220 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Bar-le-Duc.j leur seront fournies par les Etats particuliers des différentes .provinces, ou par leur commission intermédiaire, pour en être fait rapport à la prochaine assemblée des Etats généraux. 24° Qu’il soit permis à la noblesse de l’Etat de faire un commerce en gros, sans déroger, ainsi qu’il est libre aux nobles de le faire en Angleterre. 25° Qu’il est essentiel de demander qu’il ne soit admis dans les élections de l’ordre du tiers, que les personnes supportant toutes une certaine somme d’impositions personnelles ou foncières, afin d’éviter les cabales inséparables de la forme des élections actuelles. L’assemblée déclare que, sur tous les autres objets non exprimés ci-dessus, qui pourraient être proposés ou discutés aux Etats, tant pour l’intérêt de la nation en corps, que pour le bonheur personnel de chacun de ses membres, elle s’en rapporte à ce que son député estimera en son âme et conscience devoir être statué et décidé poulie plus grand bien commun ; elle s’abstient d’insérer dans le présent cahier plusieurs autres objets de détail qui tiennent aux intérêts locaux de la province, tant parce que les Etats généraux ne doivent point être distraits du soin exclusif qu’exigeront les grandes matières relatives à l’état général du royaume, que parce que ces objets particuliers d’administration intérieure seront plus utilement confiés à la sollicitude des Etats provinciaux, dont le rétablissement fera partie de la constitution générale proposée au présent cahier. L’assemblée déclare enfin qu’en consentant de se joindre sur ce point au régime commun d’administration qui sera délibéré par les Etats généraux, sauf les exemptions et le régime particulier qu’exigeront ses localités différentes, elle n’a d’autre intention que celle de lier les intérêts de la province à ceux du reste du royaume, et de faciliter la régénération générale par l’uniformité de principes et de gouvernement ; mais qu’elle réserve formellement tous les droits particuliers de la province dans le cas où, pour quelque raison que ce soit, les Etats généraux se trouveraient hors d’état de remplir les vues importantes qui la déterminent. Un des droits particuliers de la province de Lorraine, celui qui lui est le plus précieux, qui fait sa principale ressource et dont la privation entraînerait infailliblement sa ruine, est celui de pouvoir commercer librement avec l’étranger , droit dont elle a toujours joui sous le gouvernement de ses ducs, qu’elle a exercé constamment depuis qu’elle est réunie à la couronne de France et dans lequel elle a été maintenue par le traité de cession qui stipule la conservation des privilèges des trois ordres : ainsi, dans le cas que les Etats généraux décideraient que les barrières seront portées à la frontière extrême du royaume, l’assemblée enjoint à son député de demander que la Lorraine en soit exceptée; que du moins elle soit exempte du tarif général; que dans aucun cas, elle n’y soit assujettie ; mais que son commerce extérieur et d’entrepôt lui soit conservé, et qu’elle soit maintenue dans le droit qu’elle a, et qu’elle a toujours constamment exercé, de pouvoir commercer librement avec l’étranger. Si les Etats généraux n’approuvaient point la vente des domaines pour l’acquittement de la dette publique, et qu’ils se décidassent à les conserver à la couronne, notre député demandera que les aliénations de domaines faites par les anciens souverains de Lorraine soient déclarées ir-! révocables, vu surtout que ceux qui ont été aliénés par le duc Léopold ont été retirés par le ! duc François, son successeur ; que du moins il fasse tous ses efforts pour qu’il soit lîxé une époque, au delàde laquelle on ne puisse plus rechercher les anciens domaines aliénés ; qu’il réclame vivement contre les envahissements scandaleux des grandes propriétés du domaine, faites depuis peu d’années, notamment contre l’échange du comté de Sancerre dont il demandera que l’examen et la vérification soient faites par les Etats généraux. L’assemblée donne pouvoir à son député de déclarer à l’assemblée des Etats généraux qu’elle donne son consentement à l’abolition de toutes exemptions pécuniaires, en cas qu’elle ait lieu dans tout le