ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 121 [États généraux.] et examiner les moyens de remédier à la cherté des grains et à la misère publique. » On nomme ensuite deux députations pour communiquer cet arrêté aux deux autres ordres. La séance est levée. COMMUNES. Séance du matin. M. le Doyen ayant ouvert la séance, a proposé j de faire une visite de condoléance, au nom de j l’Assemblée, à la veuve de M. Liquier, député, à ! l’inhumation duquel plusieurs membres ont as-i sisté. L’Assemblée l’a approuvé. i ! M. Bertereau, curé de Teillé (1), député du clergé de la sénéchaussée du Maine, est entré, et I a dit: Messieurs, le second député du clergé de la sénéchaussée du Maine, intimement persuadé que l’ordre des communes de France est fondé à demander une vérification commune et respec-i tive des pouvoirs entre les trois ordres, s’empresse de vous présenter les siens. La justice, . son inclination naturelle lui prescrivent également cette démarche. Citoyen avant que d’être promu au sacerdoce, il n’a point cessé de l’être, ; ni oublié le rang auquel il doit sa naissance. Il ; n’a vu dans sa qualité de pasteur que des raisons multipliées de s’unir plus étroitement aux malheureux et à la classe si nécessaire des cultivateurs laborieux, victimes infortunées de la main 1 cruelle du fisc. Il ne se croit pas moins que vous, ' Messieurs, chargé de leurs plus chers intérêts; et le désir le plus ardent de son cœur a été de j pouvoir les soulager. Un monarque bienfaisant nous en procure l’occasion en nous rassemblant j ici, Messieurs, pour tarir les sources diverses des | malheurs publics. Vos procédés, conçus avec sa-i gesse, conduits avec prudence, pesés*dans la balance de la plus sévère justice et soutenus avec fermeté, seront toujours étayés du suffrage de ma faible voix. Ce sont les sentiments et les dispositions sincères de mon cœur; et je vous prie, Messieurs, de les consigner dans le procès-verbal de votre Assemblée. j M. Bertereau a remis ses pouvoirs sur le bureau, et a pris séance sur les bancs du clergé. L’Assemblée a chargé le bureau des adjoints d’en faire l'examen et le rapport. MM. du bureau des adjoints, après avoir procédé , à cet examen, ont dit , M. Enjubault de la Roche portant la parole, que les pouvoirs remis par M. Bertereau consistaient en un procès-verbal de prestation de serment relatif à son élection; que ce' procès-verbal était sans contradiction et ! paraissait régulier, mais qu’il n’apparaissait pas de procès-verbal d’élection. : L’Assemblée a statué que M. Bertereau rappor-| terait le procès-verbal de son élection dans quinzaine, et cependant qu’il prendrait séance provisoire. Le procès-verbal de sa prestation de | serment lui a été rendu. M. Henriot, député du bailliage de Langres, a remis ses pouvoirs, et ceux de M. Thevenot de Maroise, son collègue, qui s’est présenté. La discussion commencée hier est reprise. (1) Le Moniteur n’a reproduit qu’une partie du discours de M. Bertereau. [16 juin 1789.] M. l’abbé Sieyès prend la parole pour défendre et rétablir sa motion ; il s’attache particulièrement à réfuter le mode de constitution présenté par M. le comte de Mirabeau, et celui présenté par M. Mounier. M. Camus. Que vous propose-t-on? de vous constituer les représentants de la nation française légalement vérifiés. Et certes, n’est-ce pas là une vérité sensible et assez publique? La vérification en commun est un principe dont vous ne vous êtes jamais départis : cette vérification a été faite entre les membres des communes et une partie de ceux du clergé ; et qu’allez-vous donc publier maintenant par votre arrêté, ou plutôt par le titre de votre constitution? Un simple fait, une vérité authentique. Vous ôtes les seuls représentants vérifiés, et vous le publierez à la face de la nation. Maintenant pourquoi nous parler de la sanction du Roi, de son veto? Son veto peut-il empêcher que le fait que nous énoncerons, que la vérité que nous publierons ne soit toujours une et toujours immuable? Son veto peut-il empêcher que nous soyons ce que nous sommes et ce que nous devons" être? La sanction royale ne peut changer l’ordre des choses, altérer leur nature. Nous sommes les représentants