[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 octobre 1730.] avant d’avoir obtenu un jugement sur sa récusation. M. Bailly s’est adressé au comité des rapports qui lui a répondu de se conformer aux ordonnances. D’autres députés ont été envoyés au nom de la municipalité et <i’un grand nombre de citoyens du parti de M. Westermann. Ils ont dit que, si la procédure se continuait à Strasbourg, la municipalité et son parti demeureraient les victimes du parti contraire, ils ont allégué une autre raison : c’est que le comité des rapports avait demandé les grosses de la procédure, et que, jusqu’à ce que l'Assemblée eût prononcé sur les charges, le décret n’était pas strictement exécutoire. Votre comité n’a pas pu prendre sur lui de juger les motifs d’une pétition de neuf cents citoyens actifs sur douze cents dont la ville d’Haguenau est composée. Il vous observe que, puisque les coupables sont en lieu de sûreté, puisque M. Westermann est actuellement détenu à l’hôtel de la Force, vous ne pourrez vous dispenser d’avoir égard aux réclamations d’une commune qui prétend qu’on a favorisé une faction ennemie. Vous recevrez bientôt une expédition de la procédure, et vous connaîtrez la vérité. Un fait certain, c’est que la municipalité de Strasbourg s’est acquis la meilleure réputation, et pour la loyauté et pour le patriotisme. C’est à l’Assemblée à juger si elle veut déroger à la sévérité de la règle. Voici le projet de décret que nous lui présentons : « L’Assemblée nationale décrète qu’il sera sursis à la translation du sieur Westermann dans les prisons criminelles de la municipalité de Strasbourg, jusqu’après que son comité des rapports lui aura rendu compte des informations faites en exécution de son décret du 3 juillet dernier; et cependant demeurera ledit sieur Westermann en état d’arrestation à Dhôtel de la Force. » M. Schweadt La municipalité de Strasbourg, jalouse de mériter votre confiance, ne l’est pas de juger les municipaux de Haguenau. Autorisée à juger en dernier ressort, elie a fait une ample information. M. Westermann y est grièvement inculpé. Il n’est pas de la dignité de l’Assemblée de suspendre l’exécution des lois. Il me paraît bien plus convenable de renvoyer la procédure au tribunal du district d’Uagueuau , séant à Saverne, et d’ordonner que les coupables seront transférés dans les prisons de cette ville. M. Lavle. Je déclare que l’intenlion de la députation d’Alsace n’a jamais été d’atténuer, en faveur de M. Westermann, la rigueur des lois. On demande la question préalable. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. La séance est levée à neuf heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 30 OCTOBRE 1790. Adresse à V Assemblée nationale, présentée par la veuve du sieur Jean Gas. de Nîmes ; et ses six enfants (1). Messieurs, altérer la nature d’un crime, cou-(1) Nous devons la communication do cette .pièce l’obligeance de M. Ferdinand Boyer, député du Gard. vrir la vérité des voiles épais du mensonge et vouloir abuser de la crédulité d’un peuple boa et sensible, pour se mettre, en le trompant, sous l’égide de rimpunité, sont des entreprises que peuvent seuls faire tenter la démence ou le désespoir. C’est cependant ce qu’ont voulu exécuter les auteurs des excès, des pillages et des massacres commis dans la malheureuse ville de Nîmes, notre patrie, les 13, 14 et 15 du mois de juin dernier. Une querelle entre des légionnaires, un .prétendu zèle pour la Constitution en ont été les prétextes; mais une haine invétérée et la fureur de dominer en ont été L s véritables causes. Marquer les ministres des autels du soeau de la proscription, les poursuivres le fer à la main, détruire leurs propriétés, dévaster les monastères, massacrer des religieux même aux pieds des autels, enlever les vases sacrés, les porter au bout d'une pique après les avoir fait servir à des libations sacrilèges ; voler les ornements sacerdotaux, s’en revêtir dans les tavernes, se livrer dans ce costume à des postures, à des paroles indécentes, les déchirer, en traîner les lambeaux dans la boue et les rendre ensuite, dans la crainte d’une juste punition; briser les saintes images, même celles de Jésus crucifié; tirer des coups de i’usil aux voûtes, aux confessionnaux, aux vitraux des temples; assassiner plus de cinq cents catholiques; et, poussant la perfidie jusqu’à sa dernière période, les appeler aristocrates, les calomnier lorsqu’ils rendent le dernier soupir, et leur dire : Criez done maintenant : Vive le roi! tels sont. les forfaits dont notre triste patrie a été le témoin et dont notre époux, notre père a été la victime. Peut-on méconnaître, à ces odieux traits, le fanatisme sanguinaire qui, dès sa naissance, troubla les Empires; qui, en se propageant, a toujours redoublé d’audace; quin’a jamais changé de caractère, et qui a déployé toutes les fureurs dans les jours de Licence et de mort? Et peut on méconnaître à ces odieux traits les ennemis les plus implacables de Ja Constitution, qui commande expressément le plus grand respect pour les personnes, les propriétés et notre religion sainte? Mais quelles raisons peuvent les avoir portés à manifester leur rage pour la famille Gas d’une manière si éclatante? C’est ce que nous allons développer. Jeanne-Louise Bertrand, veuve de Jean Gas, est issue de parents protestants; l’éloquence seule des bons exemples et des vertus de son époux la portèrent à renoncer à ses anciens préjugés et à. embrasser la religion catholique. Voilà son crime aux yeux des protestants, voilà celui de son mari. Lors de la formation de ia municipalité de Nîmes, des factieux dont les noms sont connus mendièrent de toute part des suffrages pour ceux qu’ils voulaient placer ; ils essayèrent de faire entrer Gas dans leurs vues ambitieuses ; ils Lui proposèrent même de donner des listes à ceux que son commerce attirait dans sa maison, et ils n’épargnèrent pour cela ni promesses ni menaces. Je suis libre, leur dit Gas avec une noble fierté, et je ne veux faire tomber mon choix que sur ceux qui me sont désignés par la vertu. La municipalité se forma contre les vœux des intrigants. Indignés d’avoir perdu le fruit de leurs manœuvres et de leurs machinations, ils jurèrent la perte de Gas, comme celle de tant d’autres, et ils allèrent môme, dans un moment de -désespoir, jusqu’à lui dire que s'il arrivait jamais quelque chose à Nîmes , sa maison serait livrée au pillage 144 [Assemblée nationale.] et qu'il serait lui-même la "première victime (1). Hélas ! ces monstres ne lui ont que trop tenu parole. Le dimanche 13 juin, une prétendue querelle survenue entre quelques légionnaires agriculteurs et les dragons nationaux donne le signal du massacre : des ruisseaux de sang coulent dans les rues de la ville ; bientôt on n’y entend plus que les cris des mourants et le bruit des armes à feu. Retiré chez lui, entouré de sa famille, Cas déplore le sort de ses malheureux compatriotes, et a le bonheur, en réfugiant M. Vidal, procureur de la commune, et M. Laurens, officier municipal, de les soustraire aux fureurs de ceux qui venaient de proscrire toute la municipalité. Il passe la nuit avec eux, dans le sein des alarmes et de la douleur. Dès le lendemain, de très grand matin, de nombreuses hordes de brigands, non catholiques, arrivent des Gévennes, de la Vaunaye, de la Gardonenque, et se campent à l’Esplanade dans le voisinage de notre maison. Elle est la première attaquée, ainsi que le sieur Gaujoux en avait menacé mon mari, quand il refusa de placer des bulletins pour les protestants, lors de l’élection des officiers municipaux. A six heures du matin, on frappe à notre porte à coups redoublés : indécise, tremblante, je n’ose aller ouvrir; et, lorsque je m’y décide, la hache a déjà brisé une fenêtre qui se trouve au rez-de-chaussée. Une troupe de volontaires, pour la plupart de la compagnie du sieur Marc-Antoine Ribot , entre avec autant de rage que de précipitation. Le nommé Fayet est à leur tète, et tandis qu’il me met le canon du fusil sur l’estomac, le nommé Gasquieul (2) veut me couper J.a tête avec son sabre. On met une corde au cou de ma fille aînée, qu’on est sur le poipt de pendre, et l’on traîne par les cheveux et sur le pavé mes autres enfants, après leur avoir arraché les croix d’or qu’elles avaient au col. Un étranger généreux prend pitié de notre déplorable situation, et joignant ses prières à mes larmes et aux cris de mes enfants, il obtient qu’on sortira de chez moi ; le seul Fayet s’y refuse. Sur ces entrefaites arrive un autre détachement, d’environ quatre cents hommes, conduit par le capitaine Ribot et le sieur Pascaly, horloger. Les volontaires qui le composent tournent leurs fourches et leurs baïonnettes contre mon sein et celui de mes enfants ; c’en était fait peut-être de nous tous, si l’un de ces barbares ne m’eût laissée pour morte sur le carreau, où il m’avait renversée d’un coup de culasse de fusil. Le sieur Chabaud de La Tour, membre du directoire du département, survient alors ; il demande mon mari et, apprenant qu’il n’y est pas, il fait entourer la maison par un piquet du régiment de Guienne, qu’il conduit. Cependant on livre ma maison au pillage, les armoires y sont forcées, tout mon vin (3), mon linge, tous mes effets sont emportés; Ribot et (1) Voy. l’extrait de la déposition do la veuve Gas à la fin de cette adresse, p. 147. (2) Un des députés de Nîmes à la fédération du 14 juillet. (3) Gas était un des marchands de vin des plus accrédités de la ville. Indépendamment de tous ses meubles, ses bijoux et ses effets, on lui a pillé douze muids de vin rouge, trois muids de vin muscat, et six mille livres en argent : cette somme fut partagée dans la maison même, entre les brigands, en présence de leurs conducteurs. Ce fait sera prouvé par vingt témoins, s’il le faut, ainsi que tous ceux qui sont avancés dans cette adresse. [30 octobre 1790.] Pascaly les partagent entre les pillards et ils leur aident même à les mettre en paquets : rien n’est laissé dans ma maison, tous les gros meubles qu’on ne peut emporter sont brisés et jetés dans le puits, qui en est comblé. Ma fille aînée, un peu revenue de ses premières craintes, vole, après avoir repris ses sens, à la tour où son père, M. Vidal , et M. Laurens sont cachés, les oblige à fuir en sautant par une fenêtre et protège leurs jours en surveillant leur fuite; elle fait passer en même temps son frère par les toits. A peine est-il aperçu, qu’on crie : Tue , tue! et qu'avant d’arriver dans l’Amphithéâtre où il vont se réfugier, plus de quarante coups de fusil lui ont été tirés, d’après l’exemple du nommé Mezins, clerc du vieux Gourbis , procureur, et secrétaire du club. Il parvient toutefois sans accident jusque dans l’Amphithéâtre; mais dès qu’il y est arrivé, il voit tuer à ses côtés quatre malheureux, poursuivis comme lui. Un homme charitable lui jette un échelle, le fait monter chez lui, lui donne passage et, de maison en maison, cet infortuné jeune homme va dans celle du sieur Angelvin, où on le garde jusqu’à la nuit, caché dans un coffre; alors il apprend qu’on doit le venir chercher. L’honnête Angelvin, pour sauver les jours de Gas le fils , veut qu’il soit travesti en fille avant de le faire évader. Quel crime pouvait donc avoir commis un jeune homme de 16 à 17 ans? Tandis qu’on pille et qu’on saccage tout dans ma maison, on me contraint de la quitter et d’emmener avec moi mes enfants. Errante, abandonnée de l’univers entier, que deviendrai-je? Où puiser des secours pour ma triste famille? où pourrai-je me réfugier, dans une ville qui n’offre, à chaque pas, que l’image de la mort et de la misère? dans une ville où deux heures auparavant j’étais encore dans l’aisance et où il ne me reste maintenant d'autre ressource que le trépas? Le dirai-je? pendant un instant je regrettai qu’on ne me l’eût point donné; mais les pleurs de mes enfants, dont j’étais entourée, leurs bras innocents qu’ils levaient vers moi, me reprochèrent mon égarement et me firent prendre la ferme résolution de survivre à mes malheurs pour leur être utile ; hélas ! j’ignorais alors que mon époux dût perdre la vie ! Mes genoux chancelaient et j’étais sur le point de succomber sous le poids de mon chagrin, lorsqu’un de mes voisins daigna m’accorder un asile. C’est de chez lui, que, pendant la journée du lundi, j’entendis le monstre Fayet crier à plusieurs reprises : Il faut absolument la tête de Gas, il la faut ; M. Ribot, notre capitaine, la veut, et il nous donnera cinquante louis si nous la lui portons, avec celle de Pelatan (1). Le premier de ces cris me glaça le sang dans les veines et le silence qui lui succéda redoubla mes craintes et mon accablement. Mais lorsque je l'entendais répéter, je devenais plus tranquille, parce que j’avais du moins la certitude que mon mari vivait encore. Cependant, quelle pénible existence qui nous met en butte à de si cruelles incertitudes l Je n’étais point à moi ; j’éprouvais le martyre le plus affreux 1 la voix de Fayet ne venait plus frapper mon oreille attentive; dans le moment elle n’était plus affectée du bruit qu’on faisait en (i) C’est un courtier qui est échappé au massacre par le plus heureux hasard, et qu’on cherchait avec tant de fureur, parce qu’il avait abjuré, comme moi, la religion protestante. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (30 octobre 17 90. J 445 brisant mes meubles et en démolissant ma maison. Que m’importent des biens passagers, mon mari vit-il encore ? Je le demande à tout ce qui m’entoure et le plus morne silence répond seul à mes questions multipliées. Ah I mon enfant, dis-je alors à ma fille âgée de huit ans, on respectera peut-être ta jeunesse; mets fin au cruel tourment que ta mère éprouve, retourne dans notre maison, et, sous prétexte de voir ce qui s’y passe, regarde bien si l’on n’a point touché à la maison voisine où tu sais que ton père est réfugié : va, mon enfant, c’est de la nouvelle que tu m’apporteras que dépend ma mort ou ma vie. Ma fille obéit et court à notre maison. En y entrant, le sieur Blanc-Pascal , procureur et membre du club, la saisit et veut la contraindre à dire où est son père; l’enfant répond qu’elle l’ignore. Blanc-Pascal la menace et ma fille fait la même réponse et elle ne tourne pas seulement les yeux vers la maison qui renferme l’auteur de ses jours, de peur de donner par là quelque indice. Blanc-Pascal, désespéré de ne pouvoir rien lui arracher, lui meurtrit le sein avec le pommeau d’un pistolet qu’il tient à la main, et, après l’avoir ainsi maltraitée, tente encore de la faire parler ; mais elle demeure inébranlable, et Moulins, clerc et satellite de Blanc-Pascal, n’obtient pas plus de succès quoique à différentes reprises il lui mette sur le sein la pointe de son épée. Mon enfant revient et malheureusement ce qu’elle me rapporte, en redoublant mon incertitude, ne fait qu’ajouter à ma douleur. Le mardi 15, l'asile de mon époux est découvert; les sieurs Vicioux , marchand de fromages; Vaissière, secrétaire du sieur Aubry, président du club; Auguste Cassenac , Cabrit , praticien; Pascaly, horloger; Soulier, le père, journalier; Bertrand, père et fils, aubergistes ; Béchart , loueur de chevaux ; César Paulian et ses cousins Pierre , Claude, Jean et François Paulian ; Gau-joux, greffier; Charles, procureur; Reboul, le fils, boucher ; Bondon, huissier ; Vigouroux , portier de la Comédie ; Vigouroux , fils de l’huissier; Pa-parot, garçon chapelier ; les deux frères Paris, mouliniers de soie, et plusieurs autres, ayant à leur tête les sieurs Marc-Antoine Ribot et Isaac Vincent , capitaines de la légion, allèrent prendre Gas et l’emmenèrent jusque dans la cour du Palais. Quelques-uns veulent le mettre en prison, d’autres s’y opposent, et Cabrit fait observer que le geôlier est oncle de Gas et qu’on doit présumer qu’il ne manquera pas de le laisser évader. Alors un garçon menuisier de la troupe lui porte un coup de hache sur le cou, et Auguste Cassenac, en même temps qu’il lui tire un coup de fusil, lui passe sa baïonnette à travers du corps. Gas tombe sous mille coups qui lui sont portés avec la faulx ou la hache et on lui coupe les bras et les jambes. Cassenac s’écrie, dans ce moment d’horreur : Allons, amis, lavons-nous les mains dans le sang d’un aristocrate , et à ces mots, il trempe ses mains dans le sang bouillant de mon époux I Ah ! le mien se glace dans mes veines, je ne puis supporter cette horrible idée, je ne puis arrêter mes regards sur cet exécrable tableau ; je 11e puis voir tous ces Cannibales se laver à l’envi les mains dans le sang de tout ce que j’ai de plus cher au monde I Et je vis encore et je puis rappeler ces faits sans expirer dans les angoisses de la douleur 1 Ahl divinité secou-rable, tu ne veilles sans doute sur mes jours que parce que tu regardes d’un œil de pitié ma mai-lre Série. T. XX. heureuse famille et que tu sais que le moment de la justice n’est pas éloigné ! Lorsque mon époux fut mort, le sieur Bertrand, mon père, et ses trois fils (je ne puis vous le dire sans frémir) le déshabillèrent. Ils lui ôtèrent une montre avec sa chaîne en or, une lettre de change du sieur Gelly, procureur, de 96 livres, et six louis qu’il avait dans sa poche, ainsique ses bouclesd’ar-gent. Ces effets furent vendus à vil prix par mes frères (1) qui, sans songer à mes six enfants qu’ils savaient être plongés alors dans la plus affreuse misère, en employèrent le montant en vin ou en rafraîchissements qu’ils distribuèrent aux assassins de mon mari, leur frère. A peine l’eut-on massacré, qu’on le traîna par les cheveux devant la porte de notre maison, où pendant trente-six heures, il servit d’escalier à tous les barbares que la curiosité y amenait pour en contempler les débris. Ils prenaient tous plaisir à lui porter encore quelques coups; ils prenaient tous plaisir à fouler aux pieds ses déplorables restes. De là, on le traîna à l’Esplanade pour le montrer aux volontaires étrangers, on lui attacha un morceau de pain non sur la bouche, mais à la place où elle était, et on lui dît, en lui écrasant la tête à coup de culasse de fusil : Allons, MANGE B..... ET CRIE MAINTENANT : VIVE LE roi; enfin, il n’est sorte d’outrage qu’on ne fasse essuyer à son cadavre jusqu’au jeudi où l’on fut contraint de l’emporter au cimetière de l’Hôtel-Dieu pour l’inhumer. Mais c’était peu d’avoir massacré mon mari, il fallait aussi noircir sa réputation, pour excuser par le mensonge un assassinat horrible : ce fut sans doute ce qui porta le sieur Marc-Antoine Ribot à publier que Gas était un scélérat qui voulait faire sauter l’assemblée électorale et le club et qu’à cet effet il avait fait une mine dans sa cave, où l’on avait trouvé de la poudre à canon et des fagots soufrés . Cependant, quelque dénuée de fondement et de vraisemblance que soit celte calomnie, elle circule avec rapidité, au moyen des libelles que les membres du club envoient de toute part avec profusion; mon mari est considéré dans la France entière comme un scélérat et on se réjouit de sa mort, tandis qu’il méritait à bien juste titré qu’on versât des larmes sur son sort et sur celui de ses enfants. Personae ne s’intéresse à eux, tout le monde les délaisse, le fanatisme a rompu les liens de l’amitié et ceux du sang ! Qui le croirait, ma mère, ma propre mère, leur a refusé tout secours; que dis-je, elle n’a même pas voulu leur accorder l’hospitalité : Ahl leur dit-elle de concert avec mon père : Dieu s’est vengé de ce que votre mère changea de religion; allez, retirez-vous, nous ne voulons point donner d’asile aux enfants d'un scélérat. Et mon frère aîné et leur oncle me dit à moi-même : On a bien fait d'assassiner ton mari, c'était un coquin , je ne plains ni lui ni toi, je ne plains que tes enfants. Eh juste Dieu! tu plains me3 enfants ! et tu les repousses, et tu ne veux pas les voir, et tu les plains I ah! mon père, ah! mes frères, ne vous laissez pas plus longtemps égarer par le fanatisme, écoutez la voix bienfaisante de la nature, et prenez pitié d’innocentes victimes qui sont mes enfants, qui sont les vôtres. . . Non, non. Vous êtes sourds à' mes cris! Eh bien I lesfor-(1) L’un d’eux, Isaac faisait sentinelle devant ma maison quand on la pillait, et il la voyait piller de sang-froid. 10 1 46 [Assemblée nationale.] ces ne m’abandonnent point encore, j’irai avec mes six enfants me jeter aux pieds des représentants d’une nation généreuse et sensible, d’un roi le plus ebéri des rois et le plus digne de l’être; je leur exposerai mes peines, ma misère, la scélératesse des assassins de mon mari, votre .cruauté-, et ils me rendront justice et je les convaincrai que mon époux était honnête homme, innocent (1), et que le fanatisme ne l’immola qu’à cause de son attachement à sa patrie, à sa religion et à sou roi. Je dois dire en finissant que, dans le mois de juillet, je fis un effort sur moi-même pour ranimer mes forces épuisées, et que je me rendis chez M. Brunei, procureur du roi, pour lui porter plainte et lui faire connaître mes malheurs. Il me reçut comme il avait reçu la veuve Guiraud et cinquante autres veuves de mes concitoyens massacrés, comme il avait reçu tant de malheureux orphelins privés de leur