reste du royaume et que les impôts que les Etats généraux jugeront à propos d’établir soient répartis également entre tous les citoyens, en proportion de leurs forces et facultés, sans aucune distinction d’ordre, à charge qu’il sera fait un rôle particulier pour la noblesse, laquelle se réserve toutes les prérogatives de rang, d’honneur et de dignité qui lui appartiennent, ainsi que la paisible jouissance de tous les droits féodaux attachés à ses domaines, qui sont des propriétés sacrées auxquelles la justice ne permet pas de donner atteinte et qui sont sous la sauvegarde des lois, comme toutes les autres propriétés, sauf néanmoins que si parmi ces droits il s’en trouvait quelques-uns qui gênent la liberté individuelle et qui frappent sur les personnes, il sera libre de s'en rédimer en les achetant à un prix juste et raisonnable. Ainsi signé des commissaires, de tous les membres présents, du président et du secrétaire. Collationné par le greffier en chef au bailliage royal d’Etain soussigné. Signé BÉGUINET. CAHIER DES PLAINTES ET DOLÉANCES DE L’ORDRE DU CLERGÉ DU BAILLIAGE DU BA3SIGNY, Séant à la Marche , pour présenter aux Etats généraux (1). Dans ces temps heureux, où notre monarque bienfaisant s’occupe essentiellement du bonheur de ses sujets, nous, que des liens sacrés unissent à lui, nous rougirions de nous montrer indifférents dans une cause où l’intérêt particulier doit tout sacrifier à l’intérêt général ; nous connaissons nos droits, ils sontaussi anciens que le trône : et si la religion dont nous sommes les dépositaires et les ministres, l’a établi sur des fondements solides et inébranlables par un concours heureux d’amour et de reconnaissance, le trône doit nous couvrirde ses ailes paternelles, protéger et défendre un corps respectable, en qui il trouve lui-même sa force et son appui. Nous supplions donc très-instamment Sa Majesté de continuer d’accorder sa protection à la religion catholique, apostolique et romaine, et de la détendre de toute son autorité royale, envers et contre tous : principalement contre les écrits éphémères et scandaleux, qui tendent à ternir son éclat et à jeter dans le cœur des fidèles le poison de l’incrédulité et de l’insubordination. Il est du devoir des trois ordres de concourir au bien général, en entrant dans les vues bienfaisantes de Sa Majesté, qui les honore de sa confiance, en les appelant autour delui, pour l’aider à surmonter toutes les difficultés où il se trouve (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire . 221 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Bar-le-Duc.] relativement à ses finances, à réformer les abus, enfin à établir uu ordre fixe et durable dans toutes les. parties de l’administration, pour la prospérité générale du royaume et le bien de tous et un chacun de ses sujets. Le clergé du bailliage du Bassigny, s’unissant de zèle et de sentiment au corps entier du clergé du royaume, a résolu et statué les articles qui suivent, pour être mis sous les yeux de Sa Majesté, et y faire le droit que sa justice y avisera : CHAPITRE PREMIER. Objet des finances. 1° Dans le malheur présent où la dette nationale devient la nôtre, nous consentons à payer proportionnellement à nos fortunes, et tel est le vœu / généralement de tout l’ordre, qui ne désire rien tant que de contribuer aux charges de l’Etat d’une manière qui lui soit propre, et en conformité des deux autres ordres. 2° Jusqu’à présent nous n’avons pas porté la charge la moins pesante des impositions publiques, sous le nom modifié de don gratuit, impôt consenti, mais qui n’avait été établi que pour un temps, toute pesante qu’était cette imposition réelle, surtout au clergé du second ordre, par le défaut de contribution personnelle de la part des prélats et tous ceux que l’on se permet d’appeler haut clergé-, nous l’avons supportée sans nous plaindre et sans rappeler à Sa Majesté l’époque de son abolition. Puisque tant d’efforts aujourd’hui paraissent impuissants, nous imaginons que le moyen le plus efficace de soulager le second ordre du clergé, serait d’établir une répartition plus juste, plus apparente et mieux proportionnée aux facultés de chaque contribuable. 