vérifiés de la nation; le Roi ne peut faire que nous ne le soyons pas: il peut nous forcer à ne point exercer les droits que nous donne ce titre; mais ce titre, il ne peut nous l’enlever. Il ne me reste plus qu’une objection à faire. Avec quel étonnement ai-je entendu prononcer, hier matin, parmi nous, le mot d ’ emprunt ! Quoi t nous ne sommes rien encore, et nous commencerions le bien que chacun de nous se vante de faire par consentir un impôt, par violer le serment que nous avons tous juré de n’accorder aucun subside tant que la liberté, la propriété et la sûreté publique ne reposeront pas sur des bases immuables! Nous ne sommes rien, et nous priverions la nation des ressources que la Providence lui préparait pour secouer le joug du despotisme! Nous ne sommes rien, et nous lui ferions tout le mal que ses plus cruels ennemis, les vainqueurs les plus barbares pourraient lui faire! Et quel est le motif de cet emprunt? vous a-t-on dit : c’est de mettre le Roi de notre côté ; c’est de dissiper ces intrigues sourdes et secrètes dont les communes seraient incessamment victimes ; c’est, en un mot, de rendre notre cause plus favorable. Notre cause est juste, et nous avons pour nous le témoignage de notre conscience. Le Roi n’est pas moins juste; et, comme la justice est une, il ne peut être contre elle. Mais il est obsédé, trompé ! s’écrie-t-on. Est-cé pour cela qu’il faut acheter la faveur? Si, par un emprunt modique, vous cherchez à l’acquérir, la noblesse, le clergé, ligués ensemble, en consentiront un plus considérable pour mettre à leur tour le Roi de leur côté ; et c’est alors qu’ils vous diront que vous vous opposez à leur générosité, à leur désintéressement. Non, ne songeons pas à mettre la faveur du Roi à l’encan ; notre parti est celui de la raison et de l’équité, et honorons assez notre monarque pour croire que ce n’est pas à prix d’argent qu’on lui fait embrasser la défense de la justice. M**”, procureur du (loi d’un bailliage royal de Lorraine, parle ensuite. Il adopte la motion de M. l’abbé Sieyès, ilréfute celle de M. Mounier, rejette celle de M. de Mirabeab, en disant qu’il suffit que le mot peuple prête à l’équivoque pour qu’on le rejette ;que la France est encore loin de ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1789.] j22 [États généraux.] ces peuples célèbres que M. de Mirabeau avait cités ; que Ton disait le peuple athénien, le peuple anglais mais que l’on n’avait jamais dit le peuple assyrien lorsqu’il obéissait à des satrapes ; que, quant au droit de neto, d’après les raisons de M. Camus, il paraissait inutile de demander la sanction royale, dont le défaut, quoiqu’en dise M. de Mirabeau, n’amènerait pas le despotisme-, que ses alarmes et ses craintes sur l’anarchie, dont il menaçait la nation, ne seraient pas l'effet de l’autorité législative résidant dans la nation ; que, loin de retomber dans le despotisme, on tomberait plutôt dans les malheurs de la guerre civile ; que ce serait alors que la nation en aurait l’honneur ; que ce serait alors que M. le comte de Mirabeau, qui, descendant du rang où la naissance l’avait placé, n’a pas craint de descendre au milieu delà nation pour défendre ses intérêts, ne balancerait sans doute pas de se montrer à sa tète pour la protéger de son courage, et opposer sa poitrine aux coups qu’on voudrait lui porter. Plusieurs personnes discutent encore les trois motions principales. Un jeune homme, appelé M. Robert, parle avec une éloquence rare, une précision au-dessus de son âge. On demande de toutes parts à aller aux voix. M. Legrand demande la parole. On la lui refuse pendant longtemps. Il annonce une motion tout à fait différente, des idées nouvelles, et il obtient la parole. M. Legrand, député du Berry (1). L’Assemblée considérant : 1° Que la dénomination d’Etats généraux du royaume est corrélative entre les trois ordres de citoyens qui sont appelés à représenter la nation; que cette dénomination n’est pas applicable à la circonstance présente, tant que la plus grande partie des membres qui représentent le clergé et la noblesse ne se réuniront pas aux autres députés pour y faire connaître leur qualité par la vérification commune dans