[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ie* àvril 1790.) leçons de sagesse? nous dont les besoins sont frivoles, dont le commerce est voué au luxe, objet de corruption, surtout pour cette capitale ; nous qui ne sommes que les agents des Anglais dans l’Inde; mous qui leur apprendrons peut-être le secret de rendre un Etat florissant? 11 est bon de vous observer que l’Angleterre retire de l’Inde 320 millions de revenus annuels; elle est puissante à la côte de Coromandel ; elle est absolue dans le Bengale. Ceux qui vous demandent l’abolition des privilèges de la compagnie sont les négociants ; ce sont les apôtres du luxe qui se rendent les apôtres de la liberté; voilà les vrais ennemis de la nation, puisque leurs vues sont contraires à sa prospérité. Ne pouvons-nous donc pas nous passer de ces besoins factices qui nous ferons descendre du rang de grande nation ? Plus on vendra les marchandises de l’Inde, plus on rendra vos concitoyens malheureux. Nous ne pouvons pas, cependant, anéantir sur-le-champ ce commerce, il faut le compter au nombre des malheurs nécessaires, des calamités que nous ne devons pas perdre de vue. M. l’abbé Maury prouve que la prospérité du commerce de l’Angletere vient de ce que l’Angleterre ne consomme point elle-même les marchandises de l’Inde, mais de ce qu’elle les exporte dans le nord de l’Europe. Il parle ensuite du rétablissement de la compagnie des Indes, en France, sous le ministère de M. de Galonné, et cite un mémoire adressé sur cet objet au ministre, par un membre de l’Assemblée, dont les lumières sont connues en matière de commerce. M. Dupont (de Nemours). Je donne sur ce fait un démenti formel à M. l’abbé Maury. M. le Président observe à M. Dupont qu’il n’est pas permis d’interrompre un opinant. M. l’abbé Maury. Lorsque j’ai dit que j’allais rapporter le mémoire d’un membre de l’Assemblée connu par ses lumières, M. Dupont n’a pas eu sans doute l’intention de réfuter l’éloge que j’avais fait de lui. Sans avoir le projet de l’offenser personnellement, je vous demande la permission de faire lecture des lettres et du mémoire, adressés à M. de Calonne par M. Dupont; je les ai en original; de sorte que si M. Dupont a envie de parler, ce ne sera plus moi, mais lui-même qu’il devra réfuter. Voici le texte de son mémoire : Mémoire de M. Dupont (de Nemours), en 1786, sur une compagnie messagère des Indes (1). Détail de V opération. L’opération dont M. le contrôleur général a approuvé le principe, consiste à établir, sous le nom de compagnie des Indes une messagerie desservie par les vaisseaux du roi, et qui partout aux Indes et à la Chine et en rapportant des marchandises à un prix de fret au-dessous de celui de toutes les autres nations, attirerait la plus forte partie du commerce avec l’Asie dans notre port de Lorient et entretiendrait au roi, dans les mers de l’Inde avec l’argent et à la demande même des nations rivales et ennemies, une grande puissance maritime. L’exécution de cette opération est d’une extrême (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. facilité. Les détails en sont on ne peut pas plus simples. Elle n’exige aucune avance; elle doit faire le bien du roi, de l’Etat, du commerce et des protégés de monsieur le contrôleur général. La compagnie pourrait être composée de M. N... N.,, Du Ruey, Le Rat, Dupont et de trois autres personnes que le ministre voudrait également favoriser. Par l’édit de création, le roi la mettrait eu possession de la totalité, ou au moins de la plus grande partie des propriétés foncières nécessaires à son commerce en Europe, en Asie, et qui ont appartenu à l’ancienne compagnie. Il paraîtrait en outre convenable de lui donner, par forme d’encouragement, une somme de plusieurs millions dont le trésor royal ne débourserait pas un sou, parce qu’elle serait employée à l’achat de deux vaisseaux de soixante-quatre, de deux vaisseaux de cinquante et de deux frégates de trente-six, que la marine paraîtrait réformer, et que la compagnie achèterait avec les ordonnances dont le roi l’aurait gratifiée. Cette acquisition serait faite avec la clause secrète que si la compagnie cessait d’avoir lieu, le roi rentrerait eu possession de ses bâtiments. Ges six vaisseaux formeraient le prochain armement pour le départ de mars, et le premier fonds de marine qui paraîtrait appartenir à la compagnie et qu’elle accroîtrait annuellement par la même voie et selon les besoins et les demandes du commerce qui, dans la suite, au prix où l’on fixerait le fret, pourrait occuper au moins vingt-quatre vaisseaux. La compagnie annoncerait sur-le-champ le prix de son fret, et le réglerait à quinze pour ceut meilleur marché que celui que paie la compagnie des Iodes Anglaises aux vaisseaux qu’elle affrète. Elle hâterait son armement, et pour en faire les fonds elle mettrait, sur la place, des billets qui seraient d’autant mieux reçus, qu’on la saurait gratifiée d’une somme considérable par le roi et remise en possession d’une grande partie des propriétés foncières de l’ancienne compagnie, et que le nom de quelques membres très riches déterminerait l’opinion. L’expédition se ferait donc sans bourse délier. Le profit de la compagnie serait une remise à tant pourcent sur l’armement et le désarmement, comme la prennent tous les armateurs qui gèrent pour le compte de leurs associés. Le surplus du fret serait consacré à l’entretien des vaisseaux, et s’il y pouvait suffire, le roi aurait l’escadre de l’Inde entretenue sans frais; s’il s’en manquait un quart ou un sixième que le prix du fret pùt suffire à l’entretien, le roi ne serait soulagé que des trois quarts ou des cinq sixièmes de l’entretien ordinaire des vaisseaux qui seraient employés par la compagnie messagère ; mai8 ce serait toujours une grande économie pour le département de la marine. Et si l’on considère que cette économie aurait pour dernier résultat de soutenir sans éclat aux Indes, ou à leur portée, une puissance maritime du roi, que dans toute autre combinaison on u’y pourrait faire passer sans dépense et sans danger ; et si l’on considère encore que cet important service public serait rendu, pour la plus grande partie, avec des capitaux étrangers, qu’il serait lié à de très grands profits pour le commerce national, à des gains considérables de magasinage et de commission pour les habitants de Lorient et de Nantes, à un accroissement nécessaire de consommations nui augmenterait naturellement plusieurs branchés des revenus du roi, on verra qu’il est difficile 516 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 avril 1790.] d’imaginer aucun pian gui concilie mieux la protection active d’un ministre tel) que Monsieur le contrôleur général. Réponse du conseil des finances au mémoire de M. Dupont sur la compagnie messagère des Indes. 1° Nos armements ne seront jamais à aussi bon compte que ceux des étrangers; 2° Les négociants préfèrent de se servir de leurs propres vaisseaux plutôt que d’armer ceux du roi à leurs frais, à charge de les t endre au même état; 3° A qui ces vaisseaux seraient-ils adressés dans l’Inde? Comment se feraient les achats? 4° Ce serait perdre toute relation avec les naturels du pays et toute considération dans l’Inde; 5° Il y aurait des années où il n’y aurait pas déchargement, et alors la compagnie messagère perdrait beaucoup; 6° En tout, ce projet de compagnie messagère est une chimère et une idée creuse aux yeux de tous les commerçants. On ne peut pas s’exposer, en l’entreprenant, à se faire ridiculiser par toute l’Europe. (La partie droite de l’Assemblée applaudit aux phrases qui semblent inculper M. Dupont. On fait ensuite lecture de la lettre de M. Dupont au ministre, en lui envoyant la mémoire. Cette lettre se termine par ces mots, qui sont vivement applaudis par la partie gauche de l’Assemblée, .te sais que je préférerai toujours l'intérêt du roi et de la pa trie au mien.) M. l’abbé Maury reprend la parole, et s’écartant entièrement des bases qu’il a posées, il finit par demander la conservation du privilège exclusif de la compagnie des Indes, et propose d’établir une imposition sur les bénéfices de la compagnie, qui tiendrait la place du droit d’induit ; cette imposition consiste à donner à l’Etat le droit de partager avec la compagnie des Indes le bénéfice qui excéderait 8 pour 100. M. Dupont (de Nemours). J’ignore de quelle