84 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE qu’accompagné de plusieurs personnes qui l’auraient entendu de même ? Ce Giraud est un aristocrate très prononcé, qui a adhéré aux actes liberticides de Nantes, et qu’on a accusé d’être attaché aux prêtres fanatiques. Il ne mérite donc aucune confiance. Troisième liasse. Première pièce. (Lettre de la Société populaire de Tours à celle de Nantes, du 16 vendémiaire an 3. Pour copie conforme : signé Leroux, président, Goubeau, Ceroust, Crouzet, secrétaires.) « La Société populaire de Tours, instruite par l’indignation publique des actes de férocité commis sur des femmes enceintes, des enfants, des magistrats du peuple, invite la Société de Nantes à lui faire connaître la vérité ; elle lui demande des éclaircissements prompts et fidèles sur la conduite de Carrier, Hentz et Francastel, enfin de tous les représentants du peuple qui ont exercé dans la commune de Nantes le droit sacré de la Convention nationale. » CARRIER: Vous voyez par cette déclaration qu’une conjuration est formée contre tous les représentants qui ont été envoyés dans la Vendée. Vous voyez qu’on demande déjà des renseignements sur Hentz et Francastel; on a déjà cherché à les impliquer dans une procédure du Tribunal révolutionnaire ; bientôt on rappellera tous ceux qui ont fait la guerre de la Vendée ; on attaquera successivement tous les représentants du peuple. Vous verrez un jour si ma prédiction est vraie. Remarquez que c’est à Tours, dans la Société populaire, que s’ourdit cette conspiration. Un jour vous saurez la vérité sur la guerre de la Vendée. On a eu l’impudeur d’écrire à la Convention qu’à l’affaire de Villiers nous n’avions perdu que six cents hommes, et trente mille républicains ont été massacrés sur le champ de bataille. MENUAU : C’est faux. (On murmure.) CLAUZEL : Il ne convient pas que la Convention reste sous l’opprobre dont l’accusé veut la couvrir. CARRIER : Je ne la calomnie pas, je cite les faits. À l’affaire de Coron, trois mille brigands ont mis en déroute cent mille soldats qui portaient les armes pour la République. (Il s’élève de violents murmures.) Laissez-moi venir à ma conclusion. C’est parce que j’ai contribué le plus à éteindre la guerre de la Vendée, qu’on veut me perdre. Première liasse. Douzième pièce. (Douze personnes étaient au souper, au nombre desquel\le]s étaient Guesdon, directeur de l’hôpital, Har-douin, Jeannet, Lucas, Ducos, tous officiers de santé du même hôpital, leurs épouses; Hector, général de brigade. C’est ce qu’apprend une dénonciation signée Chéreau, chirurgien aide-major et chirurgien en chef de l’armée des Côtes-de-La-Rochelle, et envoyée au comité de Sûreté générale de la Convention nationale. Copie conforme, signée Merlin (de Thionville), Legendre, Reverchon, et renvoyée à Laignelot, représentant du peuple, le 20 vendémiaire, l’an 3.) « En soupant chez Guesdon, directeur de l’hôpital militaire d’Ancenis, Carrier dit qu’il y avait à Nantes un grand nombre d’aristocrates. «Vous avez vu comme je les ai menés ; j’en ai fait fusiller et noyer une grande partie, mais pas tous ; il en reste encore beaucoup. J’en aurais fait autant à Rennes si j’y étais demeuré plus longtemps. Vous avez vu passer, ajouta t-il, les cent trente [deux] Nantais que j’envoyais à Paris; ils n’étaient pas destinés à y arriver ; j’avais écrit à Francastel, qui était à Angers, de les faire noyer là ou aux Ponts-de-Cé; mais ce foutu coïon n’a pas osé. » CARRIER: Un seul particulier a fait cette déclaration. Il cite plusieurs personnes comme présentes au souper ; je ne les ai pas vues. Y a-t-il un seul Nantais, oui, un seul, qui ait été victime ? Ce témoin dit que j’en aurais fait autant à Rennes ; mais il y avait dans cette ville assez de conspirateurs pour les traduire au Tribunal révolutionnaire. Eh bien, je n’y ai traduit personne ; j’ai seulement fait arrêter quelques individus. LE PRÉSIDENT : Carrier demande à se reposer un instant. DUBOIS-CRANCÉ : Je demande que la séance soit suspendue jusqu’à six heures, qu’en-suite la Convention termine cette affaire sans désemparer (63). Cette proposition est décrétée. La séance est suspendue. Il est quatre heures (64). À quatre heures, il [Carrier] demande de se reposer, et un membre demande que la Convention décrète qu’elle suspend la séance jusqu’à six [heures], et qu’elle décidera sans désemparer. Adopté (65). La séance reprend à six heures et un quart (66). Deuxième liasse. Deuxième pièce. (Dénonciation de Perotte Brevete, qui ne sait signer, renvoyée par le comité de surveillance de la Société populaire au comité de surveillance du district, le 21 vendémiaire, an 3. Signée Quentin, vice-président, Jacques-Gabriel Mercier, secrétaire par intérim. Pour copie conforme, au comité de surveillance révolutionnaire à Nantes, ce 12 vendémiaire, l’an 3. Signé, Durance, Lenoir, Jacques-Martin Carrail, président, Vaumon, Paillon, Pelet et Subtil.) « Michel Brevete, natif de Saint-Julien, était détenu à l’Entrepôt; sa sœur Perotte Brevete, tailleuse, demeurant à Nantes, aussi native de (63) Moniteur, XXII, 577-581. (64) Moniteur, XXII, 581. (65) P.-V., L, 32. (66) Moniteur, XXII, 581. SÉANCE DU 3 FRIMAIRE AN III (23 NOVEMBRE 1794) - N° 19 85 Saint-Julien, demanda au représentant du peuple quel serait le sort du détenu. Carrier demanda l’âge du détenu ; elle répondit trente-six ans. « S’il n’avait que dix-huit ans, je pourrais te le remettre, dit Carrier ; mais, il est bon à f... à l’eau, et bien d’autres à sa suite, et les trois quarts de Nantes. » Une seconde fois, Perotte Brevete se jeta à ses genoux, lui demanda une permission par écrit d’aller voir son frère dans la prison, pour savoir quel serait son sort. Carrier répondit que leur jugement était fait sitôt qu’ils arrivaient à Nantes, qu’ils étaient noyés sans formalités. Elle demanda à voir son jugement. Carrier dit que c’était lui qui rendait ces jugements, et ajouta que, si elle récidivait, il la ferait aussi jeter dans l’eau avec les autres; et la frappant avec le fourreau de son sabre, il [la] mit à la porte. Lorsqu’elle fut au bas de l’escalier, il la rappela et lui dit que, si elle voulait se laisser aller à sa passion, elle allait voir son frère. Elle s’y refusa, et lui dit de nouveau : « Donnez-moi un ordre par écrit pour aller voir mon frère ». Carrier dit qu’il ne donnait aucun ordre par écrit, et la renvoya au comité révolutionnaire, qui ne la satisfit point. Le lendemain, ayant appris que son frère avait été transféré dans le bâtiment où l’on faisait périr les prisonniers, désirant lui apporter un morceau de pain, elle en demanda la permission à Carrier, qui lui dit, en la menaçant, que son frère n’avait pas besoin de pain, qu’il avait assez d’eau à boire, et que, si elle répliquait, il lui ferait subir le même sort. La nuit suivante les prisonniers ont péri». CARRIER : Perotte Brevete est line hrigande ; tous les habitants de Saint-Julien, sa commune, ont porté les armes contre la République : ils y ont été engagés par les femmes qui combattaient avec eux, et qui exerçaient les