231 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791.] de 1777, dont il y a une quantité suffisante pour l’armement dont je parle, et non pas plus qu’il n’en faut. Mais, en même temps, nous avons du vous dire que les districts des frontières étaient désarmés; et si nous eussions voulu entrer dans tous les détails, nous aurions pu ajouter que, dans ce qu’on appelle le poste de Château-Regnaud, il y a 17 communautés absolument limitrophes de la frontière, qui avaient envoyé à Metz, samedi dernier, des députations, et qui étaient très animées de ce qu’elles n’avaient pas encore reçu un seul fusil depuis la Révolution. Ainsi je ne nie pas qu’on ait délivré 700,000 fusils, car le royaume est assez grand pour en consommer davantage; mais en aurait-on distribué plus encore, il n’en est pas moins vrai que les districts des frontières en manquent; les campagnes en manquent. Il faudra donc en donner encore et nous n’avons pas un mot à retrancher à ce que nous vous avons dit. M. Alexandre de Lamcth. En demandant la parole, mon intention n’est pas de retarder l’impression de l'intéressant rapport de M. de Monles-quiou; mais, sans révoquer en doute tous les détails qu’il renferme, je pense qu’il est important que l’on sache que le comité militaire fera, après-demain, un rapport, dans lequel on verra clairement, et d’après les états les plus exacts, quels sont nos moyens de défense; dans lequel on verra que, si quelques postes ne sont pas parfaitement en état, les moyens matériels du royaume n’en sont pas moins très rassurants : qu’en fait de subsistances, il y a dans ce moment 295,000 sacs de blé dans les magasins, quantité suffisante pour nourrir pendant 6 mois une armée de 260,000 hommes, et que nous sommes à la veille de la récolte; qu’en fourrages, il y a également dans les magasins 2,800,000 rations suffisantes pour 26,000 chevaux pendant 4 mois, et que les foins se font dans ce moment; qu’en artillerie la France en a dans ses arsenaux et dans ses places un tiers de plus que le reste de l’Europe entière. A ces moyens, nous vous proposerons d’en réunir d’autres, et d’ajouter à la force de l'armée de ligne près de 100,000 gardes nationales que vors entretiendrez dès ce moment, et qui défendront vos frontières concurremment avec les troupes de ligne ; enfin, Messieurs, nous espérons que la connaissance exacte et authentique de votre situation sera également propre à détruire et les espérances de nos ennemis et les craintes des citoyens. (Applaudissements.) M. F réteau-Saint-Just. Je demande que le rapport dont vient de parler M. de Lameih soit imprimé en même temps que celui de M. de Montesquiou, afin que les deux paraissent à la fois. (Oui! oui!) M. de Woailies. Eu appuyant la demande d’impression du rapport fait au nom des trois commissaires, je demande l’adjonction de ceux-ci au comité militaire ; il me semble que, dans ce moment, il est extrêmement précieux de s'entourer de tous les renseignements qu’ils ont pu recueillir et de l’expérience qu’ils ont acquise dans leur mission sur les frontières. J’observerai en outre que les propositions faites par M. de Montesquiou, sur la situation actuelle de notre armée, doivent être prises en très sérieuse considération. ( Applaudissements .) (L’Assemblée décrète l’impression du rapport de M. de Montesquiou et ordonne l’adjonction des 3 commissaires au comité militaire pour en faire l’examen.) M. de Aismes, un des commissaires. Messieurs, le décret du 22 juin ordonnait que le premier de vos commissaires viendrait, immédiatement après le serment des troupes, rendre compte de l’état des départements qu’ils auraient visités. Cette disposition nous a fait douter si nous ne devions pa=q M. Colonna et moi, attendre sur les lieux de nouveaux ordres de l’Assemblée. Voici les réflexions qui nous ont déterminé à venir avec M. de Montesquiou. D’abord il nous a semblé que notre commission était devenue indivisible par le décret du 23 juin, qui nous charge indistinctement de nous éclairer sur la conduile des officiers sous les ordres de M. de Bouillé, et de suspendre ceux qui nous paraîtraient suspects. Nous avons considéré ensuite que, quand ce décret du 22 juin a été rendu, on ne connaissait encore ni les obstacles mis à l’évasion du roi, ni la trahison et la fuite de M. de Bouillé. Alors de prochaines entreprises contre la France pouvaient paraître vraisemblables ; alors la présence de quelques commissaires de l’Assemblée nationale devenait nécessaire dans les lieux où les hostilités étaient à craindre et au moment où elles viendraient à éclater; mais les justes motifs de votre prévoyance ne se sont pas réalisés. Les desseins pervers des ennemis de l’Etat ont été déconcertés, et le calme qui règne sur la frontière que nous avons parcourue laisse toutes les facilités de pourvoir à sa défense. Enfin, nous nous sommes convaiucus que le véritable objet de notre mission est rempli, autant que les circonstances pouvaient le permettre; car ce n’est point sans doute une reconnaissance approfondie de tous les détails militaires que vous demandiez : vous étiez trop éclairés pour l’attendre de nous, et il eut été indiscret de notre part de les promettre. Vous aidiez avoir une idée générale des 3 départements, et de justes notions sont les mesures principales qu’exige leur sûreté. Or, après avoir recueilli des renseignements qui nous ont paru propres à remplir ce but, notre devoir nous a paru nous imposer la loi chère à nos cœurs de venir avec empressement reprendre notre poste auprès de vous. Au surplus, Messieurs, si vous eo jugez autrement, si d’après le rapport que vous venez d’entendre vous pensiez qu’il restât quelque chose à faire pour compléter l’objet de notre mission, diles un mot, et dès ce soir nous volerons exécuter les nouveaux ordres que vous daignerez nous donner. (Applaudissements.) L’ordre du jour est un rapport des comités militaire, diplomatique, de Constitution , de révision , de jurisprudence criminelle, des rapports et des recherches sur les ëvé?ieme?its relatifs à l'évasion du roi et de la famille royale. M. Muguet «le Hanthou, rapporteur . Messieurs, la Constitution était presque achevée; vous touchiez au moment, où, après avoir été dépositaires de tous les pouvoirs, vous redeveniez simples citoyens, et vous alliez donner l’exemple de la soumission aux lois que vous aviez faites. La nation reconnaissante, convoquée en assemblées primaires, voyait arriver cette époque heureuse où la première législature succédant au pouvoir constituant, toutes les espé- 232 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791.] rances des méconlents allaient être détruites, les i roubles partiels dissipés, la tranquillité rétablie dans tout l’Empire. Si les mouvements des puissances voisines, si leurs intentions, non encore manifestées, avaient pu faire concevoir quelques inquiétudes, l’Assemblée nationale, après avoir pris des mesures pour pourvoir à la défense des frontières, se rassurait en contemplant le spectacle imposant de plusieurs millions d’hommes armés pour la défense de la Constitution et prêts à mourir pour la liberté : c’est dans cet instant que le roi s’éloigne avec sa famille. Un chef audacieux, dissimulant ses coupables intentions, l’arrache, par ses conseils, de la capitale, pour l’entraîner aux extrémités de l’Empire, le placer au milieu d’un camp, et le faire servir d’instrument à son ambition. Cet événement qui, si l’espoir des factieux eût été rempli, devait répandre le trouble et l’anarchie, n’a servi qu’à développer l’énergie de la nation française, et la juste confiance qu’elle avait dans sa force et dans sa puissance. En ce jour d’alarme, les amis de la liberté se sont comptés avec orgueil ; et si leur courage n’eût pas été au-dessus de toute crainte, ils eussent été rassurés en voyant combien était faible le nombre de ceux qui insultent à la Constitution : la paix publique n’a point été altérée; le roi a vu toute sa puissance obligée de céder à la réquisition d’un officier municipal qui parlait au nom de la loi; les soldats, fidèles à leur serment, se sont réunis aux citoyens ; et on a pu se convaincre que désormais en France il n’est plus d’autre puissance, d’autre autorité que celle de la loi, à laquelle tout doit obéir. Vous avez désiré, Messieurs, connaître les détails de cet événement invraisemblable pour ceux mêmes qui en ont été les témoins, et dont toutes les circonstances sont si honorables pour la nation. Vos comités ont pensé qu’ils ne devaient pas attendre, pour remplir la mission dont vous les aviez chargés, que toutes les informations que vous avez ordonnées fussent terminées : ces informations entraîneront des délais auxquels la juste impatience de la nation, qui a droit de connaître les coupables, n’aurait pu se prêter. Les principaux faits sont connus, et je vais, au nom de vos comités, tous en faire le récit tel qu’il résulte des pièces qui leur sont déjà parvenues. Depuis longtemps. le sieur de Bouillé pressait le roi de s’éloigner de Paris, où il lui créait des dangers imaginaires; il l’investissait de terreurs et d’inquiétudes, et il lui promettait, au milieu des départements dans lesquels il commandait la force armée, une paix et une liberté dont il affectait de croire qu’il était privé : longtemps le roi résiste; enfin il cède, et dès ce moment tout est préparé pour le départ. Le 11 juin, la reine, accomnagnée du roi seul, se rendit à 5 heures chez Mme de Rochereuil, l’une des femmes attachées à son service, dont le logement communique et à l’appartement de la reine par un corridor, et à l’appartement de M. de Villequier par un escalier. La reine, après avoir parcouru ce logement, en avoir examiné les diverses communications, dit à Mmc de Rochereuil qu’elle se proposait d’en disposer pour sa première femme de chambre; ensuite le roi se fit conduire dans l’antichambre de l’appartement de M. de Villequier, dont la porte donne sur la cour des Princes. Il demanda la clef de cette porte : Mm0 de Rochereuil lui répondit que, depuis le départ de M. de Villequier, celte porte restait toujours ouverte, et qu’elle ne faisait fermer que celle qui se trouvait au bas du petit escalier par lequel elle descendait dans cette antichambre. Le 13, le roi ordonna au sieur Renard, inspecteur des bâtiments, de lui faire remettre une clef de la porte d’entrée de l’antichambre de M. de Villequier, et une clef de la porte du petit escalier par lequel Mrae de Rochereuil