‘446 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1731..] insuffisants, que la médiation a fait tout ce qu’il était possible de faire dans un pays dépourvu de corps administratifs, de corps judiciaires et de force publique; travaillé en sens divers par les factions les plus opposées, et dont les habitants ne se rencontrent presque que dans un seul sentiment, dans celui du vœu de leur réunion à la France, exprimé dans leurs délibérations, signalé par les armes de France arborées sur leurs murs, par les couleurs de France qui brillent à leurs chapeaux et sur leurs poitrines ; par le bonnet de la liberté dans lequel ils ont transformé la tiare placée jadis sur les portes de leurs villes (Applaudissements.) ; que cette malheureuse contrée est une matière combustible attachée à notre Empire ; que nous ne saurions sans danger nous en occuper indifféremment, et que de la détermination de l’Assemblée dépend la tranquillité de nos départements du Midi. Nous sera-t-il permis, Messieurs, de dire un mot de nous? Hélas! la calomnie et la malveillance qui sans cesse ont veillé à nos côtés durant trois mois et demi de travaux difficiles et non interrompus, nous ont donné ce triste privilège en nous attaquant sans pitié, oubliant et le mal que nous avons empêché et le peu de bien qu’il nous a été donné de faiTe... M. l’abbé Maury. Continuez votre apologie. (Applaudissements à gauche.) M.Verninae-Saint-Maur... Il fut un temps, Messieurs, où ceux qui nous décrient aujourd’hui nous traitaient avec plus d’indulgence : c’est lorsqu’après 6 jours et 6 nuits de travail, ayant fait signer la paix dans nos mains, et l’ayant placée sous l’imposante garantie de la France, nous leur rendîmes leurs moissons et leurs foyers que menaçait le brandon de la guerre civile; alors nous n’étions pas des hommes partiaux, alors des guirlandes d’épis, de feuilles d’amandiers et d’oliviers nous figuraient la reconnaissance des peuples, et les clefs des villes dont nous avions fermé les portes à la guerre civile nous étaient présentées en hommase. Mais lorsque les récoltes des gentilshommes du Comtat et d’Avignon ont été en sûreté, la reconnaissance a disparu, et les prétentions s’étant élevées nous sommes devenus des hommes partiaux, parce que nous ne voulions pas épouser certaines passions, et favoriser certaines idées; ils ont dit que nous nous abandonnions à, l’esprit de parti; mais vous savez, Messieurs, que dans le langage de certains hommes, être d’un parti c’est professer certains principes, c’est porter dans son cœur l’amour de la Constitution française. ( Murmures à droite. — Applaudissements à gauche.) Ace compt*, Messieurs, je l’avoue, nous sommes très coupables d’esprit de parti, car il n’est aucun de nous trois qui n’adore votre ouvrage. Nos ordres étaient de protéger tous les citoyens, quelles crue fussent leurs opinions politiques et nous l'avons fait ; ils n’étaient pas d’opprimer ceux qui aimaient les lois et la nation française, et nous nous en sommes abstenus. Nos détracteurs ont dit aussi que nous étions divisés et par là ils ont voulu enhardir les factions; mais, Messieurs, nos principes ont toujours été les mêmes, et inconnus l’un à l’autre jusqu’à l’époque de notre mission, il s’est formé depuis entre nous un lien d’amitié que l’estime mutuelle et le souvenir de peines éprouvées en commun rendront, j’ espère, impérissable. (Applaudissements réitérés.) M. l’abbé Maury paraît à la tribune. (Murmures à gaucke.J M. le Président. Monsieur l’abbé Maury, l’affaire d’Avignon n’est pas à l’ordre d’aujourd’hui ; c’est à celui de lundi. A gauche : L’ordre du jour ! l’ordre du jour! M. l’abbé Maury. Je demande la parole pour une question d’ordre... A gauche : L’ordre du jour ! M. l’abbé Maury. G’est pour l’honneur de l’Assemblée. M. le Président. Je vous ai annoncé déjà que l’affaire d’Avignon n’est pas aujourd'hui