354 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE reuses dont le sang à rougi, le 10 août, les murailles du palais où vous siégez, tant d’actions enfin que nos annales célébreront, ne suffiraient-elles pas pour écarter jusqu’à l’odieuse idée d’assimiler les républicains de Brest aux royalistes de Toulon ? Représentants, la ville de Brest a possédé dans son sein un de ces tribunaux de sang dont les individus ne peuvent se classer que dans la catégorie des monstres ; on y comptait deux hommes que le tyran voulut récompenser dans la loi du 22 prairial, par laquelle il les conserve juges au ci-devant Tribunal révolutionnaire de Paris. L’accusateur public de celui de Brest a hautement avoué que les décrets de la Convention n’étaient point sa règle ; c’est à sa diligence que l’exécuteur composait un parterre avec vingt-six têtes de suppliciés. Ce tribunal a destitué trois jurés qui s’étaient refusés à voter la mort d’un accusé ; les apprêts du supplice se commandaient avant le jugement. : il a retenu dans les cachots vingt-cinq matelots parce qu’ils ne dénonçaient pas leurs officiers. Les faits que nous venons de rapporter sont attestés par tout Brest. [Les actes d’accusation criminalisant les actions les plus pures, dénaturaient les faits les plus positifs, et sembloient n’avoir d’autre but, pour ceux qui s’étoient montrés dans la révolution, que de travestir le civisme le plus ardent en royalisme le plus infecte. Quelquefois les accusés démandoient vainement la parole, et n’obte-noient point la faculté de rappeler au jury leur vie politique. Les défenseurs officieux, les témoins à décharge ont été interrompus, menacés, même renvoyés. La question intentionnelle n’a jamais été mise aux voix. Le tribunal a osé mettre un accusé hors la loi ; et, dans le même séance, il a condamné à mort un autre prévenu qui, intimidé, avoit à peine commencé sa défense. Le ci-devant Tribunal révolutionnaire de Paris étoit suspendu par décret, que celui de Brest appeloit à la barre quatre accusés, le 19 thermidor, en vertu de la loi du 22 prairial; et tout donne à croire que le rapport en étoit connu lorsque le jugement a été prononcé. Apprenez, représentants, que ce tribunal a destitué trois jurés qui s’étaient refusés à voter la mort d’un accusé ; les apprêts du supplice se commandaient avant le jugement, et qu’il a retenu dans les cachots vingt-cinq matelots, parce qu’ils ne dénoncoient pas leurs officiers. Les faits que nous venons de rapporter sont attestés par tous à Brest. Il est d’autres attentats que nous dévoilerons dans vos comités, et nous leur rappellerons qu’ils ont promis à tous les Français que crime, qui ne peut trouver de défenseurs que quand il a des complices, mendierait un asyle, et ne l’obtiendrait pas. Satisfaits d’avoir signalé les conspirateurs, nous applaudirons votre décision quelle qu’elle soit ; et nous préférerons intéresser votre sensibilité sur le sort des veuves et des orphelins des innocens assassinés par le tribunal révolutionnaire de Brest. (48) (48) Ibid. Représentants, plus de deux cents marins sont détenus pour les affaires de Quiberon, Toulon, le vaisseau Le révolutionnaire et le combat du 13 prairial, dont beaucoup, depuis quatorze mois, attendent que la justice nationale les délivre de la vie ou de l’esclavage. Nous observons cependant qu’un tribunal révolutionnaire est inhabile à juger des délits à la mer, et que c’est compromettre la sûreté des prévenus que d’y traduire des marins pour faits militaires. [Les inculpations dirigées contre les officiers du Révolutionnaire et du combat du 13 prairial, sont trop graves pour rester dans l’oubli; ils demandent à grands cris qu’on termine à leur égard. Coupables, s’il faut que des têtes tombent ; innocens s’ils sont nécessaires à leurs vaisseaux. Quant aux affaires de Quiberon