[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (3 avril 1790.] 537 saire du roi n’y serait pas inutile. M. Boutin vint s’asseoir au milieu de nous. L’auteur du projet se mit en devoir de commencer la lecture. Je l’arrêtai. Je demandai à M. Boutin s’il comptait rester. Sur sa réponse affirmative, je lui représentai qu’il n’en avait pas le droit ; que son titre lui donnait une place à la direction, non à la députation ; et je le suppliai de se retirer. M. Boutin s’y refusa ; la lecture du projet fut tentée de nouveau. Alors j’assurai M. Boutin qu’il me serait impossible d’opiner devant lui et que j’allais me retirer moi-même en laissant sur le bureau une protestation que j’avais rédigée durant ce colloque. Je la lus. J’ose dire qu’elle était courte, mais énergique. M. Boutin en fut touché. Il se rendit à mes raisons et se retira. Livrés à nous-mêmes, la lecture du projet fut reprise. On fut aux voix: Les amis de ce projet se regardèrent. Le compte n’était pas difficile. Nous étions sept. Ils se virent trois contre quatre. Le croira-t-on ? Ces Messieurs se levèrent et quittèrent la séance, sans en donner aucun motif. Je les laissai sortir, mais je les suivis et les joignis dans levestibule.il était rempli d’actionnaires et d’officiers de la compagnie. Ce fut alors qu’élevant la voix, j’observai à ces Messieurs que la députation ayant été régulièrement convoquée, ils n’étaient pas en droit de rompre la séance par une retraite sans motifs, et je les priai de déclarer qu’ils n’entendaient pas, par leur absence, frapper cette séance de nullité. La déclaration me fut faite sans difficulté par l’un d’entre eux, au nom de tous les trois. Tranquille sur ce point, je rentrai dans la salle de la députation ; nous délibérâmes et nous conclûmes à porter le lendemain à l’assemblée générale un projet d’arrêté qui ne laissât, comme je l’ai déjà dit, au projet de conversion que 20 ou 25 suffrages; encore ces suffrages étaient-ils presque tous d’étrangers. A présent je laisse au lecteur équitable à décider si la réunion de toutes les circonstances que je viens d’exposer prouve de la bonne foi ou de l’intrigue. Au surplus les intrigues du ministère ne sont pas toujours celles du ministre. Je suis fort éloigné d’imputer à feu M. le duc de Praslin les opérations de 1769. Nous savons tous que ce ministre écoutait volontiers M. le duc de Choi-seul ; et M. le duc de Ghoiseul, trop confiant quelquefois dans sa pénétration personnelle, n’était lui-même que l’instrument d’un petit nombre de personnes très déliées, qui le gouvernaient sans qu’il s’en doutât, malgré tout son esprit : ce fut (pour en donner un autre exemple) cette confiance de M. le duc de Ghoiseul dans sa pénétration, qui le porta, quoique averti, à proposer au feu roi M. de Meaupeou pour chancelier. Je finis par une réflexion qui malheureusement n’est pas propre à consoler les actionnaires, mais qui peut, du moins, rassurer les citoyens. Le décret qui déclare le commerce libre au delà du cap de Bonne-Espérance n’est pas constitutionnel. Mais, le fût-il, l’Assemblée nationale n’étant ni ne pouvant être une Convention, une autre législature éclairée par l’expérience, pourra rétablir les vrais principes du commerce de l’Inde. Je le désire. Trop heureuse la nation, si des erreurs sur le commerce étaient les seules qu’elle eût à réparer ! DEUXIÈME ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 3 avril{l%. Considérations sur les manufactures de mousseline et de [calicot dans la Grande-Bretagne faisant suite à l'opinion de M. Lecouteulx deCanteleu dans la discussion du privilège de la compagnie des Indes (1). L’attention du gouvernement Britannique n’a jamais été dirigée vers aucun objet d’une importance plus majeure que celui dont nous allons traiter, relativement au commerce intérieur. Gette importance, ainsi que la considération des intérêts divers qui sont compromis, ne peuvent manquer de faire impression sur tous ceux qui sont à portée de juger des intérêts politiques, commerciaux et territoriaux de la Grande-Bretagne. L’on a toujours regardé la manufacture de coton, comme très étendue. Cependant il est impossible de concevoir l’immensité de ce commerce, les avantages nationaux qui résultent de cette combinaison d’un travail de bras, avec ces machines ingénieuses qui sont portées au plus haut degré de perfection, parce que, le progrès en a été rapide au delà de ce qu’on peut imaginer. Gette nouvelle branche d’industrie s’est développée tout à