à l’ordre du jour; vous savez qu’elle a été ajournée à lundi : ainsi vous n’avez pas la parole. M. l’abbé Maury. Je ne veux pas discuter. A gauche : L’ordre du jour ! M. l’abbé Maury. Je prie l’Assemblée de vouloir bien m’indiquer par un décret le jour et l’heure où je serai entendu. Je me porte accusateur de MM. les commissaires sur ma tête, sur ma responsabilité; je m’engage à les poursuivre devant le tribunal d’Orléans. ( Rires ironiques à gau - che.) M. le Président. Monsieur Maury, je vous ordonne de descendre de la tribune ; vous serez entendu lundi. M. l’abbé Maury. L’affaire de lundi n’est pas la mienne. ( Murmures violents à gauche.) M. le Présidant. Je vais prendre les ordres de l’Assemblée. A gauche : Les ordres de l’Assemblée sorit 'd’envoyer M. l’abbé Maury à l’Abbaye. (Rires à droite; applaudissements à gauche.) Un membre: Je demande, pour l’honneur de MM. les commissaires, que M. Maury explique les motifs de son accusation ; je demande qu’il soit entendu. M. l’abbé Maury. Si je les calorüniè, ma tête en répond. M. Lanjuinais. Le renvoi de l'accusation à lundi. M. l’abbé Gouttes. M. Maury a protesté contre nous ; on ne doit pas l’entendre. M. l’abbé Maury. Je dis que vous ne pouvez rien décider sur l’affaire d’Avignon, s’il est vrai que les commissaires aient été les auteurs des troubles qui ont désolé Avignon et le Comtat. (Murmures à gauche.) M. le Président. Je demande que l’Assemblée m’autorise à me servir du pouvoir qu’elle m’a donné pour faire descendre M. l’abbé Maury delà tribune. Je vais la consulter à cet égard. (L’Assemblée, consultée, décrète que M. l’abbé Maury ne sera pas entendu.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] M. l’abbé Ülaurrytlescénd de Ta tribune ( Applaudissements ironiques à gauche .) M. le Président, s'adressant aux commissaires-médiateurs : Messieurs, l’Assemblée nationale a entendu avec intérêt le compte détaillé que vous venez de lui rendre de votre mission; elle est satisfaite de votre zèle, et vous accorde les honneurs de sa séance. MM. Le Scène des Maisons et Verninac-Sairit-Maur sont introduits dans l’enceinte de la salle et sont accueillis par les applaudissements les plus vifs du côté gauche et des tribunes. L’ordre du jour est un rapport du comité de Constitution sur les principes et l’organisation de l’instruction publique. M. Talleyrand-Périgord, ancien évêque d’Autun , rapporteur, commence la lecture de son rapport dont la suite est renvoyée à la séance de demain (Voir ci-après ce document aux annexes de la séauce, page 447). M. le Président invite les membres de l’Assemblée à se réunir dans leurs bureaux respectifs pour y procéder à Y élection du président et de trois secrétaires. La séance est levée à deux heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE OU SAMEDI 10 SEPTEMBRE 1791, AU MATIN. Rapport sur l’instruction publique, fait, au nom du comité de Constitution , par M. Tal-leyrand-Périgord, ancien évêque d'Autun, administrateur du département de Paris (1). — (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Les pouvoirs publics sont organisés : la liberté, l’égalité existent sous la garde toute-puissante des lois; la propriété a retrouvé ses véritables hases; et pourtant la Constitution pourrait sembler incomplète, si l’on n’y attachait enfin, comme partie conservatrice et vivifiante, l’instruction publique, que sans doute on aurait le droit d’appeler un pouvoir , puisqu’elle embrasse un ordre de fonctions distinctes qui doivent agir sans relâche sur le perfectionnement du corps politique et sur la prospérité générale. Nous ne chercherons pas ici à faire ressortir la nullité ou les vices innombrables de ce qu’on a nommé jusqu’à ce jour instruction. Même sous 4r* l’ancien ordre de choses, on ne pouvait arrêter sa pensée sur la barbarie de nos institutions, sans être effrayé de cette pHVation totale de