[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1789.] 285 n’y aura-t-il pas une commission intermédiaire ? Art. 9. Les deux premiers ordres seront-ils réunis dans une même Chambre? Art. 10. Les deux Chambres seront-elles formées sans distinction d’ordre? Art. U. Les membres de l’ordre du clergé seront-ils répartis dans les deux autres ordres? Art. 12. La représentation du clergé, de la noblesse et des communes sera-t-elle dans la proportion d’une, deux et trois ? Art. 13. Sera-t-il établi un troisième ordre, sous le titre d’ordre des campagnes ? Art. 14. Les personnes possédant charges emplois ou places à la cour, peuvent-elles être députées aux Etats généraux ? Art. 15. Les deux tiers des voix seront-ils nécessaires pour former une résolution ? Art. 16. Les impôts ayant pour objet la liquidation de la dette nationale, seront-ils perçus jusqu’à son entière extinction ? Art. 17. Les lettres de cachet seront-elles abolies ou modifiées? Art. 18. La liberté de la presse sera-t-elle indéfinie ou modifiée? M. Mouiller donne ensuite lecture du projet contenant les premiers articles de la constitution. Nous, les représentants de la nation française, convoqués par le Roi, réunis en Assemblée nationale, en vertu des pouvoirs qui nous ont été confiés par les citoyens de toutes les classes, chargés par eux spécialement de fixer la constitution de la France, et d’assureFTTT prospérité publique; déclarons et établissons, par l’autorité de nos comhTBTtants, comme constitution de V Empire français, les maximes et règles fondamentales et la forme du gouvernement, telles qu’elles seront ci-après exprimées ; et lorsqu’elles auront été reconnues et ratifiées par le Roi, on ne pourra changer aucun des articles qu’elles renferment, si ce n’est par les moyens qu’elles auront déterminés. CHAPITRE PREMIER. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Art. 1er. Tous les hommes ont un penchant invincible vers la recherche du bonheur ; c’est pour y parvenir par la réunion de leurs efforts, qu’ils ont formé des sociétés et établi des gouvernements. Tout gouvernement doit donc avoir pour but la félicité générale. Art. 2. Les conséquences qui résultent de cette vérité incontestable sont, que le gouvernement existe pour l’intérêt de ceux qui sont gouvernés, et non de ceux qui gouvernent ; qu’aucune fonction publique ne peut être considérée comme la propriété de ceux qui l’exercent ; que le principe de toute souveraineté réside dans la nation et que nul corps, nul individu ne peut avoir une autorité qui n’en émane expressément. Art. 3. La nature a fait les hommes libres et égaux en droits ; les distinctions sociales doivent donc être fondées sur l’utilité commune. Art. 4. Les hommes, pour être heureux, doivent avoir le libre et entier exercice de toutes leurs facultés physiques et morales. Art. 5. Pour s’assurer le libre et entier exercice de ses facultés, chaque homme doit reconnaître, et faciliter dans ses semblables le libre exercice des leurs. Art. 6. De cet accord exprès ou taicit.e résulte entre les hommes la double relation des droits et des devoirs. ' Art. 7. Le droit de chacun consiste dans l’exercice de ses facultés, limité uniquement par le droit semblable dont jouissent les autres individus. Art. 8. Le devoir de chacun consiste à respecter le droit d’autrui. Art. 9. Le gouvernement, pour procurer la félicité générale, doit donc protéger les droits et prescrire les devoirs. Il ne doit mettre au libre exercice des facultés humaines d’autres limites que celles qui sont évidemment nécessaires pour en assurer la jouissance à tous les citoyens, et empêcher les actions nuisibles à la société. Il doit surtout garantir les droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les hommes, tels que la liberté personnelle, la propriété, la sûreté, le soin de son honneur et de sa vie, la libre communication de ses pensées, et la résistance à l’oppression. Art. 10. C’est par des lois claires, précises et uniformes pour tous les citoyens, que les droits doivent être protégés, les devoirs tracés, et les actions nuisibles punies. Art. 11. Les citoyens ne peuvent être soumis à d’autres lois qu’à celles qu’ils ont librement consenties par eux ou par leurs représentants; et c’est dans ce sens que la loi est l’expression de la volonté générale. Art. 12. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi est permis, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. Art. 13. Jamais la loi ne peut être invoquée pour des faits antérieurs à sa publication; et si elle était rendue pour déterminer le jugement de ces faits antérieurs, elle serait oppressive et tyrannique. Art. 14. Pour prévenir le despotisme et assurer l’empire de la loi, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, doivent être distincts. Leur réunion dans les mêmes mains mettrait ceux qui en seraient les dépositaires au-dessus de toutes les lois, et leur permettraient d’y substituer leurs volontés. Art. 15. Tous les individus doivent pouvoir recourir aux lois, et y trouver de prompts secours pour tous les torts ou injures qu’ils auraient soufferts dans leurs biens ou dans leurs personnes, ou pour les obstacles qu'ils éprouveraient dans l’exercice de leur liberté. Art. 16. 11 est permis à tout homme de repousser la force par la force, à moins qu’elle ne soit employée en vertu de la loi. Art/ 17. Nul ne peut être arrêté ou emprisonné qu’en vertu de la loi, avec les formes qu’elle a prescrites, et dans les cas qu’elle a prévus. Art. 18. Aucun homme ne peut être jugé que dans le ressort qui lui a été assigné par la loi. Art. 19. Les peines ne doivent point être arbitraires, mais déterminées par les lois, et elles doivent être absolument semblables pour tous les citoyens, quels que soient leur rang et leur fortune. Art. 20. Chaque membre de la société ayant droit à la protection de l’Etat, doit concourir à sa prospérité, et contribuer aux frais nécessaires dans la proportion de ses biens, sans que nul puisse prétendre à aucune faveur ou exemption, quel que soit son rang ou son emploi. Art. 21. Aueun homme ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses, pourvu qu’il se conforme aux lois et ne trouble pas le culte public. Art. 22. Tous les hommes ont le droit de quitter l’Etat dans lequel ils sont nés, et de se choisir 286 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1789.] une autre patrie, en renonçant aux droits attachés dans la première à leur qualité de citoyen. Art. 23. La liberté de la presse est le plus ferme appui de la liberté publique. Les lois doivent la maintenir en la conciliant avec les moyens propres à assurer la punition de ceux qui pourraient en abuser pour répandre des discours sé-, ditieux ou des calomnies contre des particulers. CHAPITRE II. Principes du gouvernement français. Article 1er. Le gouvernement français est monarchique; il est essentiellement dirigé par la loi; il n’y a point d’autorité supérieure à la loi. Le Roi ne règne que par elle, et quand il ne commande pas au nom de la loi, il ne peut exiger l’obéissance. Art. 2. Le pouvoir législatif doit être exercé par l’Assemblée des représentants de la nation, conjointement avec le monarque dont la sanction est nécessaire pour l'établissement des lois. Art. 3. Le pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans les mains du Roi. Art. 4. Le pouvoir judiciaire ne doit jamais être exercé par le Roi, et les juges auxquels il est confié ne peuvent être dépossédés de leur office pendant le temps fixé par la loi, autrement que par les voies légales. Art. 5. Aucune taxe, impôt, charge, droit ou subside ne peuvent être établis sans le consentement libre et volontaire des représentants de la nation. Art. 6. Les représentants de la nation doivent surveiller l’emploi des subsides, et en conséquence les administrateurs des deniers publics doivent leur en rendre un compte exact. Art. 7. Les ministres, les autres agents de l’autorité royale sont responsables de toutes les infractions qu’ils commettent envers les lois, quels que soient les ordres qu’ils aient reçus; et ils doivent en être punis sur les poursuites des représentants de la nation. Art. 8. La France étant une terre libre, l’esclavage ne peut y être toléré, et tout esclave est affranchi, de plein droit, dès le moment où il est entré en France. Les formalités introduites pour éluder celte règle seront inutiles à l’avenir, et aucun prétexte ne pourra désormais s’opposer à la liberté de l’esclave. Art. 9. Les citoyens de toutes les classses peuvent être admis à toutes les charges et emplois, et ils auront la faculté d’acquérir toute espèce de propriétés territoriales sans être tenus de payer à l’avenir aucun droit d’incapacité ou de franc fief. Art. 10. Aucune profession né sera considérée comme emportant dérogeance. Art. 11. Les emprisonnements, exils, contraintes, enlèvements, actes de violence en vertu de lettres de cachet ou ordres arbitraires, seront à jamais proscrits ; tous ceux qui auront conseillé, sollicité, exécuté de pareils ordres, seront poursuivis comme criminels, et punis par une détention qui durera trois fois autant que celle qu’ils auront occasionnée, et de plus par des dommages-intérêts. Art. 12. Le Roi pourra néanmoins, quand il le jugera convenable, donner l’ordre d’emprisonner, en faisant remettre les personnes arretées dans les prisons ordinaires et au pouvoir des tribunaux compétents, avant l’expiration du délai de vingt-quatre heures, sauf au détenu, si t’emprisonne-ment est reconnu injuste, à poursuivre les ministres ou autres agents qui auraient conseillé l’emprisonnement, ou qui auraient pu y contribuer par les ordres qu’ils auraient transmis. Art. 13. Pour assurer dans les mains du Roi la conservation et l’indépendance du pouvoir exécutif, il doit jouir de diverses prérogatives qui seront ci-après détaillées. Art. 14. Le Roi est le chef de la nation ; il est une portion intégrante du corps législatif. 