634 [Convention nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j Suit V abjuration du citoyen Leininger (1). « Citoyens législateurs, « Lorsque je me présente à votre auguste Sénat pour rendre mes hommages à la raison et à la philosophie en renonçant au ministère sacerdotal, ce n’est pas une de ces conversions simulées ou entraînées par l’exemple, ou extor¬ quées par les circonstantes, mais seulement une répétition solennelle des vœux privés que j’ai faits il y a plusieurs années à la philosophie. « Aussitôt que j’ai commencé à être éclairé sur les impostures religieuses, ma haine contre la cour de Rome et contre l’état ecclésiastique dans lequel j’ai été entraîné par les suggestions trompeuses de ceux qui dirigeaient mon édu¬ cation, m’a poussé à porter des coups à la su¬ perstition et au fanatisme, jusqu’à ce qu’enfin les persécutions que j’ai éprouvées de la part du clergé me firent quitter, il y a plusieurs ans, ma patrie, et me retirer en Hollande, où j’ai depuis vécu en philosophe, subsistant de l’instruction de la jeunesse et renonçant à tout culte quelconque. « Aussi, ne serais -je plus retourné de ma vie au ministère sacerdotal, si la tranquillité de la France, compromise par l’abandonnement (sic) soudain de l’ancien clergé réfractaire, l’invita¬ tion faite par l’assemblée nationale aux prêtres étrangers pour qu’ils vinssent en France exercer un culte dont une partie du peuple français, trop accoutumée aux bonbons de Rome, ne pouvait être soudainement sevrée, les sollici¬ tations réitérées d’un curé de Valenciennes, qui me fit engager à venir en France, et mon enthousiasme pour la Révolution française, ne m’avaient fait un devoir de quitter Amsterdam, mes amis, mon état, et de sacrifier pour un moment au bien de l’humanité, ma philoso¬ phie, que j’espérais cependant de pouvoir un jour professer publiquement. « Etant arrivé à Valenciennes, j’ai employé tous mes loisirs à défanatiser les habitants, hélas trop égarés de cette ville; je me suis par¬ ticulièrement attaché aux soldats de la garnison, et à faire quasi un club de l’hôpital militaire, dont les religieuses, dites de la Charité, l’au¬ mônier réfractaire et puis l’émigré Hardy et le commissaire ordonnateur Morlet étaient pourris d’aristocratie et de fanatisme. Au reste, ma conduite dans ce pays-là se trouve exprimée dans le témoignage ci-joint des citoyens dépu¬ tés de la Convention nationale Briez et Dubois - Dubais, qui furent en commission à la frontière du Nord. « Ce n’est pas tout. Après avoir été forcé, par la prise du camp de Famars, suivie de l’in¬ vasion totale du district de Valenciennes, de fuir mon habitation à Denain où j’ai été choisi curé, il y a un an, et après y avoir perdu une grande partie de mes effets, devinant que je ne pourrais pas sitôt retourner dans une paroisse, et voyant par là que vu la quantité de curés dépossédés par la même invasion, ma présence n’était pas utile dans ce département-là, je donnai volontairement la démission de ma paroisse, il y a quatre mois, jugeant indigne d’un vrai patriote de toucher, dans l’inaction, et sans exercer aucune fonction, mon traitement de 1,500 livres, et je me rendis dans l’intérieur de la République, afin d’y trouver un emploi (A Archives nationales, carton F19 885, dossier Leininger. quelconque quoique plus modique. Et par cette voie je suis d’abord devenu vicaire à Vaugirard, et puis desservant au Bourget avec le traite¬ ment de sept cents livres, qui, à la vérité, n’eût pas suffi à mes besoins sans une économie très étroite et des privations journalières. « Je reconnais, citoyens législateurs, qu’il y a une incongruité à étaler et à vanter son mérite, aussi ai -je tâché de faire jusqu’à présent tout le bien qui dépendait de ma sphère, sans cher¬ cher à faire du bruit ou à donner de la célébrité à mes actions. Mais aujourd’hui que la double qualité de prêtre et d’étranger pourrait jeter de la défaveur sur ma personne, aujourd’hui où en donnant ma démission de tout emploi sacerdotal, je vous demande un emploi propor¬ tionné à mes facultés physiques et intellectuelles, pour avoir de quoi subsister, sans manger