m [Étal; généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 mai 1789.J ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du jeudi 28 mai 1789. CLERGÉ. La députation du clergé dont on a rendu compte fait connaître ce qui a été résolu par cet ordre sur la lettre du Roi et sa détermination de suspendre toute discussion sur la proposition des communes jusqu’à l’issue des nouvelles conférences. Le clergé charge en outre le cardinal de la Rochefoucault, son président, de témoigner à Sa Majesté qu’il déférait avec respect et reconnaissance à l’invitation du Roi. Cette délibération termine sa séance de ce jour. NOBLESSE. A l’ouverture de la séance, M. de Bouthilier fait une motion tendant à faire déclarer constitutionnels la division des ordres et leurs veto respectifs. Cette motion est soutenue par MM. d’Antrai-gues et Gazalès. M. le comie d’JLntraigues, prononce le discours suivant (1) : Messieurs, nous voici arrivés à ce jour solennel que votre prudence avait éloigné , dans l’espoir d’une conciliation si ardemment et si vainement désirée. L’inutilité de vos démarches et leur multiplicité' vous ont conduits enfin à l’instant où il ne vous est plus permis d’ignorer les atteintes portées à la Constitution. Déjà par des sollicitations publiques on invite le clergé à abandonner la cause que vous avez soutenue. Maintenant cet ordre délibère s’il restera fidèle à vos principes ou s’il les improuvera. C’est donc à présent qu’il ne vous est plus permis de différer d’un seul moment à rétablir par vos décrets la constitution que vous avez juré de maintenir. 11 faut en convenir, fout espoir de conciliation nous échappe; mais le peu de succès de vos démarches, loin de vous causer le moindre regret, doit animer votre courage. En jetant les yeux sur votre conduite passée, vous ne trouverez dans vos délibérations que des motifs de consolation, quels que soient les événements qui se préparent. Dès le premier jour de votre réunion, vous prîtes pour guides les usages des précédents Etats généraux. Vous appartenait-il de les changer? Non, sans doute. Ces usages'transmis par les précédents Etats généraux étaient votre loi. Vous pourrez, étant constitués, délibérer s’ils vous conviennent encore, les abolir, les modifier, du consentement des trois ordres; mais avant d’être constitués, vous êtes sans pouvoir pour rejeter les usages et les lois des précédents Etats généraux. Chacun de vos décrets fut un hommage rendu à la-loi; chacune de vos démarches subséquentes à ces décrets témoigne combien vous désiriez vous concilier avec l’ordre du tiers-état. (1) discours de M. le comte d’Antraigues n’a pas été inséré au Moniteur. Vous savez quel a été le succès de ces conférences, dont la conciliation devait être le seul objet. A Dieune plaise qu’en vous rappelant leur inutilité, je cherche à vous causer des regrets. Vous avez lait ce que vous deviez faire, ce que vous feriez encore, si ces conférences étaient de nouveau demandées; car, dans vos cœurs, le désir d’une conciliation ne peut s’éteindre, même en en perdant l’espoir. On s’est servi de ces conférences de paix pour obtenir de l’ordre du tiers-état, des démarches peu mesurées. En lui rendant compte de ce qui fut dit dans ces conférences, on l’a abusé par des réticences; on l’a aigri, en dénaturant et les discours et les réponses, et les faits. Enfin, on a réussi à l’amener à des démarches dont l’unique but est de semer la division dans l’ordre du clergé, d’y produire une scission d’autant plus facile peut-être, qu’il semblait qu’on avait cherché à la préparer par la manière dont cet ordre a été composé. j En ce moment peut-être cette scission se dé-l eide : quel parti avez-vous donc à prendre? Uni seul, un seul qui convienne également à votre! caractère et aux circonstances difficiles où nous nous trouvons. Si jamais l’oubli des formes constitutives égarait les autres ordres de l’Etat, c’est dans celui-ci que vivrait leur souvenir ; cette Chambre serait leur sanctuaire. Vous avez juré de les maintenir; vos décrets doivent donc les rappeler, et prouver que jamais vous ne leur fûtes plus dévoués qu’en cet instant où elles sont menacées. Le décret que l’on vous propose est attendu par vos comettants, il vous est impérieusement pres-i critpar leur volonté. C’est