et de Toulon, ils est à notre connaissance que si on renvoie tous les prévenus au Tribunal révolutionnaire de Paris, il deviendra impossible à l’accusateur public de matérialiser un acte d’accusation pour chacun des individus, parce que plusieurs ne sont point inculpés, et sont nantis de certificats ostensibles. Représentans, vous apercevez que sans une marine formidable, il deviendra difficile de cimenter une paix glorieuse. Est-ce entretenir le feu sacré de la liberté parmi les marins, que de les jeter à chaque incident, en masse, dans les cachots, et de les y laisser pourrir? En accusant moins les hommes que les événemens, ordonnez à vos comités de gouvernement de statuer, sur-le-champ, ce qu’il appartiendra. (49) Confiants dans votre justice, les Brestois attendent tout d’elle; ce n’est pas du sang et des proscriptions que nous demandons, ce sont des mesures qui peuvent sauver la République. [Instruits par vos malheurs, formés au grand art de gouverner par votre habitude à vaincre les factions, restez au poste où le choix du peuple vous a placés, jusqu’à ce que la République soit fermement consolidée au-dedans, et solemnelle-ment reconnue au dehors; purgez le sol de la liberté des monstres altérés de sang; l’intérêt public ralliera tous les patriotes sous votre bannière, car c’est ici qu’ils viendront chercher le mot d’ordre; et si quelques conspirateurs tentoient encore de vous opprimer, donnez le signal au peuple, qui est là, qui veille pour vous ; il fera ce qu’il a déjà fait : il les exterminera. Vive la Convention nationale ! Vive la République!] (50) Cette adresse est renvoyée aux comités de Salut public et de Sûreté générale (51). Le président [CLAUZEL] répond aux pétitionnaires (52). LE PRÉSIDENT (53) : Assurer à la Convention nationale que la trahison dont on vouloit jeter l’opprobre sur les habitans de Brest, n’a (49) Ibid. (50) Ibid. (51) Moniteur, XXII, 642. (52) P.-V., L, 223. (53) Bull., 11 frim. M.U., n° 1360 ; Mess. Soir, n° 835. SÉANCE DU 11 FRIMAIRE AN III (1er DÉCEMBRE 1794) - N° 39 355 existé que dans l’imagination trompée ou perfide de quelques individus ; rappeler les offrandes, les sacrifices que cette commune a faits sur l’autel de la patrie, c’est prévenir le délit inséparable du cœur de tous les représentans du peuple, celui de ne voir dans tous les Français que l’amour du civisme et de la République démocratique. Il fal-loit surveiller, conserver un port qui, par son importance, excite, à plus d’un titre, l’envie des féroces Anglais. On annonçoit que leurs émissaires s’y rendoient de toutes parts; un tribunal révolutionnaire y fut établi pour effrayer, pour punir les traîtres. Si les individus qui le compo-soient prévariquèrent dans leurs fonctions, la justice nationale est là pour les punir. Si d’infortunées victimes ont été immolées ; si leurs femmes, leurs enfans sont dans le besoin, la bienfaisance de la République y pourvoira; mais, citoyens, si en révolution, nous regardons trop en arrière, n’est-il-pas à craindre que les décombres dans lesquels nous nous ensevelirions peut-être, n’arrêtassent la marche triomphale? Eh! prenons garde que les tyrans coalisés, effrayés des succès rapides de nos braves armées, ne cherchent d’en arrêter le cours, en fomentant parmi nous les haines et les vengeances ! Le vaisseau de l’état est-il donc encore amarré dans le port? Est-ce dans le moment où il en approche, mais parmi quelques écueils, qu’il faut demander des comptes à l’équipage ? Punissons les fripons, les dilapidateurs, les buveurs de sang, les égor-geurs ; mais jetons un voile épais sur les fautes et les erreurs inséparables d’une aussi grande révolution ; et pour servir la mémoire des morts, que nous ne pouvons ressusciter, ne plongeons pas les vivants dans une guerre civile, seul espoir de la rage, d’ailleurs