11 a le pouvoir exécutif souverain; il est chargé de maintenir la sûreté du royaume au dehors et dans l’intérieur; de veiller à sa défense ; de faire rendre la justice, en son nom, dans les tribunaux; de faire punir les délits; de procurer le secours des lois à tous ceux qui le réclament; de protéger les droits de tous les citoyens et les prérogatives de la couronne, suivant les lois de la présente constitution. Art. 15. La personne du Roi est inviolable et sacrée. Elle ne peut être actionnée directement devant aucun tribunal. Art. 16. Les offenses commises envers le Roi, la reine et l’héritier présomptif de la couronne, doivent être plus sévèrement punies par les lois que celles qui concernent ses sujets. Art. 17. Le Roi est le dépositaire de la force publique, il est le chef suprême de toutes les forces de terre et de mer. Il a le droit exclusif de lever des troupes, de régler leur marche et leur discipline, d’ordonner les fortifications nécessaires pour la sûreté des frontières, de faire construire des arsenaux, des ports et havres, de recevoir et d’envoyer des ambassadeurs, de contracter des alliances, de faire la paix et la guerre. Art. 18. Le Roi peut passer, pour l’avantage de ses sujets, des traités de commerce; mais ils doivent être ratifiés par le Corps législatif, toutes les fois que leur exécution nécessite de nouveaux droits, de nouveaux règlements ou de nouvelles obligations pour les sujets français. Art. 19. Le Roi a le droit exclusif de battre monnaie ; mais il ne peut faire aucun changement à sa valeur sans le consentement du Corps législatif. Art. 20. A lui seul appartient le droit de donner des lettres de grâce dans les cas où les lois permettent d’en accorder. Art. 21. Il a l’administration de tous les biens de la couronne; mais il ne peut aliéner aucune partie de ses domaines, ni céder à une puissance étrangère aucune portion du territoire soumis à son autorité, ni acquérir une domination nouvelle sans le consentement du Corps législatif. Art. 22. Le Roi peut arrêter, quand il le juge nécessaire, l’exportation des armes et des munitions de guerre. Art. 23. Le Roi peut ordonner des proclamations, pourvu qu’elles soient conformes aux lois, qu’elles en ordonnent l’exécution, et qu’elles ne renferment aucune disposition nouvelle ; mais il ne peut, sans le consentement du Corps législatif, prononcer la surséance d’aucune disposition des lois. Art. 24. Le Roi est le maître absolu du choix de ses ministres et des membres de son conseil. Art. 25. Le Roi est le dépositaire du trésor public; il ordonne et règle les dépenses conformément aux conditions prescrites par les lois qui établissent les subsides. Art. 26. Le Roi a le droit de convoquer le Corps législatif dans l’intervalle des sessions ou des termes fixés par les ajournements. Art. 27. 11 a droit de régler dans son Conseil, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] avec le concours des Assemblées provinciales, ce qui concerne l’administration du royaume, en se conformant aux lois générales qui seront rendues sur cette matière. Art. 28. Le Roi est la source des honneurs : il a la distribution des grâces, des récompenses, la nomination des dignités et emplois ecclésiastiques, civils et militaires. Art. 29. L’indivisibilité et l’hérédité du trône sont les plus sûrs appuis de la paix et de la, félicité publique, et sont inhérentes à la véritable monarchie. La couronne est héréditaire de branche en branche, par ordre et primogéniture, et dans la ligne masculine seulement. Les femmes et leurs descendants en sont exclus. Art. 30. Suivant la loi, le Roi ne meurt jamais, c’esl-à-dire que, par la seule force de la loi, toute l’autorité royale est transmise, incontinent après la mort du monarque, à celui qui a le droit de lui succéder. Art. 31. A l’avenir les Rois de France ne pourront être considérés comme majeurs qu’à l’âge de vingt-un ans accomplis. Art. 32. Pendant la minorité des Rois, ou en cas de démence constatée, l’autorité royale sera exercée par un régent. Art. 33. La régence sera déférée d’après les mêmes règles qui fixent la succession à la couronne, c’est-à-dire