appui. C’est en vain qu’eux et moi nous cherchâmes par uos cris plaintifs et par nos larmes, à le tirer de l’assoupissement où il paraissait être plongé; c'est en vain que je lui retraçai toutes les circonstances de l’horrible assassinat de mon mari; rien ne put l’émouvoir et sa réponse fut un coup de foudre pour moi. — Je n'ai point d'ordre, me dit-il, de l'Assemblée nationale, et je ne peux pas vous faire justice. D'ailleurs, je dois partir bientôt et Von fera après moi comme on voudra. M. le lieutenant criminel chez qui j’allai ensuite, me dit qu’il ne pouvait rien en ce moment, que cétait une guerre et qu’il n’était pas en son pouvoir d’agir. Ah ! lui répondis-je, monsieur, mon époux a cependant été massacré sous vos yeux ! Telle est, Messieurs, l’esquisse de mes malheurs et de ceux de ma nombreuse famille; ils sont parvenus à leur comble, puisque je n’ai pu obtenir aucune justice dans ma patrie. Je viens réclamer la vôtre avec confiance: Quelques âmes bienfaisantes m’en ont facilité le moyen et elles l’ont fait avec d’autant plus d’empressement qu’elles sont comme nous intimement persuadées que vous donnerez des larmes à notre déplorable sort; que vous aurez pitié d’une famille désolée, et que nous trouverons dans chacun de vous un ami de l’humanité, comme nous trouvons dans chacun de vous, Messieurs, uu ami de la liberté. D’après ces considérations et la nécessité que tout témoin puisse déposer avec sûreté pour sa personne, et que les magistrats puissent remplir leurs fonctions sans crainte et sans prévention, Jeanne-Louise Bertrand, veuve de Jean Gas et sa malheureuse famille supplient humblement les augustes représentants de la nation de vouloir (1) Voyez à la fin de cette adresse, le procès-verbal qui constate l’innocence de Gas, où il est prouvé combien est perfide un passage calomnieux concernant mon mari, cité dans le Récit des évènements arrivés à Nîmes les 13, 14, 15, 16 et 17 juin 1790, adressé au roi et à l’Assemblée par les commissaires de l’administration du département du Gard. On lit en toutes lettres dans cet écrit: « On tire un coup de fusil d’un cabaret qui est le rendez-vous des pouts-rouges, et qui se trouve voisin du lieu où s’assemblaient les électeurs. Aussitôt cette maison est forcée, elle recélait un dépôt de poudre et des gens cachés ; le cabaretier est massacré. » Oui, il fut massacré, ce n’est malheureusement que trop vrai ; mais il est aussi faux que notre maison re-célàt un dépôt de poudre et de gens cachés, qu’il est faux qu’on y eût pratiqué des mines pour faire sauter rassemblée électorale et le club, ainsi que disent les libelles. Comment est-il possible que des commissaires d’une administration osent proférer de semblables calomnies? [30 octobre 4790.] bien ordonner, conformément aux décrets rendus pour Montauban, le 26 juillet, et pour Seheles-tadt le 14 août, que l’information commencée devant les juges de Nîmes, relativement aux troubles qui ont eu lieu dans cette ville pendant les mois de mai et de juin, demeurera comme non avenue et d’après le désir constant et réitéré de recevoir la plainte de la suppliante et celle de la veuve Bomanquet et de tant d’autres veuves et orphelins qui sont dans le même cas; d’après le refus fait par le sieur Brunei de La Bruyère, procureur du roi, et par le sieur Fajon, lieutenant criminel, d’entendre et de faire entendre les nombreux témoins et de constater l’assassinat atroce et prémédité du sieur Jean Gas, le pillage de sa maison et les excès de tous les genres commis envers sa malheureuse famille; ordonner pardevant tels juges étrangers au département du Gard qu’il vous plaira d’indiquer et à la diligence de la partie publique, il sera informé de l’assassinat du sieur Jean Gas, du pillage de sa maison, de la proscription de toute sa famille, du partage de son argent, de ses meubles, effets et bijoux, circonstances et dépendances, à l’effet de quoi la présente requête, signée par la suppliante et toutes autres pièces relatives qui pourront être fournies par elles seront incessamment adressées à ladite partie publique pour être informé contre les sieurs Auguste Cassenac, Marc-Antoine Ribot , Bernaras, taffeiassier, Cabrit, praticien, Blanc - Pascal , Paparot, Horace Vincent , Pascaly, horloger, Gaujoux, greffier, Bertrand , père et fils, aubergistes, et tous autres auteurs, fauteurs et complices desdits excès, pillage et assassinat. Et a signé : Bertrand, veuve Gas. Déposition de la veuve Gas dans l'information faite sur les troubles du mois de juin. Demoiselle Jeanne-Louise Bertrand, veuve du sieur Jean Gas, revendeur de vin, habitant de cette ville, âgée de trente-six ans, dépose qu’à l’époque de la formation de la municipalité, plusieurs paysans de Bouillargues et ses environs venaient fréquemment boire chez elle, à cause du voisinage du Palais, qui était le siège de l’assemblée de la section ; que son mari étant un peu malade à cette époque, ne voulut se mêler en aucune manière de la distribution des listes ; que quoique vivement sollicité par le sieur Biachier, avocat, et Gaujoux, greffier en chef, il résista constamment à leur sollicitation ; ledit sieur Biachier lui ayant offert de l’argent, dans le cas où il voulût se charger de la distribution desdites listes, lesdits sieurs Gaujoux et Biachier ayant laissé des listes chez elle, malgré le refus de son mari, en lui disant, d’un ton impératif, qu’il fallait absolument qu’il les plaçât, ajoutant que le sieur Biachier avait dit à son mari que, s’il ne distribuait pas ces listes, il arriverait de grands malheurs ; la déposante attribuant la mort de son mari à son refus obstiné de distribuer lesdites listes, c’esl tout ce qu’elle a dit savoir. Signé: veuve Gas. Procès-verbal dressé par les officiers municipaux de Nîmes à la requête de la veuve Gas. L’an mil sept cent quatre-vingt-dix et le jeudi cinquième août, heures de onze du matin : nous, Jean Castor Ferrand-Demissol, officier municipal ARCHIVES PARLEMENTAIRES 147 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENT AIRES. 130 octobre TT30J 4e cette ville , Louis Grelieau, faisant les fonctions du procureur de la commune, absent, écrivant sous nous et le sieur Jacques-Joseph Duchêne, greffier, commis à la municipalité, assermenté, nous nous sommes transportés, à la réquisition de Jeanne-Louise Bertrand, veuve de Jean fias, marchand de vin de cette ville, assisté du sieur Bancal, géomètre, directeur des travaux publics, dans la maison où logeait ledit sieur Gas, en exécution de l’ordonnance délibérée par le corps municipal, au fait de voirie, le jour d’hier, apposée au bas.de la requête de ladite veuve, portant qu’il sera procédé en notre présence par ledit M. Bancal à la vérificaiion de la maison dudit feu Jean Gas, à l’effet de rapporter s’il s’y trouve une ou plusieurs caves, si leur sol est formé d’un gré ou mastic pierreux, bien serré, s’il paraît qu’il y ait été touché et pratiqué des excavations et des mines ; si les murs des caves d'icelles ont été dégradés, percés ou réparés, ou s’ils paraissent être dans leur ancien état ; si la voie publique, le Palais et Pancienné salle de spectacle ont éprouvé le moindre dommage par le fait du sieur Gas ou autrement, soit dans le bas, soit dans le haut de ladite maison ;en conséquence nouss somme entrés dans une maison, actuellement inhabitée, vitrée, auprès du Palais de Justice, rue Entre-Deux, ci-devant tenue à loyer par ledit feu Gas, où étant nous avons parcouru ladite entière maison avec ledit sieur Bancal, lequel, après l’avoir attentivement examinée, nous a rapporté: 1° qu’il n’existe qu’une seule cave, dont l’ouverture est en face de la porte d’entrée de la rue, que le pavé de ladite cave est établi sur un terrain ferme, qu’une partie est pavée en pierres, et l’autre est de tuf, vulgairement appelé sistre ; qu’il s’y trouve trois rangs de sièges de tonneaux faits en pierres de taille, dont aucune paraisse pas même avoir été dérangée; qu’il n’y a été fait aucune excavation ni changement ; que les murs du pourtour de la cave, empreint d’une moissisure que l’humidité produit, n’offrent aucune nouvelle œuvre ; qu’ils sont dans l’état d’ancienneté comme le reste de la maison et qu’il ne paraît pas qu’il y ait été fait de fouille ni de construction de maçonnerie moderne ; 2° que les aboutissants intérieurs et extérieurs de ladite maison n’ont éprouvé aucune main-d’œuvre tendant à pratiquer une mine; que ladite maison étant séparée du Palais par une rue publique