489 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 février 1790.] venons les crimes par la justice, et jamais par l’arbitraire. Il n’y a pas lieu à délibérer. MM.deMontlosieret Duval d’Kprémesnil demandent en amendement que l’affaire soit renvoyée au pouvoir exécutif. M. le dnc d’JLigulIlon. J'observe que renvoyer cette affaire au pouvoir exécutif, ce serait dire au pouvoir exécutif de donner une lettre de cachet. La question préalable est invoquée sur les amendements et sur la motion principale. L’Assemblée décide qu’il n’v a pas lieu à délibérer. M. le Président. Le comité d’agriculture et de commerce demande à soumettre un rapport à l’Assemblée. Je donne la parole à son rapporteur. M. Heurtault de La llerville donne lecture du rapport suivant sur le dessèchement des marais du royaume que l’Assemblée entend avec une satisfaction marquée (1): Messieurs , votre comité d’agriculture et de commerce, pour avoir gardé le silence jusqu’à ce jour, n’est point resté dans l’inaction. Pénétré de l’importance des objetsquilui sont confiés, il s’est ditquede même qu’une sage constitution, donnant la vie politique à toute association des hommes, est la base de la liberté, de même l’agriculture et le commerce, sources intarissables des subsistances, des rapports entre les peuples, sont les premiers appuis de la prospérité réelle et de la durée des empires. Votre comité a pris d’abord en considération les subsistances des colonies, dont M. de La Jacque-mioière, à qui vous n’avez pas encore accordé la parole, est chargé de vous faire le rapport. Bientôt il vous eu sera présenté un très important sur la Compagnie des Indes, un non moins intéressant sur le nouveau tarif des droits de traites, et sur la suppression des droits de l’intérieur du royaume, et un autre sur les mines précieuses de fer et de charbon de terre. Votre comité va rassembler les matériaux d’un Code rural, et des lois générales et protectrices de l’industrie et du commerce. Ce Code désiré sera d’autant plus succinct, que par la simplicité dans l’assiette des subsides, la clarté dans leur perception, l’extinction de la gabelle, et l’abaissement des barrières de toute espèce,qui rendaient les divers parties de la grande famille de la France étrangères les unes aux autres , vous aurez rempli, Messieurs, les désirs de toutes les provinces, centuplé leurs forces par leur union, et formé, pour ainsi dire, un faisceau invincible de la France. t Votre comité s’est occupé du dépouillement d’une grande quantité de mémoires, dont un petit nombre lui paraît avoir des droits à votre attention et à la reconnaissance publique. Quelques-uns, tels que les sages observations des dé-jutés extraordinaires du commerce, les aperçus umineux de la société royale d’agriculture, les exel lentes expériences do M. de Lormoi, l’ouvrage connu de M. de Corm» e, offrent d’excellentes leçons aux cultivateurs ou aux commerçants, et méritent qu’il vous eu soit fait une mention honorable. Tous vous seront connus, lorsque vous (1) Le Moniteur n’a pas inséré le rapport de M. Heurtault de La Merville. ordonnerez qu’ils vous soient présentés ; mais vous n’avez pas le projet de faire des lois sur les procédés d’agriculture, ou sur les combinaisons particulières du commerce: vous pensez sans doute que les lumières du siècle, l'exemple et l’expérience doivent seuls maîtriser l’industrie. Vous compterez assez sur leur pouvoir, pour les croire capables d’éclairer, soit le patriotisme, soit l’intérêt personnel ; vos lois, à cet égard, ne seront que des encouragements et des primes. Dans les mémoires qui ont été remis à votre comité, les projets qu’il avait distingués, et qu’il avait destinés les premiers à fixer les regards du Corps législatif sont ceux qui peuvent augmenter l’étendue cultivable du territoire, ceux qui traitent des douze ou quinze cent mille arpents de marais qui accusent l’industrie du royaume. La demande des représentants de la commune de Paris se trouve liée à ces grandes améliorations ; elle a rapport à l’emploi des gros ouvriers, qui manquent d’ouvrage ; elle vous prie d’aider lu commune de vos lumières et de votre protection pour la tirer de l’inquiétude où elle se trouve ; elle vous indique ces mémoires qui contiennent les moyens propres à ouvrir des ateliers utiles. L’Assemblée nationale a renvoyé cette demande au comité d’agriculture et de commerce, et lui a ordonné de rendre compte au plus tôt de son travail sur cet objet : c’est ce qui me donne un droit, Messieurs, à réclamer quelques-uns de vos