une dette sacrée, dont vous devez vous acquitter envers ceux qui vous l’ont impérieusement commandé, envers l’Etat qui la réclame. La circonstance vous commande de ne pas différer d’un moment à le promulguer. C’est quand un des ordres de l’Etat est sollicité de violer les! usages, et que, par cette première démarche, oni cherche à le préparer à violer la plus précieuse de vos lois constitutives; c’est alors, ou jamais,! qu’il faut rétablir sur leurs bases antiques, ces lois si longtemps révérées. Ces lois rendues à toute leur intégrité, apprendront à l’ordre du clergé qu’il ne peut céder aux demandes du tiers; qu’il y céderait vainement; que sa désertion serait un tort envers la loi, sans utilité pour celle que l’on cherche à lui substituer. Votre permanence à l’observer suffit pour sa conservation ; elle soumet les autres ordres à l’impérieuse loi de ne s’en pas écarter; et tel est l’effet de cette loi conservatrice, qu’elle existe par cela seul que vous l’observez, et qu’elle ne peut être détruite que par l’abandon unanime des trois ordres. Si une partie du clergé se permettait, sans votre adhésion, de se prêter à la violation des anciens usages, votre décret rappellera à ceux de cet ordre qui y resteront fidèles, qu’i� n’appartient pas à la majorité même de leur ordre, de changer, par sa volonté, l’usage établi; que si vous le maintenez, il existe encore pour tous; que la partie du clergé qui l’observera composera seule l’ordre du clergé, et que là où vit encore la loi, là aussi existe le premier ordre de l’Etat. | Vous devez sentir, Messieurs, par ce seul exposé,; que vous devez à vos commettants, au clergé, à vous-mêmes, le décret que l’on vous propose; ef que le différer d’un moment, serait en affaiblir l’effet. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mai 1789.] [États généraux.] Mais cette loi que l’on voudrait proscrire, cette loi constitutive, sauve-garde de la propriété et de la liberté, nous devrions l’établir si elle n’existait pas, nous devons à quelque prix que ce puisse être, la maintenir dans toute sa valeur. 11 fut un temps où les deux premiers ordres, acquittant, par des services personnels, ce qu’ils devaient à l’Etat, jouissaient des immunités et franchises qui éloignaient de leurs propriétés les impôts que supportaient les autres citoyens ; alors même, cette loi parut utile et nécessaire à la conservation de la liberté nationale. Cet intérêt particulier, aux deux premiers ordres, pouvait cependant alarmer l’ordre du tiers, et lui faire redouter l’indépendance et le droit de résistance des deux premiers ordres, surtout dans un moment où les besoins de l’Etat devenaient si urgents, qu’il était nécessaire que l’impôt atteignît tous les citoyens, toutes les propriétés. Yos sacrifices ont précédé la demande que le peuple pouvait vous faire. Nos commettants se sont hâtés de briser cette barrière. Ils se sont élevés même à de plus hautes pensées. Ils ont vu que la liberté publique et la sûreté de tous exigeaient cet abandon de leurs privilèges; ils ont vu que c’était en s’y soumettant, que n’ayant plus qu’un même intérêt avec le peuple, ils rendraient l’indépendance des trois ordres et leur résistance la sauvegarde des lois et de la liberté. Mais l’égalité de l’impôt qui frappe les propriétés, doit assurer la stabilité de ces propriétés elles-mêmes, et maintenir par conséquent le seul ordre de choses qui en assure la permanence. Vainement a-t-on répondu que l’ordre du tiers nous offrirait, par un décret positif, la conservation de toutes les propriétés. Ce décret, tout au moins singulier, ne vous a pas été offert. L’ordre du tiers a sûrement conçu, que délibérer un pareil décret n’était pas en* sa puissance; qu’il ne lui appartenait pas d’assurer les propriétés, parce qu’il n’a jamais eu le droit de les envahir, et que c’est la loi seule qui garantit les propriétés et non les promesses d’un ordre contractant avec un autre ordre. Si ce bizarre contrat eût jamais été admis, quel eût donc été votre sort? Quelle serait votre garantie, si, à ce prix, déserteurs de la loi de vos pères, vous abandonniez cette indépendance qu’ils vous ont transmise? S’il n’existe plus qu’une seule volonté dans l’Etat; si le pouvoir législatif ne réside plus que dans une seule