plus grandes cruautés. Brevete est sœur d’un brigand qui a été pris les armes à la main, puisqu’elle dit elle-même qu’il était dans l’Entrepôt à Nantes, et que l’on n’y mettait que des brigands saisis les armes à la main. Quelle foi peut mériter une brigande contre le destructeur de la Vendée ? J’atteste tout ce que j’ai de plus sacré sur la terre que je ne l’ai jamais vue. Comment serait-elle entrée chez moi, puisque, pendant tout le temps que je suis resté à Nantes, j’ai donné l’ordre de ne laisser entrer chez moi aucune femme de la campagne? Si elle était rentrée chez moi, je l’aurais fait arrêter comme brigande ou comme l’espion des brigands. Je n’ai jamais de ma vie frappé aucune femme. Celle-ci à l’impudeur d’avancer que je suis descendu d’un second étage pour lui faire des propositions infâmes et crapuleuses. S’il est vrai que la rage et l’abrutissement se fussent emparés de moi à un tel point, l’aurais-je frappée? lui aurais-je tenu le langage brutal qu’elle me prête ? Que ceux qui me connaissent depuis mon enfance, que ceux qui m’ont fréquenté dans la Convention, que ceux qui m’ont suivi dans ma mission disent quelle est ma conduite, quels sentiments j’ai toujours eus. Qu’on interroge l’armée de l’Ouest et mes collègues qui y ont été avec moi ; ils attesteront que j’ai fait tous mes efforts, surtout à Montaigu et à Cholet, pour faire respecter le sexe. Et l’on pourrait croire que j’ai violé les règles de la pudeur! Savez-vous où cette déclaration atroce a été fabriquée ? C’est dans le prétendu comité de Tours, près de la Société populaire qui la première a provoqué celle de Nantes à vomir contre moi les plus atroces inculpations. Troisième liasse. Deuxième pièce. (Lettre de la Société populaire de Nantes en réponse à celle de Tours, ce 21 vendémiaire, l’an 3.) « Des femmes, des enfants égorgés, massacrés. Des magistrats en écharpe allant au-devant des colonnes répubhcaines, fiisillés; des milliers de détenus, des révoltés qui se rendaient, fusillés ou noyés sans jugement. Des agriculteurs travaillant à la terre, massacrés sur les champs, un grand nombre de patriotes sacrifiés et détruits. Voila le fruit de l’insouciance, de la malveillance de plusieurs représentants du peuple qui ont vu toutes ces atrocités sans rien dire ; d’autres y ont participé. » CARRIER: Vous voyez que cette déclaration ne s’applique pas à moi, mais à tous les représentants du peuple qui ont été dans la Vendée. Deuxième liasse. Troisième pièce. (Déclaration de Vailli, canonnier, signé par lui à l’original, et dont la copie conforme, signée le 24 vendémiaire, l’an 3, par le comité révolutionnaire de Nantes, est jointe aux pièces.) « Dans le courant de brumaire, l’an 2, un canot portant huit personnes, et suivi d’un gabareau chargé de quatre-vingt-dix prêtres, se présente à minuit et demi vers le ponton de la Samaritaine, en station devant la Sécherie, pour aller à bord. Le factionnaire refusait le passage si on n’exhibait pas des ordres supérieurs ; Fouquet et Lamberty, qui commandaient, présentèrent des pouvoirs signés de Carrier, et conçus à peu près en ces termes : « Permis aux citoyens Fouquet et Lamberty de passer partout où besoin sera, avec un gabareau chargé de brigands, sans que personne puisse les interrompre ni les troubler dans ce transport. » Le factionnaire les laissa passer sous la batterie du ponton. Un quart d’heure après, il entendit les cris et reconnut les voix de ceux qui étaient dans le gabareau, et qu’on faisait périr de la manière la plus féroce. Environ un mois après, le même factionnaire étant sur le même ponton, entre onze heures et minuit, deux autres gabares chargées d’hommes s’arrêtèrent à la Prairie-au-Duc ; le factionnaire et ses camarades ont vu plus de huit cents personnes des deux sexes, dépouillées inhumainement, noyées, coupées par morceaux et fusillées. Leurs habits, leurs bijoux furent vendus le lendemain au plus offrant par ceux mêmes qui avaient été leurs bourreaux. Il y eut une troisième noyade dont on ne dit ni l’époque, ni le beu ; elle est racontée par le même factionnaire : les victimes cette fois furent attachées deux à deux. Il y eu une quatrième noyade qui a été dirigée comme les trois autres, vue et racontée par la 86 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE même personne, qui estime qu’il a péri ainsi plus de deux mille individus. Les mêmes hommes ont dirigé les quatre expéditions ; ils n’ont montré leur pouvoirs que la première fois. » CARRIER : Ce que vous venez d’entendre sont des mesures auxquelles je n’ai point participé. Quant à l’énonciation de l’ordre que l’on m’attribue, elle contient deux faux matériels. De ma vie je n’ai connu Fouquet, de ma vie je ne lui ai donné aucun ordre. Le restant de la déposition ne me concerne pas, parce que je n’ai jamais pu participer à de pareilles horreurs. Première liasse. Première pièce. (Déclaration de Vaugeois, accusateur près la commission militaire du deuxième arrondissement et Dumont, président au tribunal coriminel milaire du même arrondissement, faite au Tribunal révolutionnaire, le 23 vendémiaire.) « Lamberty et Fouquet se disposaient un jour à faire enlever plusieurs femmes, dont quinze enceintes, de la prison de l’Entrepôt, ainsi que des enfants de huit ans et au-dessus; l’accusateur public et un des membres de la commission militaire s’opposaient à cet enlèvement, au nom de l’autorité dont ils étaient investis, et leur demanda leurs pouvoirs : Lamberty, après quelques difficultés, et lui avoir dit qu’il avait fait bien d’autres expéditions semblables, lui donna copie d’un ordre signé Carrier. Le lendemain Carrier envoie chercher la commission; elle était à son poste. Le président se rend chez le représentant du peuple, qui, en le voyant, lui dit avec fureur: «C’est donc toi qui t’opposes à mes ordres ! Puisque tu veux juger, juge donc; et si l’Entrepôt n’est pas vidé dans deux heures je te fais fusiller. » Le président se retira, et se rendit à l’Entrepôt. Lamberty et Fouquet furent arrêtés par le comité et traduits devant la commission militaire : Lamberty exhiba le même ordre que dessus, signé Carrier, dont voici la teneur : «Au nom de la République, etc. Carrier, représentant du peuple près l’armée de l’Ouest, invite et requiert le nombre de citoyens que Guillaume Lamberty voudra choisir à obéir à tous les ordres qu’il leur donnera pour une expédition que nous lui avons confiée; requiert le commandant des postes de Nantes de laisser sortir, soit de nuit, soit de jour, ledit Lamberty et les citoyens qu’il conduira avec lui; défend à qui que ce soit de mettre les moindres entraves aux opérations que pourront nécessiter leurs expéditions. » La pièce originale est annexée au procès de Fouquet et Lamberty, qui ont déclaré, lors de leur jugement, n’avoir eu d’autre ordre de Carrier, par écrit, que celui-là. Lamberty déclara que c’était en vertu de cet ordre qu’il avait noyé les prêtres et plusieurs hommes, femmes et enfants, en différentes fois. » CARRIER: Le déclarant ne parle que d’un arrêté donné à Lamberty. Je ne vois pas la pièce originale; la copie peut être tronquée, inexacte. La Convention l’a si bien senti, qu’elle a décrété hier que les pièces originales seraient apportées. Je me souviens d’avoir donné un ordre à Lamberty, mais il n’avait d’autre but que de surveiller les brigands, de s’assurer de Charette ou de le détruire. Si cet arrêté avait été donné pour faire noyer des brigands, il n’aurait pas contenu l’ordre de laisser passer hors du port, puisque le port est dans la ville. On reproche à Lamberty d’avoir, en vertu de cet arrêté, noyé des prêtres réfractaires qui devaient être déportés à Guemesey ; mais la lettre qui l’annonce est du 27 brumaire, et mon arrêté est du 17 frimaire, c’est-à-dire un mois après. Si Lamberty avait abusé de ses pouvoirs, pourrait-on m’en faire un crime? Pourquoi le déclarant ne m’a-t-il pas dénoncé ces excès? Il est venu plusieurs fois chez moi avec ses camarades, et il ne m’en a jamais parlé. Quant aux propos du président de la commission, je déclare, et j’en aurai la preuve, que ce président n’entra pas chez moi, qu’il ouvrit la porte de mon appartement, et se tint derrière. Je lui demandai pourquoi il n’entrait pas ; il me répondit qu’il était attaqué de la contagion, et qu’il craignait de me la communiquer. Je l’invitai à dire à ses collègues de ne plus pénétrer dans les prisons pour juger les brigands, mais de les faire venir dans un endroit convenable, et de les juger le plus tôt possible. Ce président est mort trois jours après, car on périssait tout de suite de cette maladie, ou bien l’on en guérissait dès le lendemain du jour qu’on l’avait gagnée. Vingtième liasse. Première pièce. (Lettre de l’accusateur public près le Tribunal révolutionnaire au comité de Sûreté générale, le 25 vendémiaire, l’an 3, signée Leblois, contenant la déposition de deux témoins, dont l’un a vu et l’autre ouï dire; elle contient aussi la déclaration de quelques accusés.) «Les membres du comité révolutionnaire, aujourd’hui accusés, avouent qu’ils ont pris part à ces exécutions, mais ils disent avoir reçu les ordres verbaux de Carrier. Il n’en donnait d’écrits que pour la déportation ou la translation de ces victimes ; il les faisait ensuite périr par les ordres particuliers donnés au comité, et notamment à Goullin. C’est par ses ordres que Lamberty et Fouquet ont fait plusieurs mariages républicains ; ils appelaient ainsi l’action de mettre nus un jeune garçon et une jeune fille, de les attacher ensemble, des les jeter à l’eau ». CARRIER: Vous voyez que le comité, ayant donné plusieurs arrêtés, a imaginé, pour se tirer d’embarras, de reverser sur moi toutes les inculpations. On prétend que j’ai donné des ordres particuliers à Goullin ; mais où sont-ils ? On ne prend pas de mesures aussi violentes sans un ordre émané du représentant du peuple ; or je défie que le comité fasse voir le moindre arrêté de moi qui les ait autorisées. On parle d’un fait atroce qui n’est pas constant au procès; mais, en le supposant vrai, il faudrait que je l’eusse ordonné pour m’en faire un crime. Or il n’y a pas un seul ordre de ma part. Je le demande à SÉANCE DU 3 FRIMAIRE AN III (23 NOVEMBRE 1794) - N° 19 87 mes collègues Milhaud, Bo, Mirande, qui me connaissent dès l’enfance ; je le demande à ceux qui m’ont fréquenté, à ceux qui m’ont vu arriver dans le sein de la Convention ; je les adjure tous, au nom de l’honneur qu’on veut me ravir, de dire s’ils me croient capable de commettre de pareilles horreurs de sang-froid ; je les adjure de dire s’ils ont jamais rien vu en moi qui approchât d’une pareille férocité. Vingtième liasse. Deuxième pièce. (Précis des débats concernant le procès du comité révolutionnaire de Nantes, le 27 vendémiaire, signé Leblois; déclaration de Goullin, prévenu. Troisième témoin.) « Chaux, l’un des prévenus, traduit au Tribunal révolutionnaire, déclare que Carrier a tiré le sabre sur lui, lorsqu’il réclamait la liberté de plusieurs enfants. Le 25 frimaire, il a fait noyer sans jugement cent vingt scélérats. À l’instant du supplice, Lamberty et Fouquet ont déclaré que Carrier leur avait donné l’ordre verbal de noyer les prêtres. Il a menacé de la guillotine une députation de la commission militaire pour lui demander s’il avait signé l’ordre dont l’original existe ; il l’a nié. Carrier soupant chez le septième témoin, celui-ci lui reprocha de toujours noyer; Carrier dit : « Tu en verras bien d’autres ; nous avons des femmes à sansculottiser, c’est-à-dire noyer. Une femme était à une fenêtre sur la place sur laquelle Carrier passait; on assure qu’il donna ordre de tirer sur elle. Le président de la commission militaire le consultait sur une compétence; Carrier répondit: «La guillotine, toujours la guillotine». On assure qu’il a fait noyer trois belles femmes dont il avait joui. » CARRIER : C’est un prévenu qui a fait cette déclaration contre moi. Je demande à mon collègue Bourbotte s’il n’est pas vrai que nous avons pris ensemble un arrêté pour sauver les enfants de la peine qui était portée contre les brigands. BOURBOTTE : Le fait est vrai. Je n’ai jamais signé qu’un acte avec Carrier, et c’est celui-là qui avait pour objet de soustraire au supplice les jeunes gens au-dessous de seize ans. TREILHARD : Je demande à Bourbotte pourquoi cet arrêté a été pris ? si ce n’est pas lorsqu’on eut connaissance qu’on avait noyé des enfants ? car il existe un décret qui portait les mêmes dispositions. ***: Cet arrêté a été pris lorsqu’il n’y avait plus personne à noyer. BOURBOTTE : Je connaissais le décret dont parle Treilhard ; mais il ne déterminait pas l’âge auquel les jeunes gens devaient être soustraits au supplice. En passant à Nantes pour me rendre à Noirmoutier, je vis Carrier qui me dit que les prisons de Nantes renfermaient un grand nombre de brigands faits prisonniers après l’affaire de Savenay, parmi lesquels il y avait beaucoup d’enfants. Nous arrêtâmes que ceux au-dessous de seize ans ne seraient pas traduits devant la commission. Voila le motif que m’a présenté Carrier ; je n’en connais pas d’autres. CARRIER : Voila comme la calomnie se mêle dans cette affaire. Vous avez mené Marat au Tribunal révolutionnaire, et vous voulez m’y mener. Vous voyez, d’après ce que vient de nous dire Bourbotte, que ce n’est point, comme la rage de la calomnie vient de le vomir, parce qu’il n’y avait plus d’enfants à noyer que cet arrêté a été pris, car j’en avais déjà fait une distribution aux citoyens de Nantes. J’en avais donné un qui avait dix-huit ans passés à un marinier ; j’en donnai trois au citoyen Boussain, directeur de l’hôpital de Nantes. Voici cet arrêté. {Il le lit.) Comme le décret ne fixait pas l’âge, je n’osai pas prendre de détermination à moi tout seul: car vous savez sous quel despotisme nous vivions. J’avais donné à trois communes, près d’Indret, des garanties pour empêcher qu’on n’attentât à ces communes, et je leur avais recommandé de ne les montrer qu’à nos braves défenseurs s’ils se présentaient; car, si elles avaient été vues de quelques agent exécutif, j’aurais été sur-le-champ traîné à l’échafaud comme complice des