moments pour le rapport que je vais avoir l’honneur de vous faire, la division en sera très simple. Je commencerai par vous présenter le précis des mémoires sur les dessèchements, qui ont été remis à votre comité. Je vous soumettrai ensuite ses réflexions ; elle me conduiront à la demande des représentants de la commune de Paris, et je finirai par vous proposer un projet de loi. M. de Boncerf, membre de la Société royale d’agriculture de Paris, avance, appuyé sur la balance du commerce, que la France fait venir annuellement des pays étrangers, pour quarante millions de matières agricoles et de première nécessité Il croit que le royaume pourrait s’affranchir de ce tribut onéreux, en appliquant les sommes que ces objets nous coûtent à vivifier notre agriculture et à dessécher d’immenses marais. C’est surtout des terrains marécageux, tantôt noyés et tantôt découverts par la mer ou par les rivières, qu’il veut obtenir ces nouvelles richesses. Il voit dans ces terres vierges le germe de toutes les productions; il appelle les bras et l’industrie pour les féconder. Il fait sentir de quelleressource seraient les travaux de ce genre, dans les circonstances présentes, où le commerce ladguit énervé. Il établit que les premiers créanciers d’une nation sont les bras qui demandent de l’ouvrage, et la terre qui attend des bras. Il ne doute pas que la nation n’ait le droit de prononcer sur le sort des marais; il ne considère le droit des propriétaires comme sacré, que lorsqu’il est uni à la jouissance, et qu’il est l’effet de la culture. 11 pense que nos rois n’ont fait, à divers particuliers, de grandes concessions de marais, sous la condition de les dessécher, que parce qu’ils regardaient ces terrains, à raison de la non-culture, comme faisant partie du domaine public. M. Lefebvre, agent général de la même Société d’agriculture, a imaginé un moyen de multiplier les dessèchements, bien digne d’un gouvernement puissant, tel que celui de la France devrait être. 11 est à regretter que la nation ne soit pas assez opulente en ce moment pour l’adopter. La Caisse 490 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 février 1790.] nationale ferait les avances, quand elle serait réclamée à cet effet, et le propriétaire du terrain reverserait chaque année, dans cette caisse bienfaitrice, la moitié du produit des marais mis en valeur, jusqu’au parfait remboursement. M. Langlois, représentant de la commune de Paris, versé dans l’art des dessèchements, a proposé un autre système patriotique. Il voudrait que tout propriétaire eût le droit de dessécher ses marais, mais que lorsqu’il ne le pourrait pas, le tiers du marais desséché lui restât franc, et que les deux autres tiers entrassent dans le domaine public. La nation se chargerait à une époque prochaine de rendre à l’entrepreneur la totalité de ses avances, y compris les intérêts à sept ou huit pour cent, et elle en trouverait les moyens dans la vente des deux tiers de ce marais, qu’elle diviserait en petites propriétés. M. Langlois désirerait que, d’une manière ou d’autre, l’Ktat fît un premier fonds d’avances pour les dessèchements, qui s’accroîtrait par son usage, et se partagerait ensuite dans ses effets bienfaisants. La Société royale de médecine, qui veille par principe et par devoir à la préservation des maladies des hommes et à celles des animaux, nous a aussi communiqué ses idées patriotiques sur les avantages des dessèchements. Son mémoire, appelant en témoignage toutes les provinces de France, dit que le voisinage des marais cause des lièvres de toute nature, durant l’été et l’automne; que leurs exhalaisons malsaines dépeuplent les villages de bestiaux, et détruisent les forces des ouvriers de la campagne dans les saisons des travaux les plus nécessaires. On y voit que la ville de Bordeaux n’a joui d’un air salubre que depuis la construction d;une chaussée bordée d’arbres, qui a desséché, dans son sein, un marais infect. On y lit que sur les bords marécageux de la Somme, non ioin de Saint-Quentin, il existe des villages où les propriétaires et les fermiers sont obligés de donner de doubles gages aux domestiques de l’agriculture, pour les déterminer à s’y fixer, tant l’air qu'on y respire est redoutable; il ne l’est pas moins aux environs des Moeres, marais situés dans la Flandre maritime. D’après les observations de cette société, les meuniers ont tous le défautd’élever trop leurs écluses; des changements seraient désirables dans la construction des moulins, et tout pays est intéressé â la suppression