3° On s’est écrié avec violence dans le temps contre l’imposition territoriale ; néanmoins nous estimons qu’elle était selon Injustice et l’équité, et que ceux qui sont personnels et égoïstes n’ont pu lui prêter des idées nuisibles et désastreuses, que par cela seul que cette nouvelle imposition leur était onéreuse. En conséquence, nous consentons à substituer aux impositions actuelles du clergé l’impôt territorial en argent, dont aucune espèce de propriété domaniale, féodale, ecclésiastique, même de l’ordre de Malte et autre, ne pourra être exempte. 4° Supplions humblement Sa Majesté, dans la nouvelle administration qu’elle se propose d’établir, d’observer que le clergé de France dans différents besoins a contracté des dettes auxquelles celui du Bassigny n’a point participé ; et dès que nous avons satisfait dans tous les temps de nos propres fonds au désir de Sa Majesté, nous espérons de sa justice que nous ne serons point compris dans l’ordre du clergé de France pour l’acquit de ses dettes anciennes. 5° Pour vouloir remédier aux maux de l’Etat, ce n’est pas assez de proposer des moyens, il faut en fournir : nous avons dans les campagnes beaucoup de curés mal rétribués; personne n’ignore que la plupart sont à portion congrue ; d’ailleurs il y a beaucoup de villages sans curé et même sans prêtre résidant, à raison de la dureté de certains gros décimateurs, qui exposent les ministres à une indigence personnelle, à être témoins de la misère de leur peuple, et qui, dans ces scènes affligeantes, n’ont que des larmes impuissantes à leur offrir : encore si le malheureux reuclait justice aux sentiments de son pasteur ! mais non : dans son abandon, il l’accuse souvent de dureté et d’avarice. Qu’il serait à désirer qu’on pût remédier à tant de maux ! Qu’il nous soit permis de l’indiquer, ce remède. Sans vouloir altérer la piété de nos fondateurs, il nous semble le trouver dans ces riches abbayes en commende, dans ces grands prieurés si multipliés, dont le revenu suffit au luxe d’un seul, lorsque, dispensé avec économie et sagesse, il fournirait abondamment aux pasteurs peu rétribués et à la classe nombreuse des malheureux. Et si l’on nous demande ce que l’on doit faire du superflu, on répondrait : Où pourrait-il mieux être employé qu’à établir des hôpitaux et fournir par ce moyen un asile et des secours à l’humanité souffrante! Et pour parvenir à ces faits, ne serait-il pas à propos de fixer la portion congrue des curés à quinze cents livres, pour les campagnes, et à une somme proportionnelle pour les curés de ville? Cette somme mettrait les uns et les autres dans le cas de subsister avec décence; alors les pasteurs pourraient décharger leurs ouailles d’un casuel qui les gêne, et' les familles honnêtes ne craindraient plus de dévouer leurs enfants aux fonctions du saint ministère. La fixation de la portion congrue des curés à quinze cents livres serait-elle une démarche injuste, eux qui, principalement dans ces temps de révolutions pourraient réclamer la dîme en général, comme leur ancien patrimoine ? Estimons, en outre, que les prébendes des chapitres séculiers, même nobles, retournent à leur première institution et qu’elles deviennent la retraite des curés émérites. Depuis longtemps on regarde comme très-important que toutes les cures de patronage ecclésiastique soient données au mérite par la voie du concours diocésain, sous le suffrage d’examinateurs nommés par les doyens ruraux, qui eux-mêmes seraient élus par les curés de leurs arrondissements. Demandons que, désormais, aucune suppression d’ordre religieux ne puisse se faire sans le consentement de la nation, ni celle d’aucun chapitre séculier sans le consentement des Etats provinciaux sous lesquels ils ressortissent. Permettre que les ad ministrateurs des fabriques, des hôpitaux, des bureaux de charité et les maisons religieuses "des deux sexes fondées pour l’instruction de la jeunesse, soient autorisés à placer dorénavant leurs fonds pécuniaires déjà amortis, à qui bon leur semblera. CHAPITRE II. Réforme des abus dans la société. 