218 [Assemblée nationale.] membres de ces comités que parmi les personnes les plus courageuses, les plus indépendantes, et surtout parmi les bons calculateurs. Je propose donc qu'on délibère sur-le-champ sur ma proposition. Un membre de la noblesse. Je demande que la délibération soit renvoyée à demain. 11 est de la prudence d’une Assemblée aussi nombreuse de mûrir une proposition de cette importance, et de la faire discuter dans les bureaux, avant d’en délibérer dans l’Assemblée. M. Fréteau. J’appuie la proposition de M. Bouche, non pas pour qu’on délibère sur-le-champ, mais pour qu’on la discute au moins dans les bureaux. Dans un moment de réclamation générale, l’on ne saurait croire combien le lise se livre à des vexations. Toutes les quotes d’impôts sont presque partout doublées. Plusieurs membres de l’Assemblée peuvent, comme moi, attester ces faits. Le renvoi est ordonné; il est décidé que copie de la motion de M. Bouche sera envoyée dans chaque bureau. Un membre du comité de vérification demande l’attention de l’Assemblée sur divers rapports qu’il va faire. Le premier regarde la députation de la noblesse de Metz. Voici le fait qui a donné lieu à contestation. Toute la noblesse des trois évêchés devait se réunir pour nommer une seule députation. Les gentilshommes se sont rassemblés, et ont nommé deux députés, aux termes du règlement. Ces députés sont MM. le comte de Custine et de Neu-bourg. La noblesse du bailliage n’a point comparu. Il a été donné défaut contre elle. Cependant elle s’était assemblée en particulier; et elle a nommé pour son représentant M. le baron de Poncin. Le comité conclut à ce que la députation de Metz soit déclarée nulle. Get avis, après quelques discussions, est adopté à la majorité de 442 voix contre 1 3 1 voix qui voulaient que les deux députations fussent admises. Le second rapport regarde le jugement des deux députations de la noblesse de Bordeaux. La première seule est déclarée valable. M. Goupil de Préfeln fait ensuite le rapport de M. Malouet, député des communes. Messieurs, l’on peut diviser en trois questions l’examen de la nomination de M. Malouet. 1° Une élection faite par acclamation est-elle régulière? 2° Y a-t-il quelques faits particuliers qui font cesser l’application des principes qui pourraient nous faire admettre la voie de l’élection par acclamation? 3° Enfin, la circonstance qu’il ne se présente pas de contradicteurs, doit-' elle vous engager à cacher le vice de cette élection? S’il fallait décider qu’il ne peut y avoir que la voie du scrutin commandée parle règlement, pour l’élection d’un député, cette contestation ne présenterait point de difficulté, puisque M. Malouet n’a point été nommé au scrutin. Mais ce règlement n’est rien moins qu’une loi ; il n’est que provisoire, et enfin il n’engage, il ne forme d’obligation que pour tout ce qui est de raison, de justice et d’équité. Nous devons donc sortir de cette marche commune qui nous astreindrait à une condition qui n’est que passive. Laissons de côté le règlement, et remontons à des principes plus élevés. [10 juillet 1789.] Parmi une association d’hommes libres, la loi est la volonté générale. Pour s’occuper de cette volonté, il faut que celte nation se rassemble ou nomme des représentants pour la receuillir. Mais par quel moyen peut se manifester cette volonté? Sera-ce la voie seule du scrutin ? Non, sans doute ; point de loi qui nous réduise à cette unité de moyens, cette disette d’expressions pour former une élection. L’acclamation est susceptible d’erreur, et même d’abus; sans doute elle n’en est pas dégagée, non plus que le scrutin. Peut-être même ce dernier moyen est-il plus efficace, plus ostensible du vœu général; cependant la raison, les lois ne nous interdisent pas l’acclamation : ce premier mouvement de Pâme est en quelque sorte un honneur. Je sais qu’il y a des exemples de personnes nommées par acclamation qui ne l’ont pas été au scrutin : qu’en résulte-t-il ? que les électeurs ont varié? Non sans doute; cette acclamation n’était pas générale. Maintenant examinons les faits qui ont influé ou qui caractérisent la nomination de M. Malouet. M. le sénéchal a prononcé un discours d’apparat pour l’ouverture; M. Malouet en a prononcé aussi un fort étendu et un fort éloquent. Le procureur du roi fit ensuite la proposition de nommer M. Malouet par acclamation ; que la province ne pouvait faire un choix plus avantageux, plus utile ; que M. Malouet était un citoyen bien digne de sa confiance, et dont les talents la justifieraient bien. M. Malouet refusa sa nomination aussi précipitée. Dans ce moment où l’on parle, dit-il, de regagner sa liberté et de n’obéir qu’aux lois, j’aurais à me reprocher d’avoir été la cause de leur infraction. L’on s’occupa donc des cahiers ; l’on nomma des commissaires. M. Malouet fut nommé rédacteur et on lut les cahiers. Lorsque l’on était sur le point d’aller au scrutin, un syndic de communauté s’écria au milieu de l’Assemblée : Nous n’avons pas de plus digne citoyen, d’homme plus recommandable, plus éclairé à nommer que M. Malouet ; n’allons pas au scrutin, mais nommons-le par acclamation. Celui qui faisait fonction du ministère public prit alors la parole et dit: Mon caractère me force de réclamer la voie du scrutin ; mais, en me dépouillant de mon ministère, j’observe que M. Ma�- louet est bien digne de représenter la province aux Etats généraux, et pour abréger, on peut le nommer par acclamation. Le juge en chef s’est alors levé, a dit aussi qu’il était forcé par les devoirs de sa charge de déclarer à l’assemblée qu’il n’y avait aucun de ses membres qui n’eût le droit de réclamer la voie du scrutin ; mais que, si l’assemblée, par égard aux talents supérieurs et aux connaissances de M. Malouet, le nommait par acclamation, il constaterait la nomination de M. Malouet quand l’assemblée aurait réitéré son vœu. L’acclamation fut réitérée, et le lieutenant général proclama M. Malouet député. Cette séance est signée de 158 électeurs, et il y en avait 558 dans l’assemblée. Voilà les faits ; examinons maintenant la validité de l’élection. Par qui l’acclamation est-elle attestée? Par 158 personnes. Contre qui l’atteste-t-on? Contre 400 personnes. Il résulte que les 158 ont nommé M. Malouet ; mais il n’en résulte pas la preuve que les 400 aient suivi ce choix. Us ne savaient pas signer dira-t-on ; mais il ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juillet 1789.] 219 liait donc en faire mention dans le procès-ver-il ; et tant que cette mention n’est pas faite, it doit présumer au contraire qu’ils savaient ms signer. D’ailleurs, un village ne choisira pas n électeur qui ne sait pas signer. Est-il à croire ne, sur près de 600 hommes , l’élite d’une rovince, il n’y en ait qu’un quart auquel il .ille faire grâce d’une aussi grande ignorance; ailleurs, ce ne sont que des considérations qui induisent insensiblement à l’arbitraire. Dira-t-on que ce sont 158 personnes qui attes-nt une acclamation générale? Mais, encore une iis, l’on répond pour soi et non pas de ses voi-ns dans un cas pareil. Mais il est un point d’une grande importance; est que personne n’attaque la nomination de . Malouet et n’élève de réclamation contre son ection. Sans doute un point aussi important >t d’une grande faveur. D’un côté, ceux qui en tiendront à la rigueur des principes, diront je, si personne ne s’élève contre une nullité, ute de réclamant, l’Assemblée exerce sur tous •s membres une espèce de ministère public qui iille au maintien de l’ordre et à ce que les pro-nces soient représentées. De l’autre, que puis-je personne ne se plaint, c’est que la province infirme l’élection de M. Malouet qu’elle consent être représentée par lui. Les conclusions du comité sont contre l’élec-on de M. Malouet. M. de fjally-Tollendal. Messieurs, ce n’est js sans une espèce d’embarras que j’ose vous résenter un principe contraire au rapport lumi-jux que vous venez d’entendre; mais la justice )mmande, et je dois obéir. Ce principe me pa-ilt tenir