des étangs que ne traverse point une eau vive; d’après ses calculs, la population des cantons de marais ne montent pas à la moitié de celle des pays secs; d’après ses conseils, on ne doit commencer les dessèchement qu’à la fin del’autom-me, aux milieu des eaux, afin d’éviter les vapeurs impures de la fange mise en fermation par la chaleur. Vous venez d’entendre, Messieurs, le précis des mémoires ; vous allez prendre connaissance de l’opinion que le comité a eue de leurs principes. Il nous a paru incontestable que les dessèchements des marais sont les plus importantes améliorations, et que notre industrie doit placer sa gloire, et la nation un de ses devoirs à triompher de ces erreurs de la nature. On ne peut se dissimuler que les dessèchements ne contribuassent à éteindre l’agiotage, à augmenter la population, à ramener l’ordre, à régénérer les mœurs. On ne peut se dissimuler qu’ils ne reportassent du numéraire dans les provinces, qu’ils n’y fissent refluer tous les hommes qui ont fixé quelques instants la fortune dans la capitale, et que maintenant la suppression de beaucoup d’emplois doit obliger de s’attacher à l’agriculture, et de réparer par leur industrie dans le premier des arts le dommage qu’ils lui ont causé par leur luxe. On ne peut se dissimuler que ces ateliers ouverts dans les provinces n’y fussent, en ces moments, d’un secours assuré aux ouvriers qui y restent inactifs: effet inévitable de la Révolution, qui, réformant tous les abus, mais aussi inquiétant les divers états de la société, a rendu tous les citoyens circonspects dans leurs dépenses, et forcé les riches à s’occuper d’eux-mêmes. Il est incontestable que c’est un des devoirs de la nation d’ordonner ces entreprises utiles sous tous les grands rapports, comme c’est un de ses droits inaliénables de faire des lois pour sa sûreté, sa force et sa félicité. Si nous remontons à l’origine du pacte social, nous nous convaincrons de cette vérité. En recherchant la nature du droit de propriété, base nécessaire de toute association, nous voyons qu’il est uni à des devoirs, et soumis constamment à l’intérêt général et à l’inspection du législateur. Les propriétés, comme les citoyens, sont sous la sauvegarde et la protection de la force publique ; mais tout ce qui arrête les progrès de cette force est une obstruction dans la société, et c’est au législateur à le détruire. Une nation, nécessairement circonscrite dans un espace de terrain limité, ne peut perdre le droit de rendre productive, une partie de ce terrain, d’épurer l’air, notre aliment continuel, de donner une issue facile à des eaux stagnantes, qui deviendront utiles au commerce et à la navigation. Le regard de la loi sur les propriétés doit être surveillant sans cesse pour le bien général. Certes la nation manifestera ses lumières étendues et ses principes équitables quand elle n’ordonnera des changements dans les possessions particulières que pour l’avantage de tous les citoyens, quand elle n’exercera son droit de souveraineté que pour rendre à la propriété son caractère et sa destination véritable, quand elle ne lui ôtera la licence que pour mieux lui assurer la liberté. En effet, une terre inculte, souvent submergée, ou couverte d’exhalaisons pestilentielles, sans produit, sans usage, peut-elle s'appeler une propriété dans toute la plénitude de ce terme? Ce n’en est, à dire vrai, qu’une espérance. La liberté illimitée du droit de propriété ne pourrait exister que dans une société de sages qui habiteraient un terrain où il n’y aurait jamais rien à perfectionner. Votre comité a donc cru voir, Messieurs, que la morale et la politique de la législation s’accordaient parfaitement avec l’obligation générale du dessèchement des marais. Mais votre comité a pensé aussi que c’est avec une autorité sage et mesurée sur les circonstances, que le législateur doit préparer une opération si délicate; que c’est avec autant de justice que de prudence qu’il doit mettre en activité le droit de souveraineté de la nation sur les propriétés individuelles : nous avons pensé que FAs-semblée nationale adopterait peut-être les principes de se borner d’abord à encourager les dessèchements, à ne les ordonner ensuite qu’avec ménagement, et à attendre beaucoup plus du patriotisme, de l’intérêt personnel, et de la liberté toute puissante, que des lois mêmes. Je vais en peu de mots avoir l’honneur de vous remettre sous les yeux les lois anciennes sur les dessèchements, et je les ferai suivre des nouveaux moyens d’encouragement, et des lois