et de l’ancienne salle de spectacle par plusieurs maisons et par une petite rue, elles n’ont pu éprouver la moindre atteinte par le fait dudit Gas, attendu que dans toute ladite maison et au rez-de-chaussée nous n’avons trouvé aucune marque ni vestige de nouvelle œuvre pour pratiquer une mine; tout au contraire, s’y trouvant dans un délabrement bien grand, puisque les cheminées y sont démolies, les portes et les fenêtres brisées, les placards et les armoires enfoncés, les toits bien dégradés, les cloisons abattues et le tout entièrement dévasté. Et de tout ce dessus nous avons dressé notre présent procès-verbal à la réquisition de ladite veuve Gas, restée dans le moulin deM. Guiraud, situé vis-à-vis la maison, pendant le temps que nous procédons, pour ne pas accroître l'affliction qu’elle éprouve depuis la mort de son mari ; et nous sommes signés avec ledit Me Bancal, Du-cbêne, greffier, Ferrand-Demissol, Grelieau, faisant les fonctions du procureur de la commune, absent. Collationné sur l'original : BERD1NCY, secrétaire-greffier, DEUXIÈME ANNEXE À LA SÉANCE DE L’ÂSSEMBLÉE NATIONALE du 30 octobre 1790. Lettre de M. VOÜLLAND, député du département du Gard, à MM. les députés à l'Assemblée nationale, au sujet des troubles de Nîmes. Paris ce 30 octobre 1790. Messieurs et chers collègues, il a été distribué avec affectation, dans Paris ët à chacun de vous, une adresse de la veuve Gas , dont le mari a été tué dans les désordres de Nîmes. L’état d’une veuve, dont le mari a péri aussi misérablement, celui des orphelins qui ont perdu leur père, n’ont pu que produire des impressions de compassion sur des âmes sensibles, oe fut le premier sentiment que j’éprouvai. Le sort de cette malheureuse famille aurait inspiré plus d’intérêt si ses défenseurs n’avaient affaibli ce sentiment par des calomnies qu’ils ont répandues dans Décrit qu’ils ont publié en son nom. J’ai le droit de repousser ces calomnies, puisque je vois au nombre de èeux auxquels on impute ce meurtre, un de mes parents, dont la probité et la douceur de caractère sont généralement connues, c’est M. Ribot: il est désigné comme ayant conduit les légionnaires qui avaient tué le nommé Gas, et même comme ayant mis sa tête à prix; les autres circonstances sont ou si atroces ou si envenimées, que, d’après la connaissance que j’ai de son caractère et de ses mœurs, il m’a été impossible d’ajoülerfoi à ce récit. Cependant j’ai suspendu mon jugement, j’ai souhaité de connaître la vérité, j’ai demandé des éclaircissements fidèles sur ces inculpations. L'attachement que j’ai pour mon parent, ce que je dois à un citoyen qui a mérité jusqu’à ce jour l’estime générale, et surtout l’hommage que je dois à la vérité, qu’il importe de connaître au milieu des calomnies par lesquelles on veut l’obscurcir, m’oblige à vous communiquer, Messieurs, ce que j’ai appris à ce sujet. Je fais imprimer, à la suite de cette lettre, la déclaration de M. Ribot. Il affirme et il offre de prouver qu’il n’a point approché de la maison de Gas de tout le lundi, qu’il ne i’a vu ni mort ni vivant : j’apprends de plus, ce que je savais déjà, que si M. Ribot avait montré de la vigueur, ç’avait été pour sauver de la vengeance des gardes nationales, M. Vidal, procureur de la commune, et M. Laurens, officier municipal, auxquels il avait conservé la vie, en les conduisant dans la salie des électeurs. Ce fait isolé, le seul que j’eusse un intérêt personnel à éclaircir, doit vous faire préjuger, Messieurs, l’infidélité d’un récit déjà faux dans une de ses principales circonstances. La même adresse accuse un négociant de Nîmes (M. Isaac Vincent) d’avoir, avec M. Ribot, fait tuer le mari de la veuve Gas. M. Vincent dément aussi cette calomnie par une preuve péremptoire ; c’est qu’étant électeur, il ne sortit point de l’assemblée électorale, hors pour aller voir sa femme, qui était dans ie travail de l’accouchement; et, de même que M. Ribot, M. Vincent n’employa ses services qu’en faveur de l’ordre, pour surveiller la visite de la maison d’un chanoine, où l’on soupçonnait qu’il y avait des armes cachées. Il s’y rendit à la réquisition d’un neveu même de ce chanoine (M. Surville), dont il protégea aussi la maison. J’en fais imprimer ie certificat.