communiquait à cette antichambre ; ce qui fut exécuté. Le 17, le sieur Dumoustier, ci-devant garde du corps, se promenant au jardin des Tuileries, fut abordé par un inconnu qui lui dit de le suivre; que le roi avait des ordres à luidonner.il suivit cet inconnu, qui l’introduisit dans la chambre du roi. Le roi, auquel il n’avait jamais eu l’honneur de parler, lui ordonna de dire aux sieurs de Maldent et de Valory, deux de ses anciens camarades, de se faire faire, ainsi qu’à lui, des vestes de courriers, de couleur jaune; il lui ordonna de se promener le soir sur le quai du pont Royal, où une personne, qui se ferait connaître, “lui ferait parvenir des ordres ultérieurs. Le sieur Dumoustier, ainsi que ses camarades, se conformèrent aux intentions du roi ; et, d'après les ordres qu’ils reçurent par une personne inconnue, le 20, le sieur de Valory se rendit à cheval à Bondy, pour y faire préparer des chevaux de poste, et y attendre le roi : le sieur Dumoustier se rencontre le même jour à la porte Saint-Martin, où était une berline attelée de 4 chevaux. Le sieur de Maldent fut dans la cour du château à neuf heures du soir du lundi, d’où il fut conduit dans un petit cabinet où il resta enfermé jusqu’à minuit. Une voiture attelée de deux chevaux fut placée à onze heures dans la cour des Princes ; une chaise qui fut prise dans la maison de M. le comte de Fersen, ancien colonel propriétaire du régiment Royal-Suédois, un des principaux agents de cette entreprise, fut postée à l’extrémité du pont Royal sur le quai Voltaire. Rien ne fut, changé quant au service de la famille royale; les ordres d’usage furent donnés pour le lendemain; le coucher se fit aux heures ordinaires; à 11 heures et demie, la reine descendit chez sa fille, donna ordre à Mme Bru-nier, femme de chambre de service, d’habiller Madame Royale, et de la conduire dans l’appartement de M. le Dauphin. Mmo de Tourzel, qui en avait reçu l’ordre du roi dans le cours delà journée, dit à la même heure à Mme de Neuville de lever M. le Dauphin, et lorsque Madame Royale fut descendue, elle se rendit avec elle et M. le Dauphin, ainsi que les dames Neuville et Brunier, dans un entresol où se trouva la reine, le roi, Madame Elisabeth et deux iucon-nus. L’un de ces inconnus fut chargé de conduire les dames Brunier et de Neuville à la voiture qui était au pont Royal : l’inconnu, après les avoir placées dans la voiture, s’éloigna, et elles se rendirent à Glaye d’après l’ordre qui leur en avait été donné par la reine. L’autre inconnu conduisit Mme de Tourzel avec M. le Dauphin et Madame Royale, par le petit escalier de Mrae de Rochereuil, dans la cour des Princes, où était une voiture destinée à les recevoir. La voiture sortit et s’arrêta à l’extrémité du Carrousel, pour y attendre les autres personnes de la famille royale ; Madame Elisabeth et la reine arrivèrent seules et à pied auprès de la voiture, où elles furent placées par le cocher; ensuite vint le roi, suivi du sieur de Maldent qui monta, derrière la voiture, qui prit alors le chemin de Bondy. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 233 A la porte Saint-Martin, la famille royale descendit pour se placer dans la voiture qui les y attendait avec le sieur Dumoustier; le même cocher qui avait conduit la première voiture monta sur le siège de la seconde jusqu’à Bondy, où le sieur de Valory fit atteler des chevaux de poste qu’il avait fait préparer à Glaye ; la voiture des femmes de chambre se joignit à celle du roi, qui suivit sa route jusqu’à Varennes sans aucune difficulté. Il descendit de voiture à différentes postes, conversa avec les personnes qu’il y rencontra, et montra pendant tout le voyage beaucoup de sécurité et de confiance. Le sieur Drouet, maître de poste à Sainte-Mene-hould, avait conçu quelques soupçons sur les personnes qui étaient renfermées dans la voiture du roi : quelques traits qu’il crut reconnaître lui firent penser que ce pouvait être la reine. Il avait vu la veille arriver un détachement de dragons dont on ne connaissait pas la destination; le commandant de ce détachement avait parlé d’un air mystérieux aux courriers; les courriers mettaient beaucoup d’empressement à faire partir les postillons : cependant il n’osa arrêter les voitures; mais à peine furent-elles parties, que s’apercevant qu’on voulait faire monter à cheval le détachement de dragons, il ne douta plus que ses soupçons ne fuissent réels. Il crie aux armes, fait battre la générale, annonce à tous ses concitoyens que c’est la famille royale qui vient de passer, invite la garde nationale à empêcher les dragons de le poursuivre, et il se met, avec le sieur Guillaume, commis du district, àla suitedes voilures. A Clermont, il apprendqu’au lieu de suivre la route de Metz, comme les courriers l’annonçaient, les voitures avaient pris !a route de Varennes ; il prend avec le sieur Guillaume un chemin de traverse, et devance de quelques instants l’arrivée du roi à Varennes. Ces deux citoyens apprennent au sieurLe Blanc, aubergiste à l’enseigne du Bras-d’Or, que deux voitures descendent derrière eux ; qu’ils soupçonnent qu’elles renferment le roi et la famille royale. Le sieur Le Blanc court avertir le sieur Sauce, procureur de la commune ; rentre chez lui, s’arme ainsi que son frère, et ils se postent pour attendre l’arrivée des voitures. Le procureur de la commune fuit avertir l’officier municipal faisant les fonctions de maire, et donne ordre à ses enfants et à ses domestiques de parcourir les rues de Varennes, et d’y donner l’alarme. Pendant ce temps, les sieurs Drouet et Guillaume conduisirent une voiture chargée, qu’ils renversèrent sur le pont, pour en barricader l’entrée : les voitures arrivent, il était près de minuit. Les deux frères Le Blanc avaient arrêté la première, qui était un cabriolet dans lequel étaient deux femmes. Le procureur de la commune s’approche, demande les passeports : on lui répond que ce sont les personnes qui sont dans la seconde voiture qui en sont munies; il s’avance vers cette voiture attelée de 6 chevaux, suivie de 3 cavaliers et ayant trois hommes habillés de jaune sur le siège; les deux frères Le Blanc, auxquels s’étaient réunis d’autres citoyens de Varennes défendent le passage. Le procureur de la commune, après s’être fait connaître, demande les passeports : on lui répond qu’on va à Francfort, et on lui présente un passeport délivré à Mme la baronne de Korff, pour sa famille et ses domestiques, signé : Louis, plus bas : Montmorin. Le procureur de la commune représente qu’il était trop tard pour viser le passeport; que la difficulté des chemins, et la rumeur qui existait pour lemoment dans la ville, (13 juillet 1791.] devaient engager les personnes qui étaient dans la voiture à descendre, et il leur offre sa maison ; ce qu’elles acceptent. L’alarme cependant était générale dans toute la ville; la garde nationale s’occupait à placer des postes, à défendre les entrées ; on forma des barricades avec des pièces de bois, des voitures; on plaça du canon sur la route de Clermont. Dans ce moment, parut un détacheraet de hussards, qui la veille était sorti de Varennes. Le sieur Blondel, commandant, se fait connaître : on lui refuse le passage; un homme à cheval veut le forcer : on l’oblige à s’éloigner. La garde nationale arrive, et après avoir reconnule détachement, elle l’introduit dans la ville; les pièces de canon furent mises dans la rue auprès de la maison où était le roi. Le procureur delà commune avertit le sieur de Lon, juge du tribunal, pour venir reconnaître si c’est réellement le roi qui est arrêté. En sortant de chez cet officier, le sieur Sauce voit les hussards en bataille devant l’ancien palais. Il leur annonce qu’il croit que c’est le roi qui est arrêté, et qu’il pense qu’ils sont trop bons citoyens pour se prêter à son évasion. Le détachement qui venait d’arriver se rendit au quartier, et d’après les ordres qu’il reçut, il se rangea en bataille devant la maison du procureur de la commune ; il était commandé par un aide de camp de M. deBouillé, qui dit qu’il voulait parler au roi. On l’introduit; on lui demande son nom, il s’appelait Goglas. Le roi lui demande : Quand part-on? L’aide de camp lui répond qu’il attend ses ordres. Le roi lui dit alors, ainsi qu’au major de la garde nationale qui était présent, qu’il ne voulait que 50 ou 100 gardes nationales pour l’accompagner. Tous ces faits, ainsi que ceux qui suiveut, sont extraits du procès-verbal de la municipalité de Varennes. Leroi ne pouvant plus se dissimuler qu’il était reconnu, se jeta dans les bras du procureur de la commune, et dit : Je suis votre roi. Placé dans la capitale au milieu des poignards et des baïonnettes, je viens chercher en province, au milieu de mes fidèles sujets, la liberté et la paix dont vous jouissez tous. Je ne puis plus rester à Paris sans y mourir , ma famille et moi; et en même, temps il embrasse ceux qui l’entourent. En vain on 1 ■ presse, les larmes au yeux, de retourner dans la capitale : il s’y oppose*; l’idée qu’il se forme d s prétendus périls qui le menacent, des événements qu’il prévoit, l’empêchent de c éder aux instant s qu’on lui fait. La reine partage ses craintes et ses alarmes, et malgré les prières des citoyens de Varennes qui le pressent de retourner pour assurer la paix dans le royaume, le roi persiste à vouloir se rendre à Montmédy, en déclarant que son intention n’était par de sortir du royaume, et que la garde nationale pouvait l’accompagner., Pendant ce temps, 5 dragons traversent la ville et ne s’arrêtent qu’à l’extrémité. On était incertain des dispositions des hussards auxquels le sieur Goglas faisait faire différents mouvements, et paraissait vouloir envelopper les batteries; alors on change les dispositions de ces batteries, et on les place aux deux extrémités de la rue pour mettre les hussards entre deux feux. Le sieur Goglas s’en aperçoit, et reconnaît l’insuflîsance de ses forces. Il veut s’éloigner pour amener de nouveaux secours; le major de la garde nationale l’arrête, lui dit que le roi ne veut que 50 hommes : l’aide de camp veut forcer le passage, et porte un coup de sabre au major qui l’évite, et lui tire un coup de pistolet dont le sieur Goglas est blessé. Ce combat se passe en présence des hussards qui 234 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791. j ne font aucun mouvement. L’aide de camp se retire à l’auberge, et le détachement demande un officier de la