1° La vénalité des charges qui donnent à une multitude de propriétaires, qui n’ont pour mettre le reste à l’abri de toute imposition que donnent les exemptions meurtrières pour cette classe laborieuse des indigents; surcharge qui aggrave., leur joug, môme leur industrie, arrête la population et par conséquent diminue les ressources de l’Etat {sic.) Il n’est aucune ville dans le royaume qui ne renferme dans son sein plus de vingt riches privilégiés ; tels sont, par exemple, ces différents officiers municipaux, qui, loin de travailler efficacement à l’entretien des villes, épuisent pour eux-mêmes une grande partie des fonds qui devaient être employés aux besoins publics. Tels sont tant de contrôles, tant de commis inutiles, tant de suppôts, qui, par leurs exemptions, ne fassent retourner à la charge du peuple des impositions qu’ils devraient partager. Une plus juste répartition, en diminuant la cote du laboureur, du manouvrier, du cultivateur, redonnerait une 222 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Bar-le-Duc. nouvelle force à leur activité et les rappellerait à l’aisance ; on ne verrait plus alors dans les campagnes de misère , que celle qui est la suite de l’inertie et du libertinage. 2° Un abus non moins préjudiciable à l’intérêt de l’Etat, est l’aliénation des domaines ; nous voyons avec douleur les personnes memes du Roi, qui par état devraient se montrer les plus dévouées à ses intérêts, être assez peu délicates pour en retenir les parties les plus fructueuses. Cet abus est plus généralement étendu dans la province de Lorraine et Bar, que dans le reste de la France. Est-il, en effet, rien de plus abusif que de voir tant d’alluvions de prairies abondantes et tant d’autres parties domaniales de la plus grande valeur être souvent accordées pour un cens très-modique ? Toutes ces dépendances réunies ne rapporteraient-elles pas au Roi des sommes considérables, si elles étaient fidèlement versées dans ses coffres ? 3° La majesté du prince doit se prémunir contre sa propre bienfaisance. Qu’un militaire qui a bien mérité de son prince et de la patrie, en raison de ses services essentiels, jouisse, lorsqu’il n’est plus dans l’âge de la défendre, d’une retraite convenable et relative, ce n’est plus un tort fait à l’Etat, c’est une justice qu’il doit attendre de la bonté de son prince ; mais que cette pension si bien acquise, se reverse indistinctement sur des héritiers qui ne le sont pas de ses vertus, c’est un vol fait à la société. Oserions-nous représenter tant de ministres qui ont joui des faveurs et des bienfaits du prince, après avoir surpris sa religion, sont forcés de quitter leurs places avec des pensions énormes? Si vous y joignez tant de favoris qui obsèdent le trône; qui, loin d’en soutenir l’éclat, souvent le déshonorent, que dirons-nous encore de ces hommes qui quittent des places où ils se sont engraissés de la substance du malheureux, et qui tout surchargés qu’ils sont de ses dépouilles, cherchent encore, par une cupidité insatiable, à perpétuer dans leurs familles les bienfaits du souverain? La patrie n’avait-elle déjà pas assez acquitté des services si meurtriers pour elle ; devait-elle en payer le souvenir? 4° Changer l’administration des eaux et forêts, attendu que celle des officiers actuels est trop dispendieuse, vexe les peuples, absorbe le produit des bois et nuit à leur reproduction, tandis qu’on peut adopter une régie économique et renvoyer le contentieux aux officiers de la justice. 5° Puisque les hommes ne sont pas assez rai-sonnab'es pour se respecter et se concilier entre eux, pour ne point porter atteinte à leurs droits, à leurs professions respectives, il a donc fallu établir une société d’hommes instruits qui, connaissant les lois du prince et les droits du citoyen, pussent les faire régner toutes deux avec vigueur; il fallut une barrière à l’injustice et à l’iniquité des hommes; il fallait un tribunal où les ruses du méchant fussent connues, pour venger l’innocent et punir le coupable; corps auguste et respectable sans doute, s’il se fût conservé dans sa première intégrité; mais, hélas! le temps qui détruit tout, fait bien voir que la force qui n’est appuyée que sur l’homme, n'est que faiblesse; car qu’on nous demande d’où vient un si grand mépris de la part du peuple pour ses magistrats, on répondra aussitôt que le peu de soin que l’on a apporté à choisir parmi les plus dignes, que celte malheureuse vénalité des charges, origine funeste de tous nos maux, loin d’illustrer le