brigands. Vous savez que nos collègues Bourdon et Goupilleau ont été pendant très longtemps sous la hache de la loi, pour avoir usé d’indulgence.... Plusieurs voix : Dis donc des assassins ! BOURDON (de l’Oise) : Je dois dire que . si quelques membres du gouvernement ont blâmé nos mesures, et ont voulu nous mettre sous le couteau, il en est d’autres aussi qui ont versé des larmes de joie au récit que nous leur fîmes des victoires que nous avions remportées en suivant l’indulgence. CARRIER: Je ne devais connaître que les décrets et les proclamations de la Convention nationale ; je devais les diriger et non les suspendre. Le témoin qui dépose ces faits est Phehppes-Tronjolly, cet homme qui le premier a provoqué les inculpations horribles qui ont été faites contre moi; et vous allez voir comment il m’a écrit depuis mon départ de Nantes. Mon collègue Bo a vu les lettres, et les originaux en sont déposés au Tribunal révolutionnaire. On lit ces lettres. Dans la première, datée de Nantes, le 15 germinal, Phelippes dit à Carrier : «Parmi les collègues que tu m’as donnés, il y en a deux qui ne sympathisent pas avec moi, et qui t’ont prévenu contre moi. Je viens d’apprendre qu’après une maladie longue tu as nommé à ma place. Je ne suis pas affligé d’avoir perdu ma présidence, mais je ne me consolerai pas d’avoir perdu la confiance d’un représentant tel que toi. Tu étais mal entouré à Nantes; redoute Goullin et les impressions qu’il pourrait te donner. Il fait le 88 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE patriote depuis deux ans, et escorté par Grand-maison, qui a obtenu des lettres de grâce pour un meurtre, il a commis sans doute à ton insu des actes arbitraires. Ils ont fait lier et garrotter les prisonniers dans les prisons, et n’ont pas rapporté les actes de ceux qu’ils ont mené noyer. Personne ne te rend plus justice que moi, qui suis patriote et républicain. » CARRIER : Avant la lecture de la seconde lettre, remarquez, citoyens, que j’étais parti de Nantes, le 28 ventôse, et que, le 15 germinal, cet homme, qui vomit les plus grandes horreurs contre moi, m’écrit une lettre dans laquelle il me dit: «On a sans doute à ton insu commis des meurtres dans les prisons ; » ensuite : « Personne ne te rend plus de justice que moi. » Et auparavant il dit: «Je ne me consolerais pas d’avoir perdu la confiance d’un représentant tel que toi. » Cette lettre, que je ne sollicitais pas, atteste que tout a été fait à mon insu au comité. Il a écrit à plusieurs de mes collègues, et jamais il ne leur a parlé de moi ; il y a une contradiction manifeste entre sa déclaration et sa conduite. On lit la seconde lettre ; elle est datée du 3 prairial. «Les particuliers que j’accuse par mon acte du 23 du mois dernier, dit Phelippes, répandent le bruit que c’est vers toi que j’ai voulu diriger mon accusation ; c’est une calomnie, je n’en ai jamais eu l’intention. Tu es trop bon républicain pour avoir trempé dans les délits que mon devoir m’oblige de dénoncer à la justice. Rends-moi justice ; des méchants t’ont trompé sur mon compte en te disant que j’étais attaqué d’une maladie mortelle. J’ai obéi au sursis qu’on a mis à ma poursuite ; je n’agirai que dans le cas où il me parviendra des ordres. » CARRIER : Vous voyez que ce Phelippes, qui a répandu les libelles les plus atroces contre moi, qui a concerté ses calomnies avec la coalition de Nantes, me dit que je suis trop bon républicain pour avoir trempé dans ces délits, et qu’il n’a jamais pensé à m’accuser. Je vous demande si cet homme, qui a été traduit au Tribunal révolutionnaire pour cause de fédéralisme, mérite la moindre confiance. Ce ne fut qu’à la fin de thermidor, au moment où il fut amené à Paris avec les quatre-vingt-quatorze Nantais, qu’il a lancé un libelle contre moi. Il est visible que ce sont ces quatre-vingt-quatorze Nantais, liés à la conjuration qui me poursuit, qui ont engagé Phelippes à me susciter un procès infâme. Deuxième envoi. Neuvième pièce. (Déclaration de Pierre Robert, batelier, faite à l’invitation du comité de surveillance de Nantes, et consignée au registre des déclarations, le 1er brumaire, an 3; le déclarant a dit ne savoir signer. Pour copie conforme, 4 brumaire, an 3. Signé les membres du comité.) «Pierre Robert, bateher, domicibé à Nantes, déclare avoir été forcé de conduire son bateau pour l’exécution de quatre noyades qui ont eu lieu l’hiver dernier, dans l’espace d’environ cinq semaines. Un nommé Affilé le somma, au nom du représentant du peuple Carrier, de tenir sa gabarre pontée vis-à-vis la calle Chorand. La première noyade eut lieu sur cinquante-huit personnes attachées deux à deux. Huit jours après, huit cents personnes, de tout âge, de tout sexe, furent conduites et noyées vis-à-vis Chantenay. La troisième noyade eut lieu huit jours après sur quatre cents individus, liés deux à deux, les mains derrière le dos, aussi vis-à-vis Chantenay. Dix jours après, il y eut une quatrième noyade sur environ trois cents individus des deux sexes, de tout âge, qui furent conduits vis-à-vis Chantenay. Les mariniers employés à ces quatre expéditions étaient sans cesse menacés, battus par les commandants pour aller plus vite ; ils n’ont été payés que pour la première expédition. » CARRIER : Je déclare à la Convention nationale que jamais je n’ai connu ce nommé Affilé. Sans doute on se sera servi de mon nom ; mais je défie qu’on représente un ordre de ma main. D’après le procès qui s’instruit maintenant au Tribunal révolutionnaire, il est constant que le comité de Nantes a payé à cet homme deux ou trois gabarres. Cinquième liasse. Première pièce. (Lettre de Lebeaupin. Nantes, le 22 vendémiaire, l’an 3. Pour copie conforme, Leroux, président de la Société; Goubeau, Lecomte, secrétaires.) « Carrier n’est jamais sorti de Nantes ; il n’a jamais eu le courage de paraître à la tête des armées. Il passait ses nuits à Nantes dans des orgies horribles, dont grande partie sur les bâtiments où les victimes qui avaient mérité leurs regards étaient précipitées, de leurs bras, au fond de la Loire. » CARRIER : Dans une première déposition de cet homme, mon collègue Bo vous a prouvé qu’il existait trois faux matériels. Je demande à mes collègues, qui ont été avec moi à l’armée, si je n’ai pas toujours été avec eux à la tête des colonnes. Je n’ai jamais passé une seule nuit hors de chez moi, et très souvent j’y travaillais avec les généraux et les officiers de l’état-major. Vingt-et-unième liasse. Première pièce. (Dénonciation de Pierre Sourisseau, Nantes, 26 vendémiaire, an 3. Pour copie conforme, Nantes, le 29 vendémiaire, signé, les membres du comité de surveillance.) « Plusieurs repas ont été donnés sur la galiote qui a servi à l’expédition des prêtres. Carrier y est venu manger deux ou trois fois. » CARRIER: Je ne connais pas ce Sourisseau; mais il est bon que vous sachiez que dans Nantes tout ce qui vit ou lutte contre l’indigence est à l’encan de qui veut l’acheter. Or je demande quelle confiance la Convention peut avoir dans la déposition de cet homme. Première liasse. Neuvième pièce. (Lettre