garde nationale pour commander. A l’instant, l’on entendit de tous côtés les cris de : vive le roi! vive la nation! vive Laumn ! Un cavalier de la gendarmerie qui avait rencontré le fils du général deBouillé qui faisait avancer de Dun un détachement de hussards, et avait couru un très grand danger, redoubla l’inquiétude : on sentit la nécessité d’accélérer le départ du roi. Le nombre des gardes nationales, qui arrivaient de tous côtés, rendait ce départ moins dangereux. Arrivent en ce moment deux courriers dont un était aide de camp du général des gardes nationales parisiennes ; il était porteur d’ordres de l’Assemblée nationale; il les présente au roi et lui exprime la douleur dans laquelle son évasion avait plongé la capitale, le danger qu’il y aurait à prolonger son séjour dans un lieu aussi peu éloigné des frontières; qu’il exposait sapersonne et celle de tous les citoyens qui l’environnent. Le roi insistait toujours, et disait que son intention n’avait jamais été de quitter la France, et qu’il voulait partir pour Montmédy. Chaque instant augmentait le péril et redoublait les alarmes, un détachement de hussards qui était à Duo commandé par le sieur Delon paraît : il veut forcer le passage, mais inutilement; il est repoussé; le départ aussitôt est décidé; les citoyens fournissent chevaux et voitures; le sieur Signc-cour, commandant de la garde nationale de Neuvilly, est nommé pour commander l’escorte. A peine le cortège était-il en marche, qu’on ap-perçoit sur [une hauteur un nombreux détache* ment de Royal-Allemand qui, voyant la bonne contenance des gardes nationales et leur nombre, n’osa pénétrer. Un peloton de hussards se détache, ayant à leur tète le fils du général deBouillé, qui veut tenter la passage de la rivière et couper la marche du roi; mais le passage est impossible : il est obligé de rejoindre sa troupe. Les officiers municipaux de Varennes se proposaient d’accompagner le roi jusque dans la capitale; mais arrivés à Clermont, ils apprennent que les détachements de cavalerie qui environnaient Varennes y avaient jeté l’alarme; que la garde nationale qui servait d’escorte au roi la laissait sans défense, exposée à une invasion prochaine des troupes étrangères qu’on assurait être entrées sur le territoire français. Le péril de leur patrie les rappelle; et après avoir confié la garde du roi à la municipalité et au district de Clermont, iis retournent à Varennes se réunir à leurs concitoyens, les aider de leurs conseils, et partager leurs dangers. ( Vifs applaudissements.) Le roi sur la route éprouve partout les mêmes témoignages de respect de la part de la garde nationale. Il voit le même empressement à assurer sa marche, et partout le même courage pour le défendre. Les cris de vive la nation! vive l’Assemblée nationale! qui étaient universels, durent le convaincre que la France entière n’avait qu’un vœu, qu’un sentiment, celui de vivre sous une Constitution libre. Je ne vous retracerai pas les détails que vous connaissez, et dont les commissaires que vous avez envoyés pour accompagner le roi vous ont rendu compte; mais je dois vous présenter le récit de quelques faits qui, s’étant passés boi s des lieux où était le roi, doivent être soumis à votre examen, puisqu’ils doivent contribuer à former votre détermination. Le général de Bouillé, pourmieux assurer l’exécution de ses projets, et couvrir ses perfides manœuvres, avait depuis longtemps préparé les esprits aux différents mouvements de troupes qu’il se proposait d’ordonner. Il avait annoncé que les dispositions des puissances étrangères l’obligeraient à former un camp pour le mettre à l’abri d’une invasion : Montmédy était le lieu qu’il avait choisi pour cet objet; sous ce prétexte, un cordon dégroupés avait été formé sur la frontière; des escadrons avaient été placés en seconde ligne dans différents postes; des ingénieurs s’étaient transportés à Montmédy, avaient tiré près de cette ville des lignes pour le camp projeté, et le sieur de Vallecourt, commissaire des guerres de Thionville, y avait fait plusieurs voyages pour y disposer les logements, pourvoir aux vivres et aux fourrages, et faire les autres préparatifs nécessaires. Le 18 juin, le général se rend avec son état-major et plusieurs officiers généraux à Montmédy, pour reconnaître la place et le terrain qui avait été tracé pour asseoir le camp; il donne des ordres pour faire cuire 18,000 rations de pain, préparer le fourrage, et tenir prêts tous les effets de campement. Différents corps de troupes, composés principalement de soldats allemands et étrangers, sont mis en marche; le général arrive le 20 à Stenay, fait manœuvrer le régiment de Royal-Allemand, s’assure, autant qu’il peut, de ce corps en le comblant d’éloges ; là, il reçoit un courrier qui lui annonce que le roi doit partir dans la nuit du 20 au 21. Sur-le-champ il fait partir des ordres portés par des officiers chargés de disposer des détachements pour servir d’escorte, et assurer que c’était pour accompagner un trésor, que toutes ces dispositions étaient faites. Les mesures qui avaient été ordonnées étaient telles, que depuis la première poste après Ghâlons, il y avait à chaque retai jusqu’à Montmédy, des détachements de 100 hommes commandés par des officiers de confiance, chargés de veiller à l’exécution des ordres particuliers dont ils étaient porteurs, et autorisés à annoncer aux soldats que c’était le roi qu’ils escortaient, et dont ils devaieat protéger la marche. Les détachements placés sur la route du roi, devaient après son passage se replier, couvrir sa marche, et se réunir sous les murs de Montmédy où devait se faire le rassemblement général. Le sieur d’Heymann annonce à M. deBouillé qu’il arrivera le 25 à Montmédy, et lui fait part des bonnes dispositions des régiments de Saxe et de Ber-chenv, auxquels en conséquence il a donné des ordres. Le régiment de Castella, sous la conduite du sieur Desoteux, adjudant général, arrive par des chemins détournés et par une marche précipitée à Danvillers. Mais toutes ces dispositions sont inutiles. Le détachement placé au premier relai après Ghâlons, en part à 4 heures, et n’exécute pas l’ordre qu’il a reçu; celui qui est à Sainte-Menehould se réuni-t aux citoyens, et ses chefs sont arrêtés. La municipalité de Clermont s’oppose au départ de l’escadron que commandait le sieur de Damas, quiest obligé de faire mettre pied à terre à ses dragons, et qui gagne Varennes, escorté seulement d’un officier et d’un maréchal des logis. Le roi est arrêté à Varennes, et environné d’une garde nombreuse composée de gardes nationales. Un cavalier qui traverse la rivière, envoyé par M. de Choiseul-Stainville, annonce à M. de Bouillé tous ces mouvements. Le général ordonne, à 3 heures du matin, au régiment de Royal-Allemand de monter à cheval : il part de Stenay à 5 heures, à la tête de ce régiment; et après avoir marché quelque temps, il fait faire halte, et annonce aux cavaliers que le 235 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791.] roi est arrêté; qu’il veut se rendre à Montmédy, -et qu’il les a choisis pour ses gardes. Il leur demande s’ils veulent le suivre; les cavaliers y consentent et il leur distribue 200 louis. Il est joint en route par un détachement de hussards que lui amène son fils. Arrivé près de Varennes, il reçoit un courrier qui lui fait défense de la part du roi de rien entreprendre,. Il retourne sur ses pas avec le régiment de Royal-Àllemand ; à peine arrivé, il demande la route de l’abbaye d’Orval, terre d’Empire, où il s’enfuit avec 1 s sieurs de Klinglin et d’Offlyse, maréchaux de camp, et quelques officiers qui l’accompagnaient. Cependant, la nouvelle du départ du roi avait mis en mouvement toutes les gardes nationales; de tous côiés il arrivait à Varennes des détachements nombreux : les corps administratifs des départements de la Meuse, de la Moselle, des Ardennes, les municipalités s’assemblent, les précautions les plus sages sont ordonnées et exécutées, partout on assure la tranquillité publique, et on se met en défense contre l’ennemi; des commissaires parcourent les départements pour y maintenir l’ordre, faire retirer les troupes dans leurs garnisons, désigner des quartiers aux détachements, garder les postes principaux, s’assurer des arsenaux, distribuer des armes et des munitions aux villages qui sont les plus exposés, enfin prévenir, par tous les moyens que leur prudence et leur patriotisme leur inspirent, les mauvais desseins des ennemis. Les soldats qui avaient ignoré les intentions de leurs chefs les désavouent, protestent de leur fidélité à la nation et à la loi. La confiance renaît entre eux et les citoyens, et tous ensemble jurent de mourir pour la défense de la patrie et de la Constitulion. Avant de tirer les conséquences qui sortent des faits que je viens d’exposer, avant d'examiner quel est le délit qui peut on résulter, et quels sont ceux qui sont coupables, une grande question se présente, elle doit être considérée isolément et sous les rapports politiques qu’elle embrasse. Le roi peut-il être mis en cause pour le fait de son évasion ? Pour la décider, vos comités ont consulté vos décrets, et c’est dans vos principes qu’ils ont puisé les motifs de leur détermination. Lorsque, envoyés pour donner une Constitution à votre pays, vous avez examiné quel gouvernement vous adopteriez, vous avez consulté l’intérêt. de tous, et non le vœu d’un seul. Vous avez recherché ce qui était le plus avantageux au peuple, et non ce qui convenait le mieux à un individu. Vous avez interrogé les mœurs de la nation, et vous n’avez pas voulu asseoir vos principes sur une base aussi mobile que les vices ou les vertus d’un roi. Vous avez ba’ancé les avantages et les inconvénients de divers gouvernements, et si, dans votre Constitulion, vous avez adopté le gouvernement monarchique, c’est parce qu'il vous a présenté plus de moyens d’assurer le bonheur du peuple, et la prospérité de l’Etat, qui en est la suite. Vous avez été persuadés que pour conserver cette unité politique, si nécessaire dans un vaste Empire dont toutes les parties tendent naturellement à se diviser, pour unir fortement toutes ces parties entre elles, et les rattacher avec force à un point unique et central; que pour donner à une vaste administration cette activité et cette énergie sans laquelle elle languit et se déssèche; pour donner enfin à tons les ressorts de la machine politique un mouvement uniforme et exempt de frottement, il fallait que le pouvoir exécutif résidât dans la main d’un seul, avec des agents responsables; que ce gouvernement d’ailleurs, en détruisant l’esprit rie parti, qui no peut y trouver d'aliment, en anéantissant les factions, était le tombeau des ambitions particulières; et qu’en élevant un seul homme, il conservait pour tous les autres cette égalité précieuse, base immuable de votre Constitution. C’est donc pour la nation et non pour le roi que la monarchie à été établie; et c’est également pour l’intérêt national que l’hérédité du trône a été décrétée. Sans doute, vous n’avez pas voulu accorder aune famille l’étrange prérogative de toujours commander lorsque les autres citoyens obéiraient : votre intention a été que la mort d’un roi ne devînt pas une époque de guerre civile pour la nation ; que la nomination de son successeur ne fût pas la suite de troubles et de factions. Mais si, pour assurer la liberté, vous avez voulu recevoir ainsi du hasard celui qui doit être le chef de l’Empire, vous vous êtes imposé par là le devoir de faire une Constitution qui fût indépendante des bonnes et des mauvaises qualités du prince, et d’établir un gouvernement tel qu’il n’eût rien à redouter ni de l’énergie d’un roi entreprenant, ni de la faiblesse d’un monarque incapable. Par une suite nécessaire des mêmes principes, vous avez décrété quela personne du roi serait inviolable ; ce n’est certes pas pour lui ni pour lui assurer l’absurde privilège de tout faire impunément; ce n’est pas par une superstitieuse idolâtrie que cette fiction précieuse de la loi a été consacrée; c’est pour l’intérêt même de la nation et la stabilité du gouvernement que cette inviolabilité est devenue non un privilège de lapersonne, mais un attribut nécessaire du pouvoir. Le despotisme ne peut naître que de la confusion des pouvoirs : vous avez donc dû les séparer et les rendre tellement indépendants que l’un ne pût usurper les droits de l’autre. Le pouvoir exécutif résidant en la personne d’un seul, ses fonctions sont si inhérentes à cette p(3rsonrie qu’elles en sont, en quelque sorte, inséparables : le roi n’est pas un citoyen, mais il est à lui seul un pouvoir. Si ce pouvoir n’est pas indépendant, bientôt il sera détruit par celui auquel il sera subordonné, et celte indépendance ne peut être conservée que par l'inviolabilité de la personne qui le représente. Si le roi, qu’on ne peut séparer de la royauté, était accusable par le Corps législatif, bientôt il serait dans sa dépendance: et ce corps en comprimant son action finirait par usurper ses droits. Si l’inviolabilité du pouvoir législatif est nécessaire à la liberté publique, l’inviolabilité du roi peut seule assurer l’énergie du corps exécutif. Ces deux pouvoirs, parties essentielles et actives de la machine politique, ne peuvent être justiciables, ni soumis à aucune accusation, et ils ne sont dépendants que des lois, que la Constitution a faites pour eux seuls. Cette inviolabilité de la personne du monarque doit être tellement respectée que, pour empêcher qu’il n’y fût porté aucun atteinte, vous avez cherché à trouver un remède à ce qu’elle pouvait avoir de menaçant pourlaiibertédes citoyens; vous avez décrété qu’aucun ordre du roi ne serait exécuté qu’autant qu’il serait contresigné, afin que la loi eût, pour toutes les actions du roi, un individu qu’elle pût poursuivre, et qui en fût responsable; et lors même que le roi agit personnellement, la loi, par une fiction nécessaire à la conservation du pouvoir, suppose que quelqu’un lui en a donné 236 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. le conseil; alors c’est contre ceux qui peuvent être soupçonnés de ce conseil que l’accusation se dirige, et non contre la personne du roi. Cette responsabilité des personnes qui environnent le trône, et des agents du pouvoir exécutif, doit être si sévère et si rigoureusement exercée qu’il soit impossible au roi de trouver quelqu’un qui ose ou exécuter en son nom, ou favoriser, d’une manière quelconque, une entreprise qui serait dangereuse. 11 faut que le roi soit tout-puissant pour faire le bien, et sans force, comme sans moyens, pour faire le mal; que tous les citoyens lui obéissent lorsqu’il parle au nom de la loi, et que son autorité soit nulle du moment qu'il s’en écarte. Le changement d’un agent du pouvoir exécutif est insensible pour la nation : s’il est coupable, son supplice, loin d’ébranler la Constitution, assure, au contraire, l’exécution des lois ; mais l’accusation seule du monarque serait une cause de trouble et d’inquiétude. Si les actes individuels du roi pouvaient être soumis aux règles ordinaires de la justice, le roi pourrait être traduit devant les tribunaux pour des actions qui ne seraient pas coupables, ou pour des délits qu’il n’aurait pas commis; car il n’est pas nécessaire qu’un fait soit vrai pour donner lieu à l’accusation ; il suffit qu’il soit douteux ; et c’est par la procédure que la vérité en est reconnue, et elle le serait, n’en doutez point; ces hommes qui font métier de déchirer et d’attaquer tout ce qui est grand pour s’acquérir de la célébrité ne manqueraient pas de l’accuser. Les accusations pourraient être multipliées. Cela serait, sans doute, sans danger, si le roi pouvait être séparé de la royauté ; mais, comme ses fonctions et sa personne se confondent, la dignité du pouvoir exécutif, qu’il est encore plus de l’intérêt de la nation que du roi de conserver, en serait évidemment altérée. Il est possible cependant qu’un roi se porte à des actes personnels si coupables, à des excès si répréhensibles, qu’ils ne pourraient être tolérés ; mais alors même il ne doit pas être accusé ; et, pour ne pas affaiblir le pouvoir exécutif, la loi, le supposant en démence, Jui décerne un régent. C’est d’après ces principes, qui sont impérieusement exigés pour la stabilité du gouvernement monarchique, et qui sont conformes à vos décrets, que vous devriez déterminer votre conduite à l’égard du roi, si vous le considériez comme coupable. Mais son évasion avec sa famille est-elle un délit? C’est encore par vos décrets que cette question doit être décidée. Par votre décret du 28 mars, vous avez dit : « Le roi, premier fonctionnaire public, doit avoir sa résidence à 20 lieues au plus de l’Assemblée nationale lorsqu’elle est réunie. « Si le roi sortait du royaume, et si, après avoir été invité par une sommation du Corps législatif, il ne rentrait pas, il serait censé avoir abdiqué la royauté. » Je ne me permettrai ni réflexions ni commentaires sur ce décret, dont les circonstances actuelles doivent vous prouver l’insuffisance; lorsqu’il s’agit deprononcer si telle action est un délit, je le sais, ce n’est pas par des considérations ou des règles arbitraires qu’on peut se déterminer, et c’est la loi seule et non pas vous qui devez prononcer. Si le roi fût resté à Montmédy, vous deviez donc lui représenter que la Constitution voulait qu’il ne fût pas éloigné de vous de plus de 20 lieues ; s’il eût passé les barrières de l’Empire, vous auriez encore, avant de prononcer la déchéance, 113 juillet 1791.] des formalités à remplir ; la Constitution n’a pns prévu tous les cas de déchéance, peut-être vous en reste-t-il d’importants à décréter ; mais ces lois ne sont pas faites encore, et l’on ne peut pas en exiger l’exécution. L’Assemblée nationale, dans le cours d’octobre, avait déclaré qu’elle était inséparable de la personne du roi, quoique la Constitution fût à peine commencée, et que les devoirs du roi et de la famille royale n’y fussent pas encore tracés ; cette déclaration ri'était-elle pas un engagement réciproque? Cette marque de dévouement de l'Assemblée n’imposait-elle pas au roi le devoir de la prévenir de son départ? Si, trompé par des alarmes suggérées, il avait pu se persuader que des dangers menaçaient sa famille et lui, au milieu de la capitale, ne devait-il pas déposer ses inquiétudes, ses craintes dans le’sein de l’Assemblée? Les représentants de la nation l’auraient facilement rassuré; ils auraient dissipé tous ses soupçons et fait évanouir ses terreurs. Devait-il, pur une fuite injurieuse pour ceux qui l’environnaient, armer contre lui l’opinion et s’exposer à devenir l’instrument du premier ambitieux qui se serait saisi de sa personne ? Une démarche qui pouvait être la cause d’une multitude de désordres et de malheurs ne peut-elle pas justement l’accuser? Obligé de me conformer rigoureusement aux principes que vous avez décrétés, puisque ce n’est que d’après eux que vous pouvez prononcer, je suis forcé d’en convenir, les lois que vous avez faites ne l’accusent pas. Sans doute le roi n'aurait pas dû se séparer de l’Assemblée; sa gloire, son honneur, l’intérêt de l’Etat et le sien le lui prescrivaient ; mais a-t-il faussé la Constitution, a-t-il commis un délit? C’est la seule question. Piappelez-vous, Messieurs, quelle a été votre conduite, le 20 avril dernier, lorsque le roi est venu au milieu de vous se plaindre de ce qu’un peuple, justement alarmé, s’opposait à son départ. Dans les représentations que les corps administratifs de la capitale lui firent à cette époque, que lui ont-ils dit? Que la tranquillité publique exigeait qu’il ne s’éloignât pas, mais non pas que la loi le lui ordonnait. N’avez-vous pas repoussé avec indignation l’inculpation qu’on s’est permise quelquefois dans cette Assemblée, en disant que le roi n’était pas libre? Non pas qu’elle eût été bien déraisonnable, cetle opinion, qui eût soutenu que lorsqu’une nation constitue son gouvernement, le roi ne doit pas être libre; que ce n’est que, lorsque la Constitution est achevée que, devenant réellement roi, il peut êlre investi de toute sa puissance; que jusqu’alors son pouvoir n’est que précaire; mais vous avez repoussé cette inculpation qui vous était faite, parce qu’elle n’était pas vraie; qu’elle calomniait vos intentions, et que la garde qui environnait le roi et sa famille n’était destinée qu’à protéger sa personne et à la garantir des attentats des rebelles contre lesquels vous aviez de justes motifs de défiance. Quant à la déclaration que le roi a laissée lors de son départ à son intendant delà liste civile, je ne m’arrêterai pas à examiner si cetle déclaration vous a été légalement adressée, si elle vous était destinée, ou si elle ne vous a été remise que d’après la réquisition que vous en avez faite à celui qui en était dépositaire; si, n’étant point contresignée, les principes que