Assemblée, quel sera le garant de ce pouvoir législatif envers lui-même? Dès lors, cette seule Assemblée, ne connaissant plus dans ses divisions des obstacles invincibles, peut tout ce qu’elle veut ; et il sera possible, qu’après avoir détruit la puissance des ordres, elle anéantisse aussi la sanction royale et promulgue des lois sous la constitution du Roi. La sanction du Roi, Messieurs, ne repose pas sur des fondements plus assurés que la mutuelle indépendance des ordres; le même principe, qui [veut anéantir par l’effet de la force le pouvoir 'indépendant, s’applique à tout, peut s’exercer en-Jvers tous. C’est maintenant nous qu’il attaque. jQuand nous n’existerons plus, quel est le garant qui puisse assurer qu’il ne s’appliquera pas sur le sanction royale, qui seule légitime et sanctionne 'la loi? En admettant donc une seule Chambre nationale délibérant par tête, à quoi vous serviront ces promesses qui assurent, dit-on, vos propriétés ? Le Corps législatif ne peut jamais être [lié par ses précédentes volontés, elles ne sont i pour lui que de simples résolutions. Ne veut-on 53 pas aujourd’hui renverser la constitution antique ? Vous seuls y faîtes obstacle. Quand vous ne serez plus, croyez-vous qu’il sera moins difficile d’anéantir le décret qui assure vos propriétés, qu’il ne le fut de détruire l’existence des trois ordres, leur puissance, leur mutuelle indépendance? par un abus de raisonnement, on cherche a vous enlacer à la fois, et par vos privilèges et par vos sacrifices. Si vos privilèges existent, on s’en autorise pour vous faire apercevoir dans leur maintien un intérêt particulier à l’ordre de la noblesse et opposé à l’intérêt public. Si vous y renoncez, on s’arme aussitôt de vos propres sacrifices pour vous dire que, n’ayant plus que le même intérêt avec le tiers, vos délibérations doivent être communes. Oui, Messieurs, le sacrifice de vos privilèges unit tous les intérêts; et c’est alors que vous devez défendre, jusqu’au dernier soupir, une constitution conservatrice de la liberté et des lois. Détachés de vos privilèges, c’est alors que l’amour seul de la patrie vous unit à la constitution ; et se serait parce que cet attachement sera, pour jamais, isolé de tout intérêt particulier, qu’il faudrait y renoncer! cela est-il concevable? Si la France, resserrée dahs ses limites, défendue par la nature même de son sol, pouvait connaître tous ses citoyens et repousser ses ennemis par ces barrières qu’éleva la main de la nature; alors, peut-être alors, il eût été possible que la liberté populaire pût exister; alors, ce ne serait pas une chimère de la désirer et de vouloir l’y établir. Quand le peuple peut tout faire par lui-même, sans confier ses intérêts à des représentants, alors seulement la'liberté populaire peut exister. Mais quand l’immense étendue d’un vaste empire, la facilité de l’attaquer, la volonté de tous de former un même ensemble, l’horreur même qu’inspirerait l’idée de se séparer de l’antique monarchie, nécessi te l’établissement et la conservation de la monarchie; alors la liberté nationale n’existe à côté de la puissance royale que par des Assemblées où la réunion des représentants de la nation oppose une barrière à ce même pouvoir exécutif, qui, conservateur de l’empire au dehors, doit maintenir au dedans la puissance des lois et de la liberté. Mais entre un Roi et l’Assemblée des représentants du peuple, il existe toujours, par la nature même des choses, une rivalité de puissance qui amènerait tôt ou tard ou l’anarchie, ou la tyrannie. Cette rivalité mutuelle, bien loin d’être un mal politique, est un signe de liberté et de vie. La surveillance naît de cette rivalité; mais il faut pour qu’elle cesse d’être dangereuse, qu’elle soit modifiée et qu’il se trouve dans la constitution même, des divisions du pouvoir national, qui, alternativement obstacles et médiateurs, arrêtent l’impulsion du pouvoir exécutif qui tend au despotisme, et les attaques du pouvoir du peuple, qui tendent à la démocratie, qui, dans un grand empire, n’est autre chose que l’anarchie. Sous un Roi pervers et habile, sous un ministre corrupteur, s’il n’existait qu’une seule Assemblée nationale, sans aucune division, il serait facile à l’autorité d’égarer ou de corrompre une pareille Assemblée