293 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 janvier 1791.] déposition à sa décharge ; mais il meurt pendant le procès, donc il ne peut plus être produit ; les deux autres témoins le sont et deviennent d’autant plus préjudiciables à l’accusé qu’il n’a plus le témoignage du troisième à leur opposer. Un tel procédé va directement contre nos vues, puisqu’il peut priver l’innocence d’un de ses moyens de justification. Mon opinion sur cette importante matière est simple : je voudrais écrire sommairement devant les officiers de police les dépositions des témoins et non pas, comme le comité, les assujettir aux formes ordinaires pour se dispenser de les entendre devant le juré d’accusation; faire entendre les témoins devant le juré d’accusation et faire rédiger par écrit les dépositions, au lieu de le faire, comme le veut le comité, devant le directeur du juré auquel il attribue la rédaction des dépositions écrites; donner à l’accusateur public, à l’accusé et à son conseil la faculté de faire dans le procès-verbal, après les débats, écrire les faits, les aveux, les délits propres à justifier l’accusé ou à concourir à sa conviction. En conséquence, je propose les trois articles suivants : « Art. 1er. L’officier de police rédigera ou fera rédiger par écrit les déclarations des témoins. Cette rédaction sera faite sommairement, et n’exigera d’autres formalités que la signature du témoin à chaque feuillet, ou sa déclaration qu’il ne sait pas signer. « Art. 2. Les témoins seronl entendus devant le juré d’accusation, et les dépositions seront écrites par le greffier du tribunal de district, sous la rédaction du directeur de juré. « Art. 3. Ce qui sera dit entre les témoins et l’accusé ne sera point écrit; mais l’accusateur public et l’accusé et son conseil auront la faculté de demander qu’il soit fait, dans le procès-verbal, mention sommaire des faits, des aveux et des dénis qu’ils croiront propres à établir l’innocence de l’accusé ou sa conviction. » M. Pétion (ci-devant de Villeneuve). Il est temps de fixer votre opinion sur la grande question qui vous occupe. Le cercle de nos idées sur chaque matière est circonscrit, et lorsqu’une fois on le parcourt dans tous les sens, l’esprit se fatigue et l’attention s’épuise ; et, au lieu d’avancer, il semble qu’on rétrograde. L’état de la question a d’abord été posé dans des termes simples : « Les dépositions des témoins seront-elles écrites, oui ou non? » On n’a pas tardé à s'apercevoir que l’un et l’autre parti entraînaient des inconvénients. Tel est le sort des institutions humaines : le bien est à côté du mal, aucune n’est parfaite, et celle-là est la meilleure, qui a plus d’avantages que d’inconvénients. C’est là une grande vérité qu’il ne faut jamais perdre de vue dans cette discussion. II me semble que ceux qui combattent le système des dépositions non écrites ne sont frappés que des dangers et n’examinent pas assez qu’ils sont balancés par les avantages. Il me semble aussi que ceux qui adoptent le système des dépositions non écrites se laissent éblouir par les avantages et ne considèrent pas assez les dangers. Dans le ehoc des opinions, dans cette fluctuation d’idées, que de vait-iL arriver? Ce que nous voyons, un mélange des deux systèmes, une composition avec les principes. Il est d’autant plus à craindre que cet assemblage informe ne séduise les esprits et ne trouve des partisans, qu’il ne choque pas trop les anciennes idées et s’accommode avec la timidité et la faiblesse. M. Tronchet a été le premier à proposer cette transaction entre la vérité et l’erreur; il a demandé que l’instruction devant le juré du jugement se fît en présence des juges; qu’elle fût écrite pour être remise aux jurés et y avoir tel égard que de raison. M. Thouret a combattu cette opinion avec beaucoup de logique et de force; mais s’écartant de la ligne droite tracée par le comité, il a conclu à ce que les dépositions des témoins fussent reçues par écrit, soit devant l’officier de police s’ils y étaient appelés; soit devant le juré d’accusation, s’ils y étaient traduits ; soit entin devant le juge du tribunal criminel, s’ils ne paraissaient qu’à cette époque à l’instruction, exceptant toutefois le débat, fait en présence du juré, de la formalité de l’écriture. M. Tronchet et M. Thouret se réunissent sur un point fondamental : ils veulent l’un et l’autre que le juré ne prononce que d’après la conviction intime, que d’après le cri impérieux de sa conscience, qui le garde mieux dans la route de la vérité que toutes les combinaisons métaphysiques et les efforts de l’esprit. Ils sentent que le maintien, le regard, le geste, toutes ces expressions vivantes de l’âme, ne peuvent s’écrire, et ne doivent pas néanmoins être perdues. Ils conviennent que la preuve n’existe que dans l’assentiment, que la conscience est essentiellement libre, qu’elle ne peut être commandée ni par le nombre des témoins, ni par leur unanimité apparente, qu’il ne dépend pas même de l’homme d’éprouver ou de ne pas éprouver une répugnance à croire certains faits qui paraissent d’ailleurs établis d’après les probabilités humaines. La conviction personnelle, de quelques éléments qu’elle se compose, est la seule, l’unique règle à laquelle puissent obéir les jurés. Si des témoignages, quels qu’ils soient, peuvent les forcer à croire ou à ne pas croire, il n’y a pas de jurés. Faites une instruction publique, et remet tez-ia à des juges. M. Tronchet, tout en admettant la conviction morale, vent néanmoins y joindre l’écriture de3 dépositions et des débats ; il prétend que l’écriture n’affaibiira pas cette conviction, mais qu’elle l’éclairera, qu’elle la rectifiera, qu’elle en préviendra les inconvénients : il est tellement persuadé lui-même que la conviction morale est la base du jugement par jurés, qu’il ne veut pas, dit-il, que les jurés se trouvent gênés par l’instruction écrite ; il leur laisse la liberté apparente d’v avoir tel égard que leur dictera leur prudence. Précaution illusoire! c’est là le nœud de la question; c’est là où viennent se réunir toutes les difficultés; c’est là où votre attention doit se porter tout entière. Si l’écriture ne détruit pas la conviction morale, si elle peut sympathiser avec elle, il ne s’agit plus que de chercher la meilleure manière de l’employer; mais si au contraire l’écriture détruit cette conviction, il est impossible de l’admettre, puisque la conviction étant le vrai point d’appui de l’établissement, l’édifice s’écroule, si on la retire. Il ne s’agit même pas de savoir s’il existe ou non des inconvénients à ne pas écrire, puisque ces inconvénients sont tels qu’on ne peut tenter d’y toucher sans anéantir l’institution même. On se réduit alors à des termes rigoureux : voulez-vous cette excellente institution avec les défauts qui y sont inhérents, ou aimez-vous mieux la rejeter ? — En bonne logique, on pourrait donc se passer d’examiner ces inconvénients, lors-