coup et a donné un essort inconnu jusqu’alors à l’activité de la nation. Il n’y a pas plus de vingt ans que le commerce de coton de la Grande-Bretagne ne rendait pas au delà de 200,000 livres sterling, tant pour les matériaux que par la main-d’œuvre ; et à cette époque avant que les moulins à eau et à bras fussent connus, le simple rouet n’employait pas au delà de cinq mille fuseaux à filer la faine de colon (2). A présent on peut compter près de deux millions et le rapportées matériaux ou vréspassent sept millions sterling. Même en 1781, la laine de coton qui restait dans les ateliers, déduction faite des exportations, n’allait qu'à cinq millions de livres pesant. En 1774, il en restait onze millions. C’est alors que l’expiration du privilège exclusif du chevalier Richard Arkwright a étendu la connaissance de la filature des chaînes et des jennys pour celles des trames, au point qu’il y a dans la Grande-Bretagne 143 moulins à eau et plus de vingt mille machines à bras. Tous ces moulins, machines, constructions, bâtiments nécessaires, qui ont au moins coûté un million sterling, peuvent filer annuellement plus d’un million pesant de coton valant plus (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Les ateliers pour le coton font autant de fil de coton que produirait le labeur réuni d’un million d’individus, d’après l’ancien système de la filature avec de simples rouets. Les machines qui vont par eau donnent un fil très tors, qui n’est bon que pour la chaîne; le fil de trame se file sur les machines à bras ou jennys; et il est à remarquer que vers les temps de l’invention des machines à eau, on a aussi découvert les moyens de multiplier les pouvoirs du simple rouet, depuis 5 jusqu’à 80 fuseaux, donnant autant de fils (tels sont les jennys d’a présenl). Ce jenny est mis en œuvre par un seul homme, aidé d’une femme pour préparer le coton, et d’un petit garçon ou d’une petite fille pour attacher les fils qui cassent, et qui donnent à cette manufacture une facilité à peine inconcevable. 53$ [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [3 avril 1790.] d’un million et demi sterling, et dont la valeur, en fils, monte à quatre millions sterling (1). Ces établissements, lorsqu’ils sont en activité, emploient à la filature seule, 26,000 hommes, 34,000 femmes et 53,000 enfants ; et dans les différents travaux on compte 133,000 hommes, 59,000 femmes et 48,000 enfants d’employés ; faisant en tout 159,000 hommes, 93,000 femmes et 101,000 enfants. Total, trois cent cinquante mille ouvriers (2). Telle est à présent la nature et l’importance des manufactures de coton ; elles sont pour le public une source de revenus et de force nationale. Les propriétaires des terres y gagnent en ce qu’ils emploient les pauvres et augmentent la valeur des denrées, le commerce y gagne par son augmentation, produite par cette étonnante combinaison de l’industrie et du mécanisme (3) ; certainement jamais aucune manufacture n’a été si avantageuse à un Etat. Ces moyens artificiels produisent un bien égal à celui qui résulterait d’un grand nombre de personnes utilement employées. Le peuple alimenté par les ressources qu’il en tire, se multiplie beaucoup, et les enfants, qui auparavant lui étaient à charge, sont à présent regardés comme une augmentation d’aisance. (1) 144 moulins à eau, à 500 liv. sterling. 715,0001iv. 150 jennys mules, tenant de la nature au moulin à eau et de la jenny ordinaire ..... 19,220 20,070 jennys de 80 fuseaux chacune... 140,190 Rouets, machines à corder, bâtiments, etc. 125,260 Total .......... 999,670 liv. Le revenu additionnel prélevé sur les consommations, soit dans les manufactures, soit dans les familles des ouvriers, est très considérable dans les provinces où ces manufactures de coton sont établies (1). Nous avons déjà dit qu’en 1784 il restait dans le pays 11 millions de livres de Coton non œuvré. L’année suivante il y en avait 18 millions ; en 1786 un million de plus,' enfin en 1787 il y en avait plus de 22 millions. On estime que cette énorme quantité provient dans la proportion suivante: Des îles anglaises ...... 6,600,000 liv. Des colonies françaises et espagnoles ...... * ...... 6,000,000 Des colonies hollandaises . . 1,700,000 Des colonies portugaises. . . 2,500;000 Des Indes orientales, par la voie d’Ostende ........ 100,000 De Smyrne et de Turquie. . 5,700,000 22,600,000 liv. L’on estime encore que cette quantité sera employée dans les proportions suivantes : Pour les mèches de chandelles, bougies, etc ......... Pour la bonneterie ..... Pour les étoffes mélangées de soie et de fil ......... 