vous avez cru devoir adopter sur les écrits émanés du roi, permettent qu’elle devienne l’objet d’une délibération. Sans entrer dans l’exa- 237 [Assemblée nationale.] ARCHIVAS PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791.] men de ces formalités, je la considérerai sous le seul rapport sous lequel il a paru à vos comités qu’elle pouvait intéresser l’Assemblée : c’est de savoir si, par la discussion que le roi fait dans cet acte des articles de la Constitution, il renonce à exercer les fonctions qu’elle lui destine; cette renonciation ne se trouve nulle part : pour en juger, il suffit de la lire. Cette déclaration est l’acte incivique d’un homme qui ne voit que lui où la nation entière est intéressée, il se plaint de quelques privations particulières, sans examiner les avantages qui en résultent pour le peuple; et, calculant l’état ordiuaire des choses sur quelques jours d’orage, juge de l’avenir par un moment de Révolution; mais l’on n’y trouve point un abandon de ses fonctions ni un • abdication expresse. La Constitution n’était pas achevée ; le roi pouvait-il la juger? Ces acceptations partielles contre lesquelles il proteste n’étaient pas nécessaires au pouvoir constituant. Le roi eût-il refu-é de les donner, cela n’eût rien changé à l’établissement de la Constitution, et ces acceptations n’ont dû être regardées que comme des moyens de faciliter et de réaliser l’exécution immédiate des décrets constitutionnels. L’Assemblée nationale n’a jamais confondu ces actes partiels avec l’engagement rigoureux et solennel qu’elle a pensé que le roi serait dans le cas de contracter, lorsque, la Constitu-tulion achevée, l’acte constitutionnel lui serait présenté : c’est alors que, connaissant tous ses devoirs, pouvant juger de l’ensemble des moyens qu’il a pour les remplir, libre de refuser le poste éminent auquel la nation l’appelle, son acceptation aura l’effet de le lier d’une manière positive et invariable à l’exécution de la Constitution. L’Assemblée nationale paraît avoir elle-même adopté cette théorie, en déclarant que ses décrets n’auraient pas besoin de sanction pour être exécutés. Il résulte des principes que je viens d’exposer, des réflexions que je vous ai soumises, que le roi n’est pas coupable aux yeux de la loi, et que, lors même qu’il le serait, l’inviolabilité de sa personne, que vous avez décrétée, ne permettrait pas qu’il fût mis eu cause. Mais s’il m’était permis d ; soulever un moment le voile qui nous cache les événements qui seraient la suite de l’opinion contraire, vous y verriez renaître tous les malheurs qui ont affligé l’Angleterre lors du prétendant, et désolé la Russie sous le règne du jeune Ivan, les troubles de la minorité de Louis XIV, des guerres civiles étrangères sans cesse renaissantes, une Constitution à peine établie, que la paix doit consolider, exposée à toutes les secousses qui ébranleraient l’Etat; au milieu de tous ces désordres, uu enfant à peine sorti du berceau, tour à tour instrument et victime des partis et des factions des régents que la loi désigne, et qu’en ce moment la confiance éloigne. Mois je m’arrête... Ces considérations puissantes, plutôt aperçues que développées, doivent vous suffire pour vous convaincre que l’intérêt de la nation, auquel seul vous devriez tout sacrifier, se réunit encore pour appuyer l’opinion qui, conservant tous vos décrets, consacrant les principes de la monarchie, assure la stabilité du gouvernement, eu déclarant l’inviolabilité de la personne du roi : aussi vos comités ont-ils pensé que le roi ne pouvait, sous aucun rapport, être mis en jugement : vos comiiés se sont bornés à l’examen de cette seule question, ils ont cru devoir imiter la sage et prudente lenteur de l’Assemblée, qui, au milieu de l’agitation universelle des esprits, est restée impassible, et a su se défendre de la précipitation dans laquelle les opinions les plus opposées voulaient l’entraîner. En vain quelques esprits inquiets, toujours avides de changement, se sont-ils persuadés que la fuite d’un homme pouvait changer la forme du gouvernement, et renverser tout le système de votre Constitution; en vain ont-ils voulu vous faire adopter leurs erreurs, en vous disant que telle était l’opinion générale de la nation; en vain quelques autres individus, esclaves encore au milieu d’un peuple libre, toujours courtisans, jamais citoyens, n’apercevant qu’un homme, où l’on ne doit considérer que l’Etat, guidés par leur intérêt personnel, lorsque l’intérêt public seul doit commander, courbés sous le joug de l’habitude et des préjugés, dévoués à une vieille idolâtrie, réclamant les principes de la monarchie qui ne sont point attaqués, supposant aux représentants de la nation des intentions qu’ils n’ont point manifestées, ont-ils voulu, par leurs opinions partielles, commander la délibération de l’Assemblée, et devancer vos décrets. L’Assemblée nationale, sans céder à l’exagération des uns, et sans s’abandonner à l’empre;- sement servile des autres, avant de statuer sur les dispositions ultérieures qui concernent le roi, laissera aux esprits Le temps de se calmer, marchera vers le but pour lequel elle a été instituée, et achèvera la Constitution, qui, quels que soient les événements qui suivront, doit servir dans tous les temps de point de ralliement aux amis de la liberté. Après vous avoir exposé quelle était l’opinion de vos comités sur la fuite du roi, je dois repoi-ter votre attention sur ce qu’ils ont considéré, non pas comme un délit, mais comme un véritable crime; sur cette conspiration ourdie par la perfidie et soutenue par la force!; sur ce système destructeur de votre Constitution, par lequel un chef ambitieux, en persuadant au roi qu’il n’était pas libre au milieu de son peuple, a cherché à l’entraîner au milieu d’un camp, avec toute sa famille, pour s’assurer de sa personne, en fane son premier esclave, et tyranniser sous son nom la nation française. Si vous vous rappelez, Messieurs, les faits que j’ai eu l’honneur de vous présenter, les dispositions qui avaient été faites, les préparatifs qu’on avait ordonnés, les troupes qu’on avait choisies, les postes dont on s’était saisi, les places qu’on avait dégarnies pour mieux les enlever, vous verrez évidemment que, si l’intention du roi n’était que de s'éloigner de Paris, et de se retirer à Monlmédy, le général de Bouillé avait conçu des projetsbien autrementdangereux; qu’il abusaitde la confiance aveugle du roi, comme il avait abuse de celle de la nation : vous y verrez que ce nombreux rassemblement de troupes qui devait avoir lieu sous les murs de Montmédy, et auxquelles se serait jointe l’armée des rebelles, devait servir à l’exécution de son entreprise. Maître de la personne du roi et de sa famille; environné, comme il s’eu flattait, de la plus grande partie de l’armée française; ayant derrière lui les armées autrichienoes dont il aurait f-int d’avoir la disposition; excitant par ses affidés du trouble dans tout le royaume ; ranimant les espérances éteintes du clergé et de la ci-devant noblesse, il croyait pouvoir frapper de terreur la nation, et lui imposer des conditions honteuses; comme si des hommes, qui ont une fois recouvré leurs droits, pouvaient jamais soumettre leurs têtes 238 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791.] altières à un autre joug que celui de la loi! {Applaudissements.) Tel était le plan que ce chef avait conçu avec tant d’audace et de moyens, et qu’il a ‘exécuté avec tant de faiblesse; sa perfidie avait flétri les lauriers qu’il avait cueillis sous les drapeaux de la liberté : sa fuite les a fait oublier; et déjà vous seriez vengés de lui, si l’infamie était uue peine pour celui qui s’y expose. Témoins de tous ces traits de dévouement et de patriotisme par lesquels l’Amérique étonna l’univers, il n’a trouvé d’autre exemple à imiter que celui du perfide Arnold, qui, comme lui, avait essayé de replonger sa patrie dans les fers, qu’elle avait si heureusement brisés. (Applaudissements.) Malgré les tentatives d’un traître, l'Amérique est restée libre; la France, malgré les efforts coupables de Bouillé et de ses complices, ne cessera pas de l’être. C’est donc contre de Bouillé et sescomplices que l’accusation que vous devez porter doit se diriger : son crime est certain, et il l’avoue, il le caractériselui-même. et, certes, si jamaisily a euuncrimede lèse-nation, celui-làen est coupable, qui, les armes à la main, a voulu renverserlaConstitotion, et sollicite les puissances voisines à faire une invasion dans l’Empire. Or, tels sont les projets du général de Bouillé : sa lettre en est la preuve. C’est donc à la haute cour nationale qu’il doit être traduit, et c’est vous, vengeurs de la nation outragée, qui devez l’accuser. Toutes ses actions sont des délits. S’il hésite de prêter son serment, c’tst pour mieux vous tromper : lorsqu’il s’y soumet, déjà il jure d’y manquer. Votre Constitution défend d’exécuter aucun ordre du roi qu’il ne soit contresigné d’un ministre : cette formalité si essentielle pour conserver la liberté, et dont vous devez si rigoureusement punir l'infraction ; qui seule suffit pour écarter les dangers de la force armée, il la dédaigne, et il sollicite des ordres signés du roi seul. Il n’a pu séduire un régiment, il essaye de le corrompre ; il lui fait distribuer de l’or pour tenter sa fidélité. A peine retiré sur les terres étrangères, il calomnie les puissances qui l’environnent, en annonçant qu’elles protègent ses projets; il essaye de séduire par des espérances trompeuses les officiers et les soldats qu’il provoque à la désertion par ses lettres. Mais un projet aussi vaste a dû nécessairement avoir des complices; et ici se présentent les sieurs d’Heymann, de Klinglin, d’Offlise, maréchaux de camp, employés sous ce général, üeso-teux, adjudant général de l’armée, Goglas, aide de camp. Je n’entrerai point dans le détail de tous les faits qui peuvent caractériser leur complicité. Je meborneraià vous en présenter quelques-uns qui suffiront pour justifier l’opinion de vos comités, qui ont pensé que ces officiers devaient être également accusés et envoyés au tribunal de la haute cour nationale. Le sieur de Klinglin, dans une lettre datée d’Or-val, écrite le 23 juin, adressée à Mme de Luisbourg, et qui a été envoyée par la municipalité de Strasbourg, y dit de quelle manière le général les a instruits de ses projets, M. d’Heymann et lui, avec quel enthousiasme ils ont reçu l’un