signée Orieux, sans date, timbrée de Nantes, à l’accusa- SÉANCE DU 3 FRIMAIRE AN III (23 NOVEMBRE 1794) - N° 19 89 teur public du Tribunal révolutionnaire de Paris.) « Il passait son temps en orgies avec ses satellites, marquait les victimes avec Forget, le comité révolutionnaire, Gerardot et Renard. Il a forcé par la terreur Ducros à lui donner sa maison, dont il faisait un sérail. » CARRIER : C’est encore Orieux qui fait cette déclaration. Je vous ai démontré hier que ses dépositions contenaient plusieurs faux matériels; son témoignage ne peut donc pas être reçu aujourd’hui. Je n’ai vu Forget qu’une seule fois ; il jouissait d’une réputation de patriote ; je ne connais point Gerardot. Quant à Renard, c’est le maire de Nantes ; or je vous demande s’il est croyable que j’aie fait des orgies avec le maire de Nantes ? Ducros m’a cédé, non pas sa maison, mais un petit réduit dans le fond de son jardin ; j’étais malade, et je fus m’y reposer pendant quelques temps. La Société populaire vint m’y voir plusieurs fois, mon collègue Lequinio aussi; j’invoque son témoignage, et je le prie de déclarer s’il ne m’a point trouvé seul et au lit. Lequinio demande la parole. BOURDON (de l’Oise) : L’exécution du décret ! Président, maintenez la parole à Carrier, et souvenez-vous de la confession générale de Lequinio. Lequinio insiste pour avoir la parole. L’Assemblée passe à l’ordre du jour. Deuxième envoi. (Extrait des registres des déclarations faites au comité de surveillance de Nantes, le 4 vendémiaire, an 3. Pour copie conforme, les membres du comité.) «Colas Fréteau, marinier, accompagné d’un citoyen, s’est présenté, en nivôse, chez le représentant du peuple Carrier, à Nantes, pour lui remettre une pétition signée de cinquante mariniers, tendant à lever l’embargo qui avait été mis sur tous les bateaux de la Loire. Carrier était avec deux femmes auprès du feu ; il lui répondit : « Je vais te dire quand l’embargo se lèvera. » Il saute sur son sabre, se précipite sur le pétitionnaire, et lui porte un coup qu’il n’évita qu’en fermant la porte promptement. » CARRIER : Ils me fatiguaient pour lever l’embargo, je leur disais qu’il m’était impossible de le faire, parce que les brigands s’approchaient de Nantes. Deuxième envoi. (Déclaration de Louise Cou-rand, lingère à Nantes, du 3 brumaire, Van 3. Extrait du registre des dénonciations, du comité de surveillance de Nantes. Pour copie conforme, les membres du comité.) « Il entretenait avec la femme de Le Normand, directeur de l’hôpital de Nantes, un commerce contraire aux bonnes mœurs et scandaleux. Journellement on venait solhciter auprès de cette femme les grâces qu’on voulait obtenir de Carrier. Elle faisait fabriquer habituellement de petits pains au lait avec la farine destinée aux besoins de l’hôpital, et les faisait porter clandestinement chez Carrier par un nommé Picot, lorsque Carrier ne mangeait pas chez elle. Carrier étant un jour chez la femme Le Normand, la déclarante, ennuyée de travailler, tant pour Carrier que pour d’autres personnes de la maison, vint demander qui la paierait. Sur le rapport qu’on en fit à Carrier, il répond : « La guillotine ». » CARRIER : Ceci doit vous démontrer jusqu’à quel point on porte contre moi le raffinement de la méchanceté. Le fait dont il s’agit est-il seulement croyable ? Non, citoyens, et vous-mêmes ne pouvez y ajouter foi, et je me refuse, moi, à y répondre. Deuxième liasse. Première pièce. (Dechartres déclare l’avoir entendu, et fait consigner sa déclaration dans les registres du comité de surveillance de la Société populaire de Tours, du 2 vendémiaire, an 3. Dechartres dit l’avoir vu.) « Des commis de bureau de l’état-major ont dit entre eux qu’il fallait aller dans telle rue, enlever telles ou telles femmes, et les mener chez Carrier qui les avait demandées pour se divertir. Il faisait noyer des femmes après en avoir joui. » CARRIER : On prétend que c’était le général Vimeux et son état-major qui prêtaient les mains à ces infâmes expéditions ; or, je prie mon collègue Bourbotte d’attester la conduite de ce général, et de déclarer s’il est possible d’ajouter foi à cette déposition. On dit que je faisais périr des femmes après en avoir joui. Qu’on en cite une, oui, une seule, et je cesse de vivre. Il n’y a pas d’horreurs comparables à celles qu’on m’impute ; si j’avais commis cette atrocité, j’en mourrais de douleur ; mais, citoyens, c’est ce Dechartres dont je vous ai parlé hier qui a fait cette déclaration; elle est aussi fausse que les précédentes. Troisième envoi. Seule pièce. (Lettre des commissaires de la commune de Nantes, Houdet et Roussel, au comité de sûreté générale de Nantes, le 6 brumaire, an 3. La réponse de Carrier fut entendue de plusieurs citoyens envoyés des départements pour réclamer des subsistances ; des membres de la commission eux-mêmes en ont été témoins. Signé, Houdet, commerçant, et J. Roussel, fabricant.) « Deux commissaires de la commune de Nantes étaient venus, en germinal, à Paris, pour solliciter des subsistances ; ils instruisirent Carrier de l’état de détresse où se trouvait Nantes ; Carrier y prit part, et offrit son appui auprès du comité de Salut public : les commissaires ne crurent pas devoir d’accepter. Le lendemain, ils rencontrèrent Carrier dans le vestibule de la commission du Commerce ; ils l’engagèrent à appuyer leur demande. Au lieu du langage consolant de la veille, il leur répondit : « Demander pour Nantes ! Je demanderais qu’on portât le fer et la famine dans cette ville abomi- 90 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE nable! Vous êtes tous des coquins, des contre-révolutionnaires, des brigands et des scélérats ; oui, je ferai nommer une commission par la Convention nationale ; j’irai moi-même à la tête ; je ferai sortir le peu de patriotes qu’il y a dans Nantes ; que dis-je ! il n’y en avait qu’un et vous l’avez fait guillotiner, scélérats ! Je ferai rouler les têtes dans Nantes, et je la régénérerai. » CARRIER : Citoyens, comment pourriez-vous ajouter foi à des propos aussi invraisemblables ? Je vous demande si de pareils discours peuvent sortir d’une tête tant soit peu organisée. Non, citoyens, il n’y a qu’un fou qui pût seul les avoir proférés; cette lettre est signée Houdet, et cet homme est un prêtre échappé de la Vendée. Il a fait à peu près ce qu’a fait l’évêque d’Agra. Cet évêque était d’abord curé de Dol; il avait prêté son serment, puis il l’a rétracté, et a rejoint les brigands de la Vendée; il en est de même de Houdet ; il a vécu longtemps avec eux, je puis le prouver. Quatrième envoi. (Lettre de Bignon, président de la commission militaire de Nantes, 25 ventôse, an 2.) « Lamberty et Fouquet avaient une mission de Carrier, représentant du peuple ; mission moitié écrite, moitié verbale, à ce qu’ils disent, pour faire des expéditions, tant de jour que de nuit. Cette mission consistait à couler bas un bateau chargé de prêtres condamnés à la déportation. Ils prenaient à l’Entrepôt des individus, et les noyaient sans aucun jugement. La commission s’opposa par écrit à cet