2,000,000 Pour la partie des futaines. . 6,000,000 Pour les calicots, mousselines, etc ............. 11,600,000 1,500,000 liv. 1,500,000 Nota. Dans cet aperçu en dépenses, l’on n’a point compris la valeur des métiers qui ont coûté une somme immense. (2) Les 143 moulins à eau sont répandus dans les provinces, dans la proportion suivante : Dans l’île de Man.. . ......................... 1 En Lancashire ............................... 43 En Derbyshire ............................... 22 En Notlineamshire ........................... 17 En Yorhsnire ................................ 11 En Cheshire ..... .................... ....... 8 En Stroffordshire ........................... 7 En Wertmoreland ................ . ........... 5 En Flintshire ................................ 3 En Bershire ....... .......................... 2 En Surrey .................... .............. 1 En Hertfodshire, en Leicesthershire, Worcester-shire, Pembroshire, Cumberland, Gloucestershire, un dans chacun ................................ 6 Total en Angleterre ............. 126 En Lanershire .............................. . 4 En Kenfrewshire ............................ 4 En Perthshire ............................... 3 En Mid-Lothiau .............................. 2 En Galloway ................................. 1 En Armandale, Bute, Fifeshire, Aberdeenshire, un dans chacune ...................... ......... 4 Total en Ecosse ............. 18 Total général ............ 144 (3) Les planteurs des fies ne sont pas aussi intéressés aü succès et à l’extension du commerce de coton, que les autres classes de la société que nous venons de citer. 11 y en a plusieurs dont les habitations ne peuvent plus être employées qu’à la culture du coton. Il serait d’une grande importance de savoir, si on ne pourrait pas produire un Arrangement également avantageux aux colonies anglaises et en important de l’Inde l’espèce plus fine que les fies ne peuvent produire, Total 22,600,000 liv. Ainsi, il paraît que plus des deux tiers du coton est acheté chez l’étranger, au prix de douze cent mille livres sterling au moins. Cependant les améliorations de la culture dans les Barbades, l’acquisition du beau coton de Surinam et du Brésil, ont permis d’étendre depuis trois ans la manufacture des mousselines à un point presque incroyable, ce qui prouve incontestablement qu’il ne manque à la Grande-Bretagne qu’une matière première d’une qualité plus fine, pour se donner à jamais une supériorité décidée dans la manufacture des mousselines. C’est cette branche du commerce du coton qui doit, par-dessus toutes les autres, être regardée sous un point de vue d’importance nationale, parce que tout y est labeur, qui occupe beaucoup de femmes et d’enfants, et que la valeur de la matière première reçoit un accroissement de valeur immense par le travail. En 1787 on a fait du coton de Démérary et du Brésil d’une finesse suffisante pour les mousselines les plus en usage; et avec le peu de coton des Indes qu’on a pu se procurer, on a produit jusqu’à 205 écheveaux à la livre, l’écheveau de 240 yards. On tire une livre du plus fin coton sur “deux livres ; le reste va à des ouvrages plus grossiers. Ces explications détaillées sont nécessaires pour aider à concevoir le progrès étonnant de cette nouvelle branche de commerce, qui cependant • (1) L’on estime qu’il se brûle pour plus de soixante mille livres sterling de chandelles, seulement dans les ateliers, par an. [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [3 avril 1790.] 539 ne peut être considérée que comme dans son. enfance. Mais à juger de son importance par le progrès des deux dernières années, on peut sans partialité la regarder comme une ressource précieuse qui ne peut être trop encouragée. La grande augmentation de la consommation de la matière première doit être attribuée principalement à l’étendue donnée à la fabrication des calicots et à la nouvelle fabrication des mousselines (1). Cependant une crise importante pour ces deux objets principaux rend les événements de ce moment critiques et intéressants. Elle est telle qu’il est nécessaire que la nature et l’étendue du danger qül menace près de la moitié des commerçants en coton de la Grande-Bretagne, soient bien connues : il est arrivé aussi rapidement qu’il est sans exemple. L’augmentation rapide de cette manufacture, qui a pris son existence