manière M. l’abbé Maury a pu se procurer les pièces dont on vous a fait "lecture, et je n’y vois qu’un délit très grave. Mes vues, Messieurs, étaient de rendre le commerce de l’Inde plus utile à l’Etat. Les vaisseaux que je demandais devaient être destinés à une grande entreprise; vingt-quatre auraient eu leur destination pour le Bengale ; douze armés en «flûtes et douze lestés avec des armes, seraient arrivés sans donner aucune inquiétude à l’Angleterre; en cas de guerre, ces vingt-quatre vaisseaux, avertis par un simple aviso de rester en parage, mettaient le Bengale sous la domination française. Je demandais à être un des administrateurs de cette entreprise, parce qu’en pareil cas on ne peut se fier qu’à soi-même. J’avais un sentiment d’ambition qui fait qu’on aime mieux se mettre à la brèche et risquer les coups, de peur que cela ne soit encore plus mal fait par un autre. Je suis bien fâché qu’un pareil projet, qui perd tout son mérite dès qu’il est connu, ait été divulgué par des gens que je ne puis appeler citoyens, puisqu’ils osent ainsi compromettre les intérêts de leur patrie. (Les applaudissements les plus vifs succèdent au discours deM. Dupont.) La discussion est renvoyée au lendemain, et la séance est levée à 9 heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE BARON DE MENOU. Séance du vendredi 2 avril 1790 (1). La séance est ouverte à quatre heures après midi. M. Drevet «le Deaujour, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier qui est adopté. Il fait ensuite mention des adresses suivantes : Adresse de la communauté de Gourbouzon ; elle fait le don patriotique du produit de la contribution sur les ci-devant privilégiés. Adresse des nouvelles municipalités de Neuf-fonts, de Gironde, de St-Laurent en Quercy ; de Bouligny, Avilies, Haucourt, Houdlancourt, Etou, Nouilionpont, Diezé et Rechicourt en Lorraine, de Brevelier en Lorraine, de St-AmourenMâconnois, de Marolles en Brie, de Ponteils, de Brassac au Pays de Foix, d’issus, de St-Jean de Yaleriscle en Languedoc, de Premille, de Mulecy, de Ghauvé, des villes de Bourganeuf et de Castelmoron-d’Al-bret ; elles contiennent toutes des assurances d’adhésion aux décrets de l’Assemblée, et des protestations de maintenir la Constitution; De la communauté de Sennecy-le-Château ; elle supplie l’Assemblée de l’autoriser à retirer d’entre les mains du receveur des Domaines et Bois de Dijon, la somme de 1 ,200 livres, provenant des différentes délivrances de bois de cette communauté; sur laquelle somme elle fait le don patriotique de celle de 200 livres; De celle de Beaumont en Yalentinois; elle annonce que l’effet des décrets de l’Assemblée a été de réunir les cœurs de tous les habitants par le le doux lien du patriotisme, puisque le maire, qui est un ministre protestant et le premier officier municipal, le curé du lieu, vivent aussi fraternellement que s’ils avaient les mêmes opinions ; Du bourg de Tanlignan en Dauphiné ; il fait un exposé touchant des malheurs qu’il éprouve, fait les réclamations les plus fortes contre le droit de Quarantain, perçu par le seigneur, et implore la protection de rassemblée ; De la communauté d’Archaingey en Saintonge; elle supplie l’Assemblée de ne pas se séparer avant d’avoir achevé la Constitution, et offre, pour les besoins de l’Etat, une somme de 2,000 livres ; Des communautés composant le canton de la Roche, bas-Limousin ; elles annoncent qu’elles doivent le calme et la tranquillité dont elles commencent à jouir, tant à la lettre qui fut adressée de la part de l’Assemblée aux municipalités, qu’à la conduite noble et courageuse des citoyens de la ville de Tulle et à la maréchaussée ; Des communautés de Saint-Cyprien et de Va-rets, du district de Brives, en Limousin; elles demandent la suppression d’un droit odieux connu sous le nom de pressé ; Des communautés de Saint-Sal et de Saint-Sal-vadour de la même province ; elles conjurent l’Assemblée d’enjoindre au prévôt delà ville de Tulle d’informer avec diligence et avec soin contre tous auteurs, fauteurs et complices des attroupements du bas-Limousin, détenus ou cachés, pour leur (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.