et l’autre cette confidence, les efforts qu’ils ont faits pour en assurer le succès; il y raconte les événements désastreux qui leur sont arrivés, les détails de leur fuite ; il y développe ses espérances et ses ressources ; dans une note jointe, il trace le plan des opérations militaires du sieur de Bouillé, et l’on y voit que ce général n’avait employé pour son exécution que des officiers de confiance. Le sieur d’Heymann écrit le 21, de Sarrelouis,. au général qu’il a trouvé le régiment de Berchigny bien disposé, qu’il lui a donné l’ordre d’arriver le 23 à Montmédy où il compte se rendre lui-même avec le régiment de Saxe. Le sieur Goglas, aide de camp du général, était chargé avec le sieur Desoteux des ordres secrets; ils devaient diriger la marche des troupes et se concerter avec les chefs; l’un conduit par des chemins détournés et le régiment de Castella s’enfuit au moment où les soldats s’aperçoivent de ses perfides intentions : arrivé à Luxembourg, il écrit au sieur Duplessis de venir joindre le général, et de lui apporter l’argent qu’il lui a confié : l’autre, le sieur Goglas, était spécialement chargé d’escorter le roi à Montmédy : il essaye de l’arracher aux gardes nationales de Varennes, en faisant marcher contre eux les hussards dont il avait pris le commandement ; le refus de ces braves soldats déjoue ses espérances. Il veut introduire d’autres détachements : il est arrêté par le major de la garde nationale auquel il porte un coup de sabre; le major l’arrête par un coup de pistolet dont il le blesse. Le sieur d’Offlise accompagnait le général, et marchait avec lui contre Varennes : le sieur de Klinglin les avait rejoints : voyant l’impossibilité du succès, ils retournent à Stenay, d’où ils fuient avec précipitation vers Orval. Pourquoi cette fuite? Elle explique tout : le roi était au milieu des gardes naiionales; il était en sûreté : pourquoi vouloir l’arracher de leurs mains? Il était donc nécessaire à leur projet. S’il n’avait eu que l’intention d’assurer la marche du roi, ils n’avaient rien à redouter; la fuite seule du roi n’était pas un délit; ils ne pouvaient être poursuivis; mais ils désertent leur poste, ils abandonnent les places que la nation leur avait confiées, ils courent se réunir à ceux qui insultent à la Constitution : ils craignent sans doute que leurs projets ne soient découverts; ils prennent la fuite, et ils cherchent à sauver leurs personnes. Les sieurs de Bouillé, d’Heyman, d’Offlise, Desoteux échappent àla poursuite, le sieur Goglas est arrêté et détenu dans les prisons de Mézières. Après ces principaux complices des délits du sieur de Bouillé contre lesquels s’élèvent non pas des présomptions et des indices, mais des preuves qui suffisent pour caractériser l’accusation que vous avez portée contre eux, je dois vous présenter les présomptions qui accusent les sieurs de Damas, de Choiseul, de Vallecourt, d’Andoins, de Bouillé fils qui, tous, à l’exception de ce dernier, sont arrêtés. J’entrerai dans quelques développements sur chacun de ces individus : lorsque les faits parlent, les réflexions sont inutiles; mais, lorsque l’on doitprononcer sur les indices, il faut des rapprochements plus détaillés. Le sieur de Damas, colonel du 13e régiment de dragons, arrive à la tête d’un escadron à Clermont, le 20 juin, d’où il devait se rendre à Mouzon ; différents mouvements qu’il fait faire à sa troupe dans le cours de la journée inquiètent d’autant plus les citoyens qu'ils avaient vu les soldats se munir de pierres à feu. Après le passage des voitures du roi, les sous-officiers de cet escadron allaient de maison en maison éveiller les dragons et leur donner l’ordre de monter à cheval. La municipalité et le district qui en sont instruits envoient des commissaires auprès de M. de Damas, pour lui représenter l’alarme [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791.] que son départ précipité répand dans la ville : les commissaires demandent au sieur de Damas à voir ses ordres, et ils lui représentent qu’il outre-asse les ordres qu’il leur exhibe. Le sieur de amas répond qu’il est le maître de sa troupe et qu’il partira, et, malgré la réquisition qu’on lui fait de rester au nom de la loi, il sort précipitamment en criant : A moi, dragons! Les commissaires se retirent, la trompette des dragons sonne pour montera cheval, la générale est battue, la garde nationale se rassemble, le district et la municipalité arrivent sur la place où les dragons étaient déjà rangés en bataille, ayant à leur tète le sieur de Damas : ils somment le sieur de Damas de faire retirer ses dragons pour ne pas effrayer les citoyens. Us" le requièrent de lui remettre les ordres qu’il a reçus ; ce qu’il exécute après plusieurs instances; enfin, les officiers municipaux, voyant la détermination de cet officier de faire partir son escadron, pressent les soldats au nom du patriotisme de rester la nuit à Clermont; le commandant donne l’ordre de marcher, les soldats ne font aucun mouvement; alors s’élève de tous côtés le cri de Vive la nation ! qui est répété par le' dragons. Le sieur de Damas, voyant ses tentatives inutiles, donne ordres aux dragons de mettre pied à terre, et lui, au mêmemoment prend au galop la route de Varennes avec un officier et un sous-officier. Ce sont les faits tels qu’ils sont consignés dans le procès-verbal de Varennes. Le sieur de Damas conteste uDe partie de ces faits; il expose qu’il n’a fait qu’exécuter les ordres du général dont il ne pouvait connaître ni les intentions ni les projets; qu’étant obligé d’obéir à l’ordre que lui avait donné M. Go-glas, il n’a pas cru pouvoir céder aux réquisitions qui lui ont été faites, parce qu’un décret défend aux corps administratifs de prendre aucune connaissance de ce qui intéresse le militaire et la discipline; que, s’il est parti pour Varennes, c’est qui! avait entendu dire que le roi y avait été arrêté, et qu’un sentiment d’intérêt lui avait commandé cette démarche; et qu’arrivé à Varennes, il s’est fait présenter au roi; qu’il est resté tout le temps dans la maison où il était; qu’il aurait pu facilement s’évader; mais que, n’ayant rien à se reprocher, il n’avait pas cru avoir rien à craindre, et que son arrestation a été l’effet d’un mouvement populaire, et non d’un ordre de la municipalité qui avait ordonné qu’on lui remît ses chevaux pour retourner à Glermont, comme il en avait manifesté l’intention. Quelque opposition qui existe entre le récit du sieur de Damas et celui des officiers municipaux, vos comités ont pensé qu’ils devaient ajouter foi au procès-verbal rédigé au nom du district et de la municipalité, qui, n’ayant aucun intérêt à accuser M. de Damas, ne pouvaient pas être soupçonnés d’en avoir altéré les faits. 11 résulte de ce procès-verbal que, si on ne peut pas dire que le sieur de Damas soit coupable, au moins il s’élève de tels soupçons coutre lui, qu’il y aurait de l’imprudence, dans un moment où une grande conjuration éclate, à le séparer de l’accusation portée contre M. de Bouillé. Que, si le sieur de Damas n’est pas coupable, s’il n’a pas connu le projet, s’il n’a été qu’uu instrument passif de la conjuration, il doit se présenter avec confiance devant les juges qui n’ont à punir que les complices du sieur de Bouillé; peut-être dira-t-on que ces présomptions n’ont de rapport qu’à la fuite du roi, qui, considérée isolément et dégagée des autres circonstances, n’est pas un 239 délit; mais elles suffisent pour faire penser que M. de Damas a pu avoir connaissance des projets ultérieurs ; et que c’est devant la cour d’Orléans seule qu’il peut présenter sa justification. Les soupçons qui s’élèvent contre M. de Choi-seul-Stainville sont plus réels encore. Il se trouve à Varennes, on ne sait pourquoi; il ne justifie d’aucun ordre du général : c’est lui qui avertit M. de Bouillé de l’arrestaiion du roi; et c’est d’après cet avis que le général marche sur Varennes. M. de Klinglin dit expressément que M. de Choiseul est dans le secret; on vient même d’arrêter des fourgons chargés d’effets de campement qui lui étaient destinés et qui lui appartiennent; il ne peut donc être séparé de la procédure, et il doit être traduit devant la haute cour nationale. Le sieur d’Audoins commandait un escadron à Sainte-Menehould comme le si ur de Damas à Glermont; comme lui, il a voulu faire monter à cheval sa troupe après le passage du roi ; comme lui, il a excité des soupçons ; soupçons tels que la municipalité a cru devoir s’assurer de sa personne; et la même décision que vous porterez sur le sieur de Damas doit également avoir lieu pour iui. Le sieur de Vallecourt, commissaire des guerres à Tbionville, a été employé par le sieur de Bouillé pour faire les préparatifs du camp de Montmédy. La confiance de ce général, qui a préféré à d’autres commissaires le sieur de Vallecourt, quoique cette ville ne fût pas de son département; Ls aveux nécessaires que le général a été obligé de faire à cet officier pour les dispositions qu’il lui ordonnait; dispositions qui, si elles étaient dirigées contre la France, devaient être bien différentes que s’il eût voulu s’opposer à ses ennemis extérieurs, ont déterminé vos comités à vous proposer de réunir le sieur de Vallecourt aux autres accusés. Trois officiers du régiment de Royal-Allemand ont été arrêtés parles gardes nationales de Slgny et Montlibert, conduits à. Mézières, et ensuite dans les prisons de l’abbaye de Saint-Germain de Paris, où ils sont en ce moment. C’était à la tête de ce régiment que le général de Bouillé marchait sur Varennes : c’était sur lui qu’il comptait; c’est la fidélité des cavaliers de ce corps qu’il a tentée en leur distribuant 200 louis. 