dans un moment, est arrêtée et menacée d’une ruine entière par la grande augmentation de marchandises de même espèce et qualité que la compagnie des Indes importe, dans ces circonstances où il ne peut y avoir une juste concurrence, et qui ne laissent au manufacturier anglais d’autre alternative que celle de vendre ses produits à perte ou de laisser la marche libre aux calicots et manufactures de l’Inde (2). Si l’on pouvait attribuer la détresse de ces manufactures, soit en total, soit en partie, à une augmentation de prix, les manufacturiers anglais n’auraient pas sujet ae se plaindre. Mais cette augmentation de prix fait tort au commerce intérieur, dans un moment où la qualité des marchandises est perfectionnée, où les prix ont été diminués, autant qu’on a pu le faire, sans s’exposer à des pertes. Quelle qu’en soit la cause, la diminution subite de presque toute espèce de marchandises des Indes à un prix au-dessous de tout ce qu’on aurait pu imaginer, et cela dans un moment où les manufacturiers anglais en avaient préparé de grandes quantités pour la consommation, est un événe-(l)Èn 1783 il restait dans le pays. 9,546,179 1. pes. En 1784 ....................... 11,280.238 En 1783 ....................... 17,992,888 En 1786 ....................... 19,152,867 En 1787 ....................... 22,600,000 En 1783 on a œuvré pour la valeur de .......................... 3,200,000 1. sterl. En 1784 ....................... 3,950,000 En 1785 ....................... 6,000,000 En 1786 ....................... 6,500,000 En 1787 ....................... 7,500,000 Total général d’augmentation 324,852 pièces, faisant pour l’année 1787, une différence et augmentation de vente, de près du double des sept années précédentes. ment qui demande l’iritet’vention du gouvernement (1). Ce n’est point le résultat d’une Crise dans une manufacture de cette nature; ce n’est poiüt comme dans d’autres branches de commerce ou Une stagnation momentanée est suivie d’une commande très considérable; le mal est bien plus enraciné. L’augmentation rapide de ce commerce démontre assez clairement que, pour l’usagé ordinaire, il n’y a point, dans les marchés anglais, un débouché "suffisant pour les manufactures intérieures, et pour les mêmes espèces de marchandises importées de l’Inde. C’est donc une question de politique de savoir à qui l’on doit donner la préférence. Indépendamment de ce que les manufacturiers anglais ont à dire qu’ils sont les sujets immédiats de l’Etat, qu’ils contribuent par eux-mêmes et par le grand nombre de bras qu’ils emploient, aux ressources, à la force et à la sûreté de la nation, par l’augmentation de la population et d'un certain revenu permanent, ils peuvent encore avancer que tous ces avantages, ainsi que les grands établissements qu’ils ont fondés, tiennent à ce qu’ils aient une préférence décidée dans leur propre marché. S’il est même nécessaire de citer des exemples, les livres des statuts ou lois en force contiennent un système progressif de protection pendant plus d’un siècle, et il n’y a aucun principe de droit naturel, de bonne politique, ni de commerce public, qui dicte que les marchés anglais ne seront pas ouverts à letirs propres denrées. Sans vouloir diminuer l’importance des territoires britanniques dans l’Inde, on peut dire avec vérité que la nation ne peut trouver de ressource certaine et permanente que dans le sein du pays, dans le produit de l’industrie du peuple et dans l’application de cette industrie. Aucune branche de commerce ne présente cet avantage comme celle de la manufacture de coton. Les territoires de l’inde et ses revenus tant actuels que futurs ne sont pas aussi assurés. Indépendamment de ce qu’ils coûtent à garder, ils peuvent nous être enlevés par la fortune de la guerre et par d’autres causes qui produiraient le même effet. 11 faut donc que, de quelque façon qu’on envisage la demande de ces possessions éloignées d’être mises sur le même pied que les manufactures nationales, cette demande s’est trouvée absurde, si le revenu de l’Inde doit être transmis en marchandises de coton telles que celles qu’on peut fabriquer dans la Grande-Bretagne-, ce revenu est illusoire. (1) Schel. Les belles mousselines coffas se vendaient en 1783 ............. 134 » Se sont vendues en 1787 ..... 100 » Inférieures mousselines coffas en 1783 ....................... 54 » En 1787 ..................... 34 » Les plus inférieures , même espèce, en 1783 ................ 39 » En 1787 .......... « ......... 