[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 octobre 1789.] 591 mandable aux yeux de tous ceux qui savent penser. Une institution du même genre, mais plus sévère (1), établie dans la principauté de Neufchâ-tel en Suisse, a créé les bourgs les plus riants et les plus peuplés, sur des montagnes arides et couvertes de neiges durant près de six mois. Elle y développe des ressources incroyables pour le commerce et pour les arts, et dans ces retraites que la nature semblait n’avoir réservées qu’aux Bêtes ennemies de l’homme, l’œil du voyageur contemple une population étonnante d’hommes aisés, sobres et laborieux, gage assuré de la sagesse des lois. Dans l’état présent de la France, dans la nécessité où nous sommes de remonter chez nous tous les principes sociaux, de nous donner des mœurs publiques, de ranimer la confiance, de vivifier l’industrie, d’unir par de sages liens la partie consommatrice à la partie productive, c’est-à-dire à la partie vraiment intéressante de la nation, des lois pareilles sont, non-seulement utiles, mais indispensables. Assez longtemps une éducation vicieuse ou négligée a dénaturé en nous les notions du juste et ae l’injuste, a relâché les liens qui unissent le fils à son père, nous a accoutumés à ne rien respecter de ce qui est respectable ; assez longtemps une administration, dirai-je corrompue ou corruptrice ? a couvert de son indulgence des écarts qu’elle faisait naître pour qu’on n’aperçût pas les siens propres. Retournons à ce qui est droit, à ce qui est honnête. Ouvrons aux générations qui vont suivre une carrière nouvelle de sagesse dans la conduite, d’union dans les familles, de respect pour la foi donnée. vainement, Messieurs, vous avez aboli les privilèges et les ordres, si vous laissez subsister cette prérogative de fait qui dispense l’homme d’un certain rang de payer ses dettes ou celles de son père ; qui fait languir le commerce, et qui trop souvent dévoue l’industrie laborieuse de l’artisan et du boutiquier à soutenir le luxe effréné de ce que nous appelons si improprement l’homme comme il faut. Laissons à cette nation voisine dont la Constitution nous offre tant de vues sages dont nous craignons de profiter, cette loi injuste , reste honteux de la féodalité, qui met à l’abri de toutes poursuites pour dettes le citoyen que la nation appelle à la représenter dans son parlement. Profitons de l’exemple des Anglais, mais sachons éviter leurs erreurs ; et au lieu de récompenser le désordre dans la conduite, éloignons de toute place dans les assemblées, tant nationales que provinciales et municipales, le citoyen qui, par une mauvaise administration de ses propres affaires, se montrera peu capable de bien gérer celles du public. C’est dans ce but que je vous propose les articles suivants : Art. 1er. Aucun failli, banqueroutier ou débiteur insolvable, ne pourra être élu ou rester membre d’aucun conseil ou comité municipal, non plus que des assemblées provinciales, ou de l’Assemblée nationale, ni exercer aucune charge de judicature ou municipale quelconque. Art. 2. Il en sera de même de ceux qui n’auront pas acquitté dans le terme de trois ans leur portion virile des dettes de leur père mort insolvable, c’est-à-dire la portion de ses dettes (1) La loi de Neufchâlel lie toute la postérité d’un homme à l’acquittement de ses dettes. dont ils auraient été chargés s’ils lui eussent succédé ab intestat. Art. 3. Ceux qui, étant dans quelqu’un des cas ci-dessus, auront fait cesser la cause d’exclusion en satisfaisant leur créancier, ou en acquittant leur portion virile des dettes de leur père, pourront, par une élection nouvelle, rentrer dans les places dont ils auront été exclus. Ce projet de loi est reçu avec une grande faveur. C’est en interrompant les applaudissements que M. de La Rochefoucauld obtient la parole. M. le duc de La Rochefoucauld. J’ai vu moi-même les heureux effets que cette loi a produits a Genève ; mais elle me paraît contenir une disposition trop rigoureuse à l’égard des enfants des pères banqueroutiers. Sans doute c’est un beau sentiment de la part d’un fils d’acquitter les dettes de son père ; mais il faut laisser à la vertu à conseiller ce qui est honnête : les lois doivent se borner à prescrire ce qui est juste. Il ne faut pas étendre la punition sur les enfants déjà trop malheureux des torts de leur père ; les fautes sont personnelles; les enfants ne peuvent être punis de celles de leurs pères. La justice rigoureuse et la morale la plus pure font une loi de ce principe. Je ne puis donc adopter une rédaction qui consacrerait cette absurde responsabilité, et je demande à cet égard la division de la proposition du préopinant. M. de llontlosiei1. Nous décréterons sans doute, et nous nous conformerons en cela à l’opinion publique, que l’infamie d’un père condamné au supplice ne s’étendra point à ses enfants ; et nous pourrions vouloir qu’ils partageassent un malheur, plus souvent l’effet des circonstances que de l’inconduite ! La division est décidée. La première partie de l’article se trouve rédigée ainsi : « Aucun failli, banqueroutier ou débiteur insolvable, ne pourra être éligible ni électeur qu’il n’ait préalablement satisfait aux condamnations contre lui prononcées.» M. de Dieuzie propose d’ajouter les interdits et repris de justice. M. Faydel. Et ceux qui ont obtenu des lettres de surséance et de répit. M. de Lachèze. Le mot repris de justice est trop vague. On s’exprimerait d’une manière plus exacte en disant : ceux contre lesquels il aurait été prononcé des peines afflictives et infamantes, et ceux qui n’ont obtenu qu’un hors de cour. M. Gourdan. L’Assemblée ne laissera pas sans doute subsister les lettres de surséance, et par ce fait l’amendement de M. Faydel serait inutile. On propose ce sous-amendement : « même les débiteurs dans l’état actuel de surséance. » Cet amendement est mis aux voix, et la majorité paraît douteuse. M. Demeunier attaque ce sous-amendement. M. le marquis de Clermont-Lodève le défend. M. Populus. Je pense qu’il ne faut pas souiller notre Constitution du nom d’un abus aussi odieux. m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 octobre 1789.] Une nouvelle épreuve ne produit encore qu’un résultat douteux. On demande l’appel nominal, en observant qu’il servira à l’exécution du décret du 15 de ce mois, et constatera le nombre des membres absents. M. le marquis de Bonnay propose de poser ainsi la question : Y aura-t-il à l'avenir des lettres de surséance ? On remarque que le règlement réprouve toutes motions incidentes et nouvelles. L’Assemblée adopte cette manière de poser la question. M. le vicomte de ffoailles. Je pense qu’elle doit être rédigée ainsi : « Aucun arrêt du conseil ne pourra accorder à l’avenir des lettres de surséance, et l’effet de celles déjà accordées cessera à compter de ce jour. » M. le Couteulx de Canteleu, qui était absent pendant la discussion, arrive dans ce moment, et plaide pour la Caisse d'escompte. Il dit que ce décret serait dangereux s'il était rétroactif, qu’il attaquerait cette Caisse, dont le mouvement est encore nécessaire au crédit public. Il demande que le décret soit suspendu, ou n’ait point d’effet rétroactif. M. le comte de Mirabeau. Je demande l’ajournement de toute motion concernant les arrêts de surséance, ou particuliers ou publics. Pourquoi voulez-vous souiller votre Constitution du mot de surséance, qui doit être aboli ? Quel rapport a celte question avec le principe que vous voulez consacrer? Enfin, l’on va aux voix; la question sur la surséance est ajournée. La motion principale est décrétée en ces termes : « Aucun failli, banqueroutier ou débiteur insolvable, ne pourra être, devenir, ni rester membre d’aucun conseil ou comité municipal, non plus que des assemblées provinciales, ou de l’Assemblée nationale, ni exercer aucune charge publique municipale. » M. le Président fait part d’un nouveau mémoire des ministres, et d’une lettre de M. le garde des sceaux, conçue à peu près en ces termes : « Voici encore