sénat, en a terni l’éclat, et nous réduit aujourd’hui à chercher les moyens de lui rendre son ancienne splendeur. Tout le monde se plaint que la justice est mal rendue. Il ne faut pas aller loin pour en trouver la cause. Bien des juges ne sont pas suffisamment instruits, nos écoles de droit trop faciles, le savoir n’y est pas assez discuté, et le sujet pas assez approfondi. La justice est mal rendue, parce que l’intérêt des juges l’emporte souvent sur la partie blessée : alors, les passions, les préjugés, la partialité, les préventions peuvent gagner dans tous les cœurs, et souvent le crédit du puissant n’y prévaut que trop sur la faiblesse du pauvre. La justice est longue à obtenir ; ce n’est pas faute que les bailliages ne soient pas assez multipliés dans notre province, mais par la position, locale de ce bailliage plusieurs communautés en sont éloignées, et que ce bailliage lui-même est trop éloigné du Parlement. La justice est ruineuse, c’est par les formes abondantes dont les procédures sont surchargées ; les incidents multipliés, les replis impénétrables de ses suppôts, les tortuosités de la chicane, souvent emportent le fond et ne remplacent que trop la droiture et l’équité ; et le peuple entêté croit trouver son salut dans la justice, tandis qu’il n’y trouve que sa ruine. C’est un impôt terrible qui tombe également sur le riche et sur le pauvre. La justice du prince nous permet d’espérer qu’il travaillera efficacement et à réformer les abus de la justice et à abréger les procédures. Et d’après un juste examen, nous avons estimé que dans le nombre des bailliages qu’il plaira à Sa Majesté de conserver dans la province de Lorraine et Bar, le bailliage du Bassigny soit résidant dans la ville de la Marche, qui', par sa situation éloignée des autres villes, mérite cet égard pour le bien des campagnes qui l’environnent. On regarde généralement l’office d’huissier priseur pernicieux et insupportable pour tous les ordres. On attend de la justice Sa Majesté, qu’elle voudra bien le supprimer, aux offres que nous faisons, concurremment avec les deux autres, ordres, d’en rembourser la finance. L’édit de la régie des hypothèques est sage et généralement applaudi ; on demande cependant une modification, de la faire annoncer par affiche dans les lieux où l’hypothèque est située, comme elle l’est à l’auditoire du siège royal. Pour la justice criminelle, déterminer exactement les crimes, délits et peines, de manière que tout le monde puisse connaître ses devoirs et le danger de les enfreindre ; adoucir celles de ces peines qui paraissent trop rudes, mais établir aussi quelques lois plus sévères sur quelques points où le relâchement se fait craindre, comme tout crime grave contre la religion et les mœurs, sur les banqueroutes frauduleuses et autres délits qui troublent l’ordre social et ne sont point assez réprimés. Que le Roi couronne sa nouvelle législation criminelle par la destruction absolue du préjugé qui note d’infamie les parents des suppliciés. 6° Tout ce qui intéresse le bien général du peuple, mérite du souverain, qui en est le père, la plus vive sollicitude. Le sel, qui est une des denrées les plus utiles, était naguère à un prix relatif à sa nécessité ; les gens de la campagne s’en servaient pour engraisser leurs bestiaux; cette nourriture leur donnant cet embonpoint qui flattait le marchand , la Lorraine n’était point obligée d’exporter son argent en Suisse, en Allemagne, pour acheter à grands frais de [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Bar-le-Duc.] 223 quoi fournir nos boucheries, meubler ses marcare-ries, et atteler ses charrues ; mais aujourd’hui que la ferme a entravé cette branche de commerce en fixant la livre de sel au prix exorbitant de six sols trois deniers, tandis que, par une contrariété inconcevable, elle la cède à deux sols aux étrangers , presque plus de nourris en Lorraine, le labour languissant et beaucoup d’autres inconvénients qui en résultent si préjudiciables aux intérêts du peuple, fait que nous espérons de la bonté du Roi qu’il y apportera remède. 7° Une autre exaction qui sans doute n’est pas bien connue du gouvernement, est l’établissement des acquits-à-caution, qui nécessite le Lorrain à un impôt destructeur de son commerce, lorsqu’il fait exporter son vin ou ses autres denrées sur les frontières du Barrois, de Franche-Comté et de Champagne. Si encore l’impôt n’avait d’onéreux que la somme intrinsèque, mais il repousse l'étranger indigné de ses vexations, et il est pour les aborigènes un piège qui, présenté avec adresse, loin de les détourner de la contravention, semble les y inviter. Et quel est l’esclave qui ne secoue et brise, s’il le peut, sa chaîne ! Et de là des reprises multipliées, des procès destructeurs et la ruine de mille familles. Touchés de tous les maux qui se passent sous nos yeux, nous supplions le souverain de les faire finir. 8° Il est encore une infinité d’abus dont la suppression est absolument nécessaire, tel, par exemple, que la multiplicité des bouches à feu dont les administrateurs vont au loin chercher les bois pour leur consommation, et contribuent à porter dans la province la cherté des bois à un prix excessif, au détriment du pauvre qui se trouve par là dans le cas de dégrader les bois qui ne sont point en coupe ; la multiplicité des colombiers et les abus qui en résultent, lesquelles suppressions ou réformations seront demandées, discutées dans le cahier du tiers-état, aux vœux duquel nous adhérons. CHAPITRE III. Etablissement d'un bon ordre. Nous obéissons à un monarque qui ne fait consister son bonheur que dans celui de ses sujets. Ses vues sont celles de la bienfaisance et son règne celui de l’amour ; nous lui obéissons en enfants libres et non en vils esclaves. D’après ces principes , comment a-t-on pu surprendre à son équité et à sa bonté cette loi dure et injuste, destructive de notre liberté : c’est celle qui dispose d’un citoyen, qui l’arrache à sa famille, à son état, pour le réduire à une flétrissante détention, qui lui ôte les moyens de repousser loin de lui l’idée du crime et de justifier son innocence. Que le Roi se fasse ouvrir les portes de la Bastille et des autres prisons d’Etat; qu’il interroge les malheureux qui y sont détenus ; il serait surpris sans doute d’y trouver un si grand nombre de victimes de là passion, de l’injustice des hommes qui ont abusé de son autorité royale. Cette loi du prince scellée de son sceau si souvent surpris à ses mains paternelles, répugnera à sa bonté par l’abus qu’on en fait, et désormais il voudra que le citoyen qu’on lui a dit coupable, trouve toutes les ressources de justification aux yeux d’une nation toujours prête à venger le prince, si réellement on avait blessé ses droits. 1° G’est dans ces circonstances surtout où la franchise, la liberté, le patriotisme et le cri de la conscience pourraient être nuagés, interprétés à crime, que nous demandons que les députés des trois ordres ne puissent être gênés dans leur liberté, parce qu’ils auront développé en conscience le mal et le bien de l’Etat, les abus et les remèdes. 2° Aux yeux d’un souverain juste appréciateur, la seule différence qu’il met entre ses sujets est celle qui naît de la différence du mérite; ce principe a toujours été senti par nos augustes monarques, dont le nôtre est la vive image, et c’est de ce principe même que jaillit la source des distinctions, des privilèges qui constituent l'état de la noblesse. Le premier noble fut celui qui mérita le mieux de son prince ; pourquoi donc aujourd’hui la noblesse haute et fière voudrait-elle écarter des bontés du prince des sujets qui peuvent les mériter au môme titre qu’elle? Est-il donc plus glorieux de naître gentilhomme que de commencer à l’être par un mérite transcendant et soutenu; et pour avoir hérité du nom de ses ancêtres, l’est-on toujours de ses vertus? L’honnête et humble citoyen ne voit qu’avec la plus vive peine tous les efforts du noble pour repousser le roturier; c’est au Roi à prendre sa défense, et à rapprocher de lui son zèle, ses lumières, sa droiture, son mérite, enfin pour s’en servir utilement selon les circonstances. L’état ecclésiastique demande que les grades, les avantages et les dignités soient accordés indistinctement à tout sujet du second ordre qui a utilement et dignement servi l’Eglise, et par une égale justice, nous faisons les mêmes vœux pour qu’un brave militaire qui a servi la patrie avec intelligence et utilité, puisse être promu à toutes les places et à toutes les prérogatives qui servent de véhicule au patriotisme et qui le font éclore. 