nouvelles qui se sont présentées à nous. Les lois anciennes remontent à plusieurs siècles, et sont une infinité d’édits, de déclarations ou d’arrêts du conseil, imparfaits dans leur teneur: [7 févirer 1790.] [Assemblée nationale.J Quelques-uns font de grandes concessions de marais a des particuliers, à la charge de les mettre en valeur , ce qu’ils n’ont point fait ou qu’ils n’ont pas pu faire. Tous accordent de grands avantages apparents aux entrepreneurs ; les uns leur promettent, pour indemnité, la moitié ou les deux tiers du marais desséché ; d’autres permettent aux propriétaires de garder la part de l’entrepreneur, en la lui payant, ou de le forcer d’acheter celle que l’édit ne lui concède pas; presque tous obligeaient les particuliers à dessécher leurs marais, sous un temps très court, à défaut de quoi les entrepreneurs étaient autorisés à procéder, sous des conditions extrêmes et trop vagues, à ces améliorations. Il en est résulté que tous ces édits n’ont point opéré de grands dessèchements, et l’on remarque, avec douleur, qu’ils ont produit une foute de contestations renaissantes et de procès interminables. Il était réservé à notre siècle de concevoir l’idée d’établir une coalition entre la nation, l’entrepreneur et le propriétaire; de convaincre les grands propriétaires et les rois que ce ne sont pas de vastes plages submergées par moments, et des continents incultes qui donnent le pouvoir et les richesses, mais des propriétés heureusement circonscrites et soignées avec intelligence. 11 nous était réservé de ne plus douter ue tous les lacs de la Nouvelle-Espagne et les éserts de la Sibérie sont d’un moindre produit qu’un bon domaine en France, et, par conséquent, que toute l’étendue des plus grands marais n’en vaut pas le tiers qui serait desséché et prêt à recevoir le défrichement. L’édit de 1764 et les déclarations postérieures qui l’expliquent, tant pour le royaume en général que pour les provinces en particulier, sont les seules loisquiaientproduit quelque effet heureux, parce que ces lois ont encouragé le travail sans gêner la liberté; elles ont accordé quinze années d’exemption d’impositions pourles défrichements des terres, et vingt années pour les dessèchements des marais. Les moyens nouveaux qui vont vous être soumis se rapprochent de l’esprit de ces lois et les perfectionnent. Protecteurs des propriétés, Messieurs, vous sentirez que la justice commande de dédommager, à dire d’experts, les propriétaires riverains pour la destruction de leurs moulins, de leurs étangs, de leurs digues, de leurs chaussées qui s’opposeraient aux dessèchements entrepris. Vous voudrez empêcher qu’un terrain, en se desséchant, n’en submerge un autre. Vous désirerez qu’un homme instruit de l’art d’irrigation, dans chaque département, y forme un plan général, qui, conduisant les eaux stagnantes par une pente combinée, les rende utiles dans un canal, ou les verse, avec intelligence, dans le lit d’un fleuve. Créateurs de la liberté, Messieurs, vous n’accorderez sans doute à aucune compagnie le privilège des dessèchements; s’il se forme des associations, ce qui est à désirer pour l’augmentation des moyens, vous voudrez que ce soit seulement avec la protection de la loi, et non avec sa préférence. Vous croirez qu’il est dans la nature de la constitution que vous formez, que les dessèchements soient publiés et mis au rabais par les assemblées de département , et que l’adjudication en soit accordée à la société ou au particulier, qui s’engagera de les exécuter aux conditions Jes moins onéreuses aux propriétaires, et les plus avantageuses à la nation. Tous les autres moyens nous ont paru défectueux, parce que tout, en ce genre, est soumis aux localités. Ici vous trouverez des marais qui appartiendront aux domaines 491 de la couronne ; là ils seront situés dans les pos-sessidns des ordres religieux ; ils peuvent exiger des différences, relatives aux circonstances, dans les adjudications. Ailleurs ce seront des communaux, qui demandent des considérations particulières. Les pauvres sont propriétaires partiels de ces terrains ; il convient de ne point inquiéter les campagnes. C’est pour ces terrains respectables, qu’une caisse patriotique, toujours ouverte, comme en Angleterre, aux améliorations de l’agriculture, serait le comble des bienfaits; c’est pour les communaux, surtout, que l’intérêt des avances devrait être dans le bienfait même. C’est un partage équitable de quelques communaux ainsi protégés qui donnerait du goût pour la division des grandes