enlèvement de prisonniers, sans ordre d’elle; ils s’en plaignirent à Carrier, qui envoya chercher la commission militaire, Gonchon s’y rendit seul. Carrier lui dit: «Te voila, j... f. de président qui t’opposes à mes ordres : eh bien ! juge donc dès que tu veux juger ! Si, dans deux heures, tous les prisonniers de l’Entrepôt ne sont pas jugés, je te fais fusiller. » Gonchon se rendit à l’Entrepôt avec un membre de la commission ; ils jugèrent les dix derniers brigands qui y étaient. Ils s’aperçurent avec étonnement que de huit hommes qu’ils avaient mis de côté, faute de preuves suffisantes pour les condamner, cinq avaient été jetés à l’eau ; six femmes grosses, condamnées à mort avec sursis, avaient subi le même sort. Sitôt le départ de Carrier, le comité révolutionnaire a fait arrêter ces deux noyeurs et les a traduits devant la commission. Dans leurs interrogatoires, ils ont dit qu’ils n’avaient rien fait que par les ordres verbaux de Carrier. La commission militaire envoya une députation au représentant du peuple, qui répondit qu’il n’avait jamais donné d’ordres à Fouquet, mais qu’il avait donné à Lamberty une mission par écrit, et non d’autres. » CARRIER : J’ai déjà répondu aux inculpations insérées dans cette déclaration. J’ai répondu à celle qui concerne la commission, et à celle qui regarde le président. Fouquet et Lamberty ont déclaré qu’ils n’avaient rien fait que par les ordres de Carrier. Voila toujours ce que diront ceux qui veulent se soustraire aux poursuites légitimes que l’on fait contre eux. Les membres du comité révolutionnaire de Nantes disent aussi qu’ils n’ont agi qu’en vertu d’ordres verbaux donnés par moi, comme si sur de simples paroles ils auraient commis les atrocités dont on les accuse. Je suis donc autorisé à demander que l’original de l’ordre que j’ai donné à Lamberty soit représenté, non pas pour traîner cette affaire en longueur, car je désire pour ma tranquillité qu’elle soit promptement terminée, mais pour fixer l’opinion des membres de la Convention. C’est à la Convention à juger si elle peut prononcer sans avoir sous les yeux les pièces originales. Cinquième envoi. (Extrait des registres d’audience du Tribunal révolutionnaire de Loire-Inférieure, séant à Nantes, du 27 frimaire, signé Rance, commissaire. Pour copie conforme, signé Phelippes. Trouvé dans les papiers de Robespierre.) « Les membres du tribunal criminel militaire ont fait, le 27 frimaire, au représentant du peuple Carrier des représentations conformes aux lois des 19 mars, 10 mai, 5 juillet derniers, sur l’ordre écrit de Carrier, d’exécuter sans jugement vingt-quatre brigands pris les armes à la main. Carrier avait donné verbalement de nouveaux ordres, le tribunal a fait consigner ses représentations sur son registre. » CARRIER: Il y a dans cette déclaration une exactitude bien frappante. Dans le rapport de la commission il est dit que les ordres ont été donnés au tribunal lui-même, et dans les pièces imprimées, il paraît que c’est le président qui les a reçus. Je déclare n’avoir donné aucun ordre au tribunal, mais bien au président: mais, comme l’arrêté dont il s’agit ne m’a point été représenté, j’ignore s’il est signé de moi et s’il est conforme à l’original (67). [Les chefs d’accusation sont épuisés. Carrier demande et obtient la parole pour lire un discours sur l’affaire qu’on lui intente. Il commence par dire qu’il a repoussé victorieusement toutes les inculpations, qu’il a fait connaître la vie, la conduite incivique et le moral des individus qui ont fabriqué dans l’ombre le système imaginé pour le perdre, qu’il en a fait sentir les contradictions palpables et les faux matériels qui y fourmillent. Il s’appuie sur le défaut d’authenticité des pièces, qui ne méritent aucune confiance, puisque ce ne sont que des copies collationnées. Il annonce que, si l’on admettait la preuve testimoniale, on perdrait les patriotes, parce que les aristocrates se présenteraient à tour de rôle pour se rendre accusateurs et témoins. Encore, si l’on pouvait l’admettre, faudrait-il entendre le témoignage de l’armée avec laquelle il a combattu, et tous les représentants du peuple avec lesquels il s’est trouvé. Il rappelle la situation de Nantes au moment où les premiers représentants du peuple y furent envoyés, les insultes et les outrages qu’ils y reçurent des (67) Moniteur, XXII, 581-586. Dernières justifications de Carrier. SÉANCE DU 3 FRIMAIRE AN III (23 NOVEMBRE 1794) - N° 19 91 habitants et du maire Baco. On y donnait comme une injure le nom de Marat à tous les patriotes, et l’aristocratie de Nantes n’en avait pu trouver qu’un seul auquel elle put donner ce titre, le citoyen Morel, excellent républicain, jugé au nombre des patriotes dans cette commune. Angers et Saumur avaient été pris et mis au pillage par les brigands; ils marchaient contre Nantes ; on en était instruit dans cette commune, et l’on ne prenait aucune précaution pour sa défense. Le général Canclaux déclara qu’il ferait sauter la ville si l’on n’y faisait pas la plus vigoureuse résistance. Il rappelle les quatre mille repas préparés la veille de l’attaque. Il déclare que, depuis son arrivée à Nantes et à l’armée de l’Ouest, les troupes de la Répubbque avaient constamment défait les hordes des brigands ; et qu’on avait pris à Charette son dernier canon. Comment donc, demande-t-il, la guerre de la Vendée, qui était terminée à son départ, s’est-elle renouvelée jusqu’au point de devenir inquiétante pour la République? Il en accuse l’incivisme des Nantais. Il faut, ajoute-t-il, avoir tout le courage d’un homme qui a fait son devoir pour soutenir toutes les humiliations dont on l’abreuve. On parle d’humanité, et il ne peut faire un pas sans rencontrer des figures anti-humaines, sans entendre des voix barbares demander son sang. Eh bien, s’écrie-t-il, qu’on vienne donc en boire jusqu’à la dernière goutte. Il se plaint d’avoir été insulté. (. Des murmures d’indignation l’interrompent.) ] (68) LE PRÉSIDENT : Je déclare que j’ai donné à l’officier de garde l’ordre le plus formel de faire respecter Carrier ; s’il a à se plaindre, qu’il parle. CARRIER : Je ne me plains pas du président, ni de l’officier de garde, ni des gendarmes ; mais je me plains d’avoir été mal écouté, interrompu.... (De nouveaux murmures se font entendre. Plusieurs voix : C’est faux!) Je ne me plains point de la Convention ; mais il y a eu des murmures ; et lorsqu’un accusé parle, on ne doit pas perdre une seule de ses paroles. [Il revient à sa défense. Il annonce que, le lendemain de son arrivée à Nantes, ses collègues Hentz et Prieur (de la Côte-d’Or) vinrent le trouver et l’engager à se mettre à la tête de l’armée de l’Ouest pour finir la guerre de la Vendée. Il arriva à Nantes, le 8 octobre. Dès le 5 le comité révolutionnaire de Nantes avait des exécuteurs à ses ordres. C’est le 10 du même mois qu’il partit, d’après les ordres du comité de Salut public, pour se rendre à l’armée. Il n’en revint à Nantes que plus d’un mois après. Il accuse le comité révolutionnaire d’avoir, à son insu et sans sa participation, pris