19 11 Doréas ou mousselines rayées, err 1783 .................. ..... 154 » En 1787 ..................... 100 » Mulinules ou mousselines claires, en 1783 ................... 90 » En 1787 ..... • ..... v ......... 67 6 Différence, 50 0/0 60 0/0 100 0/0 50 0/0 33 0/0 Cette réduction de prix a aussi diminué les droits, depuis 1783, d’un tiers et aussi pour quelques espèces, de la moitié de ce qu’elles payaient auparavant, 540 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [3 avril 1790.) Ce n'est tout au plus que la valeur de la matière première, et dans l’état où se trouvent les manufacturiers anglais de pousser cette manufacture au plus haut degré, un revenu national ainsi prélevé devient un grand malheur, en ce qu’il diminue l’ouvrage qui pourrait se faire dans le pays, au grand avantage de l’Etat, avantage qui ne peut se trouver dans la même industrie exercée dans l’Inde. Ainsi, ce qui d'abord peut paraître un grand avantage national dans de certains cas, peut devenir un malheur public. Ce n’est pas à dire que les territoires et le commerce de l’Inde ne puissent être rendus avantageux à la nation. Les ressources de l’Inde sont très étendues par la variété des matières premières dont on pourrait encourager la culture parmi les nationaux qui seraient alors bien plus avantageusement employés que dans les manufactures, où, malgré lat modicité de leur salaire, la compagnie des Indes ne fait aucun profit. Nous n’entendons parler que de ces marchandises de l’Inde qui peuvent se manufacturer en Angleterre. La compagnie a bien d’autres ressources, et si elle jugeait à propos de remplir ce vide, en important le meilleur coton de Surate, il n’y a pas de doute qu’elle ne pût tirer les revenus de l’Inde, à une perte moins grande que par l’importation de marchandises manufacturées, parce que l’immease et subite perfection des manufactures fines de la Grande-Bretagne a ouvert un grand débouché pour la consommation de ces cotons fins qui se vendent bien au delà de ceux qui viennent de l’Amérique (1). En outre du beau coton de l’Inde, la compagnie pourrait peut-être augmenter son importation de soies écrues ainsi que de l’indigo. La cochenille pourrait aussi s’importer avec avantage, ainsique les racines de garance, qu’on dit y être d’une excellente qualité, et plusieurs autres articles utiles aux manufactures nationales, et pour lesquelles la Grande-Bretagne pourrait payer à l’Inde au moins un million sterling, sans diminuer le commerce ou sans payer un sou de plus que ce qu’il paie à l’étranger (2). Sous ce point de vue, un changement de système qu’on puisse adapter à la situation présente des manufactures anglaises, est bien digne de l’attention du gouvernement ainsi que de la compagnie des Indes; car quoique le système d’aujourd’hui, de diminuer les prix et d’augmenter la quantité des marchandises des Indes dans les marchés anglais, puisse occasionner la ruine d’une moitié des établissements nationaux et accélérer la plus profonde misère, sans bénéficier la compagnie des Indes, cependant les facilités, les connaissances et les immenses capitaux des plus opulents manufacturiers, les mettent en état de soutenir la rivalité, et ce commerce ne peut jamais être un grand objet pour la compagnie. On peut ajouter que la compagnie a des enga-(1) Une balle de coton de l’Inde a environ trois pieds de longueur, sur autant de largeur, et environ deux pieds et un tiers d’épaisseur. Celte balle est si serrée qu’elle contient trois quintaux. En ôtant toutes les impuretés, ce qui peut se faire dans l’Inde à un prix très modique, l'on pourrait mettre encore plus de coton dans une balle qui alors vaudrait 25 pour cent de plus, et dont le fret équivaudrait à celui du thé I (2) Le très beau coton et l’indigo, dont nous parlons ici, ne peuvent être produits dans les îles et ne leur feraient aucun tort. gements énormes à remplir, et qu’il faut qu’elle vende ses marchandises n’importe ,à quel prix, pour se procurer de l’argent. Les manufacturiers anglais ont la même chose à dire, avec cette différence qu’en vendant à perte, ils se ruineüt, ainsi qu’en ne vendant pas, parce que leur crédit dépend souvent des ventes: mais le crédit de la compagnie des Indes n’a pas besoin de cette ressource, et aucune restriction limitée ne peut lui faire du torl (1). La situation des manufacturiers anglais est bien différente sous tous les points de vue. Leur ruine porterait sur les individus et sur la nation; car, en supposant que la moitié des ateliers devînt inutile, il y aurait d’abord une perte d’un demi-million sterling; mais l’abandon d’un système aussi étendu, la perte de l’industrie combinée, qui est égale au travail de 500 mille bras, les malheurs qui résulteraient de laisser dans l’oisiveté un si grand nombre d’individus qui auront beaucoup coûté à élever et qui n’auraient alors d’autre ressource que la charité des paroisses et des hôpitaux, ne peuvent se calculer. On croira aisément que si, par de tels malheurs, les capitaux d’un grand nombre de manufacturiers anglais ne sont plus employés, et leur activité arrêtée, qu’alors les nations étrangères voudront s’en prévaloir, et attirer chez elles les ouvriers anglais et même les articles qu’ils iraient alors chercher dans d’autres climats, cette subsistance dont ils sont privés chez eux (2). Tels seraient les résultats d’un système qui réunit toute sorte d’avantages, et dont l’accroissement irait au delà de l’imagination, s’il était protégé. Les avantages que la nation en retirerait, peuvent s’évaluer comme bien supérieurs à ceux qu’elle en retire à présent, et il ne faut que réfléchir sur l’immense quantité des matières premières qui ont été consommées dans les trois dernières années, pour se faire une idée des ressources que produirait cette branche de commerce. Quand même on devrait supposer que ce commerce s’est accru trop rapidement, ce serait une raison de plus pour le protéger. Tous les ateliers et les machines sont créés. Les ouvriers savent travailler, et leur industrie tourne au profit du système général. Ce serait une espèce de meurtre politique de laisser tomber ces établissements, tant qu’il y a le moindre moyen de les soutenir. C’est un sujet intéressant sur tous les points de vue : toutes les classes de citoyens y sont compromises; le gain ou la perte de tous les avantages qui résulteront de cette branche de commerce, dépend des mesures qu’on va prendre. Le cas où ce commerce se trouve est aussi subit qu’il est sans exemple, et il faut que le remède soit proportionné à la maladie. La détresse des manufacturiers, qui augmente tous les jours, ne peut se nier, et la prospérité nationale en souffre beaucoup (3). (1) D’après les prix de la compagnie, à sa dernière vente, il faudra que les manufacturiers anglais en vendant la même proportion diminuent leurs capitaux de 160,000 livres sterling. La quantité de marchandises qui leur reste sur les mains s'accroît tous les jours ainsi que les cotons filés, parce que les propriétaires des moulins ne peuvent renvoyer leurs ouvriers sans être ruinés. (2) Il y a eu des ordres envoyés à Manchester pour acheter des cotons en fil pour les manufactures étrangères. (3) Dans plusieurs des grandes villes de Chershire et {Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1790.] 541 Les manufacturiers et les lileurs de coton désireraient pouvoir se flatter que la compagnie des Indes envisageât leur commerce sous un véritable point de vue, qui est celui de la prospérité nationale. Ils espèrent que cette grande compagnie, et le corps respectable qui dirige ses opérations, considéreront avec impartialité, et avec l’attention due aux intérêts généraux du royaume, la crise où se trouvent lès manufacturiers, et que l’importance de leur commerce les excitera à s’ouvrir de nouvelles ressources qui puissent à la fois les enrichir, et devenir avantageuses à la nation. Ils espèrent qu’au moins on en fera l’essai, que des difficultés idéales ne nuiront point à un système qui peut produire tant d’avantages aux deux pays, et qu’ils pourront avoir le secours du ministère dans cette crise importante. 11 est encore possible d'établir, dans la Grande-Bretagne, le commerce du coton sur un pied qui doit lui assurer la préférence sur tout le reste de l’Europe, dans tous les marchés, pour des siècles à venir : toutes les considérations du revenu à prélever sur les marchandises des Indes ne sont donc rien, en comparaison d’un système qui doit en produire un bien plus considérable. 