propriétés sans vie, en petites propriétés qui ne tarderaient point à s’animer, qui amalgament tout naturellement l’intérêt particulier à l’intérêt général, parce que la jouissance y est plus directe, parce que les contributions y sont plus atténuées etpèsent moins sur le contribuable, parce que plus de citoyens ont la faculté de les mettre en valeur qu’elles sont, pour l’ordinaire, mieux cultivées, et ainsi les plus sacrées et les plus utiles à la force et à la félicité publique. Législateurs éclairés, Messieurs, vous reconnaissez que les premiers droits sont dans le peuple entier, et la vraie force dans la population ; vous apercevrez à quel point de prospérité une caisse semblable de secours pourrait porter l’agriculture, et le commerce, qui embrasse et unit les deux hémisphères, et sans lequel l’agriculture ne peut parvenir à tout son développement. C’est par l’agriculture et le commerce que la France acquerra cette puissance inconnue qu’il serait téméraire de borner, même dans la spéculation. C’est en considérant les Français comme un peuple agricole, que vous deviendrez, sous tous les rapports, le premier peuple de l'univers. La Révolution qui s’achève, Messieurs, doit avoir l’ambition d’affermir la France dans le rang qui lui appartient parmi les grands peuples du monde, et cette ambition ne sera point trompée si l’Assemblée nationale ne perd jamais de vue toute l’étendue de la protection, de la considération, de la liberté qu’elle doit assurer aux cultivateurs. Leurs droits sont fondés sur leurs services : c’est du sillon que trace la charrue que sort la subsistance du peuple; c’est dans ie sillon que renaît le subside, et que va reposer la constitution. S’il m’est permis de vous citer des exemples, je rappellerai à votre mémoire que les Anglais, peuple qui a le plus médité sur le prix de la terre, pénétrés de toute la protection qu’un gouvernement doit à l’agriculture et au commerce, au lieu d’accumuler les propriétés dans les mains, en faisant, avec des compagnies opulentes, une affaire de finance des dessèchements des marais, ont quelquefois confié ces travaux, longs et difficiles, à une multitude de pauvres ouvriers robustes, qui étaient surveillés par les lumières d’un homme de l'art, et secourus par la caisse d’agriculture; durant un nombre d’années limité, ces entrepreneurs jouissaient du total du produit du terrain amélioré; ainsi ils acquéraient la faculté de remettre le capital des avances à la caisse d’agriculture, ou d’en payer la rente annuellement. C’est en agissant à peu près de cette manière, pour les défrichements des terres incultes, que la Prusse s’est attaché des étrangers, a augmenté sa population, et soutenu de nombreuses armées. Quant aux défrichements des landes et des forêts dévastées, le comité n’a pas vu les mêmes avantages ni les mêmes difficultés à les opérer, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 492 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 février 1790.] qu’à effectuer les dessèchements; mais il les considère également comme soumis aux localités et à la surveillance des assemblées de département. Des montagnes, dont la culture a mis le roc à nu, ont prouvé que les défrichements de tous les terrains n’étaient pas utiles. Une grande raison même a empêché votre comité de s’en occuper en ce moment: on ne peut défricher des terres nouvellessans abandonner des terres habituellement en culture, à moins qu’on ne se procure une augmentation de bestiaux; cette augmentation ne peut naître que des fourrages, et ce sont les dessèchements qui vous les donneront. Pour inviter les propriétaires à entreprendre les défrichements qui seront avantageux, il nous a semblé que le nouveau système d’imposition ne devait taxer toutes les terres que relativement à leur produit actuel, qu’il serait impolitique de calculer ce que le travail pourra obtenir du sol, et que la nation devrait n’augmenter, dans aucune circonstance, la première imposition assise sur des terrains incultes, aussi longtemps que le propriétaire ou le fermier, qui les défricherait, les ferait valoir lui même, quel que fut la fécondité où l’industrie les fît parvenir. Le temps n’est pjus où la main avide du fisc suivait pas à pas l’industrie, et où, à tous moments, sa voix lui criait: Partageons! Le Trésor national ne fonde pas aujourd’hui son opulence sur l’arbitraire de la laxe, mais sur l’exactitude du recouvrement et sur la fidélité de la recette. L’édit de 1764, qui accordait quinze années d’exemption d'impositions aux terres