toutes les mesures extraordinaires qu’on lui reproche, et surtout d’avoir donné l’ordre du 15 frimaire, pour faire fusiller les brigands. Une nouvelle preuve qu’il donne de n’avoir point trempé dans ces horreurs, c’est que Phelip-pes-Tronjolly ne dirigea ses accusations que contre le comité révolutionnaire de Nantes. Il (68) Moniteur, XXII, 586. interpelle ses collègues Bourbotte et Bo de déclarer s’ils ont entendu la moindre plainte contre lui de la part des Nantais.] BO : On a invité tous les citoyens de Nantes à porter à la commune leurs plaintes contre le comité révolutionnaire: aucun ne s’est permis ion seul mot contre Carrier. BOURBOTTE : Parmi les plaintes que j’ai entendu faire à Nantes des horreurs qui s’y étaient commises, jamais on ne m’a prononcé le nom de Carrier. Quelques voix : À quelle époque ? BOURBOTTE : Il y avait longtemps que Carrier était de retour dans le sein de la Convention, lorsque je fus envoyé à Nantes ; c’est le 21 floréal que je me rendis dans cette commune. CARRIER: Il est donc bien constant, d’après la déclaration de mes collègues, que Nantes n’avait aucun reproche à me faire. J’ai donc eu raison de vous dire que ce sont les pamphlets de tous les libellistes, et notamment de Fréron (Il s’élève quelques murmures), oui, de Fréron, parce que j’avais demandé son expulsion des Jacobins avec celle de Tallien ; ce sont ces pamphlets qui ont provoqué contre moi toutes les persécutions et les calomnies. Oui, c’est avec le journal infâme de Fréron qu’elles ont commencé. Voila ce que les bons esprits doivent avoir toujours présent. Est-ce moi d’ailleurs qui l’ai ordonnée cette expulsion ? Et, je le répète, la persécution que j’éprouve n’a commencé qu’à l’époque où il a vomi mille et mille horreurs contre moi, ainsi que contre tous les membres les plus estimables.... CAMBON : Contre toute la Convention. (Les murmures recommencent.) Cambon demande la parole; ses gestes annoncent qu’il est très animé: il paraît vouloir s’élancer de sa place; il est retenu par les membres qui l’environnent. Après quelques instants de tumulte, la parole est rendue à Carrier. CARRIER : Nulle puissance au monde ne peut ravir à mon âme l’expression de ce qu’elle sent : or, d’après la déclaration que vous venez d’entendre, il est constant que Nantes n’avait dirigé aucune plainte, aucun reproche contre moi. Je déclare à la Convention, au peuple français, à la postérité, que les persécutions que j’éprouve, je les dois, oui, je les dois au journal infâme de Fréron. Je ne suis rien qu’un chétif individu dans la République, amant passionné de la liberté, homme incorruptible ; j’interpelle tous ceux qui m’ont connu depuis que j’existe de dire s’il est possible d’élever le moindre nuage sur la pureté de mes intentions et sur ma probité. Eh bien, je déclare que ce sont les pamphlets infâmes de Fréron qui ont provoqué tous les contre-révolutionnaires de Nantes à se déchaîner contre moi. Il faut que la Convention se fasse rendre compte de ceux qui, au commencement de la 92 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE guerre de la Vendée, ont livré nos armées, notre artillerie, aux brigands, et qui ont fait massacrer deux cent mille républicains. BOURDON (de l’Oise) : C’est Danton et Robespierre. Cambon élève de nouveau la voix ; elle est étouffée par de violents murmures. LE PRÉSIDENT : La parole est à Carrier. CARRIER : Eh bien, puisque j’ai la parole, que les mères, les veuves, les parents, les orphelins, les amis des deux cent mille républicains qui ont péri dans la Vendée sachent que, tandis que les brigands les massacraient, les torturaient.... {Il se fait du bruit dans l’extrémité de la salle.) LE PRÉSIDENT: Citoyens, remplissez vos fonctions; vous vous injurierez quand vous ne serez plus dans l’Assemblée. CARRIER: Ceci tient au salut public... Plusieurs voix : Dis tout! {Quelques applaudissements.) CARRIER : Eh bien, que les mères, les veuves, les parents, les orphelins, les amis des deux cent mille républicains qui ont péri dans la Vendée sachent que, tandis que les brigands les torturaient, Tallien, qui avait la mission d’assister à cette guerre, Tallien était à Tours ; et Santerre fut s’y rallier après l’affaire de Vihiers, c’est-à-dire à trente lieues du champ de bataille. On eut l’impudeur de marquer à la Convention qui six cents républicains seulement avaient péri, tandis que trente mille avaient été massacrés. {L’Assemblée frémit d’impatience et d’indignation.) MENUAU : C’est faux ! Je demande la parole ; président, consulte l’Assemblée pour savoir si je l’aimai. Une voix : L’appel nominal ! Plusieurs membres : Non, non ! LE PRÉSIDENT : Carrier a la parole. CARRIER : Pour le fait que j’ai avancé sur l’affaire de Vihiers j’en appelle au témoignage de toute l’armée; il doit l’emporter sans doute sur tout autre témoignage. Quant à l’affaire de Coron, j’ai articulé ce matin plusieurs faits qui y sont relatifs. Voici comme elle s’est passée ..... {Il s’élève de nouveaux murmures.) DUBOIS-CRANCÉ : Carrier n’a plus rien à dire pour sa défense. Je demande l’appel nominal. LE PRÉSIDENT : Carrier observe qu’il va se renfermer dans les bornes de sa défense. TALLIEN : Je demande que Carrier ait toute latitude pour se disculper. CARRIER: Je vais continuer ma défense. Puisque les renseignements que je croyais devoir donner sur les commencements de la guerre de la Vendée ne sont pas entendus, je demande, au nom du salut public, que la Convention en examine les causes. Je le déclare, Tallien et Fréron me sont suspects; non pas parce qu’ils m’ont attaqué, mais parce que je crois qu’ils ne sont pas animés de l’amour de la patrie. J’invite le peuple à avoir les yeux ouverts sur leur conduite ; tant mieux s’ils ne travaillent que pour son bonheur. COREN-FUSTIER : Qu’il se renferme dans sa défense ! [Carrier reprend son discours ; il annonce que, quoi qu’on en ait dit, on a commis à Angers, à Saumur, à Laval, etc., les mêmes horreurs qu’à Nantes ; qu’il est bien éloigné de croire que ses collègues soient plus coupables des unes que lui des autres; mais il demande pourquoi on lui donne cette horrible initiative de la diffamation. Il déclare que c’est parce que leurs ennemis n’ont pas cru réussir en les attaquant en masse, mais un à un. «Ainsi, ajoute-t-il, la Convention fait son procès à elle-même». {Nouveaux mouvements d’horreur .)] LE COINTRE (de Versailles) : Tant mieux ! [Carrier dit que ce procès est celui du royalisme contre le patriotisme, du fanatisme contre la philosophie; il se compare à Calas, que cet esprit de fanatisme conduisit à l’échafaud. Il dit que l’orateur de Rome fit périr dans les prisons tous les complices de Catilina, sans forme de procès. Accusé, il se rend au Sénat, et pour toute justification ne profère que ces paroles «J’ai sauvé Rome et la République ». Il rappelle encore le trait du jeune Horace, dont la main tua sa sœur, parce qu’elle pleurait son amant qu’il venait d’immoler en combattant. Il demande si Rome tua Cicéron et Horace. Il passe ensuite à l’article de sa fortune ; il répète qu’il ne possède, avec