leurs pouvoirs ; 2° Que ces deux classes privilégiées ne sont pas la nation, mais dans la nation ; 3° Que la nation en admettant dans son sein des classes distinctes de citoyens, n’a jamais pu consentir que l’absence des représentants de ces classes l’empêcherait elle-même de se constituer dans ses représentants. Que si cela était, il s’ensuivrait qu’un peuple, composé de vingt-quatre millions d’individus, cesserait d’être un corps politique et national, ne pourrait se constituer, parce que les députés de trois ou quatre cent mille hommes de la na ion s’opposeraient à sa constitution et à sa représentation légale ; 4° Qu’une telle maxime, que l’abus du pouvoir des grands a établie dans les gouvernements aristocratiques, est absolument contraire au gouvernement monarchique ; ce serait une autorité élevée contre le Roi et la nation, ce serait détruire les principes de la monarchie, que l’Assemblée soutiendra toujours dans toute leur intégrité; 5° Que l’Assemblée reconnaît que les députés des ordres privilégiés ont le droit, comme représentant une partie des citoyens, d’assister et d’être membres de l’Assemblée générale des représentants de la nation, mais qu’ils n’ont pas celui de s’arroger deux seuls cette qualité, en vérifiant leurs pouvoirs en particulier, qu’ils ont encore (1) La motion de-M. Legrand n’a pas été insérée au Moniteur. moins celui de détruire et d’anéantir l’Assemblée des représentants de la nation, en refusant de s’y réunir ; A arrêté de se constituer en Assemblée nationale ; A arrêté en outre que les députés, de quelque ordre qu’ils soient, qui n’auront pas encore fait vérifier leurs pouvoirs dans la salle commune, seront toujours admis à le faire et à prendre ensuite part aux délibérations. Elle a arreté qu’elle ne reconnaîtra dans les députés non vérifiés dans son sein, aucun droit ni qualité, même partielle, de représentants de la nation. Enfin elle a déclaré qu’elle ne pourra être arrêtée dans ses délibérations par aucun droit de veto, que nul ordre de représentants de la nation ne peut opposer à ses; co -représentants et qui serait destructif de l’indivisibilité d’une Assemblée nationale. I Cette motion est suivie de vifs applaudisse-* ments. M. Pison du Bail and présente une autre motion en ces termes (1) : Les députés du clergé et des communes de France, dont les pouvoirs ont été reconnus légi-1 times dans les séances de la présente Assemblée1 des 13 et 14 de ce mois et autres jours suivants, ! constituent dès à présent, l’assemblée active et LÉGITIME DES REPRÉSENTANTS DE LA NATION FRANÇAISE; mais elle se fait une loi de déclarer qu’une partie du clergé et de la noblesse ont été vainement invités à se réunir à cette Assemblée, pour concourir à la régénération de l’État ; qu’elle ne reconnaîtra jamais d’empêchement ou veto de leur part, entre elle et son souverain, et qu’elle ne cessera de les inviter et de les attendre, sans néanmoins qu’aucun retard ou refus puisse mettre obstacle à l’activité nécessaire au besoin de l’Etat et à l’établissement de la félicité publique. M, Bailly, doyen , propose de délibérer ; les uns le veulent, les autres prétendent qu’il faut continuer la discussion. ; La séance est levée à 2 heures et remise à 5 heu-i res du soir. Séance du soir. M. le Doyen a ouvert la séance a 5 heures. M. Laurent, curé d’Huillaux (2) , député du j clergé du Bourbonnais, est. entré, et a dit : Messieurs, quarante-deux jours se sont écoulés en j vœux inutiles : et nous venons vous assurer I qu’aucun de ces jours précieux n’a fini sans que j nous en ayons amèrement regretté la perte; et le j lendemain nous a constamment trouvés plus af-j fermis dans la résolution de nous unir à vous , ; Messieurs, pour opérer le bien commun. La con-! tradiction, les longues discussions de ce projet ■ nous en ont de plus en plus fait connaître la sagesse, Hâtons-nous donc de porter des mains se-eourables à ce grand édifice, qui s’écroule de toutes , parts ; réparons, par une plus grande activité, nos premières lenteurs et le malheur de n’avoir pu ob-(1) La motion de M. Pison du Galand n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Le discours de M. Laurent n’a pas été inséré au M oniteur.