nouvellement défrichées et vingt années aux marais desséchés, ne nous a point paru trop favorable aux propriétaires, vu l’ancien régime de l’impôt. Nous avons même cru qu’il était à propos de consacrer, par une nouvelle loi. l’exemption que cet édit accorde pour les dessèchements, Cependant il s’élève déjà des contradictions qui arrêtent ces divers travaux; les concessionnaires, qui sont inquiétés par les paroisses, réclament l’esprit de la loi, et disent, avec justice, que ce n’est point la continuation d’un privilège exclusif qu’ils sollicitent, mais qu’ils se croient dans le droit d’exiger que le gouvernement remplisse les conditions du contrat tacite passé entre lui et eux sans lequel ils n’auraient pas fait les avances dont ils ne sont pas encore remboursés. Le comité a trouvé cette réclamation juste, et a même pensé que toutes les concessions de marais faites jusqu’à ce jour, à quelque condition que ce soit, ne doivent pas être recherchées, pourvu que les marais fussent mis en valeur. Il sera nécessaire que vous vouliez bien prononcer sur ces deux objets et déterminer si l’édit de 1764 continuera d’avoir son effet ou non pour les défrichements qui seront entrepris à l’avenir. Nous ne craignons pas, Messieurs, que les moyens intellectuels ou physiques nous manquent ici pour effectuer les dessèchements; nous serions heureux si nos finances étaient en proportion de nos lumières et de notre population: ces travaux sont attendus parla classe nombreuse des hommes qui unissent les besoins, les forces et la bonne volonté, par les pionniers des provinces exercés à des ouvrages durs et continuels, par tous les hommes prêts à se porter sur les lieux où ils trouveront des salaires proportionnés aux fatigues. Dans cette crise violente et passagère, ce son plutôt les ateliers qui manquent aux hommes, que les hommes aux ateliers. Le cours des idées amène ici, dans toute sa force, la requête des représentants de la commune de Paris, qui vous demandent des moyens d’employer les gros ouvriers de cette ville immense, inquiète pour la première fois du grand nombre de citoyens qu’elle attire. Le comité a pris cet objet dans la plus grande considération; il ne s’est point caché que cette vaste capitale peut être embarrassée de plus en plus chaque jour, des moyens de procurer la subsistance à des milliers d’hommes robustes, qu’il est aussi utile que prudentde ne pas laisser corrompre par l’oisiveté. Dans la difficulté de trouver des moyens de salaire qui ne fussent onéreux à personne, et emporté par un mouvement du coeur, votre comité avait, au premier aperçu, eu l’idée de proposer à l’Assemblée nationale de destiner une partie des dons patriotiques au plus patriotique des emplois, celui de donner de l’ouvrage aux hommes qui n’ont que leurs bras pour richesse; mais, après des réflexions plus profondes, nous nous sommes dit qu’il pouvait se présenter telle circonstance où ces généreux sacrifices sauvassent du danger du moment la Caisse publique. Nous avons pensé que vous trouveriez injuste d’offrir à la capitale des secours qui ne s’étendaient point sur les provinces ; nous avons craint que cette préférence n’arrêtât les dons patriotiques dans leur cours. Nous n’avons pu ignorer que Paris reçoit, ou des bienfaits de Sa Majesté, ou du gouvernement, des sommes pour fournir de l’occupation à une partie de ses ouvriers; nous savons qu’il s’en est transporté une partie au canal de Bourgogne. Nous ne nous point déguisé les dépenses que fait la ville de Paris; mais nous nous sommes aussi objecté que chaque ville a les siennes, en proportion de ses revenus. Votre comité a donc arrêté qu’il ne pouvait proposer pour la ville de Paris, à l’Assemblée nationale, que le moyen adopté par toutes les provinces. Toutes les villes se sont taxées librement pour soutenir jusqu’à l’époque des travaux de la campagne, et autant qu’elles le pourraient, la classe souffrante du peuple; la ville de Rouen, notamment, vient en dernier lieu d’en donner l’exemple. Il n’est si petite ville en France qui n’ait pris cette précaution; il n’est si petit propriétaire qui n’ait rempli ce devoir: soit que la ville de Paris adoptât ce moyen ou tout autre, si elle continuait à être inquiète du sort de ses ouvriers, les sommes qu’elle destinerait à rendre utile la surabondance de sa population ne pourraient être mieux confiées qu’au dessèchement des terres inondées de son département, ou à toute autre amélioration de son territoire. Votre comité m’a chargé, Messieurs, de vous exprimer tous ses regrets