3° Nous supplions également Sa Majesté d’ordonner que, dans la suite, aucun sujet ne soit pourvu de plus d’un bénéfice, et que tout bénéficier soit astreint à une résidence au moins de neuf mois : la loi ecclésiastique prescrit ces deux devoirs, c’est au souverain à lui prêter pour son exécution toute son autorité; il résulte de son infraction les plus grands inconvénients ; la pluralité des bénéfices entretient sur la même tête une aisance ennemie du travail, et en détruisant chez les autres l’espérance, mobile qui agit si puissamment sur l’homme, elle détruit toute l’émulation ; l’athlète n’entre dans l’arène pour combattre que lorsqu’il voit de loin 1a, récompense; l’absence des bénéficiers est très-nuisible aux lieux qu’ils n’habitent presque jamais ; ils exportent les denrées et le numéraire local, qui tous deux vont se perdre dans le gouffre des villes, comme un faible ruisseau dans l’Océan. Si ces riches propriétaires observaient une résidence exacte, ils feraient une consommation locale, et par une heureuse reproduction, ils verseraient par partie dans chaque famille ce qu’ils en ont tiré, et alors, loin d’appauvrir les campagnes, ils seraient pour elles autant de sources abondantes qui arrosent, fécondent et vivifient. 4° Une cause destructive des bonnes mœurs, de la religion, de l’ordre dans nos campagnes, c’est la fréquentation des cabarets, où le père de famille dépense en pure perte un argent qui servirait à substanter sa femme et ses enfants; où les jeunes gens vont perdre leur simplesse, leur raison, leur santé dans les débauches qui souvent ne bornent pas à eux seuls leurs effets meurtriers; ce sont ces courses nocturnes si préjudiciables à l’innocence surprise, aux possessions dévastées : ajoutez à cela ces jeux tumultueux où la scène est quelquefois ensanglantée, ces danses grossières 224 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Bar-le-Dac.] et corruptrices, scandale sans doute affreux et dans tous les temps -, mais ce qui inspire plus d’horreur encore, c’est lorsqu’ils se commettent les jours consacrés au Seigneur, ce qui n’est, hélas ! que trop ordinaire. Nous, pasteurs, que des maux si grands touchent d’une manière bien sensible, trop faibles pour les faire cesser, nous nous lassons de ne pouvoir qu’en gémir : nous prions instamment le souverain de faire revivre ses anciennes ordonnances à ce sujet, et d’intimer à la police locale trop indifférente de les faire exécuter dans la plus grande sévérité. La plaie de l’Etat est profonde; nous en jugeons par la peine extrême dont notre auguste monarque est pénétré. Les princes, à son exemple, nous ont donné des marques de leur sensibilité ; ne cherchons point la cause de nos malheurs, nous serions forcés de faire un reproche trop amer à ceux qui s’en sont rendus les auteurs ; tâchons au contraire de trouver les moyens de les éviter à l’avenir. La France n’a eu que trop souvent à gémir sur riulidélitô de ceux qui ont administré les finances. Le digne ministre qui les gouverne, ne doit sa place qu’à son mérite et à la sagesse du Roi, qui voit son choix se justifier dans le cœur des Français. Sous de si heureux auspices, ce vrai patriote ne nous laisse que d’heureuses espérances : mais nous, citoyens instruits par nos malheurs passés, creusons douloureusement dans l’avenir, unissons nos efforts à ceux d’un ministre respectable et équitable pour prévenir ces déprédations désastreuses, ces abus destructeurs qui ont ouvert le précipice. L’expérience nous convainc que l’espérance de l’impunité enhardit le coupable; un ministre ambitieux et prévaricateur se fait de son élévation, de son autorité, de sa puissance, du crédit de ses créatures, un bouclier qui le met à couvert du glaive de la justice ; comme il ne craint plus rien, il ne garde plus de mesures dans ses vexations, il abuse souvent de la confiance de son souverain, s’approprie injustement le bien de l’Etat et croit n’en devoir aucun compte à la nation. Abus terrible! Nous espérons de la justice et autorité de notre monarque qu’il en détruira le principe en livrant le coupable à la sévérité d’une nation dont il aura blessé les droits, abusé de