à l’ordre public, à l’organisation de mte Assemblée et au pouvoir constituant. Il n’v a aucune loi iixe, aucune détermination jur lés Etats généraux. Le Roi convoque, les commettants élisent, les îputés acceptent ; voilà ce qui constitue des tats. Il n’y a de contestation sur l’élection que re~ tivement aux pouvoirs des uns et des autres. II n’y en a point quand personne ne réclame ; . si tout le monde se tait, s’il existe un concert, a assentiment parfait entre les trois portions itégrantes qui concourent aux Etats généraux, 3s lors il n’y a point de procès, point d’ins-uction, point de jugement. Qu’importe ce qui est passé dans une assemblée de district puis-u’elle ne réclame pas ? L’orateur fait suivre ce début de quelques dédis qu’il oppose à ceux donnés par le comité ; conclut à ce que la nomination de M. Malouet >it validée. M. Malouet est reçu à défendre son élection. Plusieurs membres parlent successivement. On va aux voix, et l’élection de M. Malouet est infirmée à la pluralité de 439 voix contre 33. La séance est levée à quatre heures, et les bu-;aux sont invités à s’assembler ce soir. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMPIGNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du samedi 11 juillet 1789. Après la lecture du procès-verbal, les députés des communes de Bordeaux demandent qu’il soit fait lecture de l’adresse de leur ville. Cette demande leur est accordée. On lit aussi celles des villes de Mirecourt, Poitiers, Chalon-sur-Saône, le Croisic, Josselin, et un arrêté de la noblesse de Montargis qui, en approuvant la conduite de M. le comte de Latou-che, son député, lui donne des pouvoirs illimités. M. le Président. La députation que vous avez envoyée vers le Roi pour lui présenter votre adresse a été introduite hier à huit heures et demie du soir. M. de Clermont-Tonnerre a fait lecture de l’adresse ; il l’a lue avec cette noblesse et cette fermeté que vous lui connaissez. i�e Roi a fait donner par son garde des sceaux la réponse suivante ; « Personne n’ignore les désordres et les scènes scandaleuses qui se sont passées, et se sont renouvelées à Paris et à Versailles, sous mes yeux et sous ceux des Etats généraux ; il est nécessaire que je fasse usage des moyens qui sont en ma puissance pour remettre et maintenir l’ordre dans la capitale et dans les environs. C’est un de mes principaux devoirs de veiller à la sûreté publique : ce sont ces motifs qui m’ont engagé à faire un rassemblement de troupes autour de Paris. Vous pouvez assurer l’Assemblée des Etats généraux qu’elles ne sont destinées qu’à réprimer, ou plutôt à prévenir de nouveaux désordres ; à maintenir le bon ordre et l’exercice des lois, à assurer et protéger même la liberté qui doit régner dans vos délibérations ; toute espèce de contrainte doit en être bannie, de même que toute appréhension de tumulte et de violence doit en être écartée. Il n’y avait que des gens mal intentionnés qui pussent égarer mes peuples sur les vrais motifs des mesures de précaution que je prends ; j’ai constamment cherché à faire tout ce qui pouvait tendre à leur bonheur, et j’ai toujours lieu d'être assuré de leur amour et de leur fidélité. « Si pourtant la présence nécessaire des troupes dans les environs de Paris causait encore de l’ombrage, je me porterais, sur la demande des Etats généraux, à les transférer à Noyon ou à Soissons ; et alors je me rendrais moi-même à Compiègne, pour maintenir la communication qui doit avoir lieu entre l’Assemblée et moi. » Cette réponse, loin d’être applaudie, excite des murmures. Plusieurs membres se lèvent pour l’attaquer et la critiquer, lorque M. le comte de Grillon demande la parole. M. le comté de Crillon. Nous avons demandé l’éloignement des troupes; nous devons sans doute pour l’avenir prévoir une pareille circonstance* et en faire l’objet d’une loi ; mais devons-nous ; persister dans la demande que nous avons faite? Le Roi nous a donné sa parole qu’il n’a fait avancer des troupes que pour la sûreté de sa