11 devait donc être sûr des chefs, et les plus violents soupçons s’étaient élevés sur les officiers de ce corps. Les soupçons qu’on avait conçus contre ces officiers paraissent détruits, lorsqu’on consulte les procès-verbaux d’arrestation, et les pièces qui y ont été jointes. Le sieur de Bouillé arrive le 20 à Stenay, il fait manœuvrer le régiment de Royal-Allemand, et reçoit de la part des officiers municipaux des témoignages honorables de la bonne conduite des officiers et des soldats de ce corps. Instruit, le 22, de l’arrestation du roi, il fait sonner le boute-selle à 3 heures; et une déclaration d’un sous-officier affirme que, si le régiment n’est parti qu’à 5 heures, c’est à M. de Mandel qu’on doit cet heureux retard. A une lieue de Stenay, le général qui marchait à la tête de ce corps fait faire halte; là, il annonce aux soldats que le roi est arrêté à Varennes, qu’il doit se rendre à Montmédy, et qu’il les a choisis pour ses gardes du corps. Il leur demande s’ils veulent le suivre? Tous répondent: oui. Le général fait alors distribuer 25 louis à chaque escadron et 100 louis au premier. Le régiment, de retour à S:enay, se voit abandonné de la plupart de ses officiers. Le sieur de Mandel, lieutenant-colonel, Marassin, capitaine, et Thalot, lieutenant, sont du 240 [Assemblée nationale J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 1 13 juillet 1791. J nombre de ceux qui restent à leur poste. Les soldats vont à la municipalité; ils protestent de la pureté de leurs intentions, disant qu’ils ont été trompés, et jurent de mourir pour la défense de la Constitution. Les soupçons qui s’étaient élevés contre tout le régiment se réunissent alors sur les officiers qui restent. Les gardes nationales veulent qu’ils soient arrêtés; les soldats s’y opposent. Pour faire cesser cette fermentation, ils engagent les sieurs de Mandel, Marassin et Tha-iot à s’éloigner. Ils couvrent et protègent leur retraite; et ces officiers dirigent leur marche vers un détachement de leur corps, qui était à quelque dislance de Stenay. Ils s’égarent pendant la nuit, et sont arrêtés par les patrouilles de Signy et Montlibert ; les soldats, instruits de leur arrestation, les réclament, répondent de leur patriotisme et de la pureté de leurs intentions ; différentes municipalités où ces officiers ont été en quartier rendent le même témoignage et leur donnent des certificats honorables. La justification de ces trois officiers paraîtrait suffisante, si l’on n’avait pas saisi sur la personne du sieur de Mandel, lieutenant-colonel, un ordre signé du roi seul, daté du 15 juin, à Paris, au bas duquel le sieur de Bouillé avait ajouté l’ordre de s’y conformer. Cette pièce suffit seule pour les accuser. M. de Bouillé n’avait pas besoin de leur remettre l’ordre du roi; le sien suffisait, mais il était nécessaire qu’il le leur communiquât, s’il voulait les faire participer à ses desseins. Il résulte de cette communication de l’ordre du roi un soupçon de complicité tel, que vos comités ont pensé que ces officiers devaient être compris dans le nombre de ceux que vous accuseriez devant la haute cour nationale. Le fils du général de Bouillé, major de hussards, a servi dans toute cette entreprise d’aide de camp à son père; c’est lui qui envoyait les ordres au régiment de Castella, pour le faire arriver par des routes détournées; c’est lui qui, en attaquant un cavalier de la gendarmerie nationale, a voulu l’empêcher d’avertir les municipalités voisines de l’événement arrivé à Yarennes, et des secours dont cette ville avait besoin; c’est lui qui, lors du départ du roi, s’est avancé avec un détachement de hussards pour couper la marche du roi, et qui n’a renoncé à ce coupable dessein que parce qu’il n’a pu exécuter le passage de la rivière qu’il avait tenté. Ces faits suffisent pour caractériser l’accusation que vous devez porter contre lui. Avant de prolonger cet examen, qui, portant sur des faits et des individus différents, doit nécessairement fatiguer votre attention, je dois, pour fixer d’une manière plus précise vos idées et vos opinions, vous rappeler que, d’après ce que je viens de vous exposer, il résulte, suivant l’avis de vos comités, qu’il y a lieu à accusation contre les sieurs deKIinglin, d’Heymann, et d’Of-flise, maréchaux de camp, Goglas, aide de camp adjudant général, Desoteux et de Bouillé fils; qu’il s’élève aussi des présomptions assez fortes contre les sieurs de Damas et de Choiseul, colonels, de Vallecourt, commissaire ordonnateur, d’Ândoins , capitaine de dragons , de Mandel , Thalot et Marassin, officiers au régiment Royal-Allemand, pour les joindre à cette accusation, et ue s’ils ont connu le complot du général, et agi ans la vue de favoriser et de le seconder, ayant participé à son délit, ils ne peuvent être soustraits à la poursuite qu’il entraîne. Plusieurs autres particuliers ont été arrêtés et sont détenus dans diverses prisons : s’il ne s’élève pas contre eux des indices assez puissants pour les accuser, ils ne sont pas tellement exempts de soupçons que vos comités aient cru qu’il leur fût possible de vous proposer de les mettre en liberté. Vous avez ordonné des informations; elles ne vous sont pas encore parvenues, et ce n’est qu’après que vous les aurez examinées que vous pourrez prononcer s’ils sont accusables, ou, ce que sans doute vous préféreriez, s’ils sont innocents. Ces particuliers arrêtés sont le sieur de Floriac, cajiitaine, et Remy, sous-officier au 13e régiment de dragons, qui ont suivi le sieur de Damas lorsque ce chef est parti de Clermont, après avoir essayé inutilement d’en faire sortir sa troupe, et qui ont été arrêtés avec lui à Varennes. Le sieur Delacour, lieutenant au 1er régiment de dragons, a été arrêté à Sainte-Menehould avec le sieur d’Andoins, commandant le détachement qui y avait été envoyé le 20 juin. Le sieur Sthondy, sous-lieutenant au régiment de Castella suisse, chargé par le général déporter des ordres à ce corps, a été obligé de s’éloigner pour se soustraire au ressentimeut des soldats, que les soupçons conçus contre lui avaient excités dans sa fuite; il a été arrêté et blessé près de Domvilliers, et conduit dans les prisons de Mézières. Un écuyer du roi, le sieur de Bridge, a été arrêté à Châlons, le 20 juin ; interrogé où il allait, il a répondu qu’ayant appris le départ du roi, il cherchait à le rejoindre, et qu’il allait à Metz, où il espérait en apprendre plus tôt des nouvelles. Cette circonstance que c’était à Metz qu’il croyait recevoir plutôt des nouvelles du roi a fait penser qu’il pouvait avoir eu quelques relations avec M. de Bouillé, et motivé l’arrestation, qui a été faite, de sa personne. Vos comités ont pensé que les informations que vous aviez ordonnées et qui se continuent doivent vous procurer de nombreux renseignements ; que les lumières que ces informations pourront répandre sur cette grande affaire permettront alors d’apercevoir la vérité à travers les ténèbres qui obscurcissent encore plusieurs détails, et qu’en attendant que vous puissiez prononcer ultérieurement sur le sort de ces 5 particuliers détenus, ils doivent rester en état d’arrestation, sans autres précautions cependant que celles qui seront nécessaires pour s’assurer de leurs personnes. Il me reste. Messieurs, à vous exposer l’avis de vos comités sur M. de Ferseu et sur les personnes qui ont accompagné le roi, et dont vous avez ordonné l’arrestation : cet avis doit déjà vous être indiqué par les principes qui ont motivé les différentes propositions que j’ai eu l'honneur de vous présenter. Plusieurs déclarations attestent que c’est M. de Fersen, ci-devant colonel du régiment de Royal-Suédois, qui a fait faire la voiture qui a servi à l’évasion de la famille royale, et que depuis longtemps celte voiture avait été préparée pour cet objet. Les informations reçues par la municipalité de Paris prouvent que c’est à l’hôtel de M. de Fersen qu’a été pris le cabriolet qui avait été placé au pont Royal pour les deux femmes de chambre. Son départ de France au même moment où la famille royale s’éloignait, Penlèvement subit de tous ses effets à Valenciennes où son régiment était en garnison, et, d’après une lettre dont on a donné connaissance au comité des recherches, les efforts qu’il a faits pour entraîner à la déser- [Assemblée nationale] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (13 juillet 1731 .] 2U tion et les soldats et les officiers du corps qu’il commandait, les indices qui résultent de différentes lettres à lui adressées, q fil était occupé d’une grande entreprise : toutes ces présomptions réunies, les soupçons qui en résultent que M. de Fersen était à Paris un des agents principaux du général dé Bouillé, ont fait penser qu’il devait être compris dans l’accusation qui serait portée à la haute cour nationale. Sans doute, d’après le décret que vous avez rendu le 26 juin, par lequel vous avez confié la famille royale à la responsabilité du général des gardes nationales parisiennes, et donné une garde particulière au roi, à l’héritier présomptif du trône et à la reine, ceux qui favoriseraient le départ du roi seraient coupables, puisque par là ils contribueraient à détruire l’effet d’un de vos décrets-, mais, jusqu’au moment où vous avez jugé ces précautions nécessaires pour empêcher les troubles qui résulteraient si des factieux pouvaient se saisir de la personne du roi, il était libre, et aucune loi ne s’opposait à son départ de la capitale. Nous ne pouvions regarder comme de bons citoyens ni même comme des amis du roi ceux qui, instruits de cette fatale démarche, dont les suites étaient incalculables, ne s’y sont pas opposés, ou qui l’ont favorisée; mais la loi ne peut pas les déclarer coupables s’ils n’ont participé à aucun autre délit, et s’ils ne sont pas d’ailleurs complices de la conjuration formée contre l’Etat. Les sieurs du Moustier, de Maldent et de Valory, ci-devant gardes du corps, qui ont accompagné le roi comme courriers, doivent-ils être accusés? De leur aveu ils n’avaient jamais parlé au roi : pourquoi le choix tombe-t-il sur eux? Qui les avait désignés au roi? Sans doute les chefs de l’entreprise ; ils étaient chargés de conduire le roi ; le sieur de Bouillé avait intérêt à s’assurer de la personne du roi ; il a donc dû placer, pour l’accompagner, des hommes disposés à seconder ses projets. Il est important, dans un complot aussi compliqué, de ne laisser échapper aucun de ceux qui pourraient avoir eu des rapports avec ce chef de conspiration : la complicité de ces 3 particuliers n’est pas encore prouvée, mais de terribles soupçons les accusent, et vous devez ordonner que, conduits à Orléans, c’est devant la haute cour provisoire seule qu’ils peuvent se justifier, et par conséquent qu’il y a lieu à accusation contre eux. Quant à Mm9 de Tourzel, dépositaire d’un en-funt qui appartient à la nation et au roi, responsable à l’un et à l’autre, elle n’a pas dû. exposer le sort de l’héritier présomptif du trône aux hasards d’un voyage dont elle n’aurait pas connu le but; elle a dû prévoir les dangers qui le menaçaient, et pour la déterminer à cette démarche, on a dû lui faire des aveux importants. Le serment qu’elle a prêté au roi n’était pas un engagement envers un particulier ; ce serment était prêté au roi comme représentant de la nation. Dépositaire d’un gage qui intéressait la sûreté de l’E'at, n’aurait-elle pas dû s’opposer à son départ? Mais celui qui le lui a demandé était son père : pouvait-elle lui refuser son fils ? Dépendante du roi, révocable à volonté, tous les or J res qu'elle recevait pour le Dauphin émanaient de lui seul, et vous n’aviez pas encore déterminé quels étaient, comme gouvernante du fils du roi, ses devoirs envers la nation : elle a juré de ne pas s’en séparer; soumise à son serment, elle ne l’a point quitté, et l’idée d’une conspiration était loin d’elle : telle est la défense. 