de n’avoir pu imaginer, dans cette circonstance, un moyen extraordinaire qui remplisse les vues bienfaisantes de la commune de Paris. Tous les membres du comité d’agriculture et de commerce se considèrent comme des laboureurs, des fermiers, des manufacturiers, tous pères et amis naturels des ouvriers et des pauvres; occupés de leur sort, et partageant leurs peines, nous n’avons donc, pu nous rassurer sur les inquiétudes delà commune de Paris, qu’en considérant la beauté extraordinaire de la saison, qui permet aux gros ouvriers de se livrer indistinctement à tous les travaux, qu’en nous rappellant la sollicitude et la surveillance du gouvernement pour cette capitale, la sensibilité charitable de ses habitants, et par l’espoir que les heureux effets de la grande Révolution que vous consommez rendront incessamment la vie au commerce, l’activité à l’industrie, et au numé- {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (7 février 1790.] 493 raire la rapidité de circulation reproductive de tous les travaux, de tous les salaires et de toutes les prospérités. Votre comité a pensé que la demande des représentants de la commune de Paris est le plus important des objets, tant par son influence sur la destinée des ouvriers, que par son action sur cet art vivilicateur éternellement respectable, et digne à jamais de nos soins, de nos hommages, et de notre reconnaissance, l’agriculture ! Enfin votre comité a conclu que, sous l’un de ces deux rapports, la demande des représentants de la commune de Paris est un objet d'administration qui nous sera constamment cher, et qui doit être envoyé sans délai au pouvoir exécutif ; et que, sous f’autre rapport, cette demande amenait le moment propice de vous proposer le projet suivant de décret sur les dessèchements des marais de la France : DÉCRET. L’Assemblée nationale considérant qu’un de ses premiers devoirs est de veiller à la conservation des citoyens, à l’accroissement de la population, et à tout ce qui peut contribuer à l’augmentation des subsistances, qu’on ne peut attendre que de la prospérité de l’agriculture, du commerce et des arts utiles, soutiens des empires ; considérant que le moyen de donner à la force publique tout le développement qu’elle peut acquérir, est de mettre en culture toute l’étendue du territoire ; considérant qu’il est de la nature du pacte social que le droit sacré de propriété particulière, protégé par les lois, soit subordonné à l’intérêt général ; considérant enfin qu’il résulte de ces principes éternels que les marais, soit comme nuisibles, soit comme incultes, doivent fixer toute l’attention du Lorps législatif, a décrété ce qui suit: Art. 1er. Chaque assemblée (1) de département s’occupera des moyens de faire dessécher les marais et les terres inondées de son territoire, en commençant, autant qu’il sera possible, ces améliorations, par les marais les plus nuisibles àla santé, et qui pourraient devenir les plus propres à l’accroissement des subsistances ; et chaque assemblée de département indiquera le meilleur plan, et emploiera les moyens les plus avantageux aux communautés, pour parvenir au dessèchement de leurs marais. Art. 2. Les municipalités enverront, sous trois mois, à l'assemblée de leur district un état raisonné des marais ou terres inondées de leurs cantons, et l’assemblée de district sera tenue d’en instruire, deux mois après, 1’assemblée de département ; cet état contiendra les noms des propriétaires de ces marais, l’étendue de ces terrains, le préjudice qu’ils portent au pays, les avantages qu’il pourrait en retirer, les causes présumées du séjour des eaux, les moyens d’effectuer le dessèchement, et l’aperçu des dépenses qu’il entraînera. Art. 3. Les assemblées de département communiqueront, à toutes personnes quivoudront en prendre connaissance, les mémoires qui leur auront été adressés sur cet objet ; elles feront vérifier sur le lieu, de la manière qui leur conviendra, la nature des marais dont le dessèchement leur sera indiqué, et les observations des mémoires qui le concerneront ; le procès-verbal en sera rendu public par la voie de l’impression, et envoyé à toutes les municipalités, et le rapport de tous les mémoires, ainsi que du procès-verbal de vérification, sera fait à la plus prochaine assemblée du département. Art. 4. Lorsqu’une assemblée de département aura déterminé de faire exécuter le dessèchement d’un marais, le propriétaire de ce marais sera requis de déclarer, dans l’espace de six mois, s’il veut le faire dessécher lui-même, le temps