et d’en obtenir des décrets qui amèneraient bientôt le despotisme. Sous un ministre faible, le peuple égaré par de perfides instigations, pourrait envahir sur l’autorité monarchique, regarder son abaissement comme une victoire, y travailler avec cette au- 54 [États généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 mai 1789.] dace qu’inspire l’attente du succès, et bientôt, à la place d’une monarchie, établir la plus cruelle anarchie. Placés entre ces deux écueils, les peuples soumis à un gouvernement monarchique se voient sans cesse livrés au despotisme ou à la licence. Mais le règne de l’anarchie est court ; de l’horreur qu’elle inspire naît dans les cœurs le désir de l’ordre et l’amour de la paix -, et alors se réveille le despolisme, qui ne règne jamais avec plus d’énergie que sur les peuples que fatiguèrent l’anarchie et ses malheurs. Ce fut pour éloigner ces fléaux et conserver au peuple toute la liberté qui peut exister avec une monarchie, que la nation éleva ces barrières, ces pouvoirs divers, qui, attachés au même objet, n’ayant tous que le môme but, mais tous indépendants les uns des autres, et cependant ne pouvant agir que par leur mutuel accord, opposent une invincible barrière aux innovations, arrêtent les élans de l’impôluosité, répriment les usurpations de l’autorité royale et assurent l’excellence des lois par leur mutuelle surveillance, et leur permanence par leur résistance. Telle est la constitution que maintenant l’on voudrait détruire pour y substituer l’autorité unique d’une Assemblée dont le pouvoir deviendrait bientôt plus effrayant que ne le furent l’autorité et ses excès. En détruisant les pouvoirs qui se surveillent et se balancent, que veut-on établir? On se plaignait avec raison du pouvoir arbitraire, dégénération du pouvoir monarchique quand il n’est plus balancé par le pouvoir national; mais, pour le réprimer, on nous montre un pouvoir bien plus redoutable, celui d’une Assemblée unique, égarée par mille passions, aigrie peut-être par la résistance qu’elle éprouve, désireuse d’établir son empire, surtout de l’exercer, et l’établissant en dernière analyse sur le droit de force auquel il est impossible de poser des limites. 11 n’est pas donné à l’esprit humain de calculer les effets d’un pareil changement. La monarchie et l’autorité populaire réunies en une seule Assemblée, ne peuvent exister. Des innovations suc-cessivés amèneraient tôt ou tard une résistance ; alors, mais trop tard, nous regretterions ces lois constitutives qui nous en auraient garantis. Notre malheur, après les avoir perdues, serait de les regretter vainement, et de ne sentir toute leur utilité, que lorsque nous ne pourrions plus nous en ressaisir. Le peuple veut la liberté, l’égalité des impôts, l’assurance des propriétés, la consolidation de la dette publique; il obtiendra, il jouira de tous les biens que sa volonté réclame ; mais le peuple ne veut pas détruire l’autorité royale, en lui enlevant les barrières qui la garantissent des atteintes que l’on chercherait à lui porter et qui garantissent le peuple des abus de cette autorité conservatrice. Le peuple, en demandant la liberté, ne veut pas la destruction des ordres, qui, par leur résistance mutuelle, assurent la liberté nationale : le peuple en voulant conserver ses propriétés, ne veut pas envahir celles d’autrui. Le peuple en voulant l’égalité d’impôts qu’on lui assure, ne veut pas se servir de ces sacrifices pour enlever aux deux premiers ordres la juste influence que la constitution leur donne, et qu’à leur tou-r ils rendent à cette constitution, en assurant sa permanence. Le peuple ne veut pas surtout substituer à l’autorité des lois et du Roi, la licence et l’anarchie, et reconnaître ses maîtres et ses despotes dans ses représentants. Défenseurs du peuple, c’est nous qui, en maintenant la constitution, maintiendrons ses plus justes droits. C’est à nous qu’il devra l’existence de cette antique monarchie, et la permanence de ces pouvoirs qui en assurent le salutaire exercice. Vainement cherche-t on à l’égarer, à tromper son opinion, à nous menacer de sa défaveur. De très-petits moyens peuvent, en effet, surprendre pour un moment la faveur et l’opinion publique; mais vous serez jugés par la postérité; vous le serez bientôt