la confiance, et qui a des lois qui doivent faire trembler l’illustre coupable, comme l’obscur criminel. Le moyen d’entretenir l’harmonie dans tous les corps, d’assurer une paix profonde et durable au monarque et à ses sujets, sera de ménager, autant et selon l’exigence des cas, le retour périodique des Etats généraux, rapprochement si utile à l’un et à l’autre. Mais pour prévenir les abus qui pourraient se glisser pendant leur absence, nous estimons nécessaire d’établir dans chaque province un corps représentatif de leur autorité, connu sous le nom d’Etats provinciaux, organisés comme les assemblées provinciales, auxquels on attribuerait les grandes fonctions renvoyées’ jusqu’alors aux chambres des comptes, à la Régie des fermes et aux commissaires départis; mais pour ne pas surcharger ces Etats d’un travail pénible et trop étendu, il sera bon d’établir des bureaux de district, des municipalités dans chaque communauté ; de leur donner toute la force requise, lesquels correspondraient graduellement aux Etats de la province et leur seraient comptables. Ces derniers seraient chargés de la police des lieux. Ces places, revêtues d’un caractère honorable, les ferait rechercher; sans rien offrir à la cupidité, elles ne seront accordées qu’aux plus dignes à la pluralité, des suffrages ; et pour ne point laisser trop longtemps l’autorité dans les mômes mains, ce qui est toujours dangereux, on procédera à une nouvelle élection, chaque deux ou trois ans, comme il serait déterminé par le règlement. Nous demandons en outre que, dans l’administration générale et pour le bien commun, les trois ordres opinent par tête ; mais dès qu’il s’agira des privilèges soit du clergé, ou de la noblesse, ou de l’intérêt d’un ordre isolé, alors les suffrages se prendront par ordre, afin qu’un ou deux autres ordres réunis ne puissent opprimer le troisième. Enfin, pour ne laisser rien à désirer aux députés du second ordre du clergé, nous espérons, d’après les promesses de notre monarque, que nos seigneurs du clergé verront sans peine nos représentants auxEtats généraux former un nombre au moins égal au leur; et pourrait-on avec justice nous refuser ce droit, à nous qui avons les mêmes intérêts à discuter, et la même cause à défendre? Le Roi, que nous chérissons, désire le bien : ne formons qu’un môme vœu avec lui. Fasse le Seigneur, qui veille particulièrement sur la France, qu’il prospère ce bien si nécessaire et si longtemps désiré ! Fait, clos et arrêté en l’assemblée de l’ordre du clergé, aujourd’hui vingtième mars de l’an mil sept cent quatre-vingt neuf. Entendons néanmoins que nos députés aux Etats généraux se modèleront sur les articles contenus au présent cahier, pour remontrer, aviser, consentir pour le bien de l’Etat et la prospérité du royaume. Collationné et copie délivrée conforme à l’original par le prêtre secrétaire de l’ordre du clergé du bailliage du Bassigny séant à la Marche, soussigné. Signé Fouillette, prêtre secrétaire de l’ordre du clergé du bailliage du Bassigny. CAHIER DES REMONTRANCES ET DOLÉANCES DES HABITANTS DE MÉNIL-LA-HORGNE, BAILLIAGE DE COMMERCY, ADRESSÉES A M. LE GARDE DES SCEAUX. 26 avril 1789. Monseigneur, Nous avons recours à votre charité et votre justice pour vous supplier de mettre aux pieds de notre bon Roi nos respectueuses représentations et doléances que nous n’avons pu faire comprendre dans le cahier commun de notre convocation au bailliage de Commercy. Les pauvres communes de la campagne y ont été méprisées; les officiers et praticiens du siège se sont emparés de tout. Nous étions trente-deux communautés de la campagne, et malgré que nous nous étions bien concertées pour profiter d’une circonstance si heureuse et si favorable à la réforme des abus qui portent principalement sur nous, les six députés de la ville font emporté en tout point, pour la rédaction des cahiers, pour être scrutateurs et enfin députés à l’arrondissement de Bar. Malgré la timidité desgens de la campagne, on n’a pu s’empêcher de murmurer; on a dit même hautement qu’il y avait eu cabale, séduction, etc.; l’avocat du Roi, quoiqu’un des députés de la ville, s’est vu dans le cas de joindre sa voix aux plaignants ; mais l’autorité ou du moins l’ascendant ayant prévalu, un conseil-