11 y a environ un siècle que les manufactures de soie furent regardées comme assez importantes pour occasionner des règlements qui les protégeaient contre la concurrence des manufactures de l’Inde de la même espèce. Les manufactures de coton sont si fort au-dessus de toutes les autres, eu égard à leur étendue et à l’importance de la main-d’œuvre, qu'on ne peut nier qu’elles n’aient au moins aussi bon droit à la protection du gouvernement, que les autres manufactures qui ont des règlements en leur faveur. On est convaincu que la prohibition des manufactures de soie de l’Inde n’a fait aucun tort à la compagnie, ni aux Indiens. Le peuple a continué de travailler, et s’est procuré d’autres ressources. La même chose arriverait probablement à l’égard des calicots et des mousselines. Les manufactures de coton de Bengale, et des autres territoires de l’Inde, sont trop étendues pour se ressentir de l’effet d’aucune restriction qui pourrait avoir lieu pour assurer à la Grande-Bretagne la consommation de ses propres manufactures (1). Il est donc possible que les conséquences les plus salutaires soient le résultat d’un changement de système de la part de la éompagnie, si l’on fait des règlements qui tournent l’industrie des Indiens et des autres natifs de l’Inde vers des ouvrages mieux adaptés au commerce de l’Angleterre. Les manufacturiers anglais, une fois persuadés qu’ils ne seraient pas contrariés dans leurs spéculations par une inondation subite des marchandises des Indes, travailleraient avec beaucoup de confiance, et les acheteurs se présenteraient en bien plus grand nombre. A présent l’esprit de spéculation, si nécessaire pour donner de l’énergie au commerce, est restreint de toutes parts par la crainte qu’ont les acheteurs d’être assujettis à éprouver de grandes du Lacashire, il existe la plus grande misère parmi les fileurs sur jennys ou rouets, et l’on a envoyé des représentations aux ministres pour réclamer la protection du gouvernement contre les marchandises de l’Inde. (1) On assure que les contrées septentrionales de l’Afrique prendraient une très grande quantité de coton, si l’on se servait de bons moyens pour y commercer. pertes, en conséquence de l’incertitude des ventes et d’une baisse considérable dans les prix. Les marchands craignent donc d’acheter, et les manufacturiers, d’après les ventes fréquentes et extraordinaires qui se font par la compagnie, ne peuvent plus se défaire de leurs marchandises. Si l’on pouvait abolir cette mauvaise impression, et donner aux marchands quelque espèce de sûreté qu’aucun événement ne pût avoir lieu, qui puisse diminuer subitement la valeur de leurs marchandises, soit en bornant la quantité de marchandises des Indes qui pourraitêtreimportée, soit en fixant le prix auquel ces marchandises doivent être mises en vente, alors on pourrait espérer que de grands capitaux seraient employés à l’achat des mousselines et calicots anglais, et l’on donnerait une énergie à ce commerce qui serait très avantageux. Les intermédiaires entre les manufacturiers et les débitants en détail (qui ont de gros capitaux qu’ils emploieraient à l’achat des manufactures anglaises, au grand avantage de ceux qui ont intérêt de vendre bien vite), sont à présent découragés, parce que le système de vendre les marchandises des Indes au-dessous du prix d’achat, est contraire à tout principe de commerce. Ainsi, les manufacturiers anglais ont deux ennemis à combattre, la concurrence réelle des marchandises des Indes , et l’impression que ces circonstances créent dans l'esprit des acheteurs. Tous ceux qui ont la moindre idée du commerce verront que si l’on tdonne aux manufacturiers quelque sûreté relative à la concurrence à laquelle ils doivent s’attendre, leur bénéfice augmenterait, dans leur proportion, bien au-delà du très petit inconvénient qui résulterait, pour la compagnie, de mettre des bornes à l’importation de ses marchandises de coton; elle n’y perdrait rien dans ses ventes chez l’étranger. Personne ne peut calculer le désavantage qui résulte de l’ignorance où se trouvent les acheteurs de la quantité déterminée de marchandises qui doivent être mises en vente. En combinant les avantages qui doivent nécessairement résulter de l’importation du coton en nature, avec le nouveau système proposé pour les ventes de la compagnie, il y a tout lieu de croire qu’on peut former un plan par lequel les possessions anglaises en Europe et aux Indes-urientales pourront devenir mutuellement utiles au commerce, à la force, à la sûreté du gouver-dement anglais dans toutes les parties du monde. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE BARON DE MENOU. Séance du lundi 5 avril 1790 (1). M. le Président ouvre la séance à onze heures du matin. M. le marquis de Bonnay, secrétaire , fait lëcture du procès-verbal de la séance du samedi 3 avril. Ce procès-verbal est adopté. M. le marquis de Bonuay donne ensuite (1) Celle séanee est incomplète au Moniteur.