par vos contemporains eux-mêmes. Le règne de l’intrigue est de courte durée ; celui de la vérité est éternel. Descendants de ces hommes courageux qui con-* servèrent, au péril de leur vie, l’empire français, vous rapporterez sans tache à vos aïeux le nom qu’ils vous ont transmis. Vos décrets vont défendre ce qu’ils établirent : vous allez vous associer à leur gloire, en assurant cette constitution pour laquelle ils ont vécu. 11 est un temps où les citoyens sont appelés à de grands et généreux sacrifices ; il en est où il faut mourir auprès des lois, après les avoir défendues. Ces temps sont arrivés. Ralliés à l’antique constitution, appelés près de ce trône que soutinrent nos pères, réunis autour de ce monarque successeur de tant de rois pour lesquels nos aïeuxj sacrifièrent leur vie, nous avons, il est vrai, senti les abus du pouvoir; nous vouions le ramener dans les limites que ta constitution plaça autour du trône. Ce grand ouvrage sera le but de nos travaux ; mais après avoir rappelé cette constitution, oubliée peut-être, mais toujours vivante, jurons dans nos cœurs de ne vivre que pour elle et de mourir avec elle. Plusieurs membres prétendent qu’avant de discuter cette importante question il faut compléter la Chambre par la vérification des pouvoirs des députés présents et par l’acte de défaut contre les absents ; on réclame aussi la discussion d’un mémoire conciliatoire proposé par M. d’Harembure. Après six heures de débats, la motion de M. de Bouthilier est adoptée en ces termes : « La Chambre de la noblesse, considérant que, dans le moment actuel, il est de son devoir de se rallier à la constitution et de donner l’exemple de la fermeté, comme elle a donné la preuve de sou désintéressement, déclare que la délibération par ordre et la faculté û’empécher, que les ordres ont tous divisement, sont constitutifs delà monarchie, et qu’elle persévérera constamment dans ces principes conservateursdu trône et de la liberté. » Cet arrêté passe à la pluralité de 202 voix contre 16. Dix membres s’y opposent formellement et en demandent acte. Pendant le cours de la délibération, le mar-j quis de Brézé apporte la lettre du Roi et la fait remettre au président. On observe que la' Chambre étant constituée, la lettre doit être remise conformément au cérémonial d’usage. M. de Brézé dit qu’il lui faut de nouveaux ordres du Roi. Un instant après, il revient, prend séance et remet la lettre du Roi. (Voyez plus loin, aux communes, le texte de la lettre du Roi). M. le président lui répond que la Chambre désire faire ses remercîments et sa réponse à Sa Majesté par une députation ; le marquis de Brézé répond que le Roi fera connaître ses intentions. [28 mai 1789.] 53 [Etats généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. de Brézé s’étant retiré, l’on continue la délibération. . Plusieurs membres observent qu’il sera plus convenable de s’occuper de laréponse à faire au Roi. . Cette réclamation n’a pas de succès. M. le doc d’Orléans proteste contre la délibération. , M. le comte deCrillon, député de la noblesse du bailliage de Beauvais . proteste dans les termes Suivants (1) : « Je déclare que je suis dans la plus ferme opinion que c’est bien moins pour maintenir que pour établir la constitution que nous sommes tous appelés, et comme le veto me paraît essentiellement contraire à la liberté d’action nécessaire pour créer un ordre de choses qui amène la prospérité nationale, et pour abolir les abus de tout genre, sous lesquels la nation gémit depuis tant de siècles, je demande acte que je me suis opposé, autant qu’il était en moi, à la sanction du veto pour la tenue actuelle des Etats généraux, que je regarde comme régénérateurs bien plus jjue comme conservateurs. | « Mon mandat, conforme à ma raison et au gentiment de ma conscience, me prescrit de demander que, lorsque les ordres différent d’opinion sur une question importante, les ordres se réunissent et opinent par tête. Jesuppliela Chambre de permettre que ma déclaration soit annexée au procès-verbal. » Une députation du clergé se présente. M. de I�a Rochefoncault-Bayers, évêque de Saintes, porte la parole et dit : Le clergé vient de recevoir une lettre du Roi et il suspend toute délibération jusqu’à l’issue des conférences proposées par Sa