sa femme, pour toute espèce de bien, qu’un capital de 10 000 liv.] Carrier demande quelques instants de repos ; ils lui sont accordés. Il reprend la parole, et termine ainsi : CARRIER : C’est à tort qu’on m’accuse d’avoir éternisé la guerre de la Vendée. Elle était terminée quand je revins au sein de la Convention nationale. Est-ce ma faute si elle s’est rallumée depuis mon départ ? Je vous ai fait l’exposé de ma conduite politique ; toute l’armée de l’Ouest peut confirmer par son témoignage la véracité de mon récit. Maintenant que la Convention prononce, qu’elle juge mes intentions ; mais surtout qu’elle se rappelle que je n’ai participé à aucune mesure de détail; elles étaient incompatibles avec ma mission et mon caractère. Au reste, les barbaries des brigands avaient nécessité des mesures sévères. Il n’y avait pas une seule famille patriote qui n’eût à pleurer un père, un fils, une épouse, un mari, un frère, une sœur, un parent, un ami. SÉANCE DU 3 FRIMAIRE AN III (23 NOVEMBRE 1794) - N° 19 93 Les massacres de Machecoul, de Saumur, étaient récents ; on entendait encore les cris des femmes suspendues par les pieds sur des brasiers ardents, et les gémissements des hommes à qui les brigands avaient crevé les yeux et coupé les oreilles. L’air semblait retentir encore des chants civiques de vingt mille martyrs de la liberté qui avaient répété vive la République! au milieu des tortures. Environné de ces orages, comment l’humanité, morte dans ces crises terribles, eût-elle pu faire entendre sa voix? La froide raison pouvait-elle compasser exactement ses mesures ? Ceux qui s’élèvent contre moi, qu’eussent-ils fait à ma place ! Etait-il au pouvoir de l’homme d’arrêter le torrent de la Révolution? fut-il au pouvoir de la Convention même de prévenir les excès commis à Lyon, à Marseille, à Toulon, dans l’Aveyron, dans la Lozère? Pressé par les tempêtes politiques, j’ai néanmoins terminé une guerre terrible, dont les pieds de géant menaçaient de fouler la France entière. J’avais juré, la main tendue sur l’autel de la patrie, de sauver mon pays ; j’ai tenu mon serment, j’ai conservé Nantes à la République. J’envisage le baiser de Scœvola, la ciguë de Socrate, la mort de Cicéron, l’épée de Caton, l’échafaud de Sidney; j’endurerai leurs tourments, si le salut du peuple l’exige. Je n’ai vécu que pour ma patrie, je saurai mourir pour elle. A six heures un quart, Carrier est ramené, et reprend ses moyens de justification, à la suite desquels il prononce un discours (69). CARRIER (70) : Citoyens, dans une affaire aussi importante que celle qu’une grande conjuration m’intente, après un an de silence, il seroit inutile de remettre aujourd’hui sous vos yeux toutes les preuves que j’ai consignées, toutes les puissantes raisons que j’ai déjà développées dans mes écrits: elles sont sans doute présentes à votre mémoire; vous avez dû les peser dans votre sagesse ; vous n’avez pas dû les perdre un seul moment de vue, pour prendre une détermination juste, éclairée, impartiale, dans une circonstance qui sera une époque mémorable dans notre révolution. J’ai repoussé victorieusement dans ces écrits toutes les principales inculpations dont la fureur des ennemis de la République et de la Révolution a ourdi un vaste système pour en faire planer les soupçons sur ma tête. Dans la discussion des pièces dont on a cherché à former une monstrueuse production contre moi, j’ai écarté avec avantage toutes les imputations isolées, atroces et invraisemblables qu’on n’a pas craint d’insérer dans ces pièces ténébreuses. (69) P.-V., L, 32. (70) Discours prononcé par le représentant du Peuple Carrier, à la Convention nationale, dans la séance du soir du 3 frimaire an III de la République française une et indivisible, Paris, Imprimerie Nationale, frimaire an III, 19 p. Ce discours ayant été imprimé en vertu du décret du 8 brumaire an III, les journaux n’en reprennent que des extraits. Exceptionnellement, nous avons choisi de reproduire l’intégralité du discours imprimé, BnF, Le 38-1057. Je vous ai fait connoître la vie, la conduite incivique, immorale, des individus qui les ont fabriquées dans l’ombre. Je vous ai fait sentir les contradictions, les invraisemblances, les faux matériels qui y fourmillent à chaque page, à chaque ligne. Je vous ai observé, et vous êtes convaincus que toutes ces pièces, à l’exception de la lettre de mon collègue Bo, ne sont que des copies qu’on désigne sous la dénomination de pièces collationnées : elles n’ont donc aucune authenticité ; elles ne peuvent donc, dans la forme qu’on présente, inspirer le moindre degré de confiance. Qu’importe qu’elles aient passé sous les yeux des trois comités réunis et de la commission des Vingt-Un ! Elles auroient ainsi passé dans toutes les mains ; rien ne pourrait changer leur forme ; en passant de main en main elles ne deviendraient jamais des originaux, elles seraient toujours des copies collationnées, et les examens successifs qu’elles pourraient subir ne leur donneraient pas un degré de plus d’authenticité. On trouve, à la vérité, quelques déclarations, quelques lettres qui ne sont point des copies collationnées; mais en sont-elles plus authentiques ? Rien ne constate la véracité des écritures et des signatures de ceux qui semblent les avoir fabriquées, nulle autorité publique ne l’atteste; quelle foi veut-on donc qu’on y ajoute, sur-tout dans une affaire infiniment importante, qui exige des preuves palpables, matérielles, frappantes par leurs lumières ? Parmi ces pièces, on m’en oppose trois comme émanées de moi; l’arrêté donné à Lamberty, et deux arrêtés qu’on prétend que j’ai donnés à Phe-lippes Tronjoly. J’en ai délivré un à Lamberty, pour me servir d’espion dans la Vendée ; mais qui me garantit, qui garantit à la Convention nationale que la copie qu’on produit est exacte, qu’elle n’est point tronquée? Je ne me souviens point d’avoir donné les deux autres arrêtés à Phelippes Tronjoly. Où est la preuve encore qu’ils sont signés de moi ? Où est la preuve qu’ils sont présentés avec exactitude. Je pourrais, au surplus, y avoir appliqué ma signature de confiance; et, dans tous les cas, comment la Convention nationale pourrait-elle prendre une décision contre moi, motivée sur ces arrêtés, qui, pris tels même qu’on les présente, sont littéralement conformes à ses décrets, à ses proclamations? Il n’y a donc rien dans les pièces produites contre moi qui puisse, je ne dis pas légitimer, mais même donner le moindre prétexte à un décret d’accusation contre moi. Pour autoriser cette mesure extrême, il faudrait qu’il existât des arrêtés émanés de moi, avoués par moi, qui commandassent impérieusement les mesures extraordinaires et de détail dont on accuse le comité révolutionnaire de Nantes ; et je porte le défi le plus solemnel à tous mes ennemis d’en présenter un seul de cette nature. Qu’on ne pense pas qu’on peut suppléer à l’absence des preuves résultantes des pièces, par la preuve testimoniale ; je vous ai déjà fait sentir tout le danger auquel ce moyen ne manquerait pas d’amener, en le prenant dans un pays près-