[Assemblée nationale.] Plusieurs membres demandent le renvoi de l'affaire au comité de Constitution et de vérification réunis. (Ce renvoi est ordonné.) M. de Vlllemort, député de Poitou, demande et obtient un congé de six semaines pour affaires importantes. Un membre présente une pétition de l’académie de Nîmes, tendant à être chargée, comme elle l’était ci-devant, de veiller à la conservation des antiquités, médailles et inscriptions que renferment ou qui décorent les édifices nationaux du département du Gard, et il demande que cette pétition soit renvoyée à l’Assemblée administrative de ce département. (Ce renvoi est ordonné.) M. Cher fil s (1). Messieurs, bien convaincu que l’Assemblée nationale, loin d’entendre avec indifférence le récit d’un fait mémorable, se plaît, au contraire, à honorer les motifs qui en rehaussent l’éclat, et à prendre des mesures toujours dignes de sa sagesse, pour empêcher qu’une belle action ne soit perdue ; et pour l’exemple, et pour celui qui l’a faite, je me suis chargé de vous en présent une qui doit autant intéresser votre sensibilité que mériter vos éloges. Le 21 décembre dernier, ver3 les 11 heures du matin, un capitaine de navire, forcé par un gros vent du sud-ouest d’abandonner la route qu’il tenait le long des côtes de la Manche, voulut relâcher au port de Saint-Valéry en Gaux, district de Cany, département de la Seine-Inférieure, duquel j’ai l’honneur d’être l’un des députés. Une chaloupe de ce port, montée de 4 hommes, alla au-devant du navire pour prendre ses amarres et les porter ensuite sur la jetée de l’ouest. La mer était alors très agitée : une vague s’élève, couvre la chaloupe et la submerge, en la poussant néanmoins sur un banc de galets qui règnele long de la jetée. Quelques personnes s’empressent de jeter des cordages aux 4 matelots en péril. Deux seulement qui savent nager les saisissent et se font tirer sur la jetée. Les deux; autres, submergés avec la chaloupe, s’y étaient heureusement accrochés ; mais, ensevelis dans les eaux, ils ne voient ni ne peuvent saisir les cordages qui sauvent leurs camarades. Ils vont donc périr sous les yeux mêmes de leurs concitoyens désolés. Un de ceux-ci, aussi jeune que brave, maître d’un bateau-pêcheur du port, de qui le nom et le courage vont désormais honorer la ville dont il est habitant, devient intrépide à la vue du danger de ses deux compatriotes, et prend la résolution de les arracher à la mort au péril de sa propre vie. Jean Boudevillain (c’est le nom du jeune et brave marin duquel il s’agit), dépasse promptement la drisse d’un mât de fanal, se l’attache au milieu du corps, et se précipite du haut de la jetée, dans la mer. Il nage vers la chaloupe, l’atteint, malgré la colère des flots, la soulève, pour procurer aux malheureux qui s’y étaient accrochés, et qui étaient encore entre deux eaux, le moyen et la possibilité de respirer l’air, et se fait haler dans cette situation, aussi dangereuse que pénible, en traînant après lui la chaloupe submergée, et les deux naufragés qu’il ramène à terre sans connaissance et sans mouvement, mais qu’il rend néanmoins à la vie, aux [29 janvier 1791.] gg3 acclamations d’un peuple immense, étonné de la hardiesse de ce jeune maître, qui, pour sauver les jours de deux citoyens, n’a pas craint d’exposer les siens au plus grand péril, La municipalité de Saint-Valéry, touchée d’une action aussi courageuse, et voulant en perpétuer la mémoire, en a fait une mention honorable dans ses registres. J’en représente un extrait collationné. Quelques citoyens de la même ville, le jugeant digne de l’attention de l’Assemblée nationale m’ont déféré l’honneur delà lui transmettre. Voici ce document : Extrait du registre des délibérations de la municipalité déjà ville de Saint-Valery-en-Caux. « Gejourd’hui 10 janvier 1791, 11 heures du matin, la municipalité, assemblée au greffe de la ville, a pris en considération le rapport qui suit : « Le 21 décembre 1790, vers les 11 heures du matin, le capitaine Louis Vasse se présente pour relâcher au port de Saint-Valéry en Gaux, forcé par un gros vent de sud-ouest ; une chaloupe, montée de 4 hommes, fut au-devant pour prendre ses amarres et les porter sür la jetée de l’ouest. La mer était très grosse : une vague submerge cette chaloupe, et la pousse sur un banc de galets régnant le long de la jetée. On s’empresse de jeter des cordages à ces matelots : deux d’entre eux, qui savaient nager, saisissent ces cordages, et sont tirés sur la jetée; les deux autres seraient certainement péris. Le nommé Jean Boudevillain, maître de bateau-pêcheur dudit Saint-Valéry , dépasse promptement la drisse du mât de fanal, se l’attache au corps, et se précipite du haut de la jetée dans la mer, nage vers la chaloupe, l’atteint, la soulève, pour donner aux deux malheureux qui s’y étaient attachés, et qui étaient entre deux eaux, les moyens de respirer; se fait haler ainsi, en tirant après lui et la chaloupe et les deux matelots accrochés, qu’il ramène à terre aux acclamations d’un grand nombre de spectateurs, étonnés de la hardiesse de ce jeune maître, qui, pour sauver la vie à deux citoyens, avait exposé la sienne sur im faible cordage. Déjà les deux naufragés étaient sans connaissance. « La municipalité considérant qu’une action aussi courageuse, et qui fait tant d’honneur à l’humanité, ne doit pas être ensevelie dans l’oubli; que l’authenticité et les louanges sont la moindre récompense à laquelle puisse prétendre son auteur, a arrêté, après avoir entendu M. le procureur de la commune, que ledit rapport serait couché sur le registre des délibérations de la municipalité, et que copie d’icelui et du présent arrêté serait remise audit Boudevillain, en témoignage de l’estime que la municipalité fait de son zèle à secourir l’humanité. « Signé : Adrien Le Seigneur, maire ; Dupuis* Pastey, T. H. Petit Seigneur, Th. Cotelle* Louis Angos, Vulfran Hanot, P. Grenier et Aubert. »> Je ne sollicite auprès de vous, Messieurs, aucune récompense pécuniaire pour le brave marin, duquel vous admirez, comme moi, sans doute, l’humanité et le courage. Il en est une bien plus précieuse à mes yeux et vraisemblablement aux siens : j’ose vous la demander pour lui. Ce serait d’ordonner l’insertion du procès-verbal de la municipalité de Saint-Valéry ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur .