[Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 mars 1190.1 On met aux voix la proposition de M. Duval d’Eprémesnil et les amendements de MM. Loys et Guillaume : l'Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu a délibérer. L’amendement de MM. Pison du Galand et duc de Levis est adopté, et le premier article est décrété dans les termes suivants : « L’Asgemblée nationale étant enfin arrivée au moment heureux d’anéantir les ordres arbitraires, de détruire les prisons illégales, et de déterminer une époque fixe pour l’élargissement des prisonniers qui s’y trouvent renfermés à quelque titre, ou sous quelque prétexte qu’ils y aient été conduits ; « Considérant la nécessité de donner le temps aux parents ou aux amis de ceux qui sont encore détenus, de concerter les arrangements qu’ils croiront devoir prendre, à l’effet de leur assurer une situation convenable et tranquille, et de pourvoir à leur subsistance; « Considérant encore que, parmi les prisonniers enfermés en vertu d’ordres arbitraires, il en est qui ont été préalablement jugés en première instance, ou qui sont seulement décrétés de prise de corps, ou contre lesquels il a été rendu plainte en justice, et dressé des procès-verbaux tendants à constater un corps de délit; enfin, qu’il s’em trouve quelques-uns que leur famille a déférés à l’administration comme coupables de faits très graves, que l’ou a cru certains et insuffisamment avérés; « Considérant qu’il est juste de tenir compte des rigueurs d’une longue détention à ceux mêmes qui seraient reconnus coupables de crimes capitaux, et d’allier à leur égard les ménagements inspirés par Phumanjté, à l’exactitude que la justice, l’intérêt de la société et celui des individus forcent à porter dans la recherche, la condamnation et la punition des délits constants, régulièrement poursuivis et complètement prouvés ; « Considérant, enfin, qu’il est nécessaire de prolonger la détention de ceux qui sont enfermés pour cause de folie, assez longtemps pour connaître s’ils doivent être mis en liberté, ou soignés dans des hôpitaux établis, inspectés, et dirigés avec cette vigilance, cette prudence et cette humanité qu’exige leur triste situation, a décrété et décrète ce qui suit : » Art 1er. Dans Fespace de six semaines après la publication du présent décret, tontes les personnes détenues dans les châteaux, maisons religieuses, maisons de force, maisons de police, ou autres prisons quelconques, par lettres de cachet, ou par ordres des agents du pouvoir exécutif, à moins qu’elles ne soient légalement condamnées ou décrétées de prise de corps, qu’il n’y ait eu plainte en justice portée contre elles pour raison de crimes emportant peine afflictive, ou que leurs père, mère, aïeul ou aïeule, ou autres parents réunis, n’aient sollicité et obtenu leur détention d’après des mémoires et demandes appuyées sur des faits très graves, ou, enfin, qu’elles ne soient renfermées pour eause de folie, seront remises en liberté. » M. le Président lève la séance à 10 heures et demie, et indique celle de demain à 11 heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’àBBÉ DE MONTESQUIOUV Séance du dimanche 14 mars 1790. M. le Président ouvre la séance à 11 heures du matin. M. le comte d’Alençon, député suppléant du bailliage de Toul, est admis à remplacer M. le comte de Renel, démissionnaire. M, le comte d’Alençon prête le serment civique, M. l’abbé Grégoire, 'président du comité des rapports, dit que ce comité est surchargé de travail et que, malgré la bonne volonté de ses membres, il ne peut suffire à sa tâche, Il demande, en conséquence, que ce comité soit à l’avenir composé de 3Q membres, qui seront renouvelés par moitié tous les mois. Cette proposition est adoptée. Il sera procédé incessamment à la nomination des 15 membres nouveaux destinés à compléter le comité des rapports. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de décret pour le remplacement de la gabelle. M-de La Galissoimicrc développe une partie des idées présentées hier par M. l’abbé Maury, et propose un projet de décret dont Yoici les principales dispositions : lü à compter du 1er mars prochain, l’imposition sur le sel sera supprimée, et il deviendra lihre et marchand ; 2° pour se procurer des approvisionnements suffisants, prévenir la disette et les accaparements, et s’assurer un sel de bonne qualité, la ferme générale continuera la vente de cette denrée à un prix réglé; mais nui ne pourra être forcé d’en prendre au grenier public ; 3° la situation des finances nécessitant le remplacement de cet impôt, il y sera pourvu de la manière indiquée ci-après; 4° le prix du sel variera depuis 1 sou jusqu’à 5 sous, suivaut la distance du lieu de Ir vente aux marais salins : ce prix ne pourra s’élever à plus de 2 sous dans les campagnes, de 3 sous dans les petites villes, de 4 sous dans les villes du second ordre, et de 5 sous dans les grandes villes ; 5° à compter du lor mai prochain, il sera établi un impôt du timbre, dans les formes qui seront déterminées par l’Assemblée nationale; 6* à la même époque, il sera également établi un impôt sur les croisées et sur les cheminées des villes. M. filriois de ISeaHmet?. Le désir de l’Assemblée est sans doute de voir réduire la question aux termes les plus simples. Par qui sera supporté le remplacement de la gabelle? Première question. Comment ce remplacement sera-t-il établi? Seconde question. Par qui sera rapporté le remplacement de la gabelle? Par ceux qui paient la gabelle; carde quoi s’agit-il? Est-ce d’établir une répartition égale entre les provinces? Non, sans doute. A Versailles, M. d’Espréménil a regardé les provinces rédimées comme de l’aristocratie : hier, (i) Celte séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [i-4 mars 17Ô0.j £03 M. l’abbé Maury a prétendu qu’on voulait conserver les privilèges des provinces. Non, je le déclare au nom de l’Artois, ce département n’a jamais prétendu conserver des privilèges contraires à la liberté : ce ne sont pas des privilèges que les provinces nous ont chargés de réclamer, mais l’universalité des droits des Pommes. Si nous résistons à la gabelle, c’est que nous en payons déjà nos remplacements, et que celui qu’on’ voudrait nous faire supporter serait une double charge. Il serait facile de prouyer combien les provinces rédimées et franches sont plus surchargées que les autres. Ainsi donc, c’est aux provinces qui supportent la gabelle à supporter le remplacement de la gabelle. Dans quelle forme le remplacement sera-t-il établi? C’est sans doute une grande opération que de découvrir la ligne de démarcation qui sépare les impositions directes des impositions indirectes. Si nous consultons les grands maîtres dans cette matière, nous voyons, en dernière analyse, que l’imposition directe, qui paraît être payée par celui qui produit est réellement payée par le consommateur. L’impôt de la gabelle est vraiment un impôt direct, une véritable capitation ; le sel forcé, le sel de devoir, est un impôt direct sur les hommes, Vendre à un homme 10 écus ce qui n’en vaut qu’un, c’est la même chose que de lui donner une capitation de 27 livres. Je croîs, par cette seule observation, répondre suffisamment à ceux qui disent qu’il . ne faut pas remplacer un impôt indirect par un impôt direct. Une addition provisoire à ia capitation, déjà instante, me semble le moyen le plus simple pour remplacer la gabelle. Vous atteindrez ainsi les capitalistes, parce que la capitation porte sur eux. Ce moyen réunira tous les avantages qui ont fait désirer tous les remplacements par un impôt indirect. — Je propose donc de faire un simple changement! l’article 5 du projet de décret, et de dire que « la contribution sera répartie, par forme d’addition proportionnelle à la capitation, dans les pays de gabelle. » M. Laveiiuç. Je me borne à quelques observations: 1° Quelle que soit la détermination que prendra l’Assemblée, le remplacement n’aura lieu que pour l’année Î790 seulement; 2° Jusqu’à ce qu’un nouvel ordre soit établi, il faut laisser l’ancien tel. qu’il est, en y faisant les seuls changements que les circonstances rendent nécessaires, J’offrirai une seconde question, qui m'amènera à vous proposer un décret, La gabelle subsistera-t-el le encore? Sera-t-elle remplacée? Quelles provinces supporteront ce remplacement? Les grandes gabelles rendent plus à l’Etat que les petites ; il faut que le soulagement qu’elles éprouveront soit proportionné. 11 est certain qu’on doit rendre Je sel marchand ; niais il est possible d’établir sur le sel un impôt dont le peuple ne s’apercevrait pas ; cet impôt pourrait être de 8 deniers par livre lors de l’extraction du sel dans les marais salins. M. Lavenue présente un décret dans lequel il renferme le mode de l’établissement de cet impôt de 8 deniers par livre, et la proportion à établir entre les provinces de grande gabelle et les provinces de petite gabelle, en remplacement de partie des droits supprimés. Les provinces de grande gabelle paieront les trois quarts du revenu net, et les provinces de petite gabelle les deux tiers. M. Rœderer. Les préopinants n’ont pas donné assez d’attention aux décrets qu’on vous propose ; il ne s’agit pas d’un remplacement perpétuel, il ne s’agit pas d’établir l’équilibre dans les impositions ; il faut remplacer pour l’année présente la gabelle qui ne se perçoit plus. Que vous propose-t-on? des impôts sur le luxe, un impôt du timbre, une gabelle mitigée : mais le timbre ne pourrait être établi avec succès que lorsqu’il le serait dans toutes les provinces, et assurément il ne s’agit point ici d’une imposition générale. La gabelle mitigée serait toujours laga-beile ; le peuple imaginerait que vous avez détruit la machine, mais que vous avez conservé les ouvriers pour pouvoir rétablir la machine. Il faut se réduire à faire supporter le remplacement par les provinces qui payaient la gabelle. On vous a dit que ce serait augmenter les privilèges des provinces franches. Peut-être est-ce tout le contraire; car tandis que la taille a diminué dans les provinces gabellées, elle a augmenté dans les provinces rédimées. Celles-ci pourraient vous dire : vous faites gagner aux antres une diminution d'un tiers sur leurs impôts, et nous, que vous avez surchargées, nous u’éprouvôns aucune diminution. Voyons quelle sera la condition des provinces où le remplacement aura lieu. On dit que ces provinces vont être écrasées; que les terres seront abandonnées; toutes ces terreurs sont vaines : le comité ne propose pas de convertir la gabelle entière en impôt territorial : il la réduit d’un tiers; et de 40 millions de remplacement, 25 ou 26 seulement doivent être répartis sur les contribuables, par forme d’addition proportionnelle à toutes les impositions réelles ou personnelles. Le reste doit être établi sur les octrois et sur d’autres moyens qui seront présentés par les municipalités. M, Roederer propose deux amendements : le premier consiste à ajouter à l’artiele 2 ces mots : « provisoirement, et pour cette année seulement » ; le second, à insérer dans l’article 3, après cette expression : « sera répartie sur les départements et-les districts », celle-ci : « qui payaient ces droits ». M. l’abbé Gouttes adhère à la proposition de M. de Beaumetz et aux observations de cet opinant en faveur des provinces rédimées. M. lue Chapelier. Les provinces de grandes gabelles doivent seules supporter le remplacement. Nous payons en Bretagne tous les impôts possibles; sur notre demande, vous avez proroge eçt te année un impôt de 4 millions. Après avoir accédé aux propositions des préopinants, qu’il me soit permis de critiquer l’article 9, dont le résultat est précisément le rétablissement de la gabelle. Le rapporteur a dit que Je bénéfice de la vente sera de 10 millions. En supposant que cette vente fût d’un million de minots, à 1 sou de bénéfice ar minot, le terme moyen du bénéfice total sera e 3,500,000 livres : et c’est pour ce léger avantage que nous laisserions exister la gabelle! Lorsque le peuple verra que les fermiers généraux subsisteront encore, que le commerce ne sera pas libre, croyez-vous qu’il se soumettra aisément au remplacement, qu’il regarde à présent comme un bienfait? Le gouvernement ne doit être ni banquier, ni commerçant : les citoyens seraient effrayés, le commerce serait lésé; une compagnie aussi considérable que la ferme générale jetterait l’effroi dans tous les esprits; il faut donc supprimer entièrement l’article 9, qui aurait des effets aussi fâcheux. Je propose de le 404 [Assemblée nationale.] ARCHIVES P 1 remplacer par un aulre article, dont l’objet serait d’ordonner la vente en tout ou en partie des sels qui existent en approvisionnement, et le versement des fonds qui en proviendraient dans la < a;sse des receveursdes deniers publics. Cetappro-vi'ionnement est, dit-on, assez considérable pour deux années; le sel a été acheté 8 sous, il sera vendu 28 sous; il y aura donc 3 millions de bénéfice. ftl. de ISoisgelin, archevêque d' Aix (1). Vous aviez aboli le régime de la gabelle et 1’obligalion du sel forcé, et le prix excessif de la vente, et les inquisitions pour cause de fraude et de contrebande. Le privilège de la vente subsistait encore; le privilège ne pouvait passe soutenir sans prohibitions, ni les prohibitions sans recherches et saus punitions. Le privilège avait produit les vexations. Leur proscription devait être celle du privilège. Craignons de le rétablir quand nous voulons le détruire. La gabelle ne fut d’abord qu’un droit sur le sel; elle a commencé par UDe ferme, et non par un privilège. Les fermiers du droit firent l’entreprise d’acheter le sel des marchands, et de faire payer le droit sur la vente. Leur entreprise n’était point privilégiée. Elle le devint par les ordonnances quand elle l’était déjà par elie-méme. Les fermiers achetaient le sel des marchands. Il n’y eut plus de marchands, il n’y eut plus de commerce. On prononça le privilège quand personne ne pouvait plus soutenir la concurrence. C’est ce privilège de fait qu’on vous propose de substituer au privilège de droit. Qu’importe la loi, si l’effet est le même? C’est une entreprise de commerce faite par l’Assemblée nationale. Elle peut donner des lois au commerce, ou J >lu tôt elle doit l’affranchir des lois que la fisca-ité lui donne : elle ne doit pas faire des entreprises de commerce. On vous propose d’enjoindre aux fermiers généraux de continuer le débit du sel au prix qui sera réglé par la concurrence. Le prix du sel ne sera point réglé par une concurrence qui n’existera pas. Il n’y a point de concurrence lorsqu’un vendeur plus puissant que tous les autres doit régler le prix. Il n’y a point de commerce quand le gouvernement fait le commerce. La ferme aura toujours le pouvoir de distribuer le sel à plus bas prix, pendant un temps donné, pour écarter les commerçants. Les commerçants n’entreront jamais en concurrence avec la ferme, et la ferme elle-même ne pourra point deviner quel serait le prix du commerce. Vous réglerez le prix. Etes-vous commerçants ou législateurs? Par qui serez-vous instruits $ Par la ferme, et peut-être aussi par les besoins de l’Etat. On croira plus aisément que les demandes de la ferme sont justes, quand les besoins de l’Etat demanderont l’accroissement d’un produit qui ne semble pas un impôt. Laissons au commerce à régler le prix du com-(t) Le discours de M. de Boisgelin est incomplet au Moniteur. L.EMENTAIRES. ]14 mars 1790.] merce : il sera sans étude et sans effort, ce que ne peuvent pas faire nos plus laborieuses combinaisons. Nous jouirons, sans y penser, du cours libre de ses achats et de ses ventes, et nous n’aurons rien à craindre de nos erreurs. Je sais bien qu’avec le temps, des spéculations utiles, telles que celles qui soutenaient jusqu’ici la contrebande, pourraient réparer le tort d’une augmentation arbitraire du prix du sel; mais pourquoi faut-il attendre du temps ce que le commerce fait d’abord de lui-même sans avoir d’erreurs à craindre et de torts à réparer? On vous propose d’enjoindre à la ferme d’assurer l’approvisionnement des lieux que le commerce négligerait de fournir, Une injonction vague et sans objet ne peut pas être une loi. Le commerce ne négligera point la fourniture des lieux où il n’y aura point d’approvisionnements que le commerce ne fournira rien. Otez la ferme : croyez-vous qu’on manquera de sel, quand on pourra l’avoir au plus bas prix, quand on en aura besoin pour sa consommation, pour les salaisons de toute espèce, et pour la nourriture des bestiaux? On ne manquera pas de sel nulle part, si la ferme n’en fournit point. À quoi sert qu’elle soit condamnée à fournir ce qui ne peut pas manquer? Est-ce que l’on manque de sel en Bretagne et dans l’intérieur des provinces rédimées et dans tous les pays étrangers où il n’y a point de ferme ? On vous propose de prévenir les renchérissements considérables auxquels la variété des combinaisons du commerce pourrait donner lieu. il n’en est pas du sel comme de toutes les autres denrées. G’est sans travail, sans culture, et sans frais qu’on le voit se former sur les côtes ; c’est une denrée abondante et nécessaire ; le commerce en est facile, le prix modique et le débit immense. Voyez quelle est l’activité de la contrebande. Cette contrebande n’est que le commerce, le même commerce libre aujourd’hui par vos soins, et jusqu’ici repoussé par le privilège. Voyez comment le transport des sels s’est multiplié de toutes parts, aussitôt que les barrières ont été renversées et les droits suspendus. Craignez-vous que le commerce habituel et journalier ne puisse pas faire ce qu’a fait l’essor subit et momentané de la liberté d’un moment ? Comment pouvez-vous craindre les renchérissements d’une denrée abondante, qui ne dépend presque pas des variétés des saisons, et qui fait partie des premiers besoins? Vous n’avez point de ferme pour tout autre genre de commerce; et tout autre genre de commerce exige bien plus de travaux et de frais que celui du sel. Ou craint les inconvénients de la liberté. Le sel a besoin, dit-on, d’être conservé pendanttrois ans. Il a besoin de quelque préparation, pour qu’il ne soit pas nuisible à la santé. Combien de denrées ont besoin d’être préparées pour notre consommation 1 Combien il faut plus de soins et d’opérations pour convertir le blé en farine, et la farine en pain! Combien il est facile de corrompre les vins et les liqueurs, et quelle est la denrée propre à notre consommation qui ne soit pas plus susceptible d’altération, et qui n’ait pas besoin de plus d’apprêts que ie sel? Vous n’avez point de ferme, pour faire dans tout autre genre de commerce, des approvisionnements salutaires qui ne nuisent point à lasanié