Majesté. M. le Président. La Chambre est disposée à envoyer ses commissaires. La séance est levée. COMMUNES. Quelques dispositions d’ordre occupent les premiers moments de l’Assemblée. On ordonne qu’il sera élevé des barrières pour séparer le grand nombre des visiteurs et laisser l’intérieur de la salle libre aux députés. On avertit aussi les galeries de ne donner à la fin des opinions aucun signe tumultueux d’applaudissement ou d’improbation. Les communes attendaient avec empressement la réponse du clergé, lorsqu’une députation de cet ordreest arrivée. Elleannonceque la Chambre du clergé, étant occupée à suivre le cours des discussions sur la proposition faite hier par les jcommunes, avait reçu une lettre du Roi par laquelle Sa Majesté témoignait le désir que les commissaires concilialeurs des trois ordres reprissent leurs conférences demain à six heures de l’après-dîner, devant M. le garde des sceaux et quelques autres commissaires du Roi; que le clergé s’é-! tait empressé de témoigner à Sa Majesté son désir de seconder ses vues, et avait sursis à toute délibération. Peu d’instants après, une lettre du Roi est ap-(1) La protestation de M. le comte de Crillon n’a pas été insérée au Moniteur. portée par le grand-maître des cérémonies. Elle est ouverte et sans adresse. M. de Brézé, qui en est porteur, dit que tel est l’usage quand la Chambre n’est pas constituée. Voici sa teneur: « J’ai été informé que les difficultés qui s’étaient élevées relativement à la vérification des pouvoirs des membres de l’Assemblée des Etats généraux subsistaient encore malgré les soins des commissaires choisis par les trois ordres, pour chercher des moyens de conciliation sur cet objet. « Je n’ai pu voir sans peine, et même sans inquiétude, l’Assemblée nationale que j’ai convoquée pour s’occuper avec moi de larégénération démon royaume, livrée à une inaction qui, si elle se prolongeait, ferait évanouir les espérances que j’ai conçues pour le bonheur de mon peuple et pour la prospérité de l’Etat. « Dans ces circonstances, je désire que les commissaires conciliateurs déjà choisis par les trois ordres reprennent leurs conférences demain à six heures dusoir, et, pour cette occasion, eii présence de mon garde des sceaux et des commissaires que je réunirai à lui, afin d’être informé particulièrement des ouvertures de conciliation qui seront faites, et de pouvoir contribuer directement à une harmonie si désirable et si instante. « Je charge celui qui, dans cet instant, remplit les fonctions de président du tiers-état, de faire connaître mes intentions à la Chambre. » Signé : Louis. Versailles, le 28 mai 1789. La lettre du Roi devient l'objet de la délibération. M. Malouet. Attendu la nature et l’importance de l’objetsoumis à la discussion, je demande que l’on délibère en secret, et qu’on fasse retirer les étrangers. M. deVoIney. Des étrangers! en est-il parmi nous? L’honneur que vous avez reçu d’eux lorsqu’ils vousontnommésdéputés vousfait-il oublier qu’ils sont vos frères et vos concitoyens ? N’ont-ils pas le plus grand intérêt à avoir les yeux fixés sur vous? Oubliez-vous que vous n’êtes que leurs représentants, leurs fondés de pouvoirs ? Et prétendez-vous vous soustraire à leurs regards, lorsque vous leur devez un compte de toutes vos démarches, de toutes vos pensées ? Je ne puis estimer quiconque cherche à se dérober dans les ténèbres; le grand jour est fait pour éclairer la vérité, et je me fais gloire de penser comme ce philosophe qui disait que toutes ses actions n’avaient jamais rien rien de secret et qu’il voudrait que sa maison fût de verre. Nous sommes dans les conjonctures les plus difficiles ; que nos concitoyens nous environnent de toutes parLs, qu’ils nous pressent, que leur présence nous inspire et nous anime. Elle n’ajoutera rien au courage de l’homme qui aime sa patrie et qui veut la servir; mais elle fera rougir le perfide ou le lâche que le séjour de la cour ou la pusillanimité auraient déjà pu corrompre. La demande de M. Malouet n’a pas de suite. La discussion est reprise sur la lettre du Roi. La première proposition qui est faite est qu’on s’empresse d’y accéder, en étendant même les pouvoirs des commissaires et en leur enjoignant de traiter à la fois ces deux objets: la vérification des pou-