impuissante, des ennemis de la liberté. La Convention nationale décrète la mention honorable de l’adresse lue à la barre par les députés extraordinaires de la commune de Brest, et l’insertion en entier au Bulletin, tant de l’adresse que de la réponse du président. Elle décrète en outre le renvoi de l’adresse au comité de Salut public, pour statuer sur le prompte mise en jugement ou en liberté d’un grand nombre de marins détenus à la citadelle de Brest, et envoie aux comités de Sûreté générale et de Législation, pour le prompt examen de la conduite des juges composant l’ex-tribunal révolutionnaire de Brest (54). 39 La section de Bonconseil [Paris] est admise à la barre; elle félicite la Convention sur les mesures de justice qu’elle a prises, et notamment sur la suppression du club des Jacobins, qu’elle regarde comme l’antre de Cacus, où se tramoient tous les (54) P.V., L, 223-224. crimes, comme la boîte de Pandore, d’où sortoient toutes nos divisions et tous nos maux. Vous avez dissipé, dit-elle, le nuage de sang qui obscurcissoit l’horizon politique, mais la patrie en deuil réclame la punition des grands coupables. L’orateur lit ensuite un arrêté par lequel cette section rétracte l’adhésion qu’elle avoit donnée à l’adresse de Dijon, et tous les actes du même genre qui auroient pu être surpris à sa religion dans le temps où ses délibérations étoient enchaînées par la terreur. La Convention décrète la mention honorable, l’insertion au bulletin en entier et de la réponse du président (55). L’ORATEUR (56): Citoyens représentants, ce n’est plus la terreur ni l’intrigue qui amènent devant vous une poignée de citoyens coupables ou égarés pour applaudir à des adresses contre-révolutionnaires comme celle de Dijon, à des mesures atroces dictées par des hommes de sang que vous avez abattus. Vous voyez devant vous une masse de patriotes à qui le calme et l’espérance sont rendus, et qui, sans autre impulsion que celle de leur conscience, viennënt librement exposer à la France entière, dans la personne de ses représentants, leur adhésion aux grandes mesures de salut public que la Convention a prises. [A peine sommes nous délivrés d’une tyrannie dont l’histoire n’offre point d’exemple, à peine le tyran le plus féroce fut-il anéanti, que des hommes qui jusqu’alors avoient partagé sa toute-puissance et ses crimes, conspiroient pour s’emparer du sceptre de fer. Déjà leurs cris séditieux prêchoient la révolte, les torches de la guerre civile s’allumoient ; une société célèbre par les services qu’elle rendit à la liberté, dirigée par des ambitieux, se disposait à tyranniser les bons citoyens. Dans ce combat du crime contre la vertu, s’il eût fallu succomber, nous aurions péri, mais les armes à la main, et non plus comme de vils troupeaux que l’on conduit à la boucherie. D’un mot, vous avez dissipé toutes les alarmes.] (57) Pénétrés de la grandeur de vos devoirs et des droits que vous tenez du peuple souverain, vous avez obéi à sa voix ; vous avez fait, par vos décrets, ce qu’il aurait fait en masse ; vous avez fermé l’antre où se tramaient tous les crimes, où s’aiguisaient tous les poignards ; vous avez fermé cette boîte de Pandore d’où sortaient toutes nos divisions et tous nos maux ; vous avez dissipé le nuage de sang qui obscurcissait l’horizon politique ; [vous avez dissipé les assassins du peuple qui vouloient s’élever de nouveaux trônes sur des monceaux de cadavres.] (58) Nous ne venons point réveiller les passions et les haines ; loin de nous le sentiment affreux de la vengeance : nous sommes prêts à embrasser nos (55) P.-V., L, 224. (56) Moniteur, XXII, 643 ; Bull., 11 frim. ;Ann. Patr., n° 700 ; C. Eg., n° 835 ; F. de la Républ., n° 72 ; J. Perlet, n° 799 ; J. Fr., n° 797 ; Mess. Soir, n° 835 ; Ann. R.F., n° 71 ; J. Paris, n° 72. (57) Bull., 11 frim. (58) Id.