qu’elle appartiendra de plein droit à l’héritier présomptif du trône, pourvu qu’il soit majeur ; et dans le cas où il serait mineur, elle passera à celui qui, immédiatement après, aurait le plus de droit à la succession, il exercera la régence jusqu’au terme où elle doit expirer, quand même le plus proche héritier serait devenu majeur dans l’intervalle. Art. 34. Le régent ne pourra jamais avoir la garde du Roi; elle sera donnée à ceux qui auront été indiqués par le testament de son prédécesseur. A défaut de cette indication, la garde d’un Roi mineur appartiendra à la reine-mère; celle d’un Roi en démence appartiendrait à son épouse, et à leur défaut, les représentants de la nation choisiraient la personne à qui cette garde serait confiée. Le régent serait choisi de la même manière, dans le cas où il n’existerait aucun proche parent du Roi ayant droit de lui succéder. Art. 35. Les régents qui seront nommés dans les cas de démence ne pourront faire aucune nomination ou concession, ni donner aucun consentement qui ne puissent être révoqués par le Roi revenu en état de santé, ou par son successeur. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. le comte de Montmorin, ministre des affaires étrangères, et d’une autre lettre de M. le duc de Dorset, ambassadeur d’Angleterre. L’Assemblée autorise son président à accuser réception de ces deux lettres. Cette correspondance est ainsi conçue ; LETTRE de M. le comte de Montmorin à M. le duc de Liancourt , président de V Assemblée nationale. « Versailles, le 27 juillet 1789. « Monsieur le président, M. l’ambassadeur d’An-Ieterre m'a prié instamment d’avoir l’honneur e vous communiquer la lettre ci-jointe. J’ai cru [27 juillet 1789.] 287 d’autant moins pouvoir me refuser à ses instances, qu’il me prévint, en effet, verbalement dans les premiers jours du mois de juin, d’un complot contre le port de Brest. Ceux qui le méditaient demandaient quelques secours pour cette expédition, et un asile en Angleterre ; M. l’ambassadeur ne me donna aucune indication relative aux auteurs de ce projet, et m’assura qu’ils lui étaient absolument inconnus. Les recherches que j’ai pu faire, d’après des données aussi incertaines, ont été infructueuses, comme elles devaient l’être; et j’ai été, dans le temps, obligé de me borner à engager M. le comte de la Luzerne à prescrire au commandant de Brest les précautions les plus multipliées et la vigilance la plus exacte. « J’ai l’honneur d’être avec respect, « Monsieur le Président, votre très-humble et très-obéissant serviteur. « Signé : le comte de Montmorin. » LETTRE de M. l' ambassadeur d'Angleterre à M. le comte de Montmorin. « Paris, ce 26 juillet 1789. « Monsieur, il m’est revenu de plusieurs côtés qu’on cherchait à insinuer que ma Cour avait fomenté en partie les troubles qui ont affligé la capitale depuis quelque temps ; qu’elle profitait de ce moment pour armer contre la France, et que même une flotte était sur les côtes pour coopérer hostilement avec un parti de mécontents. Tout dénués de fondement que sont ces bruits, ils me paraissent avoir gagné l’Assemblée nationale ; et le Courrier national, qui rend compte des séances des 23 et 24 de ce mois, laisse des soupçons qui me peinent d’autant plus que vous savez, Monsieur, combien ma Cour est éloignée de les mériter. « Votre Excellence se rappellera plusieurs conversations que j’eus avec vous au commencement de juin dernier ; le complot affreux qui avait été proposé relativement au port de Brest ; l’empressement que j’ai eu à mettre le Roi et ses ministres sur leurs gardes ; la réponse de ma Cour qui correspondait si fort à mes sentiments, et qui repoussait avec horreur la proposition qu'on lui faisait; en lin les assurances d’attachement qu’elle répétait au Roi et à la nation. Vous me fîtes part alors de la sensibilité de Sa Majesté à cette occasion. « Comme ma Goura infinimentà cœur de conserver la bonne harmonie qui subsiste entre les deux nations, et d’éloigner tout soupçon contraire, je vous prie, Monsieur, de donner connaissance de celte lettre, sans aucun délai, à M. le président de l’Assemblée nationale. Vous sentez combien il est essentiel pour moi qu’on rende justice à ma conduite et à celle de ma Cour, et de chercher à détruire l’effet des insinuations insidieuses qu’on a cherché à répandre. « Il importe infiniment que l’Assemblée nationale connaisse mes sentiments, qu’elle rende justice à ceux de ma nation, et à la conduite franche qu’elle a toujours eue envers la France depuis que j’ai l’honneur d’en être l’organe. « J’ai d’autant plus à cœur que vous ne perdiez pas un seul instant à faire ces démarches, que je le dois à mon caractère personnel, à ma patrie,