qu’il demande pour l’opérer et les secours dont il a besoin pour cette entreprise ; l’assem-(1) 11 est principalement question dans ce décret des assemblées administratives. , blée de département pourra, suivant les circonstances, accorder un délai au propriétaire ; et, dans tous les cas, elle lui fera connaître si elle peut lui procurer les secours qu’il réclame. Art. 5. Si les propriétaires renoncent à faire eux-mêmes le dessèchement de leurs marais, ou s’ils ne remplissent pas l’engagement qu’ils ont contracté de les faire dessécher aux termes convenus, l’assemblée de département aura le droit de faire exécuter le dessèchement, en payant aux propriétaires la valeur actuelle du sol du marais, à leur choix, soit en argent, soit en partie du terrain desséché ; le tout à dire d’experts, dont un sera nommé par le propriétaire. Art. 6. Quand l’assemblée de département sera forcée de se charger du dessèchement d’un marais, elle fera procéder trois fois, de quinze jours en quinze jours, à l’adjudication au rabais du dessèchement dudit marais : celte adjudication sera annoncée dans toutes les municipalités, par des affiches explicatives des diverses conditions proposées par les entrepreneurs. Les adjudications seront indiquées et ouvertes au chef-lieu du district, à ce autorisé par l'assemblée de département, en présence des membres du district assemblé, et d’un officier municipal du lieu où sera situé le marais ; à la troisième séance, le dessèchement du marais sera adjugé définitivement au particulier ou à la société qui conviendra de s’en charger àla condition la plus avantageuse au département, soit par argent, soit plutôt par abandon d une partie du marais à dessécher. L’entrepreneur quel qu’il soit s’obligera d’indemniser d’avance, à dire d’experts, les propriétaires riverains, pour les divers dommages qu’ils éprouveront, |et il donnera une caution solvable, dont la décharge n’aura lieu qu’après le ressuiement total du marais. L’assemblée de département donnera toutefois à l’entrepreneur les facilités que les circonstances et les localités permettront. Art. 7. Si, par le marché fait avec l’entrepreneur du dessèchement d’un marais, il restait au domaine public une partie du terrain desséché, l’assemblée de département vendrait incessamment cette partie du terrain, en la divisant, autant qu’il sera possible, par petites propriétés. Art. 8. Les assemblées de département sont autorisées à vendre, quand elles en auront les moyens, les parties des marais desséchés, devenues domaine public, à des ouvriers ayant la force de les défricher eux-mêmes : la forme de la vente sera une redevance amortissable par huitième de la totalité du terrain. Les assemblées de département sont autorisées, enfin, à n’imposer à ces ouvriers entrepreneurs, que telle condition paternelle qu’elles jugeront à propos. Art. 9. Si un marais est indivis, le propriétaire à qui il appartiendra en partie, pourra entreprendre le dessèchement entier, en cas de refus des autres propriétaires d’y coopérer ; mais il leur remboursera, à leur choix, leur portion, suivant la valeur actuelle du sol dudit marais, soit en argent, soit en une partie du terrain desséché , le tout à dire d’experts nommés en égal nombre par les parties. Art. 10. Les propriétaires des terrains desséchés et des terres défrichées sur la foi de l’édit de 1764, ou d’après tous les arrêts du conseil précédents ou postérieurs, continueront de jouir des avantages qui leur ont été accordés. A l’égard des dessèchements entrepris à l’avenir, lorsqu’ils auront été faits par le propriéiaire, les terrains seront exempts, pendant vingt années, de toutes impositions : il en sera de même pour la partie des marais qui, après le dessèchement, restera à tout entrepreneur, considéré dès lors comme vrai propriétaire; mais, pour les parties de terrain que les conditions de l’adjudication du dessèchement porteront dans le domaine public, la durée des franchises territoriales sera subordonnée aux localités et aux conventions de la vente arrêtées entre les départements et les acquéreurs. Art. 11. Dans le cas où les propriétaires riverains des marais qu’on desséchera éléveront quelques difficultés pour le cours des eaux, ou pour des dédommagements, il en sera référé à l’assemblée du département, qui, d’après le rapport des personnes qu’elle commettra à la vérification des faits, et d’après l’avis du district et des municipalités des lieux, prononcera, par voie de conciliation, sur les indemnités demandées, et sur toutes les réclama-