386 | Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. proportionnel ; il me sera facile de le démontrer en deux mots. Supposons le produit d’une terre quelconque à douze gerbes ........... 12 Les frais de culture, semences, avances, récoltes, entretien, etc., emportent au moins la moitié, ci ............. 6 \ Les droits du roi sont évalués à 1 un huitième de la récolte, ci une f q gerbe et demie. ....... 1 1/2 f y Droits du Roi de nouveau, pour \ l’année de jachère ....... 1 1/2 y Reste au cultivateur seulement trois gerbes ................ 3 Dont il donne au décimateur ..... 1 Il lui reste les deux tiers de son produit net .................. 2 Le décimateur emporte donc le tiers de la portion nette du cultivateur. Si à cet aperçu qui, loin d’être exagéré, porte sur une moyenne proportionnelle très-affaiblie, vous joignez les considérations d’économie politique qui peuvent servir à apprécier cet impôt, telles que la perception d’un tel revenu sans participer aux avances, ni même à tous les hasards ; l’enlèvement d’une grande portion des pailles dont chaque champ se trouve dépouillé, et qui prive par conséquent le cultivateur d’une partie considérable de ses engrais ; enfin la multiplicité des objets sur lesquels se prélève la dîme, les lins, les chanvres, les fruits, les olives, J es agneaux, quelquefois les foins, etc., vous prendrez une idée juste de ce tribut oppressif, que l'on voudrait couvrir du beau nom de propriété. Non, Messieurs, la dîme n’est point une propriété ; la propriété ne s’entend que de celui qui peut aliéner le fonds ; et jamais le clergé ne l’a pu. L’histoire nous offre mille laits de suspension de dîmes, d’application de dîmes en faveur des seigneurs, ou à d’autres usages, et de restitution nsuite à l’Eglise ; ainsi les dîmes n’ont jamais été pour le clergé que dès jouissances annuelles, de simples possessions révocables à la volonté du souverain. Il y a plus : la dîme n’est pas même une possession, comme on l’a dit; elle est une contribution destinée à cette partie du service public qui concerne les ministres des autels : c’est le subside avec lequel la nation salarie les officiers de morale et d’instruction. (De violents murmures s’élèvent parmi les membres du clergé.) J’entends, à ce mot salarier , beaucoup de murmures, et l’on dirait qu’il blesse la dignité du ! sacerdoce ; mais, Messieurs, il serait temps, dans cette révolution qui fait éclore tant de sentiments justes et généreux, que l’on abjurât les préjugés d’ignorance orgueilleuse qui font dédaigner les mots salaires et salariés. Je ne connais que trois manières d’exister dans la société , il faut y être mendiant , voleur ou salarié. Le propriétaire n’est lui-même que le premier des salariés. Ce que nous appelons vulgairement sa propriété n’est autre chose que le prix que lui paye la société pour les distributions qu’il est chargé de faire aux autres individus par ses consommations et ses dépenses: les propriétaires sont les agents, les économes du corps social. Quoi qu’il en soit, les officiers de morale et d’instruction doivent tenir sans doute une place [10 août 1789.] très-distinguée dans la hiérarchie sociale ; il leur faut de la considération, afin qu’ils s’en montrent dignes ; du respect même, afin qu’ils s’efforcent toujours davantage d’en mériter ; il leur faut de l’aisance, pour qu’ils puissent être bienfaisants. Il est juste et convenable qu’ils soient dotés d’une manière conforme à la dignité de leur ministère et à l’importance de leurs fonctions ; mais il ne faut pas qu’ils puissent réclamer un mode pernicieux de contribution comme une propriété. Je ne sais pourquoi on leur disputerait que la dîme est d’institution nationale : elle l’est en effet, et c’est à cause de cela même que la nation a le droit de révoquer et d’y substituer une autre institution. Si l’on n’était pas enfin parvenu à dédaigner autant qu’on le doit la frivole autorité des érudits en matière de droit naturel ou public, je défierais de trouver à propos des dîmes, dans les capitulaires de Charlemage, le mot solverint ; c’est dederint que l’on y rencontre toujours ; mais qu’importe ? La nation abolit les dîmes ecclésiastiques, parce qu’elles sont un moyen onéreux de payer la partie du service public auquel elles sont destinées, et qu’il est facile de les remplacer d’une manière moins dispendieuse et plus égale. Quant aux dîmes inféodées et laïques, le préopinant a tout dit. Il a bien exposé le principe que la propriété n’appartient réellement qu’à celui qui peut transmettre, et qu’on troublerait tout en remontant au travers du commerce des propriétés pour jeter des doutes sur le titre primitif. M. Ceyris Desponchez, évêque de Perpignan, défend la dîme en nature, non pas cependant comme une propriété ecclésiastique, car il convient qu’elle est une propriété nationale, mais il la défend par des principes de religion et de morale. Il dit que la suppression des dîmes va priver de tout secours les pauvres dont le clergé prend soin ; il prie la nation de prendre en considération l’état de cette classe malheureuse. Après avoir fait sentir combien cette matière est délicate et difficile à approfondir, il demande que l’article VU du projet d’arrêté soit laissé provisoirement tel qu’il a été décrété, et que la discussion se borne à la simple rédaction. M. Duport, M. Colbert de Seignelay, évêque de Rodez , et M. Garat, le cadet , se sont présentés ensuite pour prendre la parole. Il était tard ; l’impatience de finir cette discusion s’est manifestée dans l’Assemblée. Plusieurs membres demandaient qu’elle fût fermée, et qu’on allât aux voix. M. le Président a consulté l’Assemblée par assis et levé, si la discussion serait fermée, ou si on la renverrait à l’après-dîner. H a été décidé que la discussion serait continuée dans la séance de ce soir. La séance est levée et remise à 6 heures du soir. Séance du lundi 10 août au soir. M. le Président, d’après l’observation qui a été faite par plusieurs membres, propose de substituer au mot prêteur , dans l’article IV du décret sur l’emprunt, le mot porteur. Ce changement est adopté sans difficulté. On reprend la discussion sur les dîmes.