur du .superflu de notre agriculture et de notre industrie. J’ai dit que c’était le commerce qui s’occupait des moyens de l’exportation; que le commerce maritime était spécialement destiné à exporter le superflu des produits d’une nation et à vérifier son travail. J’ai ajouté qu’une nation qui possédait parmi les pro-(1) La conscription ayant lieu pour les milices nationales, la loi devant être générale, les matelots sont nécessairement soumis à la conscription. duits de son sol des objets précieux et abondants d’échange, et à qui son industrie eu fournissait d’également intéressants, qui avait, par ses ports, communication avec toutes les mers de l’Europe et de l’univers, était destinée à être une nation commerçante. J’ai fait connaître que la France possédait les objets d’échange les plus précieux, et qu’elle possédait une vasfe étendue de côtes et de ports situés sur trois mers. J’ai dit encore que le commerce maritime, pour prospérer, a besoin d’être protégé en temps de paix et défendu en temps de guerre, que l’obligation de défendre et de protéger le commerce et la navigation entraînait la nécessité d’avoir une armée navale. J'ai avancé qu’il était inutile à une puissance maritime d’avoir une armée navale si elle ne pouvait pas l’avoir égale à celle de la puissance maritime la plus formidable de l’Europe. J’ai ajouté que l’immensité des forêts du royaume, une masse considérable de métal de fonte en ce moment à sa disposition, des récoltes abondantes en chanvre, la facilité de se procurer par des échanges ce qui pourrait lui manquer de cette matière, la mettrait en état d’avoir une flotte comparable à celle de l’Angleterre. J’ai prouvé que la force navale étant instituée pour la prospérité du commerce maritime, les vaisseaux de guerre, au lieu d’imposer des corvées aux vaisseaux marchands, soit dans les ports, soit à la mer, leur devaient secours et protection en toute occasion ; que de là dérivait la nécessité des convois en toute circonstance un peu dangereuse. J’ai tâché de prouver que la classification était un enrôlement volontaire; qu’un matelot enrôlé devait être considéré comme un soldat en semestre, ou comme celui qui n’avait pas encore rejoint ses drapeaux; que la classification et l’enrôlement entraînaient la nécessité du service sur la flotte, par la conscription en temps de guerre. J’ai établi les règles par lesquelles cette loi pouvait être adoucie. D’après ces vues, je propose les articles constitutionnels suivants: ARTICLES CONSTITUTIONNELS DE LA MARINE. Art. Ier. Le roi sera le chef suprême de l’armée navale de France. Art. 2. Les forces navales de France doivent être égales à celles de la puissance la plus considérable de l’Europe. Art. 3. Les forces navales seront divisées en diverses escadres, suivant les fGrm.es de division qui seront proposées par le comité de marine, ou suivant celles adoptées et suivies à présent. Art. 4. Ces forces seront placées de manière à se trouver le plus à portée de faire tête aux puissances rivales. Art. 5. Les vaisseaux de guerre, frégates ou corvettes seront spécialement, et avant tout autre service, employés à la protection du commerce, soit en paix, soit en guerre. Art. 6. A la mer, les vaisseaux de guerre seront obligés d’accorder tout secours aux vaisseaux du commerce, lorsqu’ils en seront requis. Art. 7. A la première menace de guerre, il sera armé des vaisseaux, frégates et corvettes en nombre suffisant pour donner convoi aux vaisseaux partant pour l’Inde, pour nos colonies ou pour les ports étrangers, ou aux bâtiments destinés aux cabotage et à ceux destinés à la pêche. Art. 8. Il sera également armé des vaisseaux 489 [Assemblée natiouale.l ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 juin 1790.1 de guerre, frégates ou corvettes, pour écarter de nos côtes les vaisseaux ennemis. Art. 9. Il sera armé des vaisseaux destinés à ramener dans nos ports les navires du commerce revenant de l’Inde, des colonies ou de la pêche, ou pour rester en station, pendant un temps qui sera déterminé, dans l’Inde, dans les colonies et dans les parages où se fait la pêche. Art. 10. Le service qui sera le plus glorieux pour un officier de la marine royale, aux yeux de la nation , sera celui des convois donnés aux vaisseaux du commerce, ainsi que les combats soutenus pour les défendre. Art. 11. Dans les cas de guerre entre d’autres puissances, il sera armé des forces suffisantes pour faire respecter le pavillon français et protéger le commerce contre toutes les entreprises des puissances belligérantes. Il sera, chaque année, en temps de paix, mis en commission une partie des vaisseaux de guerre, qui, à cet effet, seront radoubés, carénés, gréés et armés en partie. Quelques-uns d’entre eux, plusieurs frégates et corvettes, seront armés complètement et envoyés en diverses stations. Art. 12. Chaque législature fixera tous les ans les dépenses du département de la marine. Art. 13. Tout homme qui sera inscrit sur des rôles d’équipages pendant deux voyages consécutifs, ou pendant deux ans de pêche ou de cabotage, sera censé enrôlé, et classé en conséquence, et, au besoin, il devra un service sur la flotte pendant trois années consécutives, et ce service sera dû à tour de rôle. Art. 14. Lorsqu’un matelot sera appelé à son tour pour le service, il aura, par forme d’engagement, une prime qui sera fixée par les législatures, et s’il sert de bonne volonté avant son tour de rôle ou pendant un second terme de trois ans consécutifs, il aura une prime double; cette prime n’aura plus lieu lorsqu’il sera à la paye. Art. 15. Tout homme entrant au service de la flotte, soit comme novice, soit comme soldat, aura une prime par forme d’enrôlement, et ne sera à la paye qu’après 9 années de service. Art. 16. Un matelot qui aura servi sur la flotte pendant six années consécutives, aura, en se retirant, la paye simple ou demi-paye pendant sa vie, et il pourra en continuant son service sur les vaisseaux de guerre, parvenir à son rang à tous les grades militaires, d’après les certificats de bonne conduite, de valeur et de capacité qui lui seront donnés par les officiers de-vaisseaux sur lesquels il aura servi, et après avoir soutenu les examens qui seront ordonnés. Art. 17. Nul officier ne pourra être cassé et exclus du service que par le jugement d’un conseil de guerre ; nul officier marinier, nul matelot canonnier ne pourra être dégradé que par le jugement d’un conseil de guerre assemblé, et suivant les formes qui seront prescrites. Art. 18. Un matelot qui aura commis des fautes légères sera puni par un simple retranchement de ration ; s’il a commis des fautes graves et prévues par le code de marine, il sera puni après avoir été jugé par un conseil de guerre assemblé sur le vaisseau : s’il a commis des fautes capitales, il sera mis aux fers et jugé au premier port de France où le vaisseau touchera, suivant les formes qui seront prescrites. Art. 19. Désormais, il n’y aura plus d’élèves de la marine : tout homme qui voudra suivre la carrière du service sur les vaisseaux de guerre le fera en qualité de volontaire; il lui faudra sept années effectives de service de mer et de navigation sur les vaisseaux de guerre en cette qualité pour être fait lieutenant, après les examens préalablement subis. Art. 20. Tout capitaine de vaisseau marchand qui aura servi trois ans en qualité de volontaire sur les vaisseaux de guerre, et qui aura fait en outre six campagnes de voyages de long cours sur mer, en qualité de capitaine, pourra servir sur les vaisseaux de guerre en qualité de lieutenant, et prendra rang du jour de sou admission. Art. 21. Les voyages de pêche au banc de Terre-Neuve ou de pêche de la baleine seront réputés voyages de long cours, ainsi qu’une caravane de mer de deux années dans la Méditerranée, pendant 18 mois consécutifs ; seraréputée aussi voyage de long cours une croisière de six mois au moins sur un corsaire. Art. 22. Des actions éclatantes de valeur, consignées dans les journaux des vaisseaux sur lesquels un homme de mer aura servi, et sur les registres de service tenus par les membres de la division à laquelle il appartiendra, le feront placer au premier rang dans toutes les promotions qui auront lieu, et lui serviront pour obtenir de préférence le commandement des vaisseaux, frégates ou corvettes, ou pour obtenir d’autres commissions honorables. Art. 23. Sa Majesté donnera le commandement des vaisseaux de tous les rangs; elle choisira parmi deux officiers qui lui seront présentés par le conseil de la division à laquelle ils appartiendront. Le choix des officierspour le commandement des escadres ou des flottes sera à la volonté du roi, c’est-à-dire que le roi fera la promotion des officiers généraux, et dans ceux-ci préférera ceux qu’il jugera les plus dignes de commander; et sera réputé escadre un armement composé de plus de deux vaisseaux de ligne. Art. 24. Un capitaine ne pourra point abandonner son vaisseau s’il est en péril ; et dans le cas où il sera en feu, échoué ou coulant bas d’eau, il en sortira le dernier, après avoir fait constater, dans un procès-verbal signé des officiers, qu’il est impossible de sauver te vaisseau. Art. 25. Un capitaine ne pourra amener le pavillon que lorsqu’il aura perdu tous ses agrès, ses mâts, la plus grande partie de son équipage, ou lorsque le' vaisseau coulera bas d’eau. Art. 26. Dans les cas indiqués par les articles 22 et 23, un capitaine, à son arrivée, sera obligé de subir un conseil de guerre qui jugera suivant les formes qui seront prescrites. Art. 27. Un lieutenant des vaisseaux de guerre pourra, pendant la paix, commander les vaisseaux du commerce ; mais lorsqu’il sera promu au rang de capitaine, il ne pourra servir que sur les vaisseaux de guerre. Art. 28. Nul commandant de vaisseaux de guerre n’aura de table pour tous les officiers de son bord, il ne sera tenu d’avoir à sa table que son second capitaine ; il pourra seulement, s’il le veut, recevoir à sa table un officier servant sur son vaisseau, et ce, chacun à son tour. Art. 29. Un pilote pourra parvenir au grade de lieutenant, après sept années de service ; un officier marinier pourra également être promu au grade d’officier après sept années de service en cette qualité, et après avoir préalablement subi les examens, et sur les certificats de valeur et de bonne conduite donnés par les officiers de tout grade de la division à laquelle il appartiendra.