1" Série. T. XXVIII. Vos comités ont pensé que si la loi n’accusait pas encore Mm0 de Tourzel, le civisime la condamnait; qu’elle n’était pas exempte de tout soupçon, et qu’elle devait être en état d’arrestation jusqu’à ce que vous ayez eu connaissance de l’information à laquelle procède le tribunal du premier arrondissement. A l’égard des dames Brunier et de Neuville, l’une femme de chambre de Madame Royale, l’autre de M. le Dauphin, leur état de domesticité ne leur permettant pas d’avoir des volontés, obligées d’obéir aux ordres qu’elles reçoivent, elles n’ont été averties qu’au moment du départ, et vos comités ont pensé que vous deviez ordonner, Messieurs, qu’elles seraient mises en liberté. (Murmures à gauche.) Vos comités ont donc pensé, Messieurs, que l’inviolabilité de la personne du roi décrétée par la Constitution était un attribut du pouvoir exécutif nécessaire à son indépendance et à sa couse r va tion ; Que cette inviolabilité n’était pas relative seulement aux actes d’administration ou de gouvernement, que la loi, au contraire, a soumis à la responsabilité en exigeant pour leur exécution la signature d’un agent qui pût être poursuivi; mais que cette inviolabilité portait principalement sur les actes individuels du monarque et sur les actions particulières pour lesquelles il n’offre aucun agent responsable ; Que cette inviolabilité ne pouvait recevoir aucune exception arbitraire; mais que toutes les exceptions devaient être prévues, et les cas de déchéance déterminés par la Constitution, que hors les cas prévus le roi n’était pas accusable; Que, par la Constitution sans doute insuffisante à cet égard, deux seuls cas de déchéance avaient été prévus; que ni l’un ni l'aube n’étaient applicables à la circonstance ; Que la fuite du roi, dégagée de tous projets ultérieurs, n’était pas un délit; que, la réunissant à d’autres circonstances, elle pourrait être considérée comme telle, mais qu’alors ce délit ne donnerait pas lieu à la déchéance, parce qu’il n’était pas prévu par la Constitution ; qu’en conséquence les principes, les circonstances, et, plus que tout cela encore, l’intérêt de la nation qui veut finir la Révolution et non la recommencer, ne permettaient pas que le roi fût mis en cause. Vos comités ont vu, dans les projets de M. de Bouillé, une conspiration telle que tous ceux qui en ont eu connaissance et ont agi dans la vue de la favoriser, et dans l’intention de la faire réussir, et d’attenter, comme lui, à la Constitution, sont ses complices, et doivent, comme lui, être envoyés, comme accusés de haute trahison, devant la cour provisoire établie à Orléans; et qu’à l’égard de quelques particuliers contre lesquels il s’élève quelques soupçons encore, vous deviez attendre le résultat des informations avant de statuer, et que la prudence, le devoir de ne laisser dépérir aucune preuve, exigeaient que vous les mainteniez encore en état d’arrestation; qu’à l’égard des deux femmes de chambre, elles devaient obtenir leur liberté. Qu’il me soit permis, Messieurs, après avoir parcouru cette longue liste d’accusés et rempli ce devoir pénible, d’exprimer un sentiment partagé par tous ceux qui m’écoutent. Puisse cet acte de sévérité être le dernier que l’Assemblée se voie condamnée de prononcer 1 Paissent nos ennemis redevenus Français et dignes de porter ce nom, instruits, par ce mémorable événement, que la nation tout entière veut 16 24 2 [Assemblée nationale] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 113 juillet 1191.1 être libre; convaincus que désormais il est impossible de réintégrer au milieu d’elle les abus et les préjugés qu’elle a détruits, que tous les efforts, toutès les tentatives seront vaines; puissent-ils revenir dans leur terre natale y jouir des bienfaits d’une Constitution qu’ils n’ont jugée que d’après les pertes qu’ils ont faites, et non d’après le bonheur public qui en est la suite! Puissent-ils apprécier entin le titre glorieux de citoyen libre! Je puis exprimer ouvertement ces pensées au moment où la nation vient de déployer tant de puissance, et où sa volonté s’est manifestée avec tant d’unanimité. Une grande circonstance se présente, s’ils savent se saisir du rôle honorable qu’elle leur offre, ils peuvent trouver encore au sein de leur patrie ces sentiments dont elle n’eût jamais voulu se dépouiller pour eux. Bientôt, et vous ne pouvez trop accélérer ce moment, vous allez terminer l’acte constitutionnel : qu’ils reviennent en ce moment au milieu de nous; que, ramenant dans leur patrie, qui les appelle, de nouveaux moyens d’abondance et de prospérité, ils nous disent : nous venons effacer par notre retour les calomnies que notre fuite avait répandues contre la nation : vous avez fait la Constitution; nous venons terminer la Révolution, en éloignant de vous, non pas des dangers, il n’en est point pour ceux qui veulent être libres, mais vos inquiétudes; nous allons rendre superflues ces mesures de défense, ces précautions que vous preniez pour votre sûreté, et, nous réunissant sincèrement à vous de sentiments et d’opinions, nous présenterons à l’Europe entière le spectacle nouveau d’une nation heureuse que son union, encore plus que sa puissance, rend invincible, et nous forcerons les puissances jalouses à nous admirer, et surtout à nous respecter. Puisse ce vœu être rempli, et puissent les membres de la famille royale dispersés, se réunissant autour de leur chef, présenter à la nation de nouveaux garants des engagements qu’elle pourra lui demander! Je dois vous présenter à présent, Messieurs, le projet de décret de vos comités réunis : PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, après avoir ouï ses comités militaire, diplomatique, de Constitution et de révision, de jurisprudence criminelle, des rapports et des recherches, réunis ; « Attendu qu’il résulte des pièces dont le rapport lui a été fait, que le sieur de Bouillé, général de l’armée française sur la Meuse, la Moselle et la Sarre, a conçu le projet de renverser la Constitution; qu’à cet effet il a cherché à se former un parti dans le royaume, sollicité et exécuté des ordres non contresignés, attiré le roi et sa famille dans une ville de son commandement, disposé des détachements sur son passage, fait marcher des troupes vers Mcmtmédy, et préparé un camp auprès de cette ville, cherché à corrompre les soldats, les a engagés à la désertion pour se réunir à lui, et sollicité les puissances voisines à faire une invasion sur le territoire français : « Décrète : 1° Qu’il y a lieu à accusation contre ledit sieur de Bouillé, “ses complices et adhérents, et que son procès lui sera fait et parfait par-devant la haute cour nationale provisoire, séant à Orléans. « Qu’à cet effet, les pièces qui sont déposées à l’Assemblée nationale, seront adressées à l’officier qui fait auprès de ce tribunal les fonctions d’accusateur ; « 2° Qu’attendu qu’il résulte également des pièces dont le rapport lui a été fait, que les sieurs d’Heymann, de Klinglin et d’Offlise, maréchaux de camp employés dans la même armée du sieur de Bouillé, Desoteux, adjudant général, de Bouillé fils, major de hussards, et Goglas, aide de camp; « Que les sieurs de Damas, colonel du 13e ré-gimentde dragons; de Choiseul-Stainville, colonel du 1er régiment de dragons; d’Andoius, capitaine au même corps; de Vellecourt, commissaire ordonnateur à Thionviile; les sieurs de Mandel, Morassin et Thalot, officiers de Royal-Allemand; le comte de Fersen, colonel de Royal-Suédois, et les sieurs de Valory, de Maldent etDuMoustier, tous prévenus d’avoir eu connaissance dudit complot du sieur de Bouillé, et d’avoir agi dans la vue de le favoriser, il y a lieu à accusation contre eux, et que leur procès leur sera fait et parfait devant la haute cour nationale provisoire; « 3° Que les personnes dénommées dans les articles précédents, contre lesquelles il y a accusation, qui sont ou seront arrêtées par la suite, seront conduites, sous bonne et sûre garde, dans les prisons d’Orléans; « Que les sieurs de Floriac et Remy, l’un capitaine et l’autre sous-officier au 1er régiment, les sieurs Lacour, lieutenant au 1er régiment de dragons, Pehondy, sous-lieutenant au régiment de Castella, suisse, de Brigcs, écuyer du roi, et Mme de Tourzel, resteront en état d’arrestation jusqu’après les informations prises, pour, sur icelles, être statué ultérieurement sur leur sort. « Que les dames Brunier et Neuville seront remises en liberté. » M. Jouye-des-Roches. Je crois que dans une affaire de cette importance, où il y a autant de griefs, il est nécessaire d’ordonner l’impression du rapport et des pièces, et l’ajournement. M. d’André. Je m’oppose à la motion de renvoyer la discussion jusqu’après l’impression du rapport et des pièces. (Murmures.) Cette impression entraînera nécessairement un long délai. Plusieurs membres : Tant mieux ! M. d’André. Je ne suis pas de cet avis. C’est très certainement tant pis. Oui, tant pis pour ceux qui veulent la tranquillité publique. (Applaudissements.) M. ïe Président. Plus une délibération est importante, plus l’Assemblée doit être calme. Je demande le plus grand silence et qu’il n’y ait aucune interruption. M. d’André. Depuis la fuite et le retour du roi, tout le monde s’est occupé du point de savoir ce qu’il fallait faire dans une circonstance aussi importante. Les détails que nous adonnés le comité des rapports étaient connus de tout le monde, deux jours après l’arrestation du roi. L’impression des pièces ne peut ajouter aucune nouvelle lumière. Touîes les sociétés se sont occupées de ce qu’il fallait faire dans cette circonstance, elles ont eu des discussions très publiques. Nous ne pouvons pas ignorer qu’une classe de gens qui ont voulu saisir l’occasion du départ da roi pour renverser la Constitution qu’ils avaient