lumières, qui s’étendait sur la grande majorité des hommes; sans être révolté ensuite et des opinions déplorables que l’on jetait dans l'esprit de ceux qui n’étaient pas,Jout à fait dévoués à l’ignorance, et des préjugés de tous les genres dont ' on les nourrissait, et de la discordance ou plutôt de l’opposition absolue qui existait entre ce qu’un (1) Voir ci-dessus, même séance, page Ml. enfant était contraint d’apprendre, et ôe qu’un homme était tenu de faire; enfin, de cette défé-rence aveugle et persévérante pour des usages dès longtemps surannés, qui, nous replaçant sans cesse à l’époque où tout le savoir était concentré dans les cloîtres, semblait encore, après plus de 10 siècles, destiner l’universalité des citoyens à habiter des monastères. Toutefois ces choquantes contradictions, et de plus grandes encore, n’auraient pas dû surprendre; elles devaient naturellement exister là où Constitutionnellement tout était hors de sa place; où tant d’intérêts se réunissaient pour tromper, pour dégrader l’espèce humaine; où la nature du gouvernement repoussait les principes dans tout ce qui n’était pas destiné à flatter ses erreurs ; où tout semblait faire une nécessité d’apprendre aux hommes, dès l’enfance, à composer avec des préjugés au milieu desquels ils étaient appelés à vivre et à mourir; où il fallait les accoutumer à contraindre leur pensée, puisque la loi elle-même leur disait avec menace qu’ils n'en étaient pas les maîtres; et où enfin une prudence pusillanime, qui osait se nommer vertu, s’était fait un devoir de distraire leur esprit de ce qui pouvait un jour leur rappeler des droits qu’il ne leur élait pas permis d’invoquer; et telle avait été, sous ces rapports, l’influence de l’opinion publique elle-même, qu’on était parvenu à pouvoir présenter à la jeunesse l’histoire dés anciens peuples libres, à échauffer son imagination par le récit de leurs héroïques vertus, à la faire vivre, en un mot, au milieu de Sparte et de Rome, sans que le pouvoir le plus absolu eût rien à redouter de l’impression que devaient produire ces grands et mémorables exemples. Aimons pourtant à rappeler que, même alors, il s’est trouvé des hommes dont les courageuses leçons semblaient appartenir aux plus beaux jours de la liberté; et, sans insulter à de trop excusables erreurs, jouissons avec reconnaissance des bienfaits de l’esprit humain qui, dans toutes les époques, a su préparer, à l’insu du despotisme, la Révolution qui vient de s’accomplir. Or si, à ces diverses époques dont chaque jour nous sépare par de si grands-intervalles, la simple raison, la saine philosophie ont pu réclamer, non seulement avec justice, mais souvent avec quelque espoir de succès, des chang'émentsdudis-pensables dans l’instruction publique; si, dans tous les temps, il a été permis d’être choqué de ce qu’elle n’était absolument en rapport avec rien, combien plus fortement doit-on éprouver le besoin d’une réforme totale, dans un moment où elle est sollicitée à la fois, et par la raison de tous les pays, et par la Constitution particulière du nôtre. Il est impossible, en effet, de s’être pénétré de l’esprit de cette Constitution, sans y reconnaître que tous les principes invoquent les secoués d’une instruction nouvelle. Forts de la toute-puissance nationale, vous êtes parvenus à séparer, dans le corps politique, la volouté commune ou la faculté de faire des lois, de l’action publique ou des divers moyens d’en assurer l’exécution ; et c’est là qu’existera éternellement le fondement de la liberté politique. Mais pour le complément d’an tel système, il faut sans doute que cette volonté se maintienne toujours droite, toujours éclairée, et que les moyens d’action soient invariablement dirigés vers leur but; or, ce double objet est évidemment sous l’influence directe et immédiate de 1’iastruction. La loi, rappelée enfin à son origine, est rede-