un mémoire que l’amour du bien public et le désir de s’entendre avec l’Assemblée nationale ont dicté aux ministres du Roi ; nous espérons que vous voudrez bien en donner lecture à l’Assemblée. J’ai l’honneur d’être, etc. » M. le Président consulte le vœu de l’Assemblée pour savoir si elle veut entendre le mémoire des ministres. L’Assemblée répond unanimement pour l’affirmative, et M. Alexandre de Lameth,un de MM. les secrétaires, en fait lecture. MÉMOIRE ADRESSÉ PAR LES MINISTRES DU ROI à l'Assemblée nationale , le 27 septembre 1789 (1). Les ministres du Roi ont exposé à l’Assemblée (11 Le Moniteur ne donne qu’une analyse de ce mémoire. nationale le 14 octobre, leurs doutes sur quelques articles qu’elle a décrétés; le même motif, leur attachement à ses principes, leur impose de nouveau la nécessité de recourir à elle et de lui demander des éclaircissements sur ce qui concerne les colonies. Plusieurs îles florissantes et de vastes possessions continentales appartiennent à la France, dans les trois autres parties de l’univers. Leur climat, leurs productions, l’état civil et jusqu’à l’espèce physique du plus grand nombre des hommes qui peuplent et cultivent nos colonies, les rendent absolument dissemblables de la métropole. Leur organisation intérieure, les lois qui les régissent, le genre de leurs besoins, leurs rapports commerciaux, soit avec les nations étrangères, soit avec les négociants du royaume; l’administration de leur police, celle de leurs finances, le mode et la nature des impositions qu’elles supportent, établissent encore des disparités frappantes entre elles et les provinces européennes de la France. La plupart de ces différences tiennent à la nature même et à l’essence des choses ; rien ne peut les changer, toutes les nations de l’Europe l’ont senti ; toutes regardent leurs possessions éloignées comme des Etats distincts et dépendant de la métropole ; toutes ont été contraintes à leur donner d’autres lois que celles de la mère patrie, même en cherchant à les y assimiler autant qu’il serait possible par les formes du gouvernement et par les formes de l’analogie. Ces considérations ont fait présumer au Roi que l’Assemblée nationale s’occuperait séparément d’une portion de la monarchie aussi importante et aussi dissemblable de ses autres parties ; il avait résolu qu’il n’y serait fait ni toléré d’innovation en aucune matière jusqu’à ce que l’Assemblée nationale eût spécialement décrété le régime et les lois qui seront jugés convenir à ces contrées. Telle a été la réponse que le ministre de la marine a faite par ses ordres le 11 août dernier à plusieurs des demandes qu’avaient présentées MM. les députés de Saint-Domingue. Depuis cette époque l’Assemblée nationale a rendu beaucoup de décrets, et ils ont été envoyés ou vont l’être dans toutes les provinces du royaume : doivent-ils être transmis et exécutés de meme dans les colonies, quoique l’Assemblée nationale ne l’ait point requis? On croit nécessaire de faire observer à l’Assemblée nationale que plusieurs de ses décisions qui tendent à assurer le bonheur et la liberté des Français ne seraient pas sans danger, qu’elles produiraient peut-être une révolution subite et funeste dans des pays où les dix onzièmes des humains en cessant d’être esclaves resteraient dénués de toutes propriétés et de tout moyen de subsistances ; que l’exécution de divers autres décrets serait dans l’état présent des choses absolument impraticable, parce qu’il n’existe aux colonies aucune municipalité ou corporation : les citoyens qui s’y trouvent disséminés sur des habitations non-seulement séparées, mais assez éloignées les unes des autres, ne pourraient même qu’en fort peu de lieux se réunir pour tenir des assemblées permanentes, et vaquer aux détails journaliers dmne administration municipale. H est une foule d’autres réflexions qui tiennent pour ainsi dire à la localité et qu’on pourrait également soumettre à l’Assemblée nationale. Elle est priée de peser dans sa sagesse cette ques-