dans l’inaction une pension que peut-être la géné¬ rosité de la nation me voudrait accorder; il me fallait montrer que ma philosophie ne s’est pas bornée à des spéculations stériles et qui ne cor¬ rigent pas les mœurs, mais qu’elle a passé dans mes sentiments et influencé mes actions, sans quoi elle ne saurait produire un véritable pa¬ triotisme. Il me fallait prouver le désintéres¬ sement de mon civisme qui, loin de chercher à faire ma fortune en embrassant la cause de la liberté, m’a porté à sacrifier à mon amour pour la patrie même mon traitement de curé, dont cependant la continuation avait été accordée par un de vos décrets aux curés dépossédés par les ennemis. Cela me fallait (sic) pour me justifier d’un soupçon général sur la sincérité de l’abjuration des prêtres, hélas, trop fondé sur la conduite impatriotique d’une grande partie de mes ci-devant confrères, conduite dont le déshonneur doit rejaillir sur ceux encore qui sont sincèrement dévoués à la République. « Voyant que l’esprit du peuple se déve¬ loppe et se dégage de plus en plus des préjugés religieux dans l’intérieur, et étant honteux d’appartenir à un état aussi ingrat envers une nation généreuse, j’ai déjà, il y a près de quatre mois, consulté les citoyens Briez, Dubois-Dubais et Grégoire, députés de la Convention nationale, sur les moyens de sortir du ministère ecclésiasti¬ que et d’obtenir un emploi plus utile à la société. « Je parle cinq langues, savoir : le français, l’allemand, le latin, le hollandais et un peu l’italien; je me connais dans la bibliographie et dans les sciences philosophiques, ainsi je pourrais encore servir la République ou dans la sphère de l’instruction publique, ou dans quelque bureau, ou dans une bibliothèque nationale, dont plusieurs, dans les autres départements, s’attendent encore à être organisées et où j’aurais encore l’avantage de pouvoir vaquer aux études et à la composition nouvelle de mes manuscrits perdus que j’ai destinés pour éclairer le peuple et anéantir les préjugés reli¬ gieux. « Disposez de moi, citoyens législateurs, en telle manière que vous jugerez mon exis¬ tence la plus avantageuse à la République. Quelque emploi que vous veuillez faire de moi, je serai toujours glorieux de servir de toutes mes facultés une nation qui a, la première depuis des milliers d’années, terrassé en même temps le despotisme et les impostures sacer¬ dotales. « Leininger, ci-devant prêtre desservant l'église du Bourget, district de Fran-ciade, département de Paris, [Convention nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES, i �mbre i4.3 635 « t'ait au Bourget, le quartidi de la 3e décade de brumaire, l’an II de la République française, une et indivisible. « P. -S. Mes lettres de prêtrise sont tombées entre les mains des ennemis lors de l’invasion du district de Valenciennes. J’en ai encore sauvé le procès-verbal de mon élection à la cure de Denain, et les pouvoirs reçus de l’évêque du département du Nord; je les dévoue aux flammes, comme encore les pouvoirs reçus de l’évêque de Paris, pour en faire hommage à la raison. » Certificat (1). Nous, représentants du peuple français, Déclarons que pendant notre mission à Valenciennes, où nous avons été envoyés par la Convention nationale au commencement d’avril dernier, le citoyen Leininger, curé de la paroisse de Denain, canton de Bouchain, dis¬ trict de Valenciennes, notoirement connu par son patriotisme, dont il avait constamment donné des preuves depuis son entrée en France, tant dans la Société populaire que partout ailleurs, nous a encore donné de nouvelles preuves de son civisme et de son zèle pour le sa¬ lut de la République en travaillant à la traduc¬ tion en allemand de différents décrets, adresses, proclamations et autres ouvrages patriotiques, qui ont été répandus dans le camp et parmi les soldats ennemis, et qu’il n’a cessé ce travail que lorsque la levée du camp de Famars qui a eu lieu la nuit du 23 au 24 mai, l’a forcé de fuir son habitation qui a été envahie par les ennemis. Fait à Paris, le 4e jour de la 3e décade du 1er mois de l’an II de la République française, une et indivisible. Signé : Dubois-Dubais, Briez. La commune de Ohampigny-sur-Marne dépose dans le sein de la Convention le reste des débris du fanatisme et de la superstition, consistant en un soleil, un calice avec sa patène, 2 vases; le tout en argent; plusieurs croix, 12 chandeliers de cuivre argenté, et d’autres ustensiles : elle demande que l’église serve à ses assemblées, qu’il ne se prononce plus des discours mensongers dans la chaire. Comme le ci-devant curé, en même temps maire de cette commune, est détenu dans une maison de force, elle sollicite la levée des scellés apposés sur ses effets, pour en retirer ceux appar¬ tenant à la commune; enfin, elle invite la Con¬ vention à rester à son poste jusqu’à ce que les tyrans coalisés soient terrassés, et la Constitu¬ tion fondée sur des bases inébranlables. Mention honorable, insertion au « Bulletin » et l’adresse renvoyée au comité de sûreté géné¬ rale (2). F Les sans-culottes de la commune d’Essonne (d’Essonnes) offrent à la patrie les hochets avec lesquels les charlatans, qu’on nommait prêtres, avaient fasciné leurs sens; ils félicitent la Con-(1) Archives nationales , carton F10 885, dossier Leininger. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 29. vention de l’énergie qu’elle a déployée pour punir les principaux traîtres qui siégeaient dans son sein; ils l’invitent à rester à son poste : « c’est la volonté du souverain, ajoutent-ils; son salut le commande. » Mention honorable et insertion au « Bulle¬ tin » (1). Suit V adresse des sans-eulottes de la commune d' Es sonnes (2). « Législateurs, « Les sans-eulottes de la commune d’Essonnes district de Corbeil, département de Seine-et-Oise, ont adhéré depuis longtemps aux jour¬ nées révolutionnaires des 31 mai, 1er et 2 juin, ils viennent de se réunir en Société populaire et leur premier vœu, en se débarrassant des pré¬ jugés superstitieux dont les charlatans que l’on nommait prêtres, avaient fasciné leurs sens dès leur plus tendre enfance, a été de nous offrir les hochets avec lesquels ils ont abusé si longtemps de leur complaisante crédulité. « La raison a bouleversé le fanatisme reli¬ gieux, voilà ses dépouilles ! La raison et la liberté, voilà nos déesses, c’est à elles seules que nous vouions, dorénavant, offrir nos hom¬ mages; c’est pour elles que nous sacrifierons tout : la liberté ou la mort, point de milieu. « Nous vous félicitons, législateurs, de la mâle énergie que vous avez déployée pour punir les principaux traîtres qui siégeaient parmi vous; la tête de la perfide Autrichienne est tombée; elle n’a que trop tardé. « Du courage, braves Montagnards, vous vous êtes montrés dignes de représenter le peuple français; vous n’avez pas désespéré de son salut dans les moments critiques, c’est déjà avoir bien mérité. Vous avez compté sur son énergie, vous ne vous êtes pas trompés, il a entendu l’appel que vous lui avez fait, et il s’est levé tout entier. Déjà une pétillante et fougueuse jeunesse s’est réunie à ses premiers défenseurs et, tous ensemble, ils se sont précipités sur les esclaves des despotes et bientôt ils les ont mis en fuite. Les efforts combinés des tyrans ne servent qu’à leur donner plus d’ardeur. « Consommez votre ouvrage, restez à votre poste, c’est la volonté du souverain, son salut vous le commande. « Ce que vous avez fait jusqu’à présent vous impose l’obligation d’achever votre immortel ouvrage. « Envoyez-nous promptement le code civil que vous avez décrété; que l’éducation publique s’organise, c’est le moyen d’étouffer le germe superstitieux jeté dans le cœur de nos enfants par le charlatanisme des prêtres. « Continuez à vous épurer, livrez au couteau national cet essaim odieux de protestants à vos salutaires décrets. Qu’il ne siège dans le sanctuaire des lois que de vrais et intrépides montagnards, car les modérés aussi sont enne¬ mis des mœurs révolutionnaires; que la terreur soit sans-cesse à l’ordre du jour; qu’ils trem¬ blent les fédéralistes, s’il en existe encore, les